8 juillet 2025

Chez

Chez moi,
c’est difficile de dire chez moi.

Est-ce que je pense souvent à le dire ?
Non. Jamais.

Ce que je dis à la place de chez moi,
je dis dans la ville, dans la maison,
dans la chambre
ça ne m’appartient pas.

Plus maintenant.

Je disais ma maison lorsque j’étais enfant.
Je disais aussi notre chambre,
puisque nous dormions là ensemble,
mon frère et moi.

Rarement mon jardin, mon école, mon village.
C’était plus loin,
même si c’était géographiquement proche.
C’était plus loin mentalement, enfant,
que mes parents, mon frère, ma maison.

Et si je traduis ce premier texte en anglais, c’est pour que son sens me revienne autrement surtout, en écho. par le son bien plus que par la pensée par le rythme par l’entremise d’une autre temporalité hachures et zébrures consonnes et voyelles chamboulement.


Home

Hard to say home.
Do I even think it, often ?
No. Never.

What I say instead of home
is the city the house, the room.
It’s never really mine.

Not anymore.

As a child I used to say my house.
I’d also say our room,
since my brother and I slept there, together.

Rarely my garden, my school, my village.
Though geographically close,
they felt further away than my brother,
my parents, my house.

If I translate this first text into English,
it’s not to understand it.
It’s so its meaning might return to me —
differently.

Through echo.
Through sound, more than thought.
Through rhythm.

Through another kind of time.
Scars and streaks.
Consonants and vowels.
Upheaval.


Pour que le home remplace ainsi le chez et que l’on parle soudain d’âme que d’un bien , d’un avoir . Car home c’est hâm c’est heim n’est-ce pas. le village natal je me demande ce qui me fait le plus d’effet vraiment. Est-ce le mot village ou le mot natal, est-ce les deux mis ensemble, difficile de le dire, difficile à haute voix.


For home to stand in for chez,
and for us to speak of soul
instead of asset, or possession.

Because home is hām,
is heim, isn’t it ?

The natal village.
I wonder what hits harder.
Is it village ?
Or natal ?

Or the two — stitched together ?

Hard to tell.
Harder still to say aloud.


Chez, dans l’espace,
c’est le lieu non vide — en apparence —
qui se distingue du vide omniprésent.

Chez Bertrand,
ce n’est pas comme chez Philippe,
ni comme chez Anne-Marie.

C’était toujours mieux que chez moi, enfant.
Je me souviens.

Je détestais dire on va chez moi.
Entraîner l’autre dans la détresse du chez moi.


In space, home is what pretends not to be void —
but only in contrast to all that is.

Bertrand’s place
was nothing like Philippe’s,
or Anne-Marie’s.

All of them were better than mine.
As a child, I remember that clearly.

I hated saying let’s go to my place.
As if I were leading someone
into the quiet wreck of it.


## L’entre-deux

Chez eux.
Je reviens à ça.
À chez moi, si l’on veut —
ce vide.

C’est à partir de là que,
après m’être élancé,
et m’être toujours heurté contre le même mur,
j’ai fait ce pas de côté.

J’ai découvert cet interstice.
Pas de chez eux.
Pas de chez moi.
L’entre-deux.


The In-Between

Their place.
That’s where I return.
To my place, maybe —
to the void.

From there,
after throwing myself forward
and hitting the same wall over and over,
I took a step aside.

And found an opening.
Not their place.
Not mine.

Just the in-between.


Chez nous

Chez nous était un songe.
On tendait la main pour toucher une limite,
mais il n’y en avait pas.

Chez nous était cette fiction,
nous servant de vérité temporaire.

Et nous tenions ainsi,
bon an mal an,
jour de soleil ou jour de pluie,
un temps de bon grain,
un temps d’ivraie.


Our place

Our place was a dream.
We reached out to touch a border —
but there was none.

Our place was a fiction
we used as a makeshift truth.

And we held on like that,
for better or worse,
in sun or in rain,
in the time of wheat,
in the time of weeds.


Chez soi

Oh, la tranquillité rêvée d’un chez soi
qui prend l’eau de toute part,
mais qu’on ne veut pas voir.

On dit comme on est bien chez soi.
On s’accroche tellement à ce comme on est bien
que c’en est louche —
mais on ne veut pas entendre.

On s’attend, dans le fond,
à quelque chose de terrible.
Quelque chose qu’on ne doit pas dire.
Qu’on ne doit jamais dire.


At Home

Oh, the dream of peace at home
even as the walls leak from every seam,
and we refuse to see it.

We say there’s no place like home.
We cling so tightly to that no place like
it starts to feel suspicious —
but we shut our ears.

Deep down,
we’re expecting something awful.
Something that must not be said.
Something never to be spoken.


Chez l’hirondelle

Chez l’hirondelle,
ce mélange de terre et de paille
collé par la salive
me faisait quelque chose, enfant.

Je suis vieux maintenant.
Je sais que je parle d’un autre temps.

Les hirondelles sont devenues rares.
Elles ont peu à peu disparu avec le temps.

Chez l’hirondelle,
la salive est le ciment —
vous savez,
c’est quelque chose
comme une parole
qui se fait nid
sous les toits.


The Swallow’s Home

The swallow’s nest —
a mix of mud and straw
held together with spit —
used to stir something in me as a child.

Now I’m old.
I know I’m speaking of another time.

Swallows have grown rare.
They’ve faded, little by little, with the years.

In the swallow’s home,
saliva is the cement —
you know,
something like a voice
turning itself
into a nest
beneath the eaves.

Pour continuer

Carnets | Atelier

30 juillet 2025

J’avais dit "table rase", pas pour rien. SPIP et MySQL m’ont répondu en chœur. Tout ce que j’avais construit sur mon site local a été mis par terre par l’importation de ma base de données distante vers mon PhpMyAdmin local. Au début, j’ai tempêté. Des heures et des heures de boulot qui s’envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident était plutôt une chance, que ça allait m’aider. SPIP a connu pas mal de mises à jour, et c’est là qu’il faut être vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre à jour la distribution. Il faut aussi aller voir du côté de la base de données et vérifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis à jour peuvent également s’accumuler et créer des distorsions. C’est à peu près tout cela qui m’est tombé sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou négligence : le débat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilité (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de mémoire et d’attention. La gravité du problème rencontré n’est pas immense. J’avais bien sûr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand même, devoir tout refaire ne m’amuse pas. Cela m’oblige donc à repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os près os — mais sans doute avec un peu plus d’expérience, ce qui se paie d’échecs, comme il se doit. En attendant, je continue à écrire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j’ai déjà quelques trouvailles dans la boîte — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d’une imprimerie de poche pour créer des livres numériques. Reste à savoir ce que j’y mets, dans ces livres. Ce n’est pas l’embarras du choix qui manque.|couper{180}

Technologies et Postmodernité

Carnets | Atelier

29 juillet 2025

Contrôler l'accès à la nourriture, c'est contrôler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organisées, aux embargos, aux politiques agricoles. En même temps qu'à la télévision on aperçoit ces parachutages de denrées sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du réalisateur Trần Anh Hùng. Il s’est produit quelque chose d’étrange à cet instant. Une attirance et une répulsion dans un même mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgré la qualité visuelle et sonore — surtout sonore — du film. Ça m’est resté en travers de la gorge. Soudain, cette surreprésentation de la bouffe m’est apparue profondément obscène. Mais pas plus, au fond, que ce qu’on nous fait avaler sur papier glacé, dans les affiches publicitaires, sur les réseaux sociaux. L’importance que la nourriture a prise ces dernières années est considérable. Peut-être que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les réseaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait là déjà quelque chose d’abject, mais j’y accordais sans doute moins d’importance. Peut-être même en ai-je profité, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En écoutant le frémissement du bouillon clair, les rissolements des foies, les rôtis en train de suer, j’avais plutôt envie de dégueuler qu’autre chose. J’avais déjà vu ce film en 2023, je crois, et je n’avais pas éprouvé la nausée à un tel point. Cette célébration m’avait même laissé admiratif, et en même temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent à l’enfance, aux grandes tablées, aux aurores embaumées par l’odeur de brûlure de pattes de volaille, par l’oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l’on se passe comme un relais dans les familles françaises de classe moyenne depuis des générations. Ce goût de la bouffe, de la “bonne chair”, je le transporte encore dans mes gènes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, à tant de reprises, de m’en séparer. De traverser des périodes d’austérité, peut-être dans l’unique but de m’en débarrasser. Mais ça revient. Par le nez, par les papilles. C’est plus fort que moi, comme on dit. Un réflexe pavlovien de chien qui revient vers le maître, celui qui, à la fois, le bat et le caresse. Une voix, tout au fond de moi, voudrait me ramener à je ne sais quelle “raison”. Tu confonds tout, me dit-elle. Tu ne peux pas mettre sur un même plan les exactions, les guerres, l'effroi des images que ces événements charrient, avec l'atmosphère tellement chaleureuse d'un film célébrant la gastronomie française. Tu ne peux pas, tu n’en as pas le droit, continue-t-elle. Je l’écoute, je la respecte. Mais pourtant, si je mets cela en parallèle, si je les place sur un même plan, c’est que le plan du dégoût est devenu si vaste, une fois les apparences traversées — les apparences tellement claires — ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas.|couper{180}

hors-lieu

Carnets | Atelier

paupière tombante

Voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile. Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux. Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire. Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé. La honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. Voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. Honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. Le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. la honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend.|couper{180}

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