recto_verso
"recto_verso" désigne un dispositif d’écriture en deux volets. Il ne s’agit pas d’un simple duo de textes, mais d’un rapport dynamique entre un premier mouvement et sa reprise : la matière initiale (le recto) donne lieu à une exploration, une condensation, un retrait ou un renversement (le verso).
Le recto est souvent plus ample, plus narratif, plus accidenté. Le verso en propose une lecture oblique : soit par la réduction, soit par la traduction dans un autre style, soit par la mise à nu du squelette du texte.
Ce dispositif permet de mettre en crise la voix narrative, de décaler le point de vue, d’introduire du vide, du silence, de la tension. Il s’inscrit dans une tradition d’écriture où le style est interrogé autant que le contenu.
C’est aussi une forme d’auto-édition critique : reprendre un texte, non pour le corriger, mais pour en extraire une autre version de soi, une autre possibilité, un autre rythme.
Cet atelier est ouvert à des explorations diverses : réduction beckettienne, bifurcation fictive, montage polyphonique, ou tout simplement retour sur un fragment ancien à travers le regard d’aujourd’hui. Écrire à rebours, écrire en retour. Trouver dans le verso ce que le recto ne savait pas encore dire. Voir aussi cette proposition d’atelier de François Bon
It is not a simple pairing of texts, but a dynamic relationship between a first movement and its return : the initial material (the recto) gives rise to an exploration, a condensation, a withdrawal, or an inversion (the verso).
The recto is often broader, more narrative, more uneven. The verso offers an oblique reading : either by reduction, by translation into another style, or by stripping the text down to its skeleton.
This device puts the narrative voice in crisis, shifts the point of view, introduces silence, tension, or emptiness. It belongs to a tradition of writing where style is questioned as much as content.
It is also a form of critical self-editing : revisiting a text not to correct it, but to extract another version of the self, another possibility, another rhythm.
This workshop is open to various explorations : Beckettian reduction, fictional bifurcation, polyphonic montage, or simply revisiting an older fragment through today’s lens. Writing backwards. Writing in return. Finding in the verso what the recto did not yet know how to say.
See also this [writing proposal by François Bon → https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article5368] All English translations are produced with ChatGPT Version 4o, with each seeking an authorial proximity to the original French — whether through syntax, rhythm, or linguistic frequency.
Podcast à propos de Recto_Verso
articles associés
Archives
Après ce qui a été écrit
« Ils retrouveront peut-être le génie épique quand ils sauront ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force, ne pas haïr les ennemis et ne pas mépriser les malheureux. Il est douteux que ce soit pour bientôt. » — Simone Weil, L’Iliade ou le poème de la force Que la force soit avec toi, mais qui es-tu, toi — homme, femme, enfant, vieillard, rien de cela, tout cela ? Tu pourrais dire je ne suis rien, je suis tout, mais la force ne t’écouterait pas. Elle passe, indifférente. Face à elle, il reste la faiblesse. Et puis vint le silence. « Et j’ai appris comment s’effondrent les visages, Sous les paupières, comment émerge l’angoisse, Comment le rire se fane sur des lèvres soumises… » -- Anna Akhmatova, Requiem Et puis vint le silence. -- Calme-toi, tu n’es pas encore traîné dans la poussière. -- Mais je suis mort déjà. Avec les morts on ne s’agite plus. On use le temps, on épuise l’ennui, la haine, l’amour. Tout s’écrit dans un perpétuel présent. C’est le cadeau : étrange cadeau qu’on déballe au terme de sa vie. Et puis vint le silence. Mais ce silence avait des marches. On y descendait, une à une, chaque marche plus basse, plus étroite, chaque marche un gouffre. « Chaque marche un cri, chaque marche une perte. Chaque marche un vide — un vide plus profond. » -- Marina Tsvetaeva, Poème de l’escalier Et moi j’écris une marche, puis une autre, puis encore une. Je les efface l’une après l’autre, soit pour descendre plus bas, soit pour tenter de me hisser plus haut. Je sais déjà que ça ne servira à rien. Ce n’est pas l’importance d’une marche qui fait celle de l’escalier. Mais si je dois être vaincu par la force comme toute chose ici-bas, alors la forme d’un escalier me va — un gouffre ayant la forme d’une spirale, d’un colimaçon. Dans la descente comme dans l’ascension, on peut sans doute choisir son escale un moment. Chaque marche pouvait être aussi bien pic ou gouffre, et c’était bien de ne pas savoir d’avance.|couper{180}
Carnets | août 2025
Présentation des chiens
Le décor n’a pas une grande importance. Imagine un bord de mer, de longues allées. Revêtement couleur sable, antidérapant. D’un côté, la mer immense. Remonte la voix douce de Graeme Allwright : La mer est immense, je n’sais voyager. De l’autre côté, de hauts pins tournesols dont les basses branches, secouées par un stress hydrique, tentent malgré tout d’offrir une stoïque apparence. Ce qui manque au capitaine Achab, ce qu’il cherche à harponner, c’est cette forme immense, insubmersible, de couleur blanche. Cette paisible apparence. Le bonheur de ce qu’il imagine être la quiétude d’un poisson dans l’eau. Un homme promène son chien. L’homme est long mais son ombre plus grande encore. Le chien est maigre, jeune, nerveux. La laisse qui le relie au maître est courte. Bel exercice à conseiller si tu n’aimes pas te faire rôtir comme un spare-ribs au bord de l’eau. Avise un banc, assieds-toi. Observe la longueur des laisses tenues par ceux qui promènent leurs chiens. Une femme promène son chien. La laisse est longue. L’animal n’en profite pas. Elle a noué un paréo autour de sa taille, peut-être pour dissimuler des fesses qu’on supposera proéminentes. Sur sa cheville droite, un tatouage en forme de code-barres. Les bestioles se sont humées tant et tant que cela les a apaisées. Leurs maîtres font semblant de ne pas voir cet assaut olfactif. Comme la vie pourrait être plus drôle si l’on pouvait ainsi, comme les chiens, se sentir. Le parfum est sans doute un des principaux fléaux de l’humanité. Et en même temps une entrée incontournable pour accéder à la civilisation. Les Noirs disent que le Blanc sent le cadavre. La mer est immense, celle qu’on voit danser le long, le long des golfes pas très clairs. Le succès commercial du Parfum tient sans doute au fait qu’on ne puisse plus se sentir les uns les autres en dehors des conventions de l’intime. Où s’arrête l’intime ? On dit la sphère du privé, et être rond comme une queue de pelle. Chez les Esquimaux, la nourriture est mâchée par les plus jeunes durant des millénaires pour nourrir les vieux édentés. Leur sphère d’intimité s’est contractée après s’être dilatée avec l’apparition du premier dentiste. Je ne sais pas vraiment pourquoi je devrais éprouver de l’aversion à ce qu’on me mâche ma viande. Je ne mange plus que de la viande blanche. Jamais froide. Manger de la viande froide me rend Noir : j’ai l’impression de manger du cadavre. Suis allé me baigner ce matin dans le gris général ciel et mer, tout en songeant à l’étoile du Chien. […] Les dents de la mer. Cette pensée en atteignant la bouée jaune : pourquoi les requins ne viendraient-ils pas se nourrir ici, vu la barbue à disposition ? Puis la langue des oiseaux pour se calmer. Revenir tranquillement vers le sable, l’aidant de la mère. Après que mon frère a failli perdre un œil, on fit piquer le chien. « Vous avez eu de la chance », dit le docteur à ma mère, comme si c’était elle qui s’était fait mordre. Le chien fut enterré près du tas de fumier, au fond du jardin. Nous venions prier pour son âme de chien, mon frère pas rancunier et moi-même. Puis on allumait une liane et on fumait comme les adultes. Ça faisait tousser, c’était âcre. Là-haut, dans le ciel, les nuages formaient des têtes de chien. On disait : « C’est lui, tu vois, il ne nous en veut pas, il est bien plus heureux là où il est. » Au catéchisme, le curé essayait comme il le pouvait de nous extraire de notre animalité. Devenir humain, c’était déjà être propre. Dans le feuilleton Thibaud des Croisades, les Sarrasins étaient aussi des Maures. Ils traitaient les chrétiens de sales chiens. […] Ce chien a été renversé par une voiture dans le virage où nous habitions. Mon père a rentré la voiture dans la cour et a dit : « Bon, qu’est-ce qu’on mange ? » Je suis ressorti de la maison ; le chien vivait encore. Son souffle était court et il pleurait. J’ai essayé de le caresser mais il a montré les dents. Ma mère m’a appelé juste à ce moment-là : « Viens mettre la table. » J’ai approché la main encore une fois et le chien n’a plus émis le moindre grognement. Il était mort. Ce que les êtres humains ont dépensé en énergie, en inventivité, pour ne pas se sentir, tient du prodige. Un prodige bête à manger du foin, aurait dit mon grand-oncle, qui a toujours fait semblant d’être sourd. Il disait les choses les plus insensées car il faisait semblant de ne pas prêter attention aux commentaires. Une sacrée force de caractère. Ou bien un égoïsme invraisemblable. Je n’ai jamais décidé vraiment qu’en penser. Caractériser les gens par leur odeur. Mon grand-oncle sentait la foudre. Sa sœur, ma grand-mère, avait un souffle parfumé au grain de café. Mon grand-père sentait l’essence et le cambouis. Sa vraie vocation aurait été d’être mécanicien auto mais au lieu de ça il avait senti le sang toute sa vie. D’abord à la guerre, il avait commencé à tuer des poulets dans une ferme allemande. Puis sur les marchés parisiens, où il vendait des lapins, des poules crevées. Patty, la petite chienne caniche, sentait le chien mouillé. J’ai longtemps fumé. Après mûre réflexion, c’était pour ne pas sentir l’odeur du monde. Trop d’émotions. Quand j’ai arrêté, je n’ai pas découvert un nirvâna olfactif. J’ai noté que ma chatte n’a pas une haleine merdique, nonobstant le nombre de fois où elle lèche son derrière dans la journée. On dit qu’il fait un temps de chien, malheureux comme les pierres. Aujourd’hui c’est canicule. Je n’aborde pas les chiennes spécifiquement. Il faudrait un volume dédié. Sortir le chien. C’est à l’aube ou à la nuit tombée. Un énorme chien, je m’en souviens. Le poissonnier de la grand-rue de l’Isle-Adam devait dégager une odeur hostile. Le gros chien l’a mordu. Il a fallu le piquer lui aussi. Le chien, pas le poissonnier. La peur et l’odeur. Sur quel critère culturel disons-nous : ça sent bon ou mauvais ? L’ouïe c’est pareil. Quand tu dois dormir dans le tintamarre, tu découvres des rythmes internes insoupçonnés. […] Je me demande si je ne suis pas un peu de ce chien qui mordit mon frère à l’œil. J’en ai longtemps éprouvé de la culpabilité. J’aurais mérité d’être passé au fil de l’aiguille moi aussi. Piqué une bonne fois avec du sérum noir. De tous les canidés que j’ai connus, seul un cocker savait faire de vrais yeux de cocker. Juste après vient un boxer, mais l’effort lui coûta tant qu’il mourut jeune. Le fil utilisé pour recoudre l’œil de mon frère devait être une sorte de fil de pêche. Que peut-on ressentir d’être piqué, quand on est vieux, qu’on a passé une vraie vie de chien auprès d’hommes frustrés, et qui pour un oui pour un non vous battent ? Finalement je choisis une salade au poulet grillé, tomates, salade. Un mixte qui, dès la première bouchée, manque de me faire dégobiller. Quand les gens s’ennuient je m’amuse. Et quand ils s’amusent je m’ennuie. Toute agitation extérieure titille mon troisième œil, ce qui m’empêche de m’affoler. C’est en grande partie à cause de cela qu’on m’a longtemps traité d’autiste. Seules l’odeur d’ail ou d’oignon grillés réussissaient à me faire saliver. Je me plaçais devant les fourneaux, langue pendante. […] L’homme et la femme se toisent en se concentrant en même temps sur ce que font leurs animaux. Ce pourrait être l’occasion de quelque chose qui ne se produit pas. On sent cette tristesse dans la distance qui s’installe lorsque l’homme marche vers l’est et la femme vers l’ouest. Pas un seul jappement chez les chiens.|couper{180}
Carnets | août 2025
14 août 2025
Au moment où il va dire ce qu’il pense, l’image du mime Marceau apparaît. Et il comprend que ce qu’il pense n’a aucune importance. Qu’il vaut mieux aller sur la face cachée de ce qu’on pense toujours penser. Cette colère, cet amour, cette même vieille chose. Parfois ces textes me deviennent hostiles, imbuvables. Je cherche des rubriques. Je n’en trouve aucune qui vaille la peine. C’est comme si être seul me renvoyait à la marge de la marge. Ainsi, d’un seul coup d’œil, je vois les extrêmes comme des mains en train d’applaudir la farce. Le centre ne m’attire pas non plus. Rien. Et dans trois siècles, il faut espérer que toute cette comédie soit achevée. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas. Jean-Louis Barrault se superpose à l’image du mime Marceau. Le paradis n’est pas ce que l’on pense. Rare que les choses soient ce qu’on pense. Il est possible d’écourter. De ratiboiser. Au moment de parler, le mime Marceau prend la place. Ce que je pense n’a pas d’importance. Mieux vaut la face cachée de ce qu’on croit penser. Même boucle : colère, amour. Les textes deviennent hostiles. Je cherche des rubriques : rien. Marges des marges. Les extrêmes applaudissent la farce. Le centre, non plus : rien. Souhait pour dans trois siècles : fin de la comédie. Ne dis pas ce que tu penses. Barrault se colle au mime. Je pourrais décliner tout simplement. Dire non. Non merci. C’est souvent le premier mouvement de la valse hésitation. Je pense non mais ma bouche dit oui, machinalement. De toute façon, ce que je pense n’a aucune espèce d’importance. Mais tout de même cette bouche. Il décida de partir dans le Grand Nord… en quelle année déjà ? Il faut des dates, sinon on perd la notion du temps. Des rubriques, des dates. Nous voici bien partis. Équipés pour la journée. Et si tu décides de ne pas écrire plus que ça pour aujourd’hui, si tu décides de ne pas écrire durant toute une semaine, le seul à qui tu manquerais ne serait que toi, toujours toi. Recommence. Écoute le mot. Recommence. Dis-le tout haut. Recommence. Au moment de parler, l’image du mime Marceau me coupe la voix : ce que je pense n’a pas d’importance, mieux vaut longer la face cachée de ce qu’on croit penser — la vieille boucle, colère et amour confondus. Les textes se hérissent, m’éjectent. Je cherche des rubriques, rien. Marges des marges : d’ici, les extrêmes se répondent comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre ne m’attire pas non plus, rien. J’aimerais croire qu’en trois siècles la comédie sera close. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais décliner, dire non, non merci ; je pense non, la bouche dit oui, par habitude. On me parle de dates pour ne pas perdre le fil : le Grand Nord, en quelle année déjà ? Des rubriques, des dates : équipés pour la journée. Et si je n’écris pas davantage, aujourd’hui ni cette semaine, le seul à qui je manquerai, ce sera moi — toujours moi. Non, toujours pas. L’histoire de ma vie résumée en trois mots et une pause pour dissocier ce bruit. Parler, ou faire signe. Le mime prend la place et le centre n’est qu’un néant tiède. Je range, je décline, je diffère — et j’espère qu’un jour la comédie s’achèvera. Pas besoin de placer de rubrique. Les cimetières en sont remplis. Cénotaphes, épitaphes, toujours un taff de vouloir enterrer les choses. Tu allais dire « correctement ». Oui, en général, le correct ment — car on sait bien que rien ne l’est véritablement. « Véritable », aussi, je te l’accorde. Le jour où j’ai trimé deux mois pour me payer cette guitare. Ce serait autobiographique encore. Tu y tiens vraiment ? Imagine qu’on tombe, dans mille ans, sur ta fiche de paie d’un de ces deux mois. Ça nous ferait une belle jambe. En revanche, si tu t’extrais totalement de cette histoire, si tu te biffes, tu peux parler des magasins Grizot & Launay de L’Isle-Adam. Mettons dans les années 1975. Tu pourrais trouver de la documentation. Une histoire de vinaigre. Quelles étaient les marques dont tu te souviens encore ? Procter & Gamble ? Des produits qui rendent la vie un peu plus facile. Le mot « solfétique » remonte comme une acidité dans la bouche. Tu cherches de la doc mais grand-peine à en trouver. D’ailleurs tu ne sais même plus exactement ce que c’était. Était-ce l’outil pour placer le rouleau de scotch d’emballage, ou bien le pistolet pour créer les étiquettes de prix ? -- ChatGPT, tu sais, toi ? -- Oui : très probablement les étiqueteuses manuelles — pistolets à étiqueter, pinces à étiqueter — utilisés en GMS pour imprimer et poser de petites étiquettes. (Tailles courantes, molette(s) à chiffres, rouleau encreur, avance et pose en un geste. Exemples de marques : Monarch, Meto, Sato, Blitz.) Et bien voilà. Voilà exactement ce que l’on retiendra de Grizot & Launay. Dans mille ans, pas grand-chose de plus. Et tout sera déformé, comme tout de nos jours l’est déjà. C’est obligé. Au moment de parler, Marceau me coupe la voix : ce que je pense n’a pas d’importance, mieux vaut longer la face cachée de ce qu’on croit penser — vieille boucle colère-amour. Les textes se cabrent, m’éjectent ; je cherche des rubriques, rien. Depuis la marge de la marge, je vois les extrêmes se répondre comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre n’attire pas, rien. J’espère qu’en trois siècles la comédie sera close. « Ne dis pas ce que tu penses » : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais décliner, dire non, mais la bouche dit oui par habitude. On réclame des dates : le Grand Nord, en quelle année déjà ? Des rubriques, des dates ; nous voilà équipés pour la journée. Si je n’écris pas davantage, aujourd’hui ni cette semaine, je ne manquerai qu’à moi. Pas besoin de rubrique : les cimetières en débordent. Le correct ment. Alors je dévie : Grizot & Launay à L’Isle-Adam, années 1975, Procter & Gamble peut-être, et ce mot « solfétique » qui pique la langue — un pistolet à étiqueter ? Peu importe : c’est cela qu’on retiendra, et mal encore. Tout se déforme, forcément. Parler ou faire signe. Depuis la marge de la marge, les extrêmes applaudissent la farce et le centre n’est qu’un tiède néant. On classe, on date, on corrige — et tout se déforme quand même. Le collectif des adorateurs du rien. Celui qui fait tout pour exhumer des archives qui ne disent rien de rien. Il fut crée vers 2025, en France. S'inspire d'Alfred Jarry. A ne pas confondre avec une secte religieuse autrefois nommée Catholique. Eux pronaient que tout est dans tout et surtout tous pour un. Dans quoi je classe ça ? Rubrique "fourre tout " Nous sommes en 5000 après la Simca 1000. De l'eau a coulé sous les ponts. Il ne reste d'ailleurs qu'un mince filet d'eau dans la Seine. Malgré tout les efforts, les décrets, les avenants aux décrets, les dictatures, les années noires, celles des vaches enragées, celles de la farine d'insecte empoisonnée, celles du virus Gog du virus Magog, celles de la révolution des fleurs, celles du départ pour Mars, celles de la découverte du vaisseau fantôme, celles du retour à la terre, celles du revenu universel, celles où l'IA a failli nous détruire. Tu ne devrais pas lire ce genre d'ouvrage idiot , dépèche toi on a encore toutes ces antiquités à télécharger dans nos puces neuronales. Y et X sont dans le même collectif nommé "on garde tout on ne sait jamais". en SIGLE ça donne OGTONSJ et ça se prononce comme on peut. Le vieux livre " the Time Machine" est posé sur un coussin de velours rouge au centre d'une colonne de plexiglas. Tout autour le sable s'étend à l'infini. Un océan lent de dunes. De loin on peut apercevoir un point noir dans le ciel. Ce point noir grossit. C'est un engin volant. A l'intérieur des êtres humanoïdes. What the fuck !? dit une voix en se penchant pour voir le paysage au travers d'un hublot. Naissance d'un nouveau collectif en l'an 11200 après la chûte du Tyran Nosor. Les lecteurs de vieux papier. C'est en fait un jeu de rôle planétaire. Des vieux ouvrages ont été disséminés sur l'ensemble du système solaire. Ceux qui liront le plus seront récompensés par un prix extraordinaire : le droit d'écrire leur vie. On n'en tirera qu'un seul exemplaire que l'on mettra sous globe quelque part dans la galaxie du Centaure, soit sur une île entourée d'une mer de mercure, soit dans une chapelle au sommet d'une montagne de X428 ( voyage à réserver dès la naissance car les files d'attente sont longues comme le bras du géant de Syrius qui en fait est un pouple doté d'une mémoire infaillible, d'une intelligence rare, mais qui en cette année 11202 donne quelques signes de faiblesse. Heureusement la firme je répare tout (JRT) est déjà en train de pomper ses vastes connaissances dans une puce de génération 5.|couper{180}
Carnets | août 2025
12 août 2025
Il a pleuré. Dans son coin je l'ai regardé et je l'ai vu pleurer. C'est un passage aussi nécessaire. Puis il a sorti un mouchoir d'une poche, preuve qu'il prévoyait ce moment depuis longtemps déjà. Enfin, il a repoussé le clavier. Il a chercher un stylo dans un tiroir, une feuille de papier et il a dit : tu es un corps, écris. Se déplier. S’offrir ingénu. Silence. Non, ce n’est pas le moment, tu comprends. Peut-être une autre fois. Se replier, savant. Sache que de toi ils ne feront pas grand cas. Tituber. Aller seul sur quatre pattes. Tenter de se redresser. Retomber. Tenter encore. Retomber encore. Rire étrange. Il n’est pas volontaire. Sort de la gorge au mauvais moment. On serait tenté de dire : le pire. Tous se retournent. Qu’est-ce donc que ce rire. La question les rassemble et t’isole. Encore. Qu’une grille de contraintes ouvre sur une nouvelle grille — et ainsi de suite. Visiter ainsi, à ta façon, les abîmes. Ce n’est pas un jeu. C’est dire autrement le traumatisme. Parvenir au face-à-face, déjà, l’art n’a rien à voir. L’art ne voudra surtout rien voir. L’art dépassera de cent coudées ce que tu crus un jour avoir vu. À force de rabâcher, le silex se fend. Puissance de la redite. Du répété. Vacillement : entre ce qui fut ressenti et mal dit, et ce qui sera dit autrement, moins l’affect. Peu de chance, ou beaucoup, si tu parviens déjà à t’en sortir. Mais la chance n’est qu’une marche. Creuser n’est pas un choix : c’est la prise de conscience d’une nature. Tu ne peux faire autrement. Danger sur l’intersection. N’aie pas l’air. Étouffe en toute conscience. Ne négocie plus. Arrête avec tes mots d’ordre, tes mantras, ton chapelet, tes paris stupides. Si les mots soudain manquaient… Mais lesquels ? Ceux qui font obstacle au profond étranger. Peut-être le vacillement ne s’interrompt-il jamais. On voudrait un équilibre stable, définitif. On le fantasme. Fausse piste de la volonté. Offusqué, il se replie après s’être déplié. Les animaux marins. Les sensitives. Les pattes d’un insecte qui fait le mort. Tu fais le mort pour qu’on ne t’achève pas. Jamais. Dans le même temps, c’est un souhait secret. Avoue-le. — - Par la mort passer. En sortir, s’en sortir, sang sortir, sans sort ire. Rêver un désir neuf. Une étincelle. Une toute petite aspérité sur la paroi changée mentalement, physiquement, en levier. Grimper. Dépasser quelque chose. Prendre conscience du gouffre, du vertige, de la peur. Les affronter. Grimper encore. Tu n’as pas le choix. Dépasser quoi ? Il s’efface quand tu le dépasses. Tu ne sais plus ce que c’était. — - Arrivé au sommet : le ciel, l’air, les poumons se déploient. Respirer. Battements du cœur réguliers. Le rythme, la musique t’ont calmé. Par quoi es-tu passé pour que tout soit si vite, un jour, oublié ? Pas de réponse hâtive. Aujourd’hui, tu as seulement le droit de dessiner ce mouvement. Tu te donnes ce droit, et la contrainte afférente. Et tu verras bien demain si tout ça tient encore. — - Naïveté. Ne la répudie pas. La catharsis n'est pas un drame. C'est seulement un coquillage. Tu peux vivre à l'intérieur et dire voici mon monde, voici ma vie. T'en convaincre. Tu peux oublier le paradis, la terre promise, comme tu peux aussi oublier la malédiction d'avoir été élu. Car ce sont les élus qui parlent seuls d'élections. D'affinités élèctives. Tu n'es pas Goethe. Ou si tu l'as été cela suffit. tu ne l'es plus. Comme tu n'es plus Artaud, Van Gogh, Bataille, Duras, Pizarnik. Naïveté de penser le refuser, le choix. Naïveté et espoir toujours la petite musique infernale, celle des comptines des ritournelles, on fait feu de tout bois quand on se perd dans la forêt, petit.|couper{180}
Carnets | août 2025
10 août 2025
Avant, quoi avant, avant qui a-t-il. Avant il y a le bruit brut du souffle, le craquement des tendons, des cartilages, des os. Avant le vent souffle dans une flûte de roseau et on dit Pan, tu diras que c’est de la musique tiens. Avant la musique, avant la parole, avant le jour, il y a la nuit, disent les présocratiques pas encore trop bourrés de tics. Avant qu’il y ait un après, qu’était donc l’avant ? Un infini avant ; ce n’était pas un long silence, rien ne nous le dit. C’est un bruit qui ne dit rien sauf qu’il est bruit. C’est après que ça se gâte, quand on veut lui faire dire ce qu’il ne veut pas dire. Parle ! Parle ! nous avons les moyens de te faire parler, sale petit bruit de merde qui nous gâche la vie, notre vie qu’on rêve si belle, si longue, si remplie d’actes et de paroles. Avant quoi qu’il y ait qu’on ne retrouve pas après tous ces actes, tous ces bruits, et où l’on comprend enfin la bienveillance des parenthèses. L’amplification sonore d’une suite de sons vaut exactement l’agrandissement d’une photographie 24x36 quand on la tire au-delà d’un 9x13 sur papier. L’effet choc — auditif ou visuel — demeure longtemps en écho dans l’ouïe, la rétine. Ce pourrait être un nom : Louis La Rétine, Louis de l’Ouïe. Oyez ce que vous voudrez ouïr, et que la foudre vous réveille de votre esprit en forme d’entonnoir. Il se trouva soudain qu’une phrase isolée, marchant seule sous un réverbère sur les quais de Seine, m’attira à un point tel que je demeurai comme en suspension. avavant quaquoi avant kikqui a’t’il boubruit brut sousouffle cracraque ment tendons carti lage ossoss souffle fluflûte roseau Panmuzique tiens avavant muzique avavant parole avavant jour nuinuit présocratiques paspas trop bourrés tictic avant qu’y ait après avant infini pas long silence rienneledit bru bruit quedit rien parle parle nous avons mo moyens sale bruit mer mer gâche lavi vie belles parenthèses|couper{180}
Carnets | août 2025
sans éducation
Sans éducation Personnages : VOIX (narrateur) CHOEUR VOIX Sans éducation mais que feriez-vous donc dans la vie, me dit-elle. sang et duck duck duck cassons cassss cassss cas sion mmmmm é mmmmé queue fffffffe ffffffe riez vooooooussss d'oncques don dondon don queue dans dans dent lave iiiiiii la vis l'avvvvvie meuh meuh meuh mmmmmmmmmmm dddddi tel tel tel tttttttttttt 'hell VOIX Mais que lui prend-t-il qui lui prend quoi quoi donc est pris CHOEUR -- la main dans l’sac. VOIX Le ressac le ressac CHOEUR (bis) -- Mais que lui prend-t-il -- Mais que lui prend-t-il VOIX à cet hurluberlu CHOEUR -- Que lui prend-t-il à cet… à cet hurluberlu -- Le ressac le ressac VOIX Sac âge ses tours mentent zozotaient-ils les zozos en levant les z’yeux z’o ciel CHOEUR (trois fois) -- En levant les z’yeux z’o ciel VOIX Il me prend dans ses bras pas toujours dans ses rhoo ajoute tas d’ailes pas tou pas tou jour dans ses dansez dansez maintenant dans ses rhooo VOIX Roméo, Juliette a du monde au balcon tiens au bal qu’on tient chez juju la layette quel monde… c’est con VOIX Si si si… non j’aurais j’orée j’or ai jou jou joue contre joue joué une séré… une sérénade CHOEUR -- Ilot rat joue et serré nade|couper{180}
Lectures
notes de lecture_Hélène Gaudy / Un monde sans rivage
J'ai téléchargé l'Epub. Il y a quelque chose qui m'attire sur la couverture. Un souvenir de photographie posé sur autre roman, {Je m'en vais } de Jean Echenoz. Je ne sais rien d'Hélène Gaudy. Je fais une recherche. ChatGpt, Qui est Hélène Gaudy ? voici la réponse : Voici ce que l’on peut dire sur Hélène Gaudy, écrivaine française contemporaine : 📚 Biographie Née à Paris en 1979, Hélène Gaudy est plasticienne de formation, diplômée de l'École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg (Wikipédia). Membre du collectif Inculte depuis les années 2000, et du comité de rédaction des revues Inculte et La moitié du fourbi (Wikipédia). Elle vit et travaille à Paris, partageant un intérêt entre créativité visuelle et écriture littéraire (Fabrique du Littéraire). 🖋 Carrière littéraire Auteure d'une demi-douzaine de romans pour adultes, ainsi que de nombreux albums et romans jeunesse (Wikipédia). Parmi ses œuvres les plus marquantes : Vues sur la mer (2006) – sélectionné au Prix Médicis (Wikipédia). Plein hiver (2014) – roman au ton poétique et atmosphérique (Wikipédia). Une île, une forteresse (2016) – récit documentaire sur Terezín, camp modèle pendant la Seconde Guerre mondiale (Wikipédia). Un monde sans rivage (2019) – inspiré de l’expédition arctique suédoise de 1897, traduit en anglais (A World with No Shore), sélectionné pour le Prix Goncourt et lauréat du prix François Billetdoux en 2020 (Wikipédia). Archipels (2024) – explorant la vie de son père collectionneur, finaliste du Prix Goncourt 2024 (Wikipédia). 🎯 Thèmes et style Elle travaille souvent à la convergence du texte et de l’image, interrogeant la mémoire, le paysage, la trace (Observatoire d\'éthique universitaire). Ses romans mêlent fiction et investigation documentaire, souvent à partir de lieux chargés d’histoire (Terezín, Grand-Lieu, archipels polaires...) (Observatoire d\'éthique universitaire). Elle mène également des ateliers d’écriture avec divers publics (migrants, élèves, malades, etc.) et enseigne en Master de création littéraire à Paris VIII (Wikipédia). ✅ En résumé Hélène Gaudy est une autrice originale, mêlant influences plastiques et littéraires. Ses récits allient tendresse, rigueur documentaire et poésie, souvent autour de thèmes de mémoire, paysage, exploration et identité familiale. Son œuvre récente Archipels, qui a décroché une place parmi les finalistes du prestigieux Prix Goncourt 2024, illustre parfaitement sa capacité à transformer la vie ordinaire en quête universelle. Bon. Je ne saurais dire si j'en sais plus sur Hélène Gaudy comme ça. Certainement pas. F.B dit qu'il y a eu rencontre zoom. Il faut faire une recherche de ce côté là aussi. Je ne vais jamais sur les zooms. Il arrive que je le visionne en replay plus tard. Mais celui là ne me dit rien. J'ai dû zapper. Pas trouvé. Mais une autre vidéo : Du texte avant. et encore une autre trouvé sur la chaine de Pierre Ménard j'en vois d'autres encore. De quoi se faire peut-être des idées. Toute une liste. Mais bon. Lire le livre plutôt donc. Un monde sans rivage. Puis je tombe sur une phrase : les écrivains hors réseau marchant lentement à leurs ténèbres ? ça me flanque un frisson. Je vais attendre encore un peu. Lire le livre en entier. Peut-être. Et une fois lu je pourrais en faire un résumé comme celui-ci Le livre s’inspire d’un épisode réel : l’expédition polaire suédoise de Salomon August Andrée en 1897. Avec deux compagnons, il tente de rejoindre le pôle Nord en ballon dirigeable. Leur disparition, puis la redécouverte de leurs corps et de leurs carnets plus de trente ans plus tard, forment la trame narrative. Hélène Gaudy part de ces documents, de photos retrouvées et des traces laissées sur la banquise pour imaginer, combler les silences et explorer ce qui se joue dans cet espace entre l’histoire et la fiction. Parlerais-je de sa structure ainsi vraiment ? Structure :Trois mouvements principaux : L’avant : préparation de l’expédition, contexte historique, rêves de conquête et fascination pour les pôles à la fin du XIXᵉ siècle. Le voyage : récit fragmenté et non linéaire du périple, alternant descriptions des paysages, extraits réels ou imaginés des carnets, et moments d’hypothèse. L’après : redécouverte des corps en 1930, travail des archéologues et journalistes, et résonances contemporaines. Narration polyphonique : la voix de l’autrice dialogue avec celles des explorateurs, des témoins, des archives. Le récit avance par touches, comme un collage. Et pourquoi pas aussi du style pendant que j'y suis ? Prose poétique et sensorielle : Gaudy décrit les paysages arctiques comme des tableaux mouvants, travaillant sur la lumière, le blanc, les textures. Écriture fragmentaire : chapitres courts, ellipses, retours en arrière, montage d’images et de souvenirs. Mélange documentaire/fiction : rigueur dans les faits, mais liberté dans l’imagination des émotions, pensées ou gestes quotidiens. Dimension visuelle : influence de sa formation artistique, attention à la composition des scènes. et forcément je me poserais la question du thème, des thèmes de la thématique. La quête et ses illusions : l’obsession d’atteindre un but géographique comme métaphore d’un désir humain d’absolu. La mémoire et ses lacunes : comment on raconte après coup, comment on reconstruit avec des morceaux. L’échec héroïque : ces hommes ne reviennent pas, mais la postérité les érige en figures mythiques. Le rapport au paysage extrême : nature indifférente, sublime et mortelle. En fin de compte en quoi un monde sans rivage est-il remarquable ? Originalité de l’approche : plutôt qu’un récit d’aventure classique, c’est une exploration sensible du vide, de la trace et de l’oubli. Équilibre entre précision historique et poésie : on apprend, mais on rêve aussi. Structure fragmentaire qui reflète la discontinuité des sources et la difficulté de dire l’expérience polaire. Résonance contemporaine : interrogation sur notre rapport à l’exploration, à la mémoire et à l’image. Je ne peux pas dire que je connais encore beaucoup de choses sur Hélène Gaudy. ceci n'est pas une critique littéraire, pas du tout. Ce sont juste quelques notes de recherche, je n'ose pas encore dire de lecture Pour que je puisse le dire il faut que j'ouvre foliate. Que je charge l'Epub. Que je lise... tiens j'aime déjà bien la citation : Tout plonge dans un monde sans rivage, qui ne tolère aucune définition et face auquel, comme beaucoup l’ont déjà dit, toute affirmation est une solitude, une île. H. G. ADLER, Un voyage.|couper{180}
Carnets | août 2025
Emblème
1965, La Varenne-Chennevières Au-dessus du cosi, une plaque de bois sombre, veinée comme une vieille peau. Une tête de mort et deux poignards croisés, les lames fines se rejoignent dans un vide central. La poussière s’est incrustée dans les lettres cyrilliques, le vernis a craquelé par endroits. L’attache triangulaire pend légèrement, comme si elle avait perdu sa tension, et le clou nu, sans tête, traverse un éclat d’enduit. Peut-être un trophée arraché dans une ville en flammes. Peut-être acheté dans une échoppe portuaire, offert par un homme déjà mourant. Peut-être qu’il n’a jamais rien eu à voir avec Kornilov. Peut-être qu’il sert seulement à habiller un silence. Aujourd’hui, le crépi beige absorbe la lumière. Il n’y a plus de cosi, plus de plaque, plus d’attache. Je tente de placer mentalement l’objet au-dessus d’une fenêtre, mais il flotte dans l’air. Dans la vitrine du café, mon carnet reflète le passage d’un bus rouge qui déforme les lignes. Je note : rien ne colle. mars 1975, Limeil-Brévannes L’adolescent saute du premier étage, les pieds s’enfoncent dans la terre meuble. L’odeur d’humus froid remonte avec l’impact. La lune éclate derrière les nuages puis disparaît. Un frisson lui parcourt les bras. Peut-être que le corps sait avant l’esprit. Peut-être qu’il porte du sang slave. Peut-être pas russe : estonien, finlandais, danois. Peut-être un sang sans patrie, sans drapeau. Peut-être que cette vérité restera endormie longtemps. Le jardin est aujourd’hui grillagé. La fenêtre a été remplacée par un vitrage coulissant. Je ne saute pas. Je sirote un café tiède. Le ciel est vide. Pas de lune pour bondir. Vacances d’hiver 1966, La Varenne-Chennevières Sur la table, l’Assimil russe est ouvert à une page bleu pâle. Un homme robuste tient un enfant de six ans sur ses genoux. « Répète après moi : ia lioubliou, caco ia nié lioubliou tchaï. » L’haleine d’ail et d’oignon est chaude, insistante. Derrière un mur mince, une voix de femme : « Pourquoi lui apprendre le russe ? » — « Parce que je n’ai plus rien que mes souvenirs. » Peut-être qu’il ne parlait pas vraiment la langue. Peut-être que ces phrases n’avaient jamais été prononcées ailleurs que dans ce manuel. Peut-être que l’enfant a gardé plus l’odeur que les mots. Peut-être que ce n’était pas une langue qu’il voulait transmettre, mais la persistance d’une voix. L’appartement, aujourd’hui, est repeint d’un blanc sans nuance. Les volets sont en PVC, les jointures neuves. Il n’y a plus de table, plus de livre, plus de voix derrière la cloison. Au café, un reflet dans mon écran : mon visage sans haleine d’ail. Fort de Vincennes, 1982 Un éclat de lumière glisse sur le métal des poignards. Badge, écusson, uniforme. Deux silhouettes se tiennent dans l’air sec. Un nom est prononcé : Kornilov. Peut-être qu’il aurait dû répondre non. Peut-être que ce sang-là ne vient pas des batailles. Peut-être un sang de marche lente, d’exil discret. Peut-être que le rêve de Norvège n’était qu’une sortie de secours. Les murs du fort sont toujours là, pierres froides, épaisses. Aucun lieutenant, aucun plan de fuite. Le périphérique gronde au loin. Dans mon carnet, je dessine des têtes de mort minuscules, serrées comme des insectes.|couper{180}
Carnets | août 2025
outils et surmoi
Pauvreté et peur du ridicule. Ce qui renforce la sensation de pauvreté, c’est cette peur du ridicule. C’est l’intégration du mépris de classe prodigué durant des décennies, des siècles. Une espèce de surmoi. Freud envoie valdinguer Jung exactement à cause de cela. « Tu ne veux pas accepter ma trouvaille », lui dit-il en brandissant la Torah. Jung le considère. C’est-à-dire lui, le chandelier à sept branches, les trente-six chandelles. Et il lui répond : non. Tout simplement non. Sans trop en faire, sans théâtre. Puis il sort de la pièce sombre qui pue le tabac froid. Un dernier regard vers le cendrier de cristal sur lequel est posé un vieux cigare tordu que rallumera Lacan. Bon, là-dessus, Jung passe aux archétypes, aux symboles. Pourquoi pas. C’est-à-dire que c’est bêtement un changement d’outils, comme un changement de point de vue. Rien d’autre. Ce que je veux dire, c’est qu’il faut, avant d’écrire, s’intéresser aux outils d’écriture dont tu disposes, me dit T.C. Il est assez véhément sur le sujet. Presque en colère. Il ne comprend pas qu’on ne s’intéresse pas à l’essentiel. Je crois que c’est ce qu’il veut dire. Je me sens honteux, parce que j’ai l’impression qu’il me parle. Il me parle d’une façon indirecte, ce qui fait son petit effet immanquablement. Je le prends pile dans le foie, le coup. Puis la douleur monte peu à peu au cerveau. L’outil devient une espèce de surmoi. Je vois des pinces Monseigneur me regarder de haut, et des pieds-de-biche trépigner. Je me sens minuscule.|couper{180}
Carnets | août 2025
02 août 2025
La prison était parfaite, on n’en voyait pas les murs. Cependant, le mot prison revenait : quelqu’un ou quelque chose étouffait à l’intérieur de murs invisibles. Ce manque d’air, cette oppression, cet accablement n’étaient-ils pas les meilleurs indices d’un enfermement que l’on découvrait peu à peu ? En apparence, tout semblait en ordre. Les rideaux de fer s’ouvraient à l’aube et se refermaient le soir. La pluie, qui tombait drue, donnait une véritable sensation d’être mouillée. Le soleil, en revanche, dispensait une lumière plus froide. Bien qu’on parvienne à l’étouffement lors des nombreuses canicules qui se succédaient, la chaleur contenait quelque chose d’impitoyablement glacé. Trouve ta prison. Plisse les yeux. Patience. F. dit que j’expérimente. Il parle de technique. On se rejoint sur la technique. Sur les outils. Ensuite, ce que chacun écrit avec ces outils a-t-il de l’importance ? Je veux parler du contenu. F. a sans doute viré l’idée de contenu depuis longtemps. De mon côté, impression d’être sur une paroi rocheuse. Je grimpe à mains nues. Je sais qu’en haut il n’y aura plus vraiment d’intérêt pour le contenu. J’aurai certainement une vision d’ensemble. Je verrai, en un seul regard, tous les outils se déployer comme des chaînes de montagnes, avec leurs vallées intermédiaires, leurs plaines, leurs fleuves. Ce que j'écris contient encore trop de contenu. La prison est probablement l'idée de contenu. Ce qui est contenu ne doit plus l'être. Il faut que je demande à S de me donner une claque dans le dos pour changer mon point d'assemblage avec l'idée de contenu. Hors contenu qui a t-il. N'est-il pas erroné de se poser la question alors qu'on est enfermé dans la prison du contenu. Hors contenu y a t'il des questions. La question existe-t-elle en dehors de tout contenu. J'ai écrit hors lieu. Je sentais qu'il fallait un espace différent. J'avais cette intuition qu'il y avait une possibilité d'extérieur. Cependant encore une fois le divertissement l'aveuglait sur l'essentiel. Je cherchais vaguement un extérieur, ce qui me dispensait de songer à l'intérieur. Est-ce que Sei Shônagon n’aurait pas un rapport avec ce que j’écris ce jour ? Est-ce que Notes de chevet serait le lien ? Est-ce que l’on peut encore croire au hasard — que la proposition 11 = 2, comme dialogue, évoque exactement ce genre de mouvement interne ? Est-ce que le temps existe vraiment, tant qu’on reste dans l’illusion du contenu ? Et si l’on sortait du contenu… sortirait-on du temps ? Tant que je me pose ces questions, je sais que je suis encore en prison. Lectures : Signal/Bruit de P.C, reçu par mail. Écho à un autre email de T.C concernant le cancer. Voir aussi D.C, et M., qui va se faire opérer le 6 d’une tumeur à l’amygdale. Pourquoi est-ce que je relève ces détails, que je les rumine parfois durant des jours. Pourquoi je ne m’intéresse pas à des choses plus “joyeuses” ? Trouvé un livre dans la boîte à livres de Molly Sabata : Hymne de Lydie Salvayre. Lu la première page. L’utilisation de “on dit que” m’a sauté aux yeux — c’est probablement la raison pour laquelle je l’ai emporté. écrire est l'outil même|couper{180}
Carnets | août 2025
seize
Codicille Pourquoi 162 ? Certains diront que c’est un hasard ancien, la longueur d’un rouleau, la patience d’un copiste ou l’inspiration d’une nuit. Mais moi je pense qu’il fallait bien finir quelque part. Et que finir, c’est toujours recommencer. 162, c’est 1 + 6 + 2 = 9. Et après 9 ? On recommence : 0. C’est une boucle. Un retour. Le moment exact où ce qu’on a nommé disparaît de nouveau. C’est pour cela que je n’en propose que 16. Parce que 1 + 6 = 7. Et que 7, c’est le nombre de mondes, de cieux, de nains, de notes, de jours. C’est le juste excès. Le seuil du visible. À quoi bon pousser au-delà si l’infini est déjà là, dans le nombre impair qui rassemble ? Chaque phrase ici est une poignée de sable — mais si on les jette ensemble, elles dessinent peut-être un passage. Un verso. Ou un silence. Verso Le souvenir est éreintant mais pas son parfum Si la jeunesse pense à mourir, c’est qu’elle n’a pas encore trop vécu La vieillesse peut être très triste si on n’a pas de petite joie pour compagnie On dit que Jimmy Hendrix était un garçon timide et on dit aussi que John est resté à contempler sa dent carriée un bon moment On dit que on dit qu’il ou elle Trouver le vivant dans le mort et son contraire Pourquoi s’arrêter à 162 sinon parce qu’après 9 tout repart à 0 Sans un plan qui tombe à l’eau, on ne sait rien de la dureté des sols L’inconscient sait d’avance ce que tu n’as pas encore imaginé Si j’avais le temps j’aimerais bien m’arrêter un peu pour le voir passer Que laisse-t-on derrière soi de précieux, se demande-t-il en plein été sur la route Si l’on sort du spectacle, on ne trouve que des vêtements au sol Pourquoi un extraterrestre voudrait s’intéresser à toi Il faudra être mort pour se déplacer plus vite que la lumière Si je n’existe plus, je ne suis plus seul Tout parle, mais peu écoute Recto Soie. Doux, odorant, s’échappe. Cruauté aussi. Mais une cruauté qui ne fait pas mal à autrui. Une déchirure de l’air. Est-ce cruel pour soi, pour l’air, difficile de le dire. Et d’ailleurs pourquoi faudrait-il le dire. Un bol intact, dans une lumière du matin. Un sourire qui n’a pas besoin de public. Le fait de ne pas répondre immédiatement, et de n’en éprouver aucune culpabilité. Une fenêtre entrouverte sur un champ qui n’appartient à personne, mais qu’on regarde comme s’il nous reconnaissait. Être à l’abri d’un désir qui ne nous concerne pas, entendre quelqu’un parler, et rien vouloir ajouter. Se tenir là, dans le retrait, et pourtant sentir que l’on pèse dans le réel. Un ballon rouge s’envole. Il y a un grand ciel et un point rouge. Il y a des toits en dessous, mais ce ne sont pas les mêmes toits au départ et à l’arrivée. C’est dans un film. C’est drôle parce que c’est paradoxal. Des images en noir et blanc sauf ce rouge. Cette espoir dans un ballon rouge qui flotte dans le ciel, pour rien. C’est un espoir sans but, c’est pour ça qu’il est beau, qu’il me plaît. Luxembourg. Le mot lumière ici c’est bassin. Au milieu du bassin le jet d’eau. L’eau en retombant sur l’eau crée un mouvement. Il est remarquable si l’on prend le temps de l’étudier que les déchets se regroupent par affinité. Ainsi les bâtonnets plats se rangent à côté des bâtonnets plats, les emballages de chupa chups font une ronde, les balles de ping-pong jouent à s’entrechoquer ensemble. Chaque jeu n’inclut que les membres appartenant au jeu et ignore tout des autres jeux.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
paupière tombante
Voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile. Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux. Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire. Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé. La honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. Voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. Honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. Le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. la honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend.|couper{180}