carnet de voyage

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Carnets | août 2023

05 août 2023

Partir sans carte, guidé par un GPS réglé « sans péages » et découvrir l’Italie en franchissant les Alpes jusqu’à l’Adriatique. De là, une traversée sous la pluie vers la Croatie, avec des marchés d’un autre temps et des réflexions sur l’écriture contemporaine. Entre Balzac, la création d’un nouveau blog et la question de l’effacement des souvenirs, ce voyage devient autant physique qu’introspectif.|couper{180}

carnet de voyage poésie du quotidien

Carnets | avril 2023

Les chroniques de voyage.

Certainement un art à part entière. Peut on vraiment s’improviser chroniqueur de voyage. Des tentatives effectuées, impression de malaise. C’est plus un bloc-notes qu’autre chose. Que devrait-on inscrire dans ces lignes qui ne paraissent pas aussitôt dérisoire, futile, soporifique. Se renseigner sur l’histoire et la géographie des lieux. Essayer de rejoindre une logique interne à ceux-ci. Peut-être. Ou alors utiliser un ton, la méchanceté par exemple. Me reviennent les propos de Stendhal sur Grenoble. Et non, aucun souvenir des chroniques italiennes. Par contre Grenoble, quelle hargne, quelle méchanceté, sans doute justifiée, puisqu’il y est né. Comme j’avais aimé lire ce genre de textes vers quarante…M’y intéresserais-je encore à plus de soixante… rien n’est moins sûr. D’ailleurs Henri Beyle, Stendhal, n’a jamais été un de mes auteurs favoris. Jamais haï, jamais adulé. Des souvenirs passables de Dominique Fernandez. Sur l’Italie également tiens. Mais trop ampoulé pour mon goût, trop de chichis, trop de littérature. Ce qui me fait remonter à des interrogations essentielles quant aux écrivains en général. On ne sait jamais trop pour la plus grande partie comment ces gens vivent, mangent, baisent et chient. Comment ils parviennent à gagner leur vie, comment ils vivent vraiment, et écrivent. C’est grâce aux romanciers américains, principalement Miller, Bukowsky, John Fante, que le rideau aura été tiré sur cette énigme. Encore que, c’est aussi de la littérature, que le narrateur n’est jamais tout à fait celui auquel on pense. Laurence Durrell ami d’Henri Miller et si opposé cependant dans la façon de raconter les voyages. Mac Orlan très poétique, trop sans doute, lorsque je l’avais lu jadis en même temps que Pierre Loti, et bien sûr Cendrars. Je n’ai pas cité Jack London. Pourtant il avait été d’un précieux secours lui aussi. Non pour écrire des chroniques de voyage, sauf si on considère qu’écrire est bel et bien une forme de voyage, d’aventure. Plus proche de notre époque il y a aussi Nicolas Bouvier et son merveilleux livre, « l’usage du monde », je l’avais emporté avec moi en m’en allant au delà du Bosphore en 1986. Un poids. Et puis j’ai du le prêter ou le donner à quelqu’un. Et en y repensant, c’est un livre qui me manque. Qu’il serait bon de retrouver|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

Arriver de nuit à la Havane

C'est une expérience assez semblable à celles vécues dans d'autres villes, et cette sensation de deja vu, de similitude est un danger pour le voyageur. Surtout parce qu'il croit pouvoir trouver comme toujours suffisamment de chances, d'opportunités, voire d'astuces éculées pour trouver son chemin aisément depuis l'aéroport jusqu'au centre-ville. Mais à la vérité il n'en est rien ; et c'est en débarquant à la Havane que je m'étais soudain mis à me méfier des idées toutes faites que l'on transporte souvent malgré soi , d'une ville à l'autre. J'épargnerai au lecteur même si ce lecteur puisse sans doute n'être que moi-même me relisant, le nombre infini de méandres, de voies sans issue, de culs de sac que je dû emprunter cette nuit là, en vain, car exténué par le voyage, je m'étais garé sur un talus en m'apprêtant à y dormir, dans l'attente du matin. Juste avant de couper le moteur et l'éclairage du véhicule, une Lada russe, j'aperçus un léger mouvement à quelques mètres devant moi provenant de ce que je pense être des buissons. c'est alors que je vis traverser toute une colonie de crabes d'un bord à l'autre de cette route au demeurant déserte à cette heure tardive de la nuit. Ils devaient être plusieurs centaines, une véritable marée de crabes et par curiosité j'entrouvrais la fenêtre pour voir si je parvenais à écouter le son qu'il faisaient durant leur déplacement. Mais une brise légère devait pousser ce bruit dans un sens contraire au mien et je n'entendis que le cri d'un plaintif d'un oiseau- était-il de mer ou de terre je n'en sais toujours rien. Cette pause et ce spectacle cependant, m'avaient suffisamment fourni d'excitation ou énergie pour que je remette le contact, que j'embraye à nouveau et ce fut plus lentement que je me mis à rouler désormais ; puis bientôt j'arrivais dans des zones peuplées de grands immeubles, ce que j'imaginais être une banlieue de la Havane mais comme il n'y avait aucune indication, aucun panneau il me fut impossible de m'orienter, impossible de savoir si j'étais désormais au nord, au sud à l'est ou l'ouest de la ville. Ce qui produit une impression étrange quand on se croit doté d'un excellent sens de l'orientation. Fort heureusement sur l'un des parking d'une de ces cités je tombais sur un petit groupe de fêtards et leur demandais la direction de la ville. Bien que leurs indications parussent claires au moment où je les reçus il me fallut encore deux bonnes heures et beaucoup d'égarement comme d'énervement pour enfin découvrir l'entrée de la ville ; du reste par une rocade tellement semblable à toutes celles que j'avais déjà empruntées auparavant, une rocade qui ne payait pas mine si je puis dire, qu'une fois encore un cliché s'envola. L'arrivée à la Havane peut s'effectuer ainsi non pas par une somptueuse avenue bordée d'arbres exotiques, mais tout à fait comme chez nous en France par une route au revêtement médiocre bordée de constructions fantomatiques dont les façades sont pour la plupart aveugles.|couper{180}

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le voyage du corps

Quetta 1986 À quel moment le corps se dédouble t'il durant un voyage ; à quel instant précis passe t'il du corps rêvé au corps haï, ou pire à cette indifférence que le voyageur entretiendra désormais avec son propre corps. Comme si désormais le corps n'avait plus la moindre importance, qu'une nécessité de cohérence était révolue, se fut enfuie soudain en même temps que toute soif. Et qu'est-ce que la soif, l'eau, la femme, sinon des symboles dont le désir s'empare pour créer une image de soi, une ressemblance. Le désir de soi et le désir du monde dilués dans une même soupe, une même soif. Peut-être est-ce à Quetta, au moment exact où le voyageur marcha de la nouvelle ville vers l'ancienne, dans cet étrange no man's land qu'il traversa, que le voyageur perdit toute envie de maintenir une image trop mensongère de lui même, qu'il renia toute ressemblance éventuelle avec son Créateur. Alors qu'il marchait sous le soleil brûlant, il sentit soudain que ses épaules se débarrassaient d'un fardeau lourd et encombrant ; son pas se modifia soudain, il ne fut plus si régulier qu'auparavant, mais celui d'un homme ivre cherchant en vain à créer non sans dérision. un nouveau corps, une nouvelle cohésion, un nouvel équilibre,et bien sûr échouant à chaque fois. Un désir vague de pluie s'empara de lui, chose étonnante dans ce pays où jamais il ne pleut. Le voyageur n'était plus qu'un amas de poussière ambulant qui avait rejeté l'eau que pour mieux la désirer autrement. Ce jour là, il gravit la colline menant à l'hôtel luxueux où il avait découvert que l'on pouvait commander du café lyophilisé, il but sa tasse à toutes petites gorgées en faisant une moue de dégoût. A un moment la nostalgie de la France ne se réduit plus qu'à la nostalgie du goût d'un bon café songea t'il. Puis il reposa sa tasse, paya et jura qu'on ne le reprendrait plus à payer si cher pour une boisson si médiocre.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

la ville double

Quetta vieille ville 1986 La confusion dure quelques jours accompagnée de la déception qui la secoue car parvenir à Quetta par la ville nouvelle laisse l'imagination brutalement sur sa faim. Ce n'est guère qu'un ramassis de bicoques plus ou moins délabrées, une sorte de trou perdu à l'issue du désert que l'on vient péniblement de traverser après de multiples ensablements Ici règne une agitation fébrile, un tumulte incessant constitué par les voix hystériques des femmes hurlant dans des haut-parleurs, aux façades des baraques ; une Babel musicale ; car bien sûr aucune ne semble chanter la même chanson. Si l'on ajoute à la clameur la pétarade des pots d'échappement des rickshaw, des bus, des 4x4, et autres pickup, les coups de klaxons, les salutations interminables que les habitants ici semblent prolonger à l'infini comme des incantations, on peut se faire une idée assez juste de cette première partie de la ville tout du moins sur le plan sonore. Cependant si l'on comprend que cette monstruosité n'est que la façade offerte aux touristes pour dissimuler une toute autre ville, qui se situe à peine à quelques centaines de mètres de là, l'imagination retrouve alors toute sa vigueur comme une plante assoiffée à qui l'on vient de faire le don de l'eau. La Quetta d'origine, la vraie ville, est bien plus silencieuse, alors qu' il y règne presque autant d'agitation mais chose étonnante le bruit de celle-ci parvient à l'oreille du voyageur comme amortie, atténuée tout à coup. Ou remplacée par les parfums que ses narines soudain dilatées y découvrent. Ainsi donc on peut dire que la ville est double comme est double la sensation qui subsistera dans la mémoire de tout voyageur digne de ce nom lorsqu'il la pénétrera, et ce quelque soit sa science à pénétrer les villes.|couper{180}

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Double voyage 02-Profil du voyageur

La nuit d’avant, tu n’avais que peu dormi, tiraillé entre la peur et le désir d’effectuer ce voyage. Et l’idée d’y renoncer revint plusieurs fois. Tu pesais le pour et le contrepour essayer de te rassurer ou de t’effrayer encore plus. Au final le nombre des actes posés en faveur de ce départ l’emportait sur toutes les pensées qui t’assaillaient. Tu avais cette impression persistante d’être double, et de ne pas pouvoir parvenir à n’être qu’un. Peut-être que si tu t’étais penché un peu plus sur l’origine de cette séparation, de cette division, il ne t’aurait pas fallu beaucoup de temps pour en revenir à des raisons simples, fondamentales, une origine. Par exemple, du coté de ta mère, la légende faisait du voyage un mythe fondateur, et que de l’autre, du père, le terroir fondait aussi une grande part de qui tu étais. Possible que le mot voyage fait encore surgir plus de 30 années plus tard l’idée d’un abandon, d’une perte irrémédiable, d’une nécessité de se réinventer totalement, en même temps qu’elle s’y oppose en tant que loisir, ou banal bien de consommation. Et aussi, tu te rends compte aujourd’hui que tu écris ces lignes, que ton choix quoique tu aies pu penser, hésiter cette nuit là, la nuit d’avant le grand départ, était déjà fait depuis longtemps, depuis toujours. Ce grand-père estonien, qui avait déjà dû sacrifier beaucoup pour quitter l’Estonie, se rendre à Saint-Petersbourg pour étudier l’art, avant la révolution de 1917, puis décider de tout quitter encore pour s’exiler en France à Paris, ce fantôme qui te hante depuis toujours, fut le modèle que tu avais choisi sans même en prendre conscience. Cette dichotomie, la source de toutes tes hésitations et de tes choix irréfléchis en apparence, tu peux en remonter aujourd’hui la trace, poser le doigt sur cette plaie purulente qui jamais ne se sera totalement refermée ou cicatrisée. Cette blessure qui toute ta vie durant tu léchas mais aussi trituras quand l’oubli menaçait de ne plus la sentir présente, d’ en souffrir. Comme si il n’y avait jamais eut d’autre vecteur plus puissant que la tristesse, la douleur, cette nostalgie étrange d’un homme, d’un pays que tu ne connus jamais, pour fonder cette part de toi, une part cachée, la plupart du temps inavouable. Aujourd’hui tu cherches les raisons pour lesquelles tu n’as pas compris cette chose simple à l’époque. C’est encore la nuit, tu t’es réveillé en sueur et en pensant à ta mère alors que tu n’y penses plus que très sporadiquement dans tes journées. Peut-être à cause d’un rêve dont tu ne te souviens plus non plus en te réveillant. Mais dont l’oubli lui-même en dit énormément. Suffisamment en tous cas pour que soudain tu comprennes que si tu as toujours voulu t’éloigner de quelqu’un, de quelque chose, c’était toujours que dans l’espoir de parvenir enfin à mieux t’en rapprocher. Cette obligation de rejet de ta mère, afin de pouvoir survivre, cette nécessité pensais-tu, pour ne plus rester bloqué dans cette immense nostalgie qu’elle chérissait comme leg et n’eut de cesse de vouloir te léguer aussi, c’était l’unique aspect négatif et dont elle ne fut qu’une victime consentante elle aussi. Et elle aussi, tout comme toi, avait sans doute opté pour ce que tu considères toujours être comme une forme de facilité, voire de lâcheté qui consiste à déclarer à haute voix ne t’inquiète pas tout va bien alors qu’en fait non, rien n’alla jamais. Rien n’alla jamais car impossible de prendre cette distance avec sa propre histoire afin de mieux la voir, la comprendre, en faire autre chose que ce que nous en avions fait. Et quand l’aube arriva, la sensation que tu éprouvas était-elle enfin à la mesure de l’éloignement auquel tu aspirais depuis toujours pour les retrouver ces fantômes ? le malaise inouï se confondant avec un soulagement immense au moment même où tu te posas sur le siège du bus qui t’emporta, ton ignorance et ta jeunesse les étouffa.|couper{180}

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fictions

Double voyage 01-Profil du voyageur

Un jour, il avait dit : je vais partir en voyage. Pas dans l’intimité d’une confidence, non, il l’avait lancé au beau milieu de la place du village. Une phrase jetée comme une pierre dans l’eau stagnante. Une promesse faite aux autres, et surtout à lui-même. Une promesse qui, dès qu’elle franchit les lèvres, devient un piège. Parce qu’on ne revient pas en arrière après ça. Parce qu’il faut tenir. Parce que reculer, c’est s’avouer vaincu devant tout le monde. L’hiver était là, dur et glacial. Le départ ? Prévu pour le printemps. Mais pour l’heure, il n’était qu’un homme banal, trente ans à peine, perdu dans une vie qui se résumait à quelques lignes : célibataire, sans chat ni chien, sans voiture. Il marchait beaucoup, par nécessité souvent, mais aussi par goût. Marcher pour rêver. Marcher pour fuir. Et dans ces marches solitaires, il construisait son voyage comme on construit une maison en carton : fragile et bancale. Le voyage était un mirage autant qu’une peur sourde. Il n’avait jamais voyagé seul. Les souvenirs de colonies de vacances ou de visites familiales dans le centre de la France ne comptaient pas. Voyager seul, c’était affronter une solitude plus grande encore que celle qu’il connaissait déjà. Une solitude qui n’offrait ni confort ni sécurité. Alors il temporisait. L’argent devenait son alibi parfait : il n’y en a jamais assez. Il travaillait jour et nuit pour accumuler un pécule sans savoir combien il lui faudrait vraiment. Et puis les autres commençaient à poser des questions : Alors ce voyage, c’est pour quand ? Pris au piège de sa propre parole, il lâcha une date au hasard : le 1er mars. Une date qui lui donnait un répit tout en le condamnant à avancer. Mars arriva enfin. On le retrouva à Istanbul, dans une chambre d’hôtel du quartier des épices. Le matin filtrait par la fenêtre entrouverte ; les parfums inconnus s’insinuaient dans la pièce. Sur le lit, un appareil photo et des liasses de billets froissés. Devant le miroir du lavabo, il observait son reflet comme on observe celui d’un étranger. Tout semblait irréel : la ville qui s’éveillait au loin avec ses klaxons et ses bruits de rue ; lui-même, perdu dans un rêve dont il peinait à sortir. Il sortit marcher dans Istanbul, mais la déception s’installa rapidement. La liberté qu’il espérait se heurta à une solitude brutale et à l’ignorance : les enseignes illisibles, les noms inconnus comme celui de Soliman le Magnifique dont il ne savait rien. Dans un café où des hommes moustachus buvaient leurs petites tasses noires, il écrivit une carte postale pour Marie : Bien arrivé à Istanbul. Il fait beau temps. Ces mots lui semblèrent dérisoires ; pourtant il posta la carte. Le voyage continua vers Téhéran avec un groupe d’inconnus rencontrés sur la route. La frontière turque fut marquée par un épisode étrange avec un douanier moustachu qui l’isola dans un bureau sombre avant de finalement le libérer sous la pression des jeunes gens impatients d’en finir avec les formalités. Ce souvenir devint une anecdote qu’il raconterait parfois, modifiée ou embellie selon son humeur. Mais avec le temps, même cette histoire perdit son éclat. Comme tous ces voyages de jeunesse où se mêlaient encore désir et peur. Aujourd’hui, le voyageur est un vieil homme. Il ouvre un carnet à spirales où quelques phrases maladroites sont griffonnées — des brouillons écrits pour Marie autrefois. Mais Marie est devenue semblable aux souvenirs de ses voyages : floue et insaisissable comme un rêve dont on ne retient que des fragments avant qu’il ne s’efface complètement.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

Profil du voyageur

Un jour, le voyageur avait dit "je vais partir en voyage". Il l'avait dit au beau milieu de la place du village pour que de nombreuses personnes puissent l'entendre. Il avait inventé ainsi cette sorte de promesse que l'on fait à tout le monde et à personne et dont on a un mal de chien par la suite à se départir. — Non on ne peut plus reculer désormais. Tant que l'on cherche à être vu en société, à être accepté par les autres, à ne pas passer pour un idiot , se martelait jour après jour le voyageur. Nous étions dans le creux de l'hiver et le grand départ était prévu pour le printemps. Pour le moment celui qui se fait appeler le voyageur est un homme d'une trentaine d'année dont le quotidien est d'une banalité à pleurer. Il vit au second étage de cet immeuble de banlieue que vous pouvez apercevoir, face à ce supermarché. Pour gagner sa vie il travaille comme manutentionnaire dans une des nombreuses usines que l'on peut trouver à la périphérie des grandes villes. Rien de vraiment extraordinaire comme vous pouvez le constater. Toute son existence pourrait ainsi tenir en quelques mots. Célibataire, pas de chat, pas de chien, pas de voiture, il lui arrive d'emprunter les transports en commun, mais le plus souvent il aime marcher. Il adore marcher et, tout en marchant avec cette sorte de frénésie que possèdent les timides, il rêve à tout un tas de choses.. Ce voyage par exemple occupe désormais une grande partie de ses pensées. Cependant qu'il ressort toujours de ces rêveries une sensation mi-figue mi-raisin. Tout bien pesé l'idée du voyage l'attire autant qu'elle l'angoisse. Le voyageur n'avait jamais voyagé vraiment jusque là. A peine avait-il franchi les frontières du département, les limites de la banlieue. Du moins tout seul. Car voyager était lié à l'idée de la solitude avant tout. Voyager c'était s'enfoncer dans une plus grande solitude encore que toutes celles qu'il avait déjà connues. Bien sur, plus jeune, il était parti du coté de Tours dans un étrange château peuplé de gamins comme lui, il avait été envoyé en colonie de vacances. Bien sur il s'était aussi déplacé dans le centre de la France en famille pour se rendre chez quelque oncle ou tante. Mais lorsqu'il avait comptabilisé tous ces déplacements effectués dans le passé, il ne s'était jamais vraiment senti suffisamment seul. Ou alors ce genre de solitude insupportable tellement proche de l'ennui. Ce genre de solitude qui réunit en même temps la sécurité, un confort apparent crée par la proximité d'autrui, mais qui souvent oscille entre le familier et l'étrangeté, voire l'hostilité. Partir seul et loin, c'était à la fois son rêve et sa plus grande peur. Lorsqu'il y pensait en marchant, il imaginait de nombreuses scènes comme s'il prenait une sorte de plaisir louche à vouloir être arrivé déjà avant même de partir. Il rentrait de ses longues marches éreinté, sans doute bien plus par son imagination que par la marche elle-même. L'argent lui servait à temporiser, à repousser le moment. Il n'y en aurait jamais assez se disait-il pour effectuer cet important voyage. Une fois parti il ne savait pas quand il reviendrait. La durée de ce voyage lui était totalement abstraite et cela aussi l'installait dans quelque chose d'à la fois agréable et de terrifiant. Il avait donc trouvé plusieurs emplois, de jour comme de nuit afin d'accumuler un pécule susceptible d'être "suffisant" sans même savoir les bornes de ses futurs besoins, de ces nécessités à venir. — Alors ce voyage, c'est pour quand ? commençait-on à lui demander alors que décembre était passé et que l'on se dirigeait vers la nouvelle année. — Oui, n'oublie pas, tu as dit que tu allais partir, nous avons tous bien retenu. Quelle date le départ alors ? Le voyageur compris qu'il fallait alors donner une date et il la donna au hasard, — je partirai le 1er mars. Ce qui lui laissait une avance confortable tout en retrouvant une tranquillité qu'il avait un peu perdue ces derniers temps. Il s'enfonça donc dans les trajets d'autant plus que ceux-ci se multipliaient d'un point à l'autre de la ville et de la banlieue pour satisfaire à toutes les exigences de ses divers emplois. Et au bout de plusieurs jours même le début mars finit par devenir abstrait. Janvier vient de s'achever pour laisser la place à février. Il fait un froid de canard, le vent glacial lui fouette les joues mais l'homme marche toujours de bon cœur ses rêves semblent lui tenir encore plus chaud que sa pelisse. — Alors c'est pour bientôt ce voyage lui demande Marie. Marie c'est une collègue de travail, ils flirtent depuis quelques temps le soir après le boulot. Il lui a tout dit évidemment et Marie l'encourage à mener son rêve jusqu'au bout. — En plus tu pourras m'envoyer des cartes postales de toutes les villes que tu vas traverser lui dit-elle avec un sourire un peu triste. L'idée d'avoir quelqu'un à qui envoyer des cartes postales le réjouit tout en l'effrayant aussi , que pourra t'il donc écrire au dos de toutes ces cartes ? encore quelque chose à méditer en marchant pense le futur voyageur. Mars est arrivé et on retrouve le voyageur à Istamboul, dans une chambre d'hôtel du quartier Beyazit, le quartier des épices. La fenêtre est entr'ouverte et un vent léger chargé de parfums insolites pénètre dans la petite pièce. C'est le matin et dans le ciel bleu les martinets voltigent. Sur le lit des liasses de billets de banque et un appareil photo. Le voyageur se tient devant un petit miroir au dessus du lavabo et observe le reflet de la chambre. L'eau fraiche sur son visage ne le réveille pas. Il a de plus en plus la sensation d'être dans un rêve. Au loin les premiers coups de klaxon lui indique que la ville se réveille elle aussi. Il a envie d'aller boire un café et de fumer une cigarette, d'aller marcher dans cette ville où il est arrivé la veille dans la nuit. La déception augmente au fur et à mesure qu'il arpente les rues. Cette sensation tant espérée de liberté se trouve chassée par la solitude désagréable qu'il retrouve en parvenant à la mosquée de Soliman le Magnifique. Une solitude mélangée à l'ignorance, car il peine à déchiffrer les pancartes, les enseignes, et il ne sait même pas qui pouvait bien être ce Soliman. Ereinté il aperçoit un établissement où des hommes moustachus et âgés sont attablés devant de petites tasses de café. Il entre et s'assoit puis contemple le va et vient des passants dans la rue. De sa poche il sort la carte postale qu'il vient d'acheter et un stylo et il écrit Bien arrivé à Istamboul. Il fait beau temps. Je t'embrasse. Paul. Ces quelques mots lui paraissent d'une pauvreté incommensurable, il a envie de déchirer la carte postale. Mais quelques instants plus tard, il avise une boite à lettres et la glisse dans la fente. — Tu écoutes de la musique américaine lui demande le jeune homme ? — oui répond le voyageur. Il est à la gare routière et a acheté un billet pour se rendre à Téhéran. — Si tu as des cassettes et que tu nous les fait écouter dans le bus, on t'héberge à la maison autant que tu voudras dit le jeune homme à nouveau. Ils sont un petit groupe, trois jeunes gens qui reviennent de vacances et rentrent au pays. Ils s'expriment dans un anglais approximatif mais tout le monde finit par se comprendre avec force signe de tête et de main. La jeune fille a des yeux de biche, le voyageur est troublé. Est-ce possible enfin que commence vraiment l'aventure se demande t'il ? Le conducteur baisse le volume de la radio, "sex machine" disparait progressivement, le bus arrive à Erzurum et ralenti. Au delà des vitres du véhicule, il y a des chiens errants qui cavalent la queue basse dans les petites rues poussiéreuses. Ils aboient au passage du véhicule, le voyageur remarque leurs babines retroussées sur des crocs, des canines blanches inquiétantes. — Very closed to the border dit la fille aux yeux de biche en se retournant vers le voyageur qui durant toute la route s'est attardé sur le reflet de son profil dans la vitre. Ils vont repartir après l'examen des bagages en douane, lorsqu'un immense bonhomme moustachu appelle le voyageur par son nom. — Mister, please come on. Et il se retrouve dans un bureau face au bonhomme moustachu qui lui tend un paquet de cigarettes — Tu fumes ? Le voyageur se dit qu'il vaut mieux décliner. Puis le douanier part dans une tirade amoureuse sur la France et sur les jeunes gens qui voyagent, notamment les jeunes hommes. Et puis la lumière s'éteint. Le voyageur dégaine un briquet et tente de s'éclairer. Le visage du moustachu apparait et disparait, ses yeux sont brillants et il passe sa langue sur sa moustache comme un énorme chat. Ce sont les jeunes gens qui le délivreront. Impatients et inquiets ils sont venus toquer à la porte du bureau. — Que se passe t'il où est notre ami , que lui voulez vous ? La lumière revient, le douanier retrouve une tenue et tend le passeport au voyageur. — Ok mister it's good, all right let's go and good luck Le voyageur conservera cette anecdote comme une sorte de trésor. De temps en temps il essaiera de l'écrire pour mieux s'en souvenir et échafauder des hypothèses. Il se la rappellera des dizaines de fois, l'arrangera parfois, la modifiera, ou au contraire tentera d'énoncer le plus froidement les faits. Puis il n'en parlera plus, ni aux autres ni à lui-même. Comme d'ailleurs des voyages qu'il a effectués ces années là, ces années de jeunesse où s'affrontaient encore en lui le désir et la peur des voyages. Toutes ces anecdotes pittoresques ne sont, somme toute, que des anecdotes pittoresques. S'en rendre compte prend du temps. Et en construire un récit véritable encore bien plus. Le voyageur est désormais un vieil homme. Il ouvre un carnet à spirales où sont consignés quelques phrases rares et pauvres, c'était la plupart du temps des brouillons qu'il tentait d'écrire pour Marie. Les brouillons des pauvres contenus qu'il avait expédiés tout au long de son périple. Mais Marie était désormais semblable à ces souvenirs de voyage. Quelque chose d'aussi semblable que le souvenir d'un rêve que l'on tente de retrouver en se réveillant, et qui nous échappe, nous échappe toujours.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

13 janvier 2023-3

maison en Calabre A tutto ciò che la sfortuna è buona. À toute chose, malheur est bon. Le vieil homme édenté ressasse cette phrase à voix haute, comme un mantra. Sec comme une figue sans jus ni chair, il reste assis là presque toute la journée, dans la pénombre d’un recoin qu’il ne quitte que pour se rendre à la sieste. Il regarde passer les saisons depuis toujours. De temps en temps, il ajoute, en haussant les épaules : « Non sappiamo più cosa pensare. On ne sait plus quoi penser. » Puis il rit, et son regard s’illumine d’une jeunesse incongrue, un regard d’enfant perdu au milieu d’un océan de rides. Ce coin reculé de la Calabre semblait hors du temps, et sa sagesse ironique, un peu intemporelle. Nous venions d’arriver, mon épouse et moi, dans une petite bicoque louée grâce à une annonce parue dans un journal local de Lyon. Les photographies prometteuses, le désir d’explorer un endroit inconnu pour les vacances, et surtout le prix modique avaient suffi à nous lancer dans un périple autoroutier de plusieurs milliers de kilomètres. La Mégane, fatiguée mais fidèle, avait tenu bon malgré les longues heures de route. Nous avions pris notre temps, flâné de ville en ville, traversé rapidement le nord de l’Italie pour atteindre enfin le sud. Avant la Calabre, une halte marquante : Naples et la baie d’Amalfi. Je voulais retrouver certains lieux magiques de mon adolescence, des endroits où j’avais découvert, le temps d’un été, à la fois le goût incomparable de la pizza et les premiers émois provoqués par le grain doux des peaux mates et les regards sombres des ragazze. Mon épouse, toujours curieuse de remonter aux sources de mes récits, n’y voyait pas d’inconvénient. Nous nous lançâmes donc à la recherche du vieil hôtel de Meta di Sorrento, l’Arencetto, et de cette fameuse pizzeria. Contre toute attente, nous retrouvâmes l’hôtel. Il était fermé. Quant à la pizzeria, après un labyrinthe de ruelles écrasées de lumière et d’ombre, elle apparut enfin. Aussitôt, je ressentis une sensation étrange et désagréable : le lieu semblait rétréci, rapetissé par les années. Les couches de souvenirs, de fantasmes, de rêves patiemment accumulées s’évanouirent d’un coup, laissant place à un squelette desséché. Ce fut une confrontation brutale avec la réalité. La salle était quasi déserte, et la pâte avait un goût de carton. Nous en rîmes en quittant Sorrente, le plein fait à une station-service. Nous étions bel et bien en vacances. Le temps était splendide, et nous avions ce luxe précieux : du temps infini devant nous. Puis vint la petite maison calabraise. Là encore, la réalité déçut. Tout était vieillot, délabré. Ce qui, sur les photographies, paraissait charmant et pittoresque s’avéra triste et poussiéreux. En faisant le tour des pièces, mon épouse laissa éclater sa colère : « Tu trouves toujours des excuses à tout le monde, mais là, tu vas quand même reconnaître qu’on s’est fait avoir, non ? » Pour une fois, je dus lui donner raison. Nous avions nourri tant d’attentes autour de ce voyage, espérant échapper au marasme ambiant, que cette déception paraissait encore plus cruelle. C’est alors que me revint à l’esprit le livre que j’avais lu quelques semaines avant notre départ : Une maison en Calabre de Georges Haldas. J’avais été stupéfié par la manière dont son narrateur décrivait, avec un mélange de désillusion et de tendresse, une expérience semblable à la nôtre. Comme lui, nous avions été attirés par l’idée d’un refuge parfait, et comme lui, nous nous retrouvions face à une réalité bancale, loin de nos attentes. J’aurais voulu partager cette coïncidence avec mon épouse, lui dire que nous étions en train de vivre presque exactement la même chose que dans ce livre. Mais la mine sombre qu’elle affichait me dissuada d’en parler sur le moment. Face à cette impasse, nous décidâmes de nous baigner. À deux pas, un petit chemin bordé de figuiers menait à une plage extraordinaire, absolument déserte. Pas une âme, comme si les habitants du village ignoraient jusqu’à son existence. Au loin, de l’autre côté du bras de mer qui sépare la Calabre de la Sicile, l’Etna domine l’horizon. Grosse masse d’un bleu sombre, il exhalait ce jour là de grandes volutes blanches. Le spectacle était saisissant. Ce moment suspendu face à la puissance brute de la nature chassa tout ressentiment. Le lendemain, nous quittâmes la Calabre de bonne heure, embarquant sur un bac pour rejoindre la Sicile. En Calabre, il nous avait été impossible d’accuser qui que ce soit de notre déception. Pas la propriétaire, une petite dame cordiale qui nous avait reçus dans sa maison proprette près de Lyon. Pas la maison elle-même, qui n’était rien d’autre que ce qu’elle était. Pas même notre naïveté. La Calabre nous avait confrontés au fameux principe de réalité, celui qui, tôt ou tard, vous casse les dents. Nous avions fui, comme on échappe à une leçon trop dure à entendre, préférant nous réfugier dans l’illusion d’un rêve. En Sicile, les souvenirs revinrent. Une sortie d’autoroute réveilla des images d’un village de pêcheurs, Sferra di Cavello. Je revis un camping où je passais mes journées à transpirer sous une tente Trigano, regardant de loin un hôtel cinq étoiles surplombant la mer. Cette fois, la crise économique avait laissé l’hôtel vide, et nous trouvâmes une chambre lumineuse à un prix modique. Là encore, je ne savais pas trop quoi en penser. Était-ce un hasard ou un clin d’œil du destin ? Peut-être qu’effectivement, comme le disait le vieil homme en Calabre, à toute chose, malheur est bon.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

voyager léger.

Le corps est déjà si difficile à mouvoir que lui ajouter le poids de valises fussent-t'elles à roulettes, de malles, avec leurs armées de porteurs, toute cette logistique qui accompagne une volonté de confort dans un déplacement, un voyage, est un peu ridicule, voire totalement erroné. On s'en aperçoit assez vite. Ensuite la question du choix surgit avec le doute sur la façon qu'on aura prise de voyager, comme envers ce boulet attaché au pied, le confort justement. Mais n'ayant jamais eut, par ta naissance, ton éducation, surtout ta volonté viscérale à leur résister, le goût du luxe, très tôt tu as naturellement appris à voyager léger. Plus que de t'embarrasser de choses lourdes à trimballer, tu as préféré l'usage du sac tube, du petit sac à dos, de la besace. Ce qui naturellement nécessitait de tirer un trait ou exigeait de tracer une croix sur quantité d'objets rangés dans le domaine de l'indispensable pour la plupart des personnes qui t'entouraient. Et même quand tu ne voyageas plus, que tu réduisis tes déplacements au strict minimum qu'impose la contingence, l'habitude de voyager léger, dans l'instant même, ne t'as plus quitté. En y repensant aujourd'hui tu ne sais pas s'il faut s'en réjouir ou s'en plaindre, et c'est probablement un doute salvateur que de ruminer ce genre de considération. Sans ce doute que ferais-tu donc de cette matinée qui commence si bien, trop bien. Une matinée où tu pourrais simplement éprouver le plaisir d'être en vie, et surtout d'effectuer comme un propriétaire terrien l'inventaire de tes biens pour continuer à t'en convaincre. Car si léger penses-tu toujours te tenir dans cet instant il est plus que probable que tu te leurres. Et que tu ne vives que par la procuration d'une vie autrefois vécue et achevée. Examine avec attention tout ce qui t'entoure, ce qu'au bout du compte tu as fini peu ou prou par amasser. Ce toit au dessus de ta tête, tous ces meubles dont une partie prennent la poussière, dans la cave ou le grenier, ces milliers de livres que tu ne relis presque plus désormais, et tu pourrais continuer à vouloir dresser la liste du superflu d'autrefois que tu t'apercevrais que tu vis désormais au cœur même de celui-ci. Il en résulte parfois des envies effrayantes, que tu chasses de ton esprit de peur qu'elles ne t'incitent comme jadis furieusement à les suivre. Par exemple cette envie de reprendre ce vieux sac tube, un train pour atteindre la mer, un port pour rejoindre un autre continent, t'y perdre, devenir mendiant dans une rue d'une ville quelconque et depuis ce point de vue retrouvé, exercer ton attention au monde, à son grouillement, être ébranlé encore par sa splendeur et sa misère. Mais bien sûr tu t'inventes à la hâte une raison , le sac-tube comme les pieds en sang ne sont que des métaphores pour voyager même dans ta propre immobilité. Le seul bagage nécessaire, celui qui ne te quitte jamais n'est rien d'autre que l'attention, de quoi aurais-tu besoin à part elle.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

Les affiches de voyages

Les affiches de voyages contiennent tant d'images attendues inconsciemment que l'œil les repousse aussitôt qu'il les voit. Il glisse, s'évade, dans une périphérie proche immediate désormais, les fuit pour se réfugier sur le crépis d'un mur, une fissure, une tâche de ciment, un papier gras , un mégot roulant au sol. Dérapage de l'œil effrayé, dégouté. un œil qui ne voudrait plus jamais voir ce qu'il a déjà tant vu. Et l'accompagne, ou le pousse, une urgence à se réfugier, à rejoindre, même si elle est âpre, rugueuse, la sécurité de ce que tu nommes la réalité. Ce concept de voyage utilisant tous les codes de la séduction pour t'embobiner t'es devenu insupportable. Et peut-être est-ce parce qu'autrefois tu fus si bon public, que tu t'égarais dans la rêverie de devenir tel ou tel autre voyageur, mais n'était pas toi, que tu poussais la bêtise vers ce qu'elle peut celer de plus ultime, de plus ridicule ou tragique. Le fait d'être à ce point idiot d'aller jusqu'au bout. De réaliser des fantasmes qui en outre ne t'appartiennent pas, mais plus à une illusion collective, c'est justement ce qu'il ne faut pas, jamais faire. Tout désir s'y épuise et sombre dans l'ennui, et c'est ainsi qu'on s'imagine toujours en vie mais qu'en vrai on se retrouve sonné par la rapidité avec quoi on a passé le temps la frontière.Et soudain la flamme est soufflée, on parvient au pays des morts. Voilà ce qui ne va pas avec les affiches de voyage, les affiches de voyages te rappellent toutes que tu es mort. Et cela aussi pourrait t'attrister si tu ne conservais pas malgré tout un peu d'humour. Car tout compte fait, cette mort n'est pas si terrible, et parfois tu n'es pas loin d'accepter le fait qu'elle soit plus intéressante à vivre que n'importe quelle autre vie vécue autrefois.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

La fabrique des voyages

Lorsque l'on me rapporte des récits de voyage je suis toujours étonné par la façon dont les personnes les relatent. Ils usent de noms de ville que pour la plupart je crois connaître pour y être une fois ou deux passé, mais le ton, le timbre de leur voix, la façon dont ils prononcent leurs noms les transforment presque à chaque fois en villes inconnues. Ainsi par exemple je me souvenais vaguement avoir été à La Havane, en 2006, à l'occasion d'un voyage de noces et quand j'ai écouté ce journaliste prononcer le mot, puis quand le documentaire a commencé ma curiosité s'éveilla car je ne reconnus pas la ville que l'on me présentait. Il en fut de même pour Lisbonne que je pensais connaître comme ma poche, De Berlin. De Prague, et même de Londres et de Jaipur. l'effet est régulier, m'interloque car au bout du compte à les écouter, à regarder les documentaires les photographies qu'ils en rapportent , c'est tout comme si je n'y avais jamais mis les pieds. Ainsi peut-être que si je rencontrais dix personnes différentes, et qui toutes sont sensées avoir été à La Havane chacune dresserait probablement les contours d'une ville imaginaire. Ensuite comment s'y prennent-elles ces personnes pour donner l'impression du vrai, il faut se pencher beaucoup sur le sujet pour commencer à le comprendre. Prendre par exemple pour appui quelques noms de quartiers ou d'artères, de rues, si possible en usant de l'idiome local, améliore grandement l'immersion de l'auditeur dans le récit. Il vaut bien mieux dire par exemple la Habana vieja que la vieille ville, où encore murmurer les yeux mi clos un humm je me souviens avoir traversé la plaza de la revolution à Vedado, cette place immense, sans doute parmi les plus vastes du monde, et là j'été tout de suite frappé par la similitude des gratte-ciels qu'on y aperçoit autour, tout à fait semblables à certains que l'on trouve à New York c'est le genre de détail qui validera pour la plupart des interlocuteurs la véracité de leur récit -sauf pour moi qui ne me souviens plus du tout de cette fameuse place ni de ces immeubles , qui n'ai seulement conservé en mémoire qu'un pauvre souvenir, associé à une pauvre place parmi tant d'autres pauvres places dans le monde. Voilà exactement ce qui se produit quand on me raconte avec force détails les voyages qu'on aurait effectués. Longtemps je dois l' avouer ce genre de récit m'agaça car aussitôt j'y découvrais mon handicap à ne rien pouvoir retenir de mes propres pérégrinations dans le vaste monde. Puis le temps passa, et, la répétition ajoutée à l'habitude et à l'ennui firent que je me réfugiais dans une presque totale indifférence quand on en venait à devoir écouter une telle, un tel, parler de voyage. Et encore s'il n'y avait pas de surcroît une projection de photographies à se farcir, je pouvais m'estimer heureux malgré tout. J'avais lu Cendrars, Pierre Loti, Alexandra David Ô'Neel, Pierre Mac Orlan et aussi et surtout le fameux Gustave le Rouge ce menteur beaucoup moins talentueux que tous les autres cités. Sans doute était-ce là la raison principale de ma défection régulière à m'intéresser aux récits, souvent très médiocres , de tous les autres narrateurs lambda. D'ailleurs c'est à partir de cette prise de conscience que j'ai commencé à entourer d'un silence épais tous les voyages que j'ai effectuées dans mon existence. Moi comme tout autre n'ayant qu'un arsenal de combines très limité pour évoquer et intéresser quelque interlocuteur que ce soit à ce propos.|couper{180}

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