synopsis
Germes d’histoires consignés rapidement : points télégraphiques, images brutes, fragments d’intrigue. Un réservoir où puiser pour écrire plus tard.
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Comment écrire une histoire avec un peu de méthode
Protocole léger — pour ne pas s’égarer Pour le moment, seules la première et la sixième propositions de l’atelier d’écriture en cours me proposent des pistes que je pourrais relier à un travail personnel. Disons qu’elles « matchent » dans les circonstances actuelles, par l’expansion que je constate à vouloir les développer. Mais pour ne pas m’égarer, il me faut un fil d’Ariane : une méthode — même légère suffirait. D’où l’envie de rédiger un modeste protocole. 1. Partir d’un embryon (format fixe) Fiche minuscule à chaque graine — 6 lignes, pas plus. Signe (trace perçue) : sifflement / buée / vitre / odeur de térébenthine / feux rougeâtres. Geste du corps (déclencheur) : ralentir / bifurquer / s’asseoir / lever la main / détourner le regard. Seuil (lieu précis) : porte / vitre / entrée de dancing / butte / péage / atelier. Distance (échelle) : hors-champ / voix seule / silhouette / face-à-face muet. Objet-totem (détail récurrent) : terre de sienne / yak / Abbesses / Keaton / autoroute. Sortie (chute) : question / rire étouffé / non-réponse / retour marche. Garder la fiche en tête de texte (ou en commentaire). C’est l’« ADN » de la série. 2. Écrire en échelles (x3) À partir d’une même graine, produire trois tailles — on ne réécrit pas, on déplie. Nano (50–80 mots) : une image + une action. Court (150–220 mots) : ajouter un seuil et une résonance sensorielle. Plein (300–450 mots) : même scène, avec bascule (ex. : vitre → café → geste non rendu). Résultat : 3 versions compatibles, pas 3 textes concurrents. 3. Invariants / variables (cohérence douce) Choisir 4 invariants pour toute la série (ex. : il ne parle pas directement ; jamais de prénom ; un seuil par scène ; une seule sensation dominante par texte). Tout le reste = variables (lieux, météo, vitesse, foule/solitude). Chaque nouveau texte repiquera 2 éléments du dictionnaire (ex. : « vitre » + « sifflement ») et ajoutera 1 élément neuf.4. Matrice des axes (pour générer vite) Quand ça sèche, combiner 4 axes (au dé, ou au hasard). Lieu : rue / intérieur sombre / hauteur / périphérie / transit. Signe : son / lumière / odeur / chaleur-froid / objet déplacé. Distance : trace / voix / silhouette / présence derrière vitre. Sortie : question sans réponse / rire / coupure / marche. Tirer 1–1–1–1 → embryon prêt en 10 secondes. 5. Numérotation claire (versioning sans peine) Nom : 2025-10-22_Porte_A1.0.md (A = parcours canonique ; B = alternance ; C = enquête). Patch : A1.1 (même scène, échelle différente), A1.2 (chute modifiée), etc. En tête de fichier : une ligne Changelog (≤ 12 mots) : « + vitre embuée ; – ponctuation coupée ».6. Couture entre versions (le lien cohérent) Passe « couture » hebdo : on n’écrit pas, on ajoute des échos croisés. Le sifflement réapparaît au dancing (à la sortie des toilettes). La terre de sienne existe en reflet rouge sur un feu arrière. Les Abbesses laissent une buée qui reviendra sur la vitre du café. Relier par capillarité, pas par explication. 7. Arches de lecture (A/B/C…) Garder les 3 ordres (A/B/C). À chaque nouvel épisode (ex. : Autoroute), décider tout de suite : A = pont entre deux nœuds (entre Question et Voix). B = coda hors séquence (ne pas toucher à l’alternance dedans/dehors). C = indice supplémentaire (C4, C5, etc.). Chaque texte rejoint au moins une arche — parfois deux. 8. Rituel (30 minutes chrono) 10 min : écrire Nano à partir d’une graine. 10 min : passer en Court (ajouter seuil + sensation). 5 min : Couture (ajouter l’écho croisé vers un ancien texte). 5 min : Classer (A/B/C), nommer (…_A1.1), noter le changelog.9. « Bible » d’une page (pour ne pas dévier) Un seul document, vivant : Règles d’or : tes 4 invariants. Dico de détails : 10 totems max. Topologie : 5 lieux maîtres (porte, vitre, dancing, butte, autoroute/atelier). Timeline fantôme : ordre canonique + derniers ajouts (à cocher après chaque session).Annexe — Fiche-embryon (copier/coller) Signe : Geste du corps : Seuil : Distance : Objet-totem : Sortie :|couper{180}
Histoire de l’archiviste
# 07 Glossaire approximatif
Il tira un carton plus lourd que les autres. Sur l’étiquette : Bercy. Il crut à un quartier, peut-être un dossier fiscal. À l’intérieur, une épaisseur de calques ammoniaqués, de brochures polycopiées, d’abréviations indéchiffrables. Les chemises s’appelaient APS et DCE. Il nota dans son cahier : « APS = avant-probable-solution ? DCE = dossier confus entier ? ». Une page titrait : modénatures gradinées, calepinage du béton. Il lut et relut sans comprendre. Modénature sonnait comme une maladie, calepinage comme un loisir de vacances. Plus loin : engazonnement progressif des talus périphériques. Il traduisit sans hésiter : « terrain de golf ». Et se permit un petit dessin. Un second carton s’ornait du mot Riyad. Il s’attendait à un guide touristique. À l’intérieur, des plans au format drap de lit : climatisation centralisée, circulation piétonne différenciée, gabarits d’aéronefs. Il se convainquit qu’il s’agissait d’un aéroport. Au centre d’un plan taché, une auréole de café formait un rond brun. Il entoura la tache et nota simplement : « oasis ». Puis vinrent les chemises marquées H11. En tête de document : poteaux porteurs, trame structurelle, voiles en béton brut. À ses oreilles, une langue militaire, ordre de mission, vocabulaire de manœuvre. Au verso d’un plan, une note manuscrite surgissait : « Appeler le plombier lundi ». Enfin un énoncé intelligible. Dans la marge de son cahier, il inscrivit : « fonction technique indéterminée, plomberie à vérifier ». Au bout de quelques heures, il avait reconstitué son propre glossaire : APS → à peu près ça DCE → désordre complet établi Calepinage → coloriage Modénature → pathologie Gabarit → uniforme militaire Voile béton → rideau épais Plombier → la seule personne à rappeler Ainsi, en ouvrant trois cartons, il avait traversé les années 1980 à sa manière. Les pièces maîtresses de l’agence ne lui apparurent pas comme des monuments, mais comme un dictionnaire parallèle, bancal, où les mots perdaient leur usage et gagnaient une vie nouvelle.|couper{180}
Histoire de l’archiviste
# 6 Entrée dans la masse
Il n’avait jamais vu une telle chose, et pourtant on lui avait dit : les archives, ce n’est pas bien rangé. Mais là, c’était plus que ça. C’était une matière compacte, un magma brunâtre et poussiéreux. Des dossiers qui s’étaient comme décrochés de leurs étagères, d’autres qui s’étaient effondrés sur le sol, tout ça superposé, imbriqué, effiloché, une sorte de paysage minéral en papier. Il se tenait à l’entrée, sans avancer. Respirer donnait déjà la sensation de s’intoxiquer. Alors, immobile, il attendit que son cerveau, ou une autre instance, se décide à formuler quelque chose d’utile. Ça vint par bribes, en phrases courtes, sèches, comme dictées par un narrateur extérieur. D’abord : « Ne regarde pas tout. Choisis un tas. » Ensuite : « Ne trie pas tout de suite, regroupe par famille. Plans, lettres, factures. » Puis encore : « Note. Fais semblant de tenir un inventaire, même si tu n’y crois pas. » Il obéit mécaniquement. Prit un dossier, le posa sur la table. Un autre, puis encore un. Le simple fait de les aligner produisait un effet géométrique qui calmait son souffle. L’impression de faire œuvre, à défaut de faire ordre. On lui souffla qu’il fallait aussi renoncer à sauver chaque feuille. C’était un conseil raisonnable : éliminer une partie de la masse, comme on jette des gravats. Cela lui parut soudain d’une simplicité enfantine. Il s’aperçut alors qu’il commençait, sans l’avoir prévu, à inventer un rituel : dégager la table, empiler, raturer trois mots dans un cahier. Un rituel, ça suffisait presque à donner l’impression de maîtriser la situation. La salle restait un chaos, mais un chaos dont il avait déjà décidé l’entrée. Et ça, pensa-t-il, c’était peut-être un début.|couper{180}
Histoire de l’archiviste
# 5 tentatives d’évasion
Pris au piège, l’archiviste cherchait toujours une fissure. Elle n’était jamais où il l’attendait. La première fois ce fut Plutarque, un volume trouvé au hasard d’une caisse. Les vies parallèles, la gravité d’un monde ancien : chaque page ouvrait un espace où les dossiers n’existaient plus. Plus tard, ce furent les puzzles. Une boîte achetée pour rien, un soir, puis une autre. Le geste mécanique d’emboîter les pièces devint refuge, prolongement muet de ses journées. Les formes s’ajustaient, pas les siennes, mais cela suffisait pour différer. Enfin la photographie, par accident encore. L’Irlande, la Guinness, l’odeur de tourbe. Il avait déclenché presque sans y penser, pour garder trace. Ce n’est qu’au retour, devant les diapositives développées, qu’il comprit : le réel pouvait se tenir dans un rectangle de gélatine, minuscule et coloré, et cela l’enflamma. Trois échappées, sans plan, sans logique. Des hasards superposés qui lui dessinaient malgré lui une autre carte de vie, fragile, parallèle, à laquelle il se tenait désormais comme à une marge, sans savoir si elle le retiendrait ou le pousserait au dehors.|couper{180}
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#4. inventaire des litiges
Il s’était donné une règle. Dégager la table. Claire, nue. Une chemise, pas deux. Élastiques, trombones. Mot griffonné au feutre. Dupont 94–95. Tas maigre, posé à gauche. Puis carnet : Pile A — 12 pièces. Rien d’autre. Pas de commentaire. Pas de digression. Le soir, les pièces du puzzle attendaient sur le carton gris. Ciel bleu, bord de mer, morceaux reconnaissables. Il avançait lentement. Parfois, la nuit, un éclair : au réveil, il savait comment assembler les chemises du jour. Comme si le sommeil avait continué le travail, déplaçant les pièces invisibles. La salle restait informe. Odeur de papier moisi. Néons bourdonnant. Un souffle froid du plafond. Il avait l’impression que la masse grossissait, qu’elle l’observait. Ses mains noircies d’encre et de poussière. Sa gorge sèche. Qu’attendaient-ils de lui ? Les architectes. Les assureurs. Retrouver à la seconde la pièce exacte : une date, une signature. Une preuve. Mais lui n’avait qu’un puzzle sans modèle, un chaos sans boîte. Il imaginait des fins. L’ordre, enfin. Des dossiers complets, livrés nets. Ou bien le retour au chaos, une avalanche de nouvelles chemises engloutissant ses piles. Ou sa propre disparition : un matin, ne plus revenir. Le tas intact, indifférent. Son carnet, au début sec, commença à déborder. Entre deux lignes sèches, il glissa une note : odeur âcre de moisissure. Un autre jour : poussière grise sous les ongles. Puis, un mot. Un mot technique. Vice caché. Il l’écrivit seul, au centre de la page. Le répéta. Vice caché : fissure invisible sous la peinture, secret dans les murs, aveu retenu. Il nota dessous : les choses tiennent tant qu’on n’y regarde pas trop près. Dès lors les mots l’assaillirent. Mise en demeure : menace chuchotée au creux d’une cuisine. Préjudice moral : sourire amer, une dette intérieure. Réception des travaux : banquet absurde au milieu des gravats. Chaque terme brillait, détaché. Il n’archivait plus : il écrivait. Dans son carnet, les piles de factures côtoyaient des phrases bancales. Les mots de procédure se retournaient comme des cartes. Le dictionnaire du litige devenait un récit discontinu. Une langue neuve, imparfaite, mais vivante. Et le tas, dans la salle, continuait de respirer. Illustration "novembre", Manuscrit de Flaubert|couper{180}
Histoire de l’archiviste
#3. Puzzle
Il fut embauché un vendredi. Le salaire dérisoire, la salle aveugle pleine de dossiers : il accepta. Le soir même, en sortant, l'archiviste entra dans un magasin spécialisé et acheta plusieurs boîtes de puzzles. Il se dit qu’il s’entraînerait le week-end, pour être prêt lundi. Le samedi matin, il ouvrit le premier, dix pièces à peine. Un ciel bleu, une vache tachetée : les couleurs suffisaient, l’assemblage venait tout seul. Il pensa un moment que c’était là le secret. Après le café, il attaqua le puzzle de cinquante. Les couleurs s’éparpillaient, les motifs se brouillaient. Il découvrit qu’il fallait d’abord les bords, dresser un cadre. L’après-midi, la table déjà encombrée, il passa aux deux cents. Les couleurs guidaient à peine. Il fallait reconnaître les formes, dents et creux, sentir ce qui accroche, ce qui refuse. Le dimanche, il ouvrit celui de cinq cents. Trop de morceaux semblables, grisaille confuse. Les heures s’étiraient, le café refroidissait, la lumière tournait sur la table jonchée de pièces éparses. Le soir venu, il tenta le puzzle de deux mille. Un champ de carton sans contour. Les bords assemblés semblaient dérisoires face à l’étendue. Chaque pièce était unique, mais toutes se ressemblaient. La lampe de bureau vacillait, la fatigue pesait. En relevant la tête, il revit la salle des archives. Vingt mètres carrés de chemises gondolées, sans bord ni cadre. Un puzzle dont l’image manquait, et dont la boîte n’avait jamais existé.|couper{180}
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#2. Comment
La question du pourquoi étant à demi réglée, l’archiviste se retourna. Ce qu’il vit n’était pas un tas mais un territoire : vingt mètres carrés de dossiers de sinistres, chemises béantes, documents gondolés, odeur de papier rance. Un fatras sans contour, irrégulier, qui occupait l’angle entier de la salle. Les néons s’y brisaient, comme absorbés par cette masse informe. Il la fixa, s’attendant à une pensée. Rien. Pas un passage. Le fatras bouchait tout. Alors il détourna les yeux. Un mot jaillit. — Comment ? Il dut s’asseoir. Le mot pesait trop lourd. Sur la table, Tacite, fraîchement acquis chez un bouquiniste sur les quais de Seine. Collection Bouquins. Il l'ouvrit, son doigt tomba sur Histoires. Et aussitôt les phrases se mirent à défiler : récit des événements contemporains, premiers temps du principat, comprendre l’état du monde romain, la lente dislocation du système, le despotisme incohérent d’un dernier descendant.. Il entra dans la lecture : « Les Histoires étaient consacrées au récit d’événements contemporains et leur rédaction a prouvé à Tacite l’importance des premières années du principat pour expliquer l’état du monde romain à la fin du Ier siècle de notre ère. Aussi l’historien décide-t-il de se concentrer sur l’évocation des débuts du principat depuis la mort d’Auguste jusqu’à celle de Néron. Il peut ainsi étudier comment le système politique mis en place par le premier empereur s’est peu à peu disloqué pour aboutir au despotisme incohérent de son dernier descendant, Néron. » Le silence de la pièce semblait se superposer à ces phrases. Les vingt mètres carrés de dossiers derrière lui et la Rome décrite par Tacite se répondaient comme deux ruines superposées. L’archiviste ne bougea plus. Puis vint le soir. En rangeant son plan de travail, L'archiviste voulut glisser le volume dans son sac. Alors seulement, il vit la couverture. Ce n’était pas Tacite. C’était Plutarque. Vies des hommes illustres. Il resta un instant immobile, le livre à la main.|couper{180}
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perte de temps
Un mail de T. encore. Même article, mêmes réseaux, même dénonciation. Je lis en biais. Je ne réponds pas. Silence. Ce qui m’agace, ce n’est pas lui. C’est l’écho. Le même rythme, le même martèlement. Comme si je me lisais. Et si je dénonçais, moi aussi, ce que je porte en dedans. Le défaut qu’il affiche devient mon reflet. Voilà pourquoi je détourne les yeux. Perte de temps|couper{180}
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La vraie voix
elle parlait mais pas naturel. J'avais donc ce pouvoir à 20 ans de décider de ce qui était ou pas naturel, qu'en ai-je donc fait depuis. Je l'ignore. Elle parlait avec ette voix pointue insupportable, cette voix qui n'avait comme but que d'exciter, ou d'énerver, d'agacer. Encore que ce but ci ne mène qu'à son antichambre. Car ensuite elle prend sa voix la plus caline évidemment. La voix caline d'une énorme araignée, les pattes montent vers le plafond et déjà trop tard pour t'apercevoir que tu es enroulé dans le bave et de la soie. Que tu es devenu une poire pour la soif tu as besoin de dire ça aujourd'hui parce que progressivement tu t'aperçois d'un mouvement récurrent. En toute femme sommeille une araignée comme chez tout homme le fantasme de devenir cocon. Et si tu loupes le coche à l'âge précis où celui-ci pas à la gare des illusions perdues, tu ne loupes pas ta vie non, tu loupes l'occason d'en avoir espéré en faire autre chose. Et, en fin de compte aujoud'hui quel désavantage pourrait tu trouver à cette dévoration. tu pourrais presque transformé cela en nostalgie. Tu n'as pas été initié, tu as botté en touche, sans dévoration pas de métamorphoe. Les héros et leurs pendants les anti-héros ne sont il pas toujours jeunes et fringuants. Mais toi tu es vieux tu dégages une odeur nauséabonde, et tu ne sais pas si c'est celle de la sueur de la peur, de la pisse. Mais tu conserve l'obsession d'atteintdre à ta vraie voix, c'est l'essentiel|couper{180}
Histoire de l’archiviste
#1. l’archiviste
L'archiviste n'était pas un véritable archiviste, il n'avait pas de formation particulière, pas de diplome à présenter, mais il accepta le salaire dérisoire que le directeur financier lui proposa et qui, sans doute, avait fait fuir tous les autres. Puis on le conduisit dans ce qu'il avait été coutume de nommer la salle des archives. C'était une pièce aveugle éclairée chichement par des rangées de néons, et si l'on voulait faire un dessin on dessinerait un grand rectangle dans lequel on découperait un carré. Les étagères d'archives commenceraient à s'aligner les unes derrière les autres à partir de l'intersection du carré et du rectangle restant car il en est ainsi depuis l'invention de cette forme géométrique, elle contient toujours un carré, et l'on peut prendre le problème dans tous les sens la solution est inexorablement toujours la même. C'est durant cette période de sa vie que l'archiviste fréquenta des gens plus cultivés que lui, jusqu'alors il n'avait gère fréquenté que des gens simples, des ouvriers pour la plupart ou des employés de bureau fantômatiques. Mais là dans le Cabinet d'Architectes, ce n'était pas la même population. Et puis nous étions à Paris, il y a des musées, des théâtres, des bibliothèques, et même de nombreuses salles de cinéma. En un mot tout est fait ici, à Paris pour que chacun s'imagine que l'accès à la culture est facile et qu'il s'y rue tout son saoul. Ceci afin d'avoir quelque chose à dire durant les repas entre amis ou entre collègues. Ce qui changea aussi passablement l'existence de l'archiviste qui avait coutume de prendre ses repas à la table familiale généralement en silence, si ce n'est le bruit de fond d'une télévision que l'on allumait le matin et qu'on éteignait vers les 22 h le soir. Mais il ne parla pas plus il écouta. Il écouta le vide des propos autour des tables où l'on déjeunait où l'on soupait entre collègues ou entre amis. Le vide qu'il entendait malgré lui creusait en lui quelque chose qu'il n'arrivait pas à nommer. C'était un lent et long malaise qui s'installait progressivement et qui lui fit prendre cette décision étrange : dès lors et pour un temps je m'abstiendrai de participer à des repas quelqu'ils soient. Je déjeunerai seul, souperai seul. Puis il eut envie d'avoir un chat et presque aussitôt l'occasion se présenta à lui. C'était la plus grincheuse de la portée, elle ne minaudait pas contrairement à ses frères et soeurs. Il l'emporta dans une boite à chaussure et en revenant chez lui acheta des sachets de paté de la marque Felix, morceaux en gelée.|couper{180}
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Un choix
le point de départ : le narrateur prend conscience qu'il n'est plus adapté à un groupe qu'il a coutûme de fréquenter. ( pas de détail pour l'instant concernant la nature du groupe) Comment ça arrive ? Prise de conscience de l'énergie fournie par l'animateur du groupe pour maintenir celui-ci. Le narrateur cherche à comprendre comment il peut "tenir". Le narrateur prend conscience que lui ne peut pas fournir une telle énergie, il ne le peut plus. Il projette ce constat sur l'animateur. Comment lui fait-il pour continuer ? Le narrateur emet des hypothèses, mais toujours par rapport à son propre cadre de référence le besoin d'argent. En effet il y a un abonnement à payer pour adhérer au groupe dont découle un certain nombre d'avantages. Le narrateur paie l'abonnement mais il le considère comme un soutien, pas un salaire. L'animateur est d'un certain âge, sa carrière est derrière lui. Il n'a plus besoin de prouver quoique ce soit. Mais qu'en est-il du narrateur ? Lui voudrait s'enfoncer dans quelque chose que le groupe ne semble pas proposer. Pourquoi le narrateur se compare t'il à l'animateur Peu à peu le narrateur effectue ce constat, il se compare à l'animateur. Ce dernier a donc une influence sur lui, peut-être même une forme d'emprise. Cette emprise est-elle réelle ou purement imaginaire ? si on épure un peu le blaba une trame se laisse voir : – Un narrateur qui observe de loin un animateur – La conscience aiguë de l’effort que demande ce rôle : sourire, encourager, maintenir la cohérence. – Le narrateur, en contrechamp, qui sent que cet effort lui serait impossible, qu’il n’a pas la fibre pour ce collectif. – Décision de se retirer, comme on se retire d’un rite ou d’une communauté, voire d'une emprise imaginaire ou réelle. – Silence final : ce retrait est à la fois une fidélité à soi et une perte, comme si on fermait une porte dont on ne sait si elle se rouvrira. Premieres phrases Il parle avec constance, toujours égal, comme si la fatigue n’existait pas. Sourires, relances, encouragements. À chaque fois qu’un silence menace, il trouve un mot, une anecdote, une connivence. L’écran défile, les visages apparaissent, hochent la tête, attendent la suite. Lui, l’animateur, tient la corde. Moi je regarde. Je me demande où il va chercher cette énergie. Est-ce la routine, l’habitude, ou simplement l’âge — cette assurance tranquille de qui n’a plus rien à prouver ? Je calcule ce que cela demanderait si j’étais à sa place. Impossible. Je m’épuiserais en une seule séance. Alors je prends conscience : je ne peux plus. Le groupe réclame une présence, une discipline sociale qui m’est devenue étrangère. Je ressens moins de fraternité que d’usure. Les compliments croisés, les échos attendus, ce commerce tacite me fatiguent. Je pense à l’abonnement. Je le garde, et je continuerai à le payer, parce que c’est ma façon de dire merci — pour les horizons ouverts, pour l’ignorance quittée. Mais ce que je ne peux plus, c’est participer comme avant, faire semblant que rien n’a changé. Ce serait la vraie douleur : rester alors que j’ai pris conscience qu’il me fallait partir. Je ferme l’écran. Pas de drame. Juste un retrait. Un silence que je choisis. C’est un deuil discret, peut-être, mais nécessaire : comme si je fermais une porte dont je ne sais pas si elle se rouvrira.|couper{180}
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L’attente
Au début la graine est l'évitement. Sauf que l'évitement est le résultat de quelque chose, d'une attente. L'attente de quelque chose qui ne vient pas, qui ne viendra probablement jamais. Première ébauche sur la fausse piste, l'évitement. synopsis rapide : Un écrivain s’installe chaque soir à sa table pour travailler, mais tout devient occasion de différer : ajuster la lampe, remplir son verre, écouter un bruit. Pourtant, malgré ses ruses pour ne pas écrire, les pages de son carnet se remplissent. Des signes inconnus apparaissent, puis des phrases entières, décrivant ses gestes d’évitement. Bientôt, il comprend que son refus d’écrire nourrit une force qui écrit à sa place. Plus il tente d’échapper, plus le livre s’épaissit. Pris au piège, il découvre que son silence même a été capturé, transformé en récit. Il allumait la lampe, il sortait le carnet, il affûtait le crayon. Tout ça pour ne pas écrire. Le moindre geste servait de prétexte : remplir son verre d’eau, replacer la chaise, effacer une poussière invisible sur la table. Même les mots qu’il couchait sur la page semblaient prolonger l’évitement. Il écrivait pour ne pas écrire. Il notait le bruit du vent dans la gouttière, la toux du voisin, une phrase qu’il croyait entendre du poste éteint. À mesure qu’il alignait ces signes, la matière du texte se creusait d’absence. Puis il comprit qu’une chose l’écrivait malgré lui. Dans la marge, au détour d’un mot, s’étaient glissées des lettres qu’il ne reconnaissait pas. D’abord un signe isolé, ensuite des groupes entiers. Il ne les avait pas tracés, il en était sûr. Mais la page, au fil de ses hésitations, se remplissait d’un autre récit. Un récit qui parlait de lui, de ses gestes d’évitement, mais sous une forme étrangère. Le crayon trembla entre ses doigts. Le texte se poursuivait sans lui. Il tenta d’arracher la feuille, mais déjà le carnet tout entier bruissait, comme un champ d’insectes. Les pages écrivaient. Elles n’avaient pas besoin de lui, seulement de ses faux départs. Il recula. Il n’y avait plus d’issue : chaque refus, chaque pause, chaque retard devenait une phrase. Il était piégé dans ce livre qui se fabriquait de son inaction même. À ce moment précis, il comprit qu’écrire ou ne pas écrire revenait au même : la chose s’était emparée du silence comme de l’encre. Pourquoi choisir seulement l'écriture comme cadre ? On peut facilement imaginer un évitement qui déborde celui-ci ça donne quoi ? Un homme vit dans l’art du détour. Chaque geste quotidien est une manière de différer : ranger plutôt que parler, se lever plutôt que répondre, écrire des listes plutôt que commencer une œuvre. Cette mécanique d’évitement imprègne tout : relations, travail, souvenirs. Mais lorsqu’il s’assoit à sa table pour écrire, cette logique atteint un point de bascule. Ses pages se remplissent malgré lui, comme si la force de ses refus avait trouvé un débouché autonome. Ce qu’il n’a pas vécu, ce qu’il n’a pas osé, ce qu’il a tenu à distance, s’inscrit désormais noir sur blanc. Le récit qui surgit n’est plus de son fait : c’est la transcription monstrueuse de toutes ses esquives. Il doit alors affronter une question impossible : continuer à se dérober, c’est alimenter la chose ; tenter d’écrire vraiment, c’est peut-être se dissoudre en elle. reflexion parallèle : Autrefois, cet état devenait insoutenable. Alors je m’enfuyais, je descendais dans la rue. Je marchais de longues heures, sans destination, simple dérive. C’était une autre forme d’ajournement : le corps en mouvement pour détourner la pensée. La fatigue finissait par tomber sur moi comme un sursis, je ne sais pas si c’était un apaisement ou seulement une esquive de plus. et si on met ça au présent ? Quand l’attente me devient insupportable, je sors. Je descends dans la rue, je marche sans but. Les trottoirs reçoivent mes pas comme des pages vides : chaque carrefour suspend, chaque virage diffère. J’allonge la marche, je dérive, je recule, sans décider vraiment. La fatigue s’installe mais elle n’apaise rien. Un soir, je vois mes propres traces. Les pas que je viens de poser s’impriment sur l’asphalte, une suite de signes blanchâtres, comme à la craie. J’essaie de les éviter, ils se multiplient. Les rues se referment, se plient autour de moi. Les vitrines reflètent mes refus, les murs enregistrent mes ajournements. La ville écrit à ma place. J’avance encore, mais chaque pas devient phrase, chaque détour une ligne. Plus je fuis, plus le texte s’épaissit. ça parle encore trop vite d'écriture il faut modifier *Quand l’attente me serre trop, je sors. Je descends dans la rue, je marche longtemps, sans but précis. Chaque carrefour devient une pause, chaque virage un sursis. J’allonge les pas, je ralentis, je reprends, je dérive. La fatigue finit par tomber sur moi mais elle n’apaise pas. C’est juste un autre moyen de reculer. Les heures passent ainsi, dans cette dérive qui ne mène nulle part. La ville se plie à mes hésitations : une vitrine qui me renvoie mon visage, un banc que je frôle sans m’asseoir, un café dont je repousse la porte. Tout est occasion de contourner, d’omettre, de différer encore.* c'est à cet instant que l'évitement dévoile l'attente. L’attente ouvre autrement le champ. C’est plus ample, moins technique que Évitement. Ça ne désigne pas seulement le geste de fuir, mais l’état qui le précède et l’engloutit. On y entend la durée, la suspension, la vie tenue entre parenthèses. C’est un mot nu, massif, qui ne dit pas encore s’il s’agit d’un choix ou d’une condamnation. Là où Évitement sonnait diagnostic, L’attente installe une atmosphère. reprise de l'incipit : La lampe est allumée, le carnet ouvert, le crayon posé. Je reste là, sans bouger. Chaque geste possible devient une manière de différer : boire une gorgée d’eau, déplacer la chaise, fixer la poussière sur la table. Rien ne commence, tout se suspend. Le temps s’épaissit, s’étire, se retient. Quand l’attente me serre trop, je sors. Je descends dans la rue, je marche sans but. Les carrefours m’arrêtent, les virages me repoussent plus loin. Je dérive, je me perds exprès, je recule. Les heures s’allongent, la fatigue tombe, mais elle n’apaise pas. C’est juste une autre forme de sursis. La ville accompagne ce flottement : vitrines croisées sans entrer, bancs frôlés sans m’asseoir, cafés dépassés sans franchir la porte. Tout est prétexte à contourner, à éluder. J’attends sans savoir quoi, mais j’attends. encore plus "palpable" ? La lampe est allumée, le carnet ouvert, le crayon posé. Je reste immobile. Chaque geste devient un sursis : boire une gorgée d’eau, déplacer la chaise, fixer la poussière sur la table. Rien ne commence, tout se suspend. Le temps s’épaissit, il flotte dans la pièce comme une matière dense qu’on ne traverse pas. Quand l’attente me serre trop, je sors. Je descends dans la rue, je marche sans but. Les carrefours m’arrêtent, les virages me repoussent plus loin. Je dérive, je recule, je me laisse fatiguer. La fatigue tombe mais n’apaise rien, elle prolonge seulement l’état, elle le maintient. La ville s’accorde à cette dérive : vitrines franchies du regard sans entrer, bancs frôlés sans m’asseoir, cafés dépassés sans franchir la porte. Tout repousse, tout diffère. J’attends sans savoir quoi. À force, l’attente n’est plus un état mais une présence. Elle se tient derrière moi, à hauteur d’épaule, comme une ombre qui avance au même pas. Elle me touche sans me toucher. Elle s’épaissit autour des lampadaires, elle s’étire dans le bruit des pas des autres, elle s’assoit à ma place sur les bancs que je délaisse. Je ne marche plus seul, je marche avec elle. transformer l'attente en une réalité autonome ?* La lampe est allumée, le carnet ouvert, le crayon posé. Je reste immobile. Chaque geste devient un sursis : boire une gorgée d’eau, déplacer la chaise, fixer la poussière sur la table. Rien ne commence, tout se suspend. Le temps s’épaissit, il flotte dans la pièce comme une matière dense qu’on ne traverse pas. Quand l’attente me serre trop, je sors. Je descends dans la rue, je marche sans but. Les carrefours m’arrêtent, les virages me repoussent plus loin. Je dérive, je recule, je me laisse fatiguer. La fatigue tombe mais n’apaise rien, elle prolonge seulement l’état, elle le maintient. La ville s’accorde à cette dérive : vitrines franchies du regard sans entrer, bancs frôlés sans m’asseoir, cafés dépassés sans franchir la porte. Tout repousse, tout diffère. J’attends sans savoir quoi. À force, l’attente n’est plus un état mais une présence. Elle se tient derrière moi, à hauteur d’épaule, comme une ombre qui avance au même pas. Elle se rapproche sans me toucher, mais je sens sa densité. Dans le halo des lampadaires, elle prend une forme, vague, fluctuante, un corps de brume. Elle se dédouble dans les vitrines, elle s’assoit à ma place sur les bancs que je délaisse. Je ne marche plus seul : je marche avec elle. Et quand je tente de m’arrêter, elle ne s’arrête pas. Elle avance d’un pas supplémentaire, comme si elle connaissait déjà la suite. Mais c'est qui ce narrateur ? ça dit quoi de lui ? Ça révèle d’abord une faille centrale : le narrateur n’agit jamais de lui-même, il se laisse absorber par le temps. Il vit dans la suspension, dans le report. L’attente n’est pas un accident mais son mode d’existence. Ensuite, cela montre sa peur de la décision. Les gestes qu’il fait — boire, déplacer une chaise, sortir marcher — sont des gestes d’évitement. Rien n’est affronté de front. L’attente devient la forme la plus pure de son rapport au monde : il ne vit pas, il diffère. Le fait qu’elle prenne corps, qu’elle se matérialise en présence, dit que cette passivité l’a tellement envahi qu’elle est devenue autonome, presque indépendante de lui. Autrement dit, son incapacité à agir fabrique un double, une entité qui l’accompagne, qui prend le relais. Enfin, ça révèle une angoisse métaphysique : il ne sait pas ce qu’il attend, ni de qui, ni pourquoi. L’attente le définit sans objet clair. C’est le portrait d’une vie tenue dans le suspens, où l’on finit par être guidé par ce qu’on subit. qu'est-ce qui a bien pu provoquer ça ? Cause existentielle (ouverte, universelle) L’état n’a pas de cause précise : c’est le rapport du narrateur au monde. Une sorte de disposition à différer, peut-être liée à une peur diffuse du réel. Ici, l’attente devient métaphysique : elle est ce qui reste quand rien ne s’impose. Cause intime (psychologique / biographique) Un événement ancien — un deuil, une rupture, un échec fondateur — a brisé l’élan. Depuis, chaque geste est ajourné, comme si toute décision risquait de reproduire la perte. L’attente est un refuge contre la répétition du choc. Cause fantastique (inscrite dans le récit) Ce n’est pas vraiment lui : c’est une force qui s’est greffée à sa vie. L’attente serait une entité qui l’habite et qui l’a modelé. Elle se nourrit de ses ajournements et les amplifie. On ne sait pas si elle vient de lui ou si elle l’a choisi comme hôte. Cause sociale / contemporaine Un contexte étouffant — travail bureaucratique, injonctions multiples, rythmes mécaniques — a peu à peu dissous l’initiative. Le narrateur en est resté à l’état de suspension permanente, entre mails à répondre, tâches à accomplir, toujours différées. prenons l'échec fondateur comme prétexte, ce serait quel genre d'évènement ? Un tel état peut naître d’un échec qui n’est pas seulement une « défaite » mais une coupure dans l’élan vital, quelque chose qui installe durablement la peur d’avancer. Un amour manqué : l’attente d’une réponse (lettre, coup de fil, rendez-vous) qui n’est jamais venue. Le temps suspendu alors s’est figé et est devenu son mode de vie. Un projet d’écriture ou d’art avorté : un manuscrit refusé, un texte détruit, un concours échoué. L’échec s’est greffé comme preuve qu’agir mène à la chute. Un silence familial : un mot attendu d’un père ou d’une mère, jamais donné. Attente d’une reconnaissance, restée en suspens, qui a contaminé toute relation ultérieure. Un rendez-vous manqué : il aurait dû être là, il ne s’y est pas rendu (ou trop tard), et l’événement a pris un autre cours — accident, disparition, perte. Depuis, il redoute chaque décision comme un point de bascule. Un examen ou passage initiatique raté : diplôme manqué, service militaire esquivé, rite de passage jamais accompli. Comme si la vie adulte était restée à distance, différée. Ce qui compte n’est pas tant l’échec que la cristallisation : à ce moment précis, il a appris à se protéger en suspendant l’action. L’attente est devenue sa cuirasse. possible que le narrateur coche toutes les cases sédimentation d’attentes inachevées : amour manqué, projet détruit, parole parentale absente, rendez-vous raté, seuils non franchis. Ce n’est pas un seul traumatisme mais une suite, chaque fissure ajoutée à la précédente. L’effet cumulé est que toute action nouvelle est ressentie comme dangereuse : soit elle échoue, soit elle réactive l’échec passé. Alors il attend. L’attente n’est pas seulement refuge, c’est la seule forme d’action qu’il s’autorise. Ce qui peut produire quelque chose de fort, le récit peut suggérer ces causes en touches brèves, comme des échos : une lettre jamais reçue, un manuscrit brûlé, un mot retenu par un parent, une convocation manquée, une porte jamais franchie. Chacun apparaît une seconde, puis se retire — à l’image de l’attente elle-même. exemple Je marche. Les rues se succèdent, toujours les mêmes vitrines, les mêmes façades. À chaque pas, une image revient, puis disparaît. Une lettre jaunie, restée vide, sans réponse. Un téléphone décroché trop tard. Un manuscrit serré contre ma poitrine, puis jeté dans une corbeille que j’ai moi-même allumée. Une porte claquée dans un couloir familial, derrière laquelle le mot attendu n’est jamais sorti. Un quai de gare où je n’ai pas couru, le train parti, et quelqu’un resté de l’autre côté. Une convocation froissée au fond d’une poche, jamais ouverte. Tout cela marche avec moi. Ce ne sont pas des souvenirs, mais des angles morts : ce que je n’ai pas fait, ce que j’ai manqué. Chaque détour de rue est un rappel. Chaque pas rallonge l’ajournement. il ressent quoi ce narrateur, de la culpabilité ? il vit avec la double peine — l’échec répété et la culpabilité de l’avoir laissé s’installer. Mais il sait en même temps que ce n’était pas un choix volontaire, plutôt une mécanique intime, presque une fatalité. L’attente n’est pas une faiblesse qu’il aurait pu corriger, c’est son mode d’être au monde. Je le sais, je suis fautif. Chaque absence, chaque retard, chaque silence portait mon nom. Mais je n’ai jamais su faire autrement. Comme si une part de moi décidait toujours avant moi, me retenait, me coupait l’élan. J’ai cru longtemps qu’il s’agissait d’une faute morale, d’un manque de courage. Peut-être ce n’était que ma forme de vie : attendre, différer, manquer le pas. ou encore : Je marche et je sais déjà que je suis fautif. Chaque carrefour traversé trop tard, chaque porte non franchie, chaque silence : tout est de moi. Rien ne m’a été arraché, c’est moi qui n’ai pas su. Mais je ne pouvais pas autrement. Quelque chose décidait avant moi, une main invisible qui me retenait par l’épaule, qui me coupait l’élan. J’ai cru qu’il fallait nommer ça lâcheté. Maintenant je comprends : c’est ma manière d’avancer. Différer, manquer le pas, attendre. il doit tout de même bien y avoir une sorte de bénéfice à tout cela ? Cet état d’attente, de report, même s’il semble destructeur, porte aussi un bénéfice caché : Protection : ne pas agir, c’est éviter la répétition de la blessure. L’attente est une cuirasse contre de nouveaux échecs. Acuité : en suspendant le geste, le narrateur observe davantage. Il perçoit les détails que d’autres, pressés, ne voient pas. Réservoir : tout ce qui est différé s’accumule. Cette vie « manquée » n’est pas vide, elle devient matière latente, prête à se condenser autrement (en texte, en visions, en présence fantastique). Espace de résistance : refuser d’avancer, c’est aussi refuser d’être pris dans la mécanique sociale des échéances, des injonctions. C’est une forme d’insoumission muette. Autrement dit, ce n’est pas que du manque : c’est aussi une forme de vie paradoxale, où la suspension devient un mode de perception et d’endurance. du coup : J’ai longtemps cru que je ne faisais que manquer, mais l’attente m’a protégé aussi. Elle me détourne du coup porté, elle m’évite l’erreur répétée. Elle me laisse au bord, mais de ce bord je vois tout : les gestes des autres, leurs élans, leurs chutes. C’est peut-être là mon avantage : rester en retrait, mais avec les yeux ouverts. ou encore : *Je marche et chaque pas me rappelle ce que je n’ai pas fait. Je suis coupable d’avoir attendu, toujours trop, toujours trop tard. Faute après faute, j’ai laissé passer l’instant. Mais sans l’attente je me serais brisé. Elle m’a retenu, elle m’a couvert. Chaque recul m’a sauvé d’un coup plus dur. Je me dis que j’ai gâché, que je n’ai su que manquer. Les lettres non envoyées, les rendez-vous ratés, les portes jamais franchies. Tout m’accuse. Et pourtant, à force de rester en retrait, j’ai vu ce que d’autres n’ont pas vu. Le détail qu’ils ont traversé en courant, je l’ai recueilli. Le silence qu’ils ont fui, je l’ai entendu. Je suis un lâche, oui. Mais ce lâche a survécu. C’est peut-être cela l’attente : faute et protection en même temps. Une perte, et son abri.* et plus encore : *Je marche et j’entends la voix qui dit : tu as manqué encore, tu as fui, tu as différé. Elle compte mes silences comme d’autres tiennent leurs comptes de dettes. Puis une autre s’élève : sans moi tu serais tombé. Je t’ai protégé. Je t’ai gardé à distance de leurs pièges. Grâce à moi tu respires encore. La première reprend : tu n’as rien bâti, rien poursuivi, tu n’as fait que remettre. Tout ce que tu crois sauver, tu l’as perdu par avance. L’autre insiste : j’ai ouvert tes yeux. Je t’ai appris la marge, le détail, le silence. Je t’ai donné un regard que les autres n’auront jamais. Je marche entre elles deux. Coupable et sauvé. Je ne sais plus laquelle est moi. Peut-être les deux. Peut-être aucune.* Bon d'accord et si ça prenait une tournure fantastique ? *e m’arrête. Elle ne s’arrête pas. Elle avance de deux pas encore, puis se tourne. Je la vois enfin. Pas une silhouette pleine, plutôt un contour, une densité de nuit découpée dans la lumière des lampadaires. Pas de visage, mais je sais qu’elle me regarde. Tu crois que tu marches seul ? dit-elle. Sa voix est la mienne, plus grave, plus assurée. Depuis toujours je t’accompagne. Tu ne fais que retarder, mais c’est moi qui retiens. Tu te dis coupable, mais sans moi tu serais déjà tombé mille fois. Je voudrais répondre mais ma gorge se ferme. Elle avance encore, à pas calmes, comme si la rue lui appartenait. Chaque geste est sûr, là où le mien hésite. Regarde-moi bien, ajoute-t-elle. Je suis ton attente. Je suis ce que tu n’as pas fait, ce que tu n’as pas dit. Je suis ta faute, et ton salut. Je reste cloué, incapable de fuir.* ça rappelle un peu l'histoire du carnet et de la rivière cette ombre ... une continuité : le narrateur, prisonnier de ses ajournements, croise cette présence qui, comme à C. , ouvre une brèche. Pas une délivrance — plutôt un glissement. L’attente cesse d’être seulement subie, elle devient un passage, une dérive hors du connu.|couper{180}