La mort

articles associés

Lectures

Le prix de la clarté

Je crois que ce qui m’obsède dans les films de mafia, surtout chez Scorsese et dans cette zone des années 1950 où tout se recompose, ce n’est pas la violence comme spectacle, c’est la manière dont la parole s’y tient, ou plutôt la manière dont elle n’a presque plus besoin d’exister pour agir. Une promesse n’y est pas une phrase bien tournée, c’est un engagement tacite, compact, appuyé sur un ordre social où chacun sait ce qu’il risque, et où l’ambiguïté n’est pas un charme mais une faute. Ce monde a des règles strictes, et ce qui trouble c’est qu’elles sont simples : tu dois, tu rends ; tu respectes, on te protège ; tu trahis, tu sors du cercle. Tout ce qui ressemble chez nous à une discussion, un “malentendu”, une “explication”, une “nuance”, devient là-bas une faiblesse, un signe de flottement, une manière de gagner du temps, donc une menace. Le plus glaçant, c’est que ça ne passe même pas par la colère : quand ça déraille, on ne t’explique pas que tu as déçu, on ne t’accorde pas l’espace de raconter, on ne te demande pas ton intention ; on te classe, et le classement suffit. Cette radicalité a quelque chose de séduisant, et c’est précisément pour ça que j’ai peur de ce que je vais trouver en moi en regardant ces films : la fatigue de vivre dans un monde où tout est négociable, où la parole s’éparpille en messages, en justifications, en précautions, en sourires, en formulations “soft” qui maintiennent une porte de sortie ; un monde rempli de chausses-trappes, où ce que tu dis peut être retourné, où ton silence est interprété, où ton enthousiasme est suspect, où l’honnêteté est pénalisée parce qu’elle ne sait pas se vendre, où la loyauté devient un outil de carrière. Et je sais que cette tentation de la netteté ne vient pas seulement du cinéma. Je connais cette logique depuis plus longtemps que ces films. Avant les arrière-salles, il y a eu la maison. Avant le code, il y a eu une humeur. J’ai grandi avec l’idée qu’une parole pouvait être sanctionnée sans explication, pour un oui, pour un non. J’ai vu l’injustice à l’œuvre, et j’ai appris aussi quelque chose de tordu mais très clair : qu’on peut parler exprès, dire trop, dire n’importe quoi, pour attirer les coups, pour détourner sur soi l’orage qui tombe sur une autre, pour prendre sur soi les humeurs d’un père. Il m’en reste un dégoût profond, et une nostalgie qui fatigue — non pas nostalgie de la violence, mais d’une forme de monde où les actes avaient un poids immédiat, où le flou ne durait pas, où l’on savait à quoi s’en tenir, même quand c’était injuste. Alors oui, j’ai développé un radar. Je repère vite les promesses en l’air, les phrases qui servent à se couvrir, les loyautés de façade. Mais ce radar s’est construit dans la peur, et parfois il continue de tourner même quand il n’y a plus de danger, comme si l’époque entière parlait avec la même voix molle que celle qui, jadis, précédait la claque. Et quand j’étends cette sensation au monde artistique, je vois une version civile, feutrée, parfaitement tolérable socialement, du même mécanisme de contrôle : tant que tu loues, tant que tu signes des préfaces, tant que tu applaudis aux bons endroits, tant que tu fais circuler les bons noms et que tu “reconnais” les gens qui doivent être reconnus, tu es dans le groupe, tu as ta place, tu es invité, tu existes. Ce n’est pas forcément un complot, c’est pire : c’est une habitude collective, une monnaie d’échange devenue automatique. Et le jour où tu commences à observer le manège, pas même à l’attaquer, juste à le regarder en face, à vouloir t’en extraire, à ne plus jouer la comédie des adhésions obligatoires, quelque chose se retourne. On ne te tombe pas dessus frontalement, justement : ce serait trop clair, trop risqué, trop “caractériel”. On fait mieux, on fait plus efficace : on salit ta réputation à bas bruit, on laisse traîner des sous-entendus, on te colle une intention, on te prête des arrière-pensées, on raconte que tu es difficile, amer, instable, “pas fiable”, et comme rien n’est dit de façon attaquable, tu ne peux pas répondre ; si tu réponds, tu confirmes ; si tu ne réponds pas, tu laisses faire. Là, la parole silencieuse trouve son équivalent propre : pas de balle, pas de sang, mais une condamnation par suggestion. Et ce poison-là ne s’arrête pas aux arts. Les arts ont simplement l’impudeur d’afficher des valeurs de liberté, de vérité, de singularité, ce qui rend l’écart plus visible quand ils fonctionnent comme n’importe quel groupe humain : par appartenance, par rang, par réseaux, par services rendus, par dettes symboliques. Dans une organisation, une entreprise, une famille, un cercle amical même, il y a toujours une économie de l’accès : qui ouvre, qui ferme, qui recommande, qui décommande ; et donc il y a toujours un moyen de punir sans avoir l’air de punir. Je crois que la grande différence entre le monde “dur” des mafieux de cinéma et le monde “mou” où nous évoluons, ce n’est pas l’existence d’un code, c’est le degré d’aveu. Chez eux, le code est assumé et brutal : il protège le groupe et il se paie immédiatement. Chez nous, le code est dénié : tout le monde prétend agir par principes, par esthétique, par sens moral, par “valeurs”, alors que l’essentiel se joue souvent dans des gestes très simples, très bas : plaire, se couvrir, appartenir, ne pas perdre sa place. On appelle ça diplomatie, sociabilité, intelligence, et parfois ça l’est, bien sûr ; mais le même geste, répété, devient une capitulation sans même s’en rendre compte. Et c’est là que la mollesse devient dangereuse : non pas la gentillesse, non pas la prudence, mais cette facilité à préférer l’insinuation à la clarté, à préférer la rumeur à la critique, à préférer la petite lâcheté répétée à une parole qui tiendrait debout. Parce qu’une parole qui tient debout coûte quelque chose : elle te met en porte-à-faux, elle te prive de certains avantages, elle te rend moins manipulable, et elle rend les autres nerveux, non pas parce qu’ils sont “mauvais”, mais parce que tu introduis de l’imprévisible. Dans beaucoup de groupes, l’imprévisible est perçu comme une agression. Alors on le corrige, et on le corrige par le seul outil qui ne demande ni courage ni preuve : le soupçon. Je crois que c’est ça, au fond, mon sujet : la nostalgie d’un monde où la parole ferait foi, et la découverte que ce désir de netteté peut glisser vers quelque chose de très dangereux. Car la parole qui ne ment pas parce qu’elle est adossée à une sanction, ce n’est pas la vérité, c’est l’obéissance. Et la parole qui ment parce qu’elle veut rester acceptable, ce n’est pas seulement la manipulation, c’est parfois la peur de perdre sa place, la peur de déplaire, la peur d’être seul. Entre les deux, il doit exister une troisième posture, plus difficile, moins spectaculaire : refuser la lèche, refuser le sous-entendu, refuser aussi la tentation de trancher pour se sentir fort. Tenir une parole simple sans la convertir en arme. Dire oui quand c’est oui, non quand c’est non, et accepter le coût social de ce minimum-là. Accepter aussi que le monde restera compliqué, rempli de pièges, et que la solution n’est pas de fantasmer un code de voyous “plus vrai” que nous, mais de retrouver, à notre échelle, une forme de droiture qui ne passe ni par la menace ni par la comédie. Et je sais aussi ceci : si moi j’arrive à percevoir la dangerosité de cette nostalgie, d’autres ne la verront pas. Ils ne verront pas le piège parce qu’il ne se présente pas comme un piège. Il se présente comme un soulagement. On vient leur vendre, avec des phrases bien tournées, l’idée qu’un monde simple est à portée de main, qu’il suffirait de “remettre de l’ordre”, de “rétablir l’autorité”, de “dire les choses”, et que tout redeviendrait clair. C’est une promesse très efficace, parce qu’elle ressemble à une hygiène : moins de nuances, moins de débats, moins de lenteur, moins d’explications. Mais ce que ces promesses cachent souvent, c’est le prix exact de cette clarté : on ne simplifie pas seulement les problèmes, on simplifie les êtres humains ; on remplace la vérité par la discipline, la justice par la punition, la parole par le slogan. Le danger, ce n’est pas de vouloir une parole qui tienne. Le danger, c’est de croire que la parole tiendra mieux si on lui retire la complexité, si on la débarrasse du doute, si on lui donne un ennemi et une solution immédiate. Et c’est là que ma fascination devient un signal d’alarme : non pas parce que je serais déjà du côté de la dureté, mais parce que je reconnais en moi la fatigue qui rend la dureté séduisante. Je n’écris pas contre la complexité : j’écris contre ceux qui s’en servent pour mentir, et contre ceux qui promettent de l’abolir pour dominer. Je ne sais pas si j’en suis capable tous les jours, mais je sais au moins ceci : si je continue à regarder ces films, ce n’est pas pour apprendre à tuer, c’est pour comprendre ce qui en moi approuve quand une phrase tombe sans trembler, et décider, lucidement, ce que je veux en faire. Illustration Les mains de Frank Costello . L’entrée de la mafia dans l’ère de la visibilité. Costello refuse d’être filmé pleinement, et les caméras se concentrent sur ses mains — c’est littéralement l’implicite rendu visible.|couper{180}

La mort réflexions sur l’art violence

Carnets | décembre 2025

4 décembre 2025

Rêve étrange dans lequel je suis avec G., ancien comptable et élève, sur la terrasse d'une maison de toute évidence située dans le sud de la France. Il y a une histoire de clefs. Je vois deux clefs sur le sol mais aucune d'elles ne correspond à la clef de chez moi. Et donc G. m'accompagne devant chez moi (qui se trouve dans le 18ᵉ à Simplon), je lui rends ses clefs à lui, et je jette toutes les clefs que j'ai dans les poches sur le sol pour trouver la mienne, mais je ne la trouve pas. Je ne peux plus entrer chez moi, nous retournons chez G. et montons sur la terrasse, il écarte des feuilles de ce que j'ai d'abord pris pour une glycine et là j'aperçois du raisin noir, des grains énormes et juteux. Mais je ne me souviens pas d'en avoir mangé. La surprise vient non pas d'une salivation soudaine mais de m'être trompé de mot, glycine contre vigne. Puis je me réveille, 4 h 35 du matin, je me souviens que G. est mort depuis trois ans. Je pensais en avoir fini avec le chamanisme et donc probablement avec la peinture, sans faire le lien aussi nettement que maintenant que je l'écris. Probablement en raison d'un doute persistant qui se sera effacé à force de ne plus y songer. La naissance de ce doute je peux la situer à peu près au même moment où j'ai arrêté de publier des vidéos sur YouTube, il y a trois ans. Je me rends compte que je termine les deux paragraphes au-dessus avec ce constat d'une double mort, une réelle et une autre symbolique, bien sûr. Mais peut-être que l'intérêt ne porte pas sur la mort mais sur trois ans. Le Covid, ajouté aux difficultés administratives, à l'impossibilité de prendre ma retraite, à une prise de conscience soudaine probablement de la vieillesse, d'une vulnérabilité que je n'avais que peu envisagée, à la certitude que je n'avais jamais été au bout du compte qu'un imposteur dans de multiples domaines. Une imposture qui commence et probablement s'achèvera avec moi-même plus qu'avec les autres. Car les autres ne sont jamais dupes. Donc s'il faut dater le tout début de ce qui ressemble à un effondrement, 2022 paraît correct. Non seulement je prends conscience de celui-ci mais je continue de faire comme avant, de ne pas trop m'arrêter sur le sujet. Encore que, pour être tout à fait honnête avec l'homme que j'étais encore en 2022, l'idée d'imposture soit un grand mot. Il vaudrait mieux écrire que ces étiquettes étaient usées tout simplement, que je les trouvais soudain démodées face à la totale incompréhension du monde et donc de moi-même au cœur de l'épisode surnaturel que nous traversions. Il y a deux façons de changer son fusil d'épaule comme il y a deux façons de faire bien des choses. De bonne ou de mauvaise grâce, ce qui pourrait se traduire par d'accord ou pas d'accord avec le changement. J'ai toujours été d'accord avec tout changement, ou je croyais l'être, ma propre survie en dépendant (et c'est de là que naît ce sentiment d'imposture) avec l'idée d'être d'une souplesse à toute épreuve qui n'avait été conservée que pour me dissimuler les premiers ravages de la vieillesse : douleurs articulaires et ruminations. Peut-être que 2022 marque simplement le constat de n'être plus aussi « jeune » que je voulais encore le croire, mais vainement. C'est comme se réveiller d'un rêve, ouvrir les yeux dans la pénombre, ignorer un instant jusqu'à l'existence du corps, puis s'en souvenir vaguement — est-on certain d'avoir un corps ? on se tâte pour s'en assurer et les premières douleurs se réveillent, et avec elles la réalité devient tangible. Parallèlement à ce constat, comment faire ? Les engagements pris pour les expositions, la régularité de métronome des ateliers dans divers lieux géographiques, les contrats... il fallait continuer à payer les factures, impossible de se ressaisir totalement. À la prise de conscience d'être prisonnier d'un mauvais rêve dont on peut s'éjecter en se réveillant, ce furent trois années au cours desquelles je devins un cétacé, ne remontant à la surface pour respirer qu'en écrivant sur un blog commencé mollement en 2018. De ce réveil depuis l'apnée en rebondissements multiples, de cette réalité de plus en plus douloureuse, comment faire face. Il est plus plausible que la lâcheté habituelle (autrement dit mon exigence démesurée) m'ait conduit à chercher une issue de secours. J'ai retrouvé l'un de mes premiers textes lorsqu'en 2022 je m'étais inscrit à l'atelier d'écriture de Tierslivre. -la ville, la rue, encore elle… et cette sensation — pas un souvenir, — un frisson … quelque chose glisse, s’échappe… mais c’est là, .. ça devrait… ça pourrait… non, pas le marchand, il n’est plus là — la fille peut-être, ou son ombre… « Sophie », vraiment ?… non, Magali… pourquoi ça revient comme ça, brutalement, sans filtre… le reflet… c’était qui ? une version … quelqu’un regarde… de l’autre côté… le sandwich… les cornets… ce serait simple, si… non… pas maintenant… pas cette fois… quatre euros cinquante, c’est cher pour un retour en enfance… revenir, ou pas… D'ailleurs ce texte n'est pas l'original, il a été réécrit en février 2025 mais le fond reste le même. Ce texte n'est qu'un tout petit morceau d'un immense iceberg. En ce mois de juin 2022, date de mon inscription, je constate une profusion suspecte de textes écrits lors d'une seule journée (le 13/06). C'était là vraiment se ruer vers une issue de secours. Une représentation de la panique. Le travail de réécriture commence donc en février 2025, avec peut-être le moteur identifié de vouloir sortir de ce que je considère être un égarement plutôt qu'une imposture véritable. Hier, atelier sur le visage, M. C. me rappelle que j'ai dû conserver la clef du local de C. En effet, depuis tout ce temps, elle est restée accrochée à mon trousseau. La lui rendre est comme une délivrance.|couper{180}

Ateliers d’écriture La mort rêves

histoire de l’imaginaire

Afrique — ancêtres et relances du lien

On ne convoque pas les morts pour le spectacle. On les fait revenir parce que le lien a besoin d’être retendu, parce que la communauté a des dettes et des promesses. Ici un masque tourne, le tissu fait vent et bénédiction. Là-bas, on r Ouv re la tombe, on retourne les os, on ré-enveloppe de neuf, on parle haut pour que tout le monde entende. Ce sont des techniques : ramener l’ancêtre dans le circuit, redistribuer le bien et la parole, remettre l’axe. Afrique ? Plutôt des Afriques. On prend deux cas — Egungun (Yoruba), famadihana (Madagascar) — et l’idée commune : que fait un ancêtre parmi les vivants ? Masques qui font revenir (Yoruba, Egungun) Place ouverte, chaleur. On entend d’abord le tissu avant de voir qui vient : couches de pagnes, bandes, raphia, un sommet parfois sculpté. Le masque ne représente pas l’ancêtre, il l’incorpore : il parle dans une voix filtrée, il bénit, il admoneste, il tourne jusqu’à faire vent — on dit que ce vent-là purifie. Les ensembles sont collectifs : lignages, quartiers, confréries. On n’achète pas un ancêtre, on le fabrique avec des mains nombreuses, des mémoires partagées, des étoffes héritées. La valeur n’est pas dans l’objet seul, elle est dans la circulation : textile qui passe, nom qui reste, pouvoir (àṣẹ) remis en mouvement. Le masque protège et règle. On ne regarde pas l’homme dessous, on regarde la fonction : un psychopompe inversé, qui part des ancêtres pour venir aux vivants. Il répare : disputes apaisées, bénédictions distribuées, rappel des obligations. La danse a des codes : pas de contact direct, distance tenue, salut aux aînés, appel aux enfants. L’ancêtre fait ordre par la forme — et, quand il s’éloigne, on sait ce qui a été dit, même sans phrase longue : “tels ont donné, tels doivent, tels protègent”. Retourner les morts (Madagascar, famadihana) On n’enterre pas pour oublier ; on place pour pouvoir revenir. Tombe de famille, village de pierre dans la terre des vivants. Un jour décidé, on ouvre. On sort les restes enveloppés, on ré-enveloppe dans un lamba neuf, on danse avec les ancêtres, et l’on redispose tous ensemble, à la bonne place, après la parole — kabary, discours où l’on rappelle qui est qui, qui doit quoi, qui s’est marié, qui a construit, qui a manqué. Ce n’est pas “macabre”, c’est généalogique et politique : la tombe parle le langage du lien et de la terre. On ne met pas l’ancêtre dehors ; on le remet au centre en rappelant que notre présent tient sur son nom. Les anthropologues l’ont montré depuis longtemps : ici la mort régénère le social. On redistribue nourriture, argent, travail ; on réactive les alliances ; on réécrit des positions dans la famille. Les gestes sur les corps sont aussi des gestes sur les statuts. Le deuil n’est pas la fin de la relation : c’est la trame qui revient et qui se retend. Funérailles : la redistribution comme réparation Partout — pas seulement ici — les funérailles sont coûteuses parce qu’elles sont productives : elles fabriquent des alliances, des dettes réglées, des retours promis. On donne, on reçoit, on nomme les dons, on les inscrit à haute voix. La chair et les mets circulent ; les enveloppes aussi ; les bêtes abattues disent quelque chose du rang, de la saison, de l’effort. On peut juger cela trop lourd ; on voit surtout une économie du lien : transformer la perte en retour de circulation, que la vie reparte, que les vivants redeviennent capables. Les classiques de l’anthropologie l’ont formulé net : mort et régénération vont ensemble, pas par poésie, par fonction. Pluralité et prudence (comment regarder) “Africain” ne veut rien dire si on gomme les langues, les régions, les politiques locales. On ne plaque pas une image sur un continent. On situe : Yoruba ici ; Merina là ; ailleurs d’autres logiques, d’autres délais, d’autres matériaux. On précise : pas “fétiche”, pas “culte des morts” au singulier ; des ancêtres qui tiennent la maison, la terre, la cité — des présences qui demandent des gestes. On corrige l’œil : ce que l’on croit “exotique” est une procédure sociale. Et nos images ? On montre ce qui explique, pas ce qui vole. On crédite, on demande quand on peut, on évite les visages sans consentement, on respecte les restes humains. Ce n’est pas accessoire, c’est le cadre. Vent de tissu. La place s’ouvre d’elle-même. Le masque sort, il tourne, on sent l’air qui vient sur la peau. Les enfants reculent d’un pas, puis reviennent. Un aîné salue, un autre répond. On dépose une offrande. Le message passe par le rythme, par l’espace que le tissu découpe dans l’air. L’ancêtre est là le temps qu’il faut pour que le monde se règle. Tombe ouverte. Le lamba neuf craque un peu sous les doigts. On déroule, on re-plie, on parle, on rit aussi, parce que les noms sont pleins d’histoires et qu’on vient de loin. Un oncle ajuste la place d’une enveloppe, une tante vérifie la liste. La tombe s’élargit d’un coup : elle contient les morts et les vivants, et l’ordre revient à force de gestes lents. Partages. Aux abords, on découpe, on sert, on compte. Les dons annoncés à haute voix ne sont pas de la vanité : ce sont des garanties. On sait qui a pris charge de quoi, qui a promis, qui devra rendre au prochain tour. Ce registre n’est pas un livre, c’est une mémoire commune ; la mort, ici, répare par la circulation.Trois vignettes (faire sentir la fonction) Ce que fait l’ancêtre parmi les vivants Il valide. Il bénit. Il rappelle que la maison n’est pas seulement quatre murs, mais une chaîne. Il relance : après l’arrêt du souffle, il faut que la vie reprenne un axe ; l’ancêtre sert de pivot. Par lui, on relit la généalogie ; par lui, on rend la terre à sa juste carte ; par lui, on redistribue ; par lui, on reprend. L’ancêtre n’est pas un fantôme, c’est un office périodique — avec des formes différentes, mais la même mécanique : faire tenir. Outil (lexique bref) Egungun — mascarade yoruba d’ancêtres : costume de tissus, apparition réglée, bénédiction/avertissement. Lamba — grande étoffe malgache, linceul neuf pour re-linceuler les ancêtres. Famadihana — “retournement des morts” : exhumation, re-linceul, danse, redépôt dans la tombe familiale. Kabary — discours public malgache, parole qui classe les noms, les dons, les obligations. Aṣẹ — puissance efficace (chez les Yoruba), force qui fait advenir. Merina — grand groupe des Hautes Terres de Madagascar (entre autres gardiens des tombes familiales). Redistribution — dons/repas/charges qui, lors des funérailles, refont la trame sociale. Timeline (marques simples) Yorubaland (périodes variées) : mascarades Egungun attestées et renouvelées, familles et villes comme scènes. — Madagascar (Hautes Terres) : famadihana moderne en continuité avec d’anciens dispositifs de secundo-funérailles ; formes ajustées aux contextes (urbanisation, migrations). — Anthropologie (XXe) : Mort & régénération (travaux de synthèse), lecture des funérailles comme redistribution. À voir / à lire Egungun (Yoruba) : Encyclopaedia Britannica, entrée “Egungun” (mascarades d’ancêtres, fonctions et costumes). Encyclopedia Britannica Drewal, Henry John — ressources universitaires sur les arts yoruba de la mascarade (valeur des textiles, fonction communautaire). RISD Museum Famadihana (Madagascar) : Encyclopaedia Britannica, entrée “Famadihana” ; notice “Merina” pour le cadre social des Hautes Terres. Encyclopedia Britannica Anthropologie comparée : Death and the Regeneration of Life (Bloch & Parry, Cambridge UP) ; Celebrations of Death (Metcalf & Huntington). Cambridge University Press & Assessment Cadre éthique (images/collections) : ICOM Code of Ethics (sections sur restes humains et matériaux sensibles). International Council of Museums|couper{180}

documentation imaginaire La mort

histoire de l’imaginaire

Asies — samsara, bardo, Obon

On ne meurt pas d’un coup, on passe. En Inde, on parle de samsara : on revient, on repart, la roue tourne tant que les actes n’ont pas rendu la route libre. Au Tibet, on lit à voix haute pour guider dans l’entre-deux : le bardo, des portes à nommer, une lumière à reconnaître. Au Japon, on allume les lanternes au portail, on danse au soir d’Obon, on fait place aux anciens qui rentrent pour quelques nuits. Trois cartes, trois lexiques, une même mécanique : faire tenir la traversée avec des mots, des gestes, des images qui opèrent. *Thangka : scènes du bardo* Inde — samsara : ce qui revient On dit samsara, la marche en rond. Pas un mythe ; un diagnostic : les actes portent, reviennent, recomposent le décor. Les écoles ne s’accordent pas sur le “qui” ou le “quoi” qui transmigre (ātman ou non-soi), mais karma et renaissance font système : ce qu’on fait agence le futur, ici et plus loin. Économie serrée : désirs → actes → effets ; moksha, la sortie, quand la prise se desserre. Les philosophes en Inde, et les bouddhistes aussi, ont discuté jusqu’au nerf la compatibilité d’un retour sans “moi” fixe : renaître sans transmigrer, c’est possible si l’on pense la continuité autrement. Alors, que font les vivants ? Ils équilibrent la matière pour que la route se garde. Le dernier rite, antyeṣṭi — le “dernier sacrifice” — est un saṃskāra, une opération de forme sur la vie. On lave, on oint, on crématise le corps (sauf exceptions locales : enfants, renonçants), on confie les cendres à l’eau ; on ne retarde pas sans raison. Dans certains milieux, on veille à la parole juste, on nourrit l’autel, on suit des jours de deuil et de dons. Ce n’est pas contourner la mort, c’est ajuster : aligner le temps du corps et le temps social pour que la personne “continue” selon sa loi. Plus loin, au bord d’un ghat, on comprend l’outil : le feu pour détacher, l’eau pour porter. La cérémonie est une interface : elle donne des prises au nom, aux offrandes, à la mémoire. On en sort sans grand discours, mais avec des actes : disperser, nommer, revenir. Le rite, ici, n’illustre pas l’au-delà : il prépare la suite (même si cette suite n’est pas une ligne droite mais une boucle) Tibet — lire pour traverser On a traduit ça “Livre des morts”, mais le titre tibétain dit autrement : texte à lire pour sortir au jour. Le Bardo Thödol n’est pas un récit ; c’est un manuel. On le lit au chevet, on le lit quand le souffle décroche, on le lit après : trois bardos à franchir, des lumières très vives, des formes paisibles puis terribles, des noms à se rappeler, des confusions à déjouer. Toute l’idée est là : la parole qui fait. Lire, c’est agir sur la traversée On croit parfois à un “livre ancien tombé du ciel”. L’histoire est plus fine : textes composites, révélations, commentaires, lignées qui transmettent, éditions modernes qui ont pesé lourd dans la vision occidentale. Ce qui ne change pas : la fonction rituelle — donner un mode d’emploi pour que l’esprit ne prenne pas peur de ses propres images, pour qu’il reconnaisse la lumière et laisse tomber les attraits trompeurs. Au centre : nommer bien, reconnaître vite. Dans une thangka du bardo, tout est index : telle déité paisible, tel gardien courroucé, tel lac de feu, telle porte. Ce ne sont pas des tableaux pour musée mais des cartes : poser l’œil au bon endroit c’est déjà passer. Comme dans l’Égypte d’hier, l’image ne “représente” pas, elle instruit. **illustration Mur à thangka du monastère de Gyantsé photographié en 1939 par l’expédition allemande au Tibet lors du festival du temple ; un thangka central et un thangka latéral y sont déployés et image dans le texte : Tangka divinité du Bardo. Japon — Obon : revenir quelques nuits Mi-juillet ici, mi-août ailleurs, selon le calendrier : trois jours où l’on pense que les ancêtres rentrent à la maison. On nettoie la tombe, on apporte des fruits, on allume des lanternes pour guider la venue (mukaebi), on les rallume pour le départ (okuribi), on danse le soir — Bon odori — comme on bercerait un seuil. Les régions ont leurs manières, mais la trame reste : accueil, séjour, reconduite. La forme peut être très simple : un autel domestique, un bâton d’encens, une soupe posée. C’est de l’ordinaire qui opère. *Obon : lanternes flottantes au soir, acte de reconduite* On pourrait dire “festival”. Le mot masque un peu. C’est une fête, oui, mais rituelle : on honore des présences, on rappelleles noms, on raccompagne. Les lanternes flottantes sur une rivière ne sont pas une belle image : elles font la route inverse à celle des lanternes du seuil. Et quand on danse, c’est moins pour montrer que pour tenir ensemble : corps, mémoire, place dans la chaîne. Trois manières, une même mécanique Inde : penser en cycle, attacher/détacher par la matière (feu, eau), inscrire le nom dans un ordre qui dépasse la seule famille. Tibet : une technique de parole pour éviter les pièges du mental en chute libre. Japon : une gestion annuelle de la présence des anciens ; on rejoue l’hospitalité, on repartage la maison. Trois façons de fabriquer** du passage au lieu de le subir. Ce qui frappe, c’est l’efficacité tranquille de formes sobres : une bandelette de texte, une bougie, une danse circulaire — peu de moyens, grande prise. L’important n’est pas ce qu’on croit, c’est ce qu’on fait : et ces traditions font faire aux vivants des gestes précis qui soulagent Ce que ces cartes nous apprennent (aujourd’hui) Nommer calme. L’angoisse s’engouffre dans le flou ; un lexique (samsara/karma ; bardo ; Obon) fabrique de la prise. La philosophie indienne comme le bouddhisme tibétain ont montré qu’on peut parler précis de renaissance, même sans “âme” fixe : continuité sans support permanent Parole opérante. Lire au chevet n’est pas consoler, c’est agir : reconnaître, se détacher, passer — ce que dit très simplement le passage sur le Bardo Thödol : un texte récité pour guider. Matière juste. Feu/eau en Inde ; images-manuel au Tibet ; lanternes au Japon : même logique d’interfaces entre mondes. Calendrier et retour. L’annuel (Obon) tient la mémoire sans l’étouffer : un rendez-vous clair, pas un deuil sans fin. Scènes (trois vignettes) Ghat, rive claire. Le bois craque, l’homme aux gestes sûrs alimente le feu. Une brassée de fleurs et de riz sur l’eau brune. On s’en va sans se retourner : la rivière fera la route que l’on ne sait pas faire soi-même. (Antyeṣṭi : rite terminal, crémation comme procédure de détachement.) Pièce close, voix basse. On lit lentement : “N’aie pas peur de cette lumière.” Le visage repose, la fenêtre est entrouverte ; on laisse venir et partir. Tout est dans la mesure : assez de mots pour tenir, pas assez pour occuper la place de celui qui part. (Bardo : lecture guidée, reconnaissance plutôt que saisie.) Quartier d’été, chape de chaleur. Les enfants accrochent des lampions au linteau, la grand-mère rectifie l’angle du cadre sur l’autel. On marche jusqu’aux tombes, on passe le chiffon sur la pierre, on allume, on se tait. Le soir, cercle bon odori : pas chorégraphie, rythme. (Obon : accueil, séjour, reconduite.) Variantes & contrepoints (en bref) Ces mondes ne sont pas monolithes. En Inde, des lignes vishnouites, shivaïtes, shakta nuancent ce qui “passe” et ce qui “se libère”. Dans le bouddhisme, l’idée de renaissance sans âme a été disputée, reformulée, parfois rejetée dans des modernités laïcisées ; mais le dispositif éthique de karma/reprise tient son axe : nos actes organisent nos devenirs. Au Japon, Obon s’est popularisé en événement familial et communal — il garde une racine bouddhique claire, mais s’hybride avec d’autres traditions locales : la force d’une forme tient à sa capacité à s’ajuster. Outils (lexique utile) Samsara — cycle des naissances et renaissances ; Karma — dynamique d’actes/effets ; Moksha — libération ; Antyeṣṭi — rites funéraires hindous (dernier saṃskāra) ; Bardo — intervalle entre mort et renaissance ; Bardo Thödol — manuel récité pour guider ; Obon — période où l’on accueille/renvoie les ancêtres ; Bon odori — danse rituelle ; Lanternes — mukaebi/okuribi (feux d’accueil/d’adieu). À voir / à lire Stanford Encyclopedia of Philosophy — entrées “Personhood in Classical Indian Philosophy” (karma, - renaissance), “Buddha / Afterlife” (rebirth sans transmigration). Encyclopédie Stanford de la philosophie Oxford University Press — Bryan J. Cuevas, The Hidden History of the Tibetan Book of the Dead (contexte, transmission). Rubin Museum — expositions Bardo (iconographie comme carte opératoire). Rubin Museum of Himalayan Art Oxford Reference — “Antyeṣṭi” (rite final, logique des saṃskāra). Britannica — “Bon/Obon”, “Bardo Thödol”, “Karma, samsara, moksha” (repères clairs). Encyclopedia Britannica JNTO & japan-guide — fiches pratiques Obon (lanternes, danses, retours familiaux). JAPAN Educational Travel illustration Logo :Mur à thangka du monastère de Gyantsé photographié en 1939 par l’expédition allemande au Tibet lors du festival du temple ; un thangka central et un thangka latéral y sont déployés|couper{180}

documentation imaginaire La mort

histoire de l’imaginaire

Grèce & Rome — psychopompes et carte des enfers

On ne meurt pas seul : quelqu’un conduit. Hermès passe la porte, bâton, sandales, il accompagne. Plus bas, Charon tient la barque, attend la pièce. Ce n’est pas du folklore, c’est la mécanique du seuil. Les vivants préparent la route : laver, veiller, porter, déposer, parler bref. En bas, des rivières ont des noms, des juges écoutent, un chien garde. Parfois on évite l’oubli en buvant à Mnémosyne, pas à Léthé. L’iconographie ne montre pas : elle indique le chemin. Ce troisième volet déroule la marche : qui guide, ce que font les vivants, comment est dessiné l’en-dessous, et pourquoi on paye Charon pour que le monde tienne. Qui conduit Hermès Psychopompe. Il ne juge pas, il accompagne. Main au coude, un geste minuscule qui suffit pour faire passer la marche d’un côté à l’autre. Bâton de héraut, l’outil pour écarter, ouvrir. En bas, Charon Mauvais caractère sur la céramique, mais fonction claire : il prend, il refuse, il passe. La pièce n’est pas un péage au sens moderne, c’est un marqueur : les vivants ont fait leur part, le mort a un statut, la traversée peut s’opérer. Ce que font les vivants D’abord la prothésis : on expose le corps, on lave, on habille, on veille. Pleureuses, chants, mains sur le front. Puis l’ekphora : cortège, bière portée vers le bûcher ou la tombe. Crémation ou inhumation, selon temps et cités, mais toujours le même rail : porter, déposer, dire. On met des offrandes simples : fiole, figues, couronne. Parfois une pièce dans la bouche ou sur les yeux — pas partout, pas toujours, mais assez pour que l’archéologue la retrouve et qu’on comprenne le message : “il est équipé”. Après, on revient. Libations sur la stèle, repas près du tombeau, le nom prononcé. À Rome : Parentalia en février, on visite les ancêtres ; Lemuria en mai, on renvoie les lemures indociles (haricots lancés dans le noir, formules à voix basse). Les Manes ne sont pas des fantômes qui font peur : ce sont les nôtres, avec qui on garde un pacte. On apporte un peu de vin, un peu d’huile, on règle l’affaire du lien. Carte de l’en-dessous Un monde qui tient par ses noms. Rivières : Achéron (affliction), Cocyte (lamentation), Phlégéthon (feu), Styx (haine sacrée), Léthé (oubli). Cerbère garde, trois têtes pour une seule fonction : contrôler le passage. Trois juges : Minos, Rhadamanthe, Éaque. On ne fait pas un roman : on range. Champs des Asphodèles pour la majorité, Élysion pour certains, Tartare pour ceux qu’on préfère loin. La carte importe parce qu’elle cadre les gestes : boire ou ne pas boire, répondre au nom, suivre le guide, accepter la mesure. Lamelles orphiques (or mince, instructions nettes) Petites lamelles d’or, roulées dans la bouche ou sur la poitrine. Quelques lignes gravées : le mort parle au gardien — “Je suis enfant de la Terre et du Ciel étoilé ; la soif me brûle ; ne me donne pas l’eau de Léthé, conduis-moi à la source de Mnémosyne.” La phrase n’explique pas : elle ouvre. On a placé le texte pour qu’il travaille à l’instant voulu. Le défunt annonce son lignage, sa qualité, il sait les mots de passe. On n’improvise pas : on apprend le chemin. (Vignette : lamelle orphique — texte “fille/fils de Terre et Ciel étoilé…”. lamelle d’or gravée, mode d’emploi funéraire.) Éleusis (promesse en deux gestes) On ne décrit pas tout, c’est la règle. Déméter cherche Korè, la fille perdue, la retrouve. Le mythe devient rite : on initie, on présente le geste et le mot (deux choses, pas plus). Les initiés repartent avec une promesse : mieux mourir. Pas une garantie, une capacité : tenir la traversée. En surface, une fête. En dessous, le rail : séparation, marge, réintégration. Comme toujours. Pourquoi payer Charon Pour fixer le statut. Sans la pièce, il reste quelque chose d’indécis. La communauté a fait sa part : veillée, cortège, dépôt, parole. Le signe monétaire vient sceller le “c’est bon” : tu peux embarquer. Même logique que la pelle de terre, la libation, la couronne : des actes sur le seuil. Charon n’est pas un commerçant, c’est un fonctionnaire du passage. Il prend la preuve et passe. Rome : tenir avec les ancêtres Manes (les bienveillants), Lares (les protecteurs du lieu), Lemures (les turbulents). On nourrit les premiers, on honore les seconds, on écarte les derniers. Refrigerium au tombeau : un repas pour que tout monde se souvienne. Columbaria pour les urnes, niches comme un damier, noms gravés : la ville des morts continue la ville des vivants. Mercure prend le relais d’Hermès pour la psychopompie, même fonction, autre langue. Le foyer domestique est un sanctuaire à bas bruit : les images des aïeux, le nom qu’on prononce, la chaîne qui ne casse pas. Ce que ces cartes font (aujourd’hui) On peut sourire de Cerbère et de la barque. Mauvais réflexe. Ce sont des outils : faire tenir la peur par la forme. Donner un itinéraire quand on ne sait pas où l’on met les pieds. Un lexique court pour que même celui qui chancelle ait des mots dans la bouche : “Je suis de la Terre et du Ciel”, “ne me donne pas Léthé”. Nos villes n’ont plus de Charon, mais nous gardons les gestes : pièce sur une pierre, eau versée, repas au cimetière, dates qui reviennent. On invente d’autres lamelles : cartes postales, messages laissés, noms tatoués. Même logique : ne pas laisser l’oubli décider seul. Lexique (pour passer) Psychopompe : celui qui conduit (Hermès/Mercure). — Katabasis : descente aux enfers (Orphée, Énée). — Nékya : appel des morts (Odyssée XI). — Léthé / Mnémosyne : oubli / mémoire, deux eaux. — Manes / Lares / Lemures : ancêtres, protecteurs, agités (Rome). — Prothésis / Ekphora : exposition / cortège. — Refrigerium : repas auprès des morts. — Élysion / Asphodèles / Tartare : zones de séjour. Timeline (bornes simples) Archaïque : Odyssée XI, appel aux morts. — Classique : lois funéraires athéniennes, mystères d’Éleusis. — IVe–IIe s. av. J.-C. : lamelles orphiques (Sud Italie, Grèce). — Rome : Parentalia, Lemuria, columbaria. — Tardif : translation vers les mémoires chrétiennes, mais la forme du seuil demeure. À voir / à lire Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs (chap. Hadès). — Robert Garland, The Greek Way of Death. — Walter Burkert, La religion grecque. — Sarah Iles Johnston, Restless Dead. — Mary Beard / John North / Simon Price, Religions of Rome. — Fritz Graf & Sarah Iles Johnston, Ritual Texts for the Afterlife (lamelles). Références : Homère, Odyssée XI (nécyie) ; Virgile, Énéide VI ; Platon, République X (mythe d’Er), Phédon ; Ovide, Fastes (Parentalia, Lemuria).|couper{180}

documentation imaginaire La mort
Alceste, Hercule et Cerbère - Catacombe d'Alceste, Rome, Via Latina. IVème siècle

histoire de l’imaginaire

Égypte antique — Pesée du cœur & livres des morts

On conserve le corps pour que la route reste ouverte. Pour maintenir une interface. Pas de métaphore ici : sel, bandelettes, résine, amulettes — une technique. Le mort n’est pas parti, il passe. On lui garde un support pour que le souffle (ka) tienne, que l’oiseau (ba) revienne, que le nom (ren) ne décroche pas. Et au bout, la scène connue : une balance, une plume, un cœur. Pas un tableau, un mode d’emploi. L’iconographie ne montre pas : elle guide. Ce deuxième volet va dans l’atelier de momification, puis dans la salle de la pesée, puis dans la nuit de l’Amduat — douze heures pour renaître. Légende (vignette psychostasie) : Pesée du cœur devant Osiris : balance, plume de Maât, Thot scribe, Ammit. Scène égyptienne de psychostasie avec balance et plume. Ce qu'il faut sauver (atelier) Per-nefer, la maison-belle. Odeur sèche du natron, résine chaude. On retire, on lave, on sèche, on emplit, on bande. Les viscères partent dans quatre vases, couvercles à tête des fils d’Horus. Le cœur, on le garde. Le cerveau, non. Entre les couches, on glisse des amulettes : œil oudjat pour la protection, pilier djed pour la stabilité, nœud d’Isis pour le lien. Chacune avec sa phrase, sa fonction. Ce n’est pas du décor : c’est une technologie de continuité. Le corps transformé devient sah, apte à recevoir le ba quand il revient à l’aube des offrandes. On n’embaume pas pour conserver comme au musée : on prépare un lendemain opératoire. Le geste règle la matière et la matière règle le geste. La peau tirée, la bande passée, la résine scelle. On installe un masque, on peint le regard, on écrit un nom. Tant que le nom est là, quelque chose tient. La tombe n’est pas une fin : c’est un atelier. On équipe. On met à portée de main des pains, de la bière, des oignons, des colliers. On suspend des oushebtis — petites figurines prêtes à répondre : “me voici” quand il faudra travailler aux champs de l’ouest. Rien d’ornemental, tout d’utile. Rail court (repères) Ka / Ba / Akh. Le ka reçoit les offrandes, force de vie. Le ba circule, revient, oiseau à tête humaine. L’akh, c’est l’être transfiguré, efficace, quand tout a bien tenu. Ren. Le nom. On le grave, on le répète. Effacer un nom, c’est tuer encore. Ib. Le cœur. Mémoire et conscience. On le pèse. Maât. Mesure juste. La plume sur le plateau, l’étalon d’un monde en ordre. Duat. L’entre-lieux nocturne. Des portes, des lacs de feu, des gardiens à nommer. Images = cartes. On ne contemple pas, on suit la voie. Un dessin peut ouvrir une porte. Pesée du cœur (Livre des Morts, chapitre 125) Salle claire. Osiris trône, Isis et Nephthys encadrent. Anubis ajuste la balance. À gauche, le cœur (ib). À droite, la plume de Maât. Thot tient le calame, prêt à noter, exact. En bas, Ammit attend — crocodile, lionne, hippopotame, trois bouches pour une fin sans retour. On déroule la confession négative : “Je n’ai pas volé, je n’ai pas menti, je n’ai pas détourné les offrandes, je n’ai pas affamé, je n’ai pas fait pleurer…” Quarante-deux phrases, une par juge, une par faute possible. Ce n’est pas l’aveu qui sauve, c’est la parole qui fait : en disant, on ajuste. Le cœur doit égaler la plume. S’il pèse trop, Ammit dévore : pas d’exil héroïque, juste l’extinction. S’il tient, on passe, on est admis dans la salle d’Osiris. La scène, peinte mille fois, varie et ne varie pas : même balance, même plume, mêmes témoins. L’important n’est pas la beauté du trait, c’est l’efficacité du dispositif. On sait où poser l’œil, on sait ce que fait chaque dieu dans la séquence : qui pèse, qui vérifie, qui consigne. C’est une procédure. Scarabée du cœur (chapitre 30B) On remplace la fragilité par une pierre. Un scarabée en pierre verte, gravé. On le pose sur le cœur ou à la place du cœur. Le texte parle au cœur : “Ô mon cœur qui vient de ma mère, ne t’élève pas contre moi au tribunal… ne sois pas témoin contre moi.” Le scarabée porte l’idée de devenir — kheper, le soleil qui roule, renaît. L’amulette n’est pas ruse malhonnête : c’est l’intelligence du rite. On sait que la mémoire pèse. On place une contre-parole pour que la balance reste à niveau. Là encore, la phrase n’explique pas, elle agit. La pierre a des arêtes, le signe a des lignes : ensemble, ils tiennent un seuil. Scarabée du cœur, “chapitre 30B” : pour que le cœur ne témoigne pas contre son propriétaire Douze heures dans la nuit (Amduat) On l’appelle Ce qui est dans l’au-delà. Ce n’est pas une “mythologie” au sens de fable : c’est une cartographie. Douze heures, douze registres, la barque de Rê passe. Des serpents, des portes, des lacs, des sables, des déesses en forme de bras tendus, des corps disloqués à recomposer, des noms. Toujours des noms : savoir le nom, c’est ouvrir. Se tromper de nom, c’est rester dehors. À la sixième heure, tout descend au point le plus bas : Rê s’unit à Osiris, la force morte et la force solaire se rejoignent, la régénération se noue. Plus loin, on découpe, on coud, on distribue de la nourriture aux ombres. À la douzième, la barque remonte, la porte s’ouvre, l’horizon rougit : matin. Le mort suit la même route, à son échelle. Il passe de porte en porte. Il montre des amulettes, il dit des formules, il présente son nom. L’image au mur n’est pas souvenir : c’est une autre interface. Ce qui a été peint ici se réalise là-bas. Ce qui a été écrit sur la bandelette se lit dans l’autre salle. C’est le principe général : agir ici pour que ça opère là Pourquoi garder le corps ? Parce que l’existence n’est pas un tout ou rien. Elle se transmet par le support qu’on laisse. Le ba a besoin d’une adresse pour revenir ; le ka a besoin d’un lieu pour recevoir l’offrande ; l’akh a besoin que les opérations aient trouvé leurs prises. Sans le corps travaillé, la route se referme trop vite. La momification ralentit, aménage, offre des prises à la parole et aux objets. Le cœur reste pour la pesée, pour la mémoire. Les viscères sont protégés parce qu’ils sont des fonctions : respirer, digérer, filtrer — on n’abandonne pas des fonctions, on les conditionne. La peau et les bandelettes reconstituent une continuité qui permet au texte de circuler : quand on écrit sur une couche, on écrit sur un corps lisible. Ce n’est pas une glorification du cadavre. C’est une ingénierie du seuil. On évite que la décomposition efface la personne avant l’heure. Le temps biologique se met à niveau avec le temps rituel. Si la matière tient assez, la parole fait le reste. Comment l’iconographie guide On pense “icône”, on devrait lire “mode d’emploi”. Un défunt est peint faisant offrande à un dieu : c’est déjà une offrande effective. Une porte dessinée avec son nom : c’est une porte franchissable. Des démons aux couteaux sont cadrés par des légendes : si tu sais lire la ligne, le couteau s’abaisse. Les lignes de texte sont des boutons : on presse, on passe. Le tombeau n’est pas une galerie, c’est une console. On sait que tel serpent aime l’eau fraîche, on dépose une coupe peinte ; on sait que tel lac brûle, on prend la barque peinte ; on sait que tel gardien veut entendre une phrase, on la lui donne. L’écriture ne commente pas l’image, elle l’arme. Variantes, fortunes, ajustements Tout le monde n’a pas le même tombeau. Au début, c’est le roi, seul, Textes des Pyramides. Puis les élites élargies, Textes des Sarcophages. Puis des rouleaux de Livre des Morts que l’on commande presque prêts-à-lire, on laisse des blancs pour écrire le nom. Les techniques varient : momifications fines, résines multiples, bandelettes serrées ; ou, à d’autres périodes, traitements plus rapides. Parfois les vases canopes sont réintégrés au corps, parfois non. Les cycles nocturnes se dédoublent : Livre des Portes, Livre des Cavernes — mêmes logiques, autres paysages. L’axe ne bouge pas : tenir la route. Il y a aussi les accidents du temps : pillages, réemplois, tombes ouvertes, statues renversées. Les Égyptiens le savent : ils multiplient les supports, disséminent les noms, répètent les formules. Si un nom est effacé ici, il reste ailleurs. Si une amulette manque, une autre redouble sa fonction. Redondance comme assurance-vie. Aujourd’hui : vitrines, scanners, scrupules On regarde des momies derrière un verre. On scanne. On reconstruit des visages. On lit sous les bandelettes les amulettes qu’on ne voyait pas. On identifie des résines, des tissus. Cela éclaire la technique, confirme qu’on n’avait pas affaire à des “croyances naïves” mais à un savoir-faire. En même temps, on s’interroge : montrer des morts, comment ? On change les cartels, on donne des contextes, on associe les pays d’origine, on parle parfois de réinhumations. Le regard apprendra à tenir la science et la pudeur dans la même main. Sur cette page, on garde la même règle : éviter l’exotisme. Décrire la fonction, pas l’étrangeté. Dire ce que fait une plume, ce que vise une amulette, pourquoi un dessin, pourquoi un nom. Lexique (pour tenir le fil) Ka : force vitale à nourrir. — Ba : mobilité qui revient. — Akh : l’être efficace après transformation. — Ren : nom, condition de subsistance. — Ib : cœur, mémoire, conscience. — Maât : ordre juste, plume étalon. — Duat : espace nocturne de passage. — Amduat : “Ce qui est dans l’au-delà”, carte des douze heures. — Oushebtis : serviteurs répondants. — Canopes : vases à viscères, fils d’Horus. Timeline (marques simples) Ancien Empire : Textes des Pyramides (royaux). — Moyen Empire : Textes des Sarcophages (élites élargies). — Nouvel Empire : Livre des Morts, grands cycles nocturnes (Amduat, Portes). — Époque tardive à ptolémaïque : standardisations, variations, prolifération d’amulettes. À voir / à lire Jan Assmann, Mort et au-delà dans l’Égypte ancienne. — Erik Hornung, L’Amduat. Le Livre de ce qu’il y a dans l’au-delà. — Salima Ikram, Death and Burial in Ancient Egypt. — John H. Taylor (dir.), Ancient Egyptian Book of the Dead. — R. O. Faulkner, The Ancient Egyptian Book of the Dead (trad.). Références : Livre des Morts (chap. 125 “Pesée du cœur”, chap. 30B “Scarabée du cœur”) ; cycles funéraires nocturnes (Amduat). Travaux de synthèse : Assmann ; Hornung ; Ikram ; Taylor ; Faulkner. réflexion Voici, très serré, ce que le Livre des Morts (au vrai : Livre pour sortir au jour) nous apprend — à nous, “modernes” : La parole qui fait. Dire, ce n’est pas commenter : c’est ouvrir une porte, désamorcer un couteau, équilibrer un cœur. Le corps comme interface. Sans support matériel, pas d’adresse pour le lien (ka/ba) : la technique sert la continuité, pas la déco. La forme compte. Une image peut être un mode d’emploi ; un rituel, une procédure qui opère — pas un symbole vague. Le nom est un organe. Effacer un nom, c’est tuer encore ; le répéter, c’est maintenir une présence. L’éthique comme mesure. Maât n’est pas morale abstraite : c’est un étalon concret pour “faire juste” ici et maintenant. Cartographier l’inconnu. Face au chaos, on trace des cartes (Amduat) : mieux vaut un chemin praticable qu’une croyance floue. Redondance = résilience. Multiplier supports, amulettes, inscriptions : quand l’un manque, l’autre tient — leçon d’archiviste. Le rite est une technologie. Ingénierie du seuil : aligner matière, gestes, mots pour que la traversée se fasse. Deux temps à accorder. Biologie vs social : on aménage le temps du deuil pour qu’il rejoigne le temps du corps. Sobriété, précision. Un geste juste pèse plus que dix gestes spectaculaires : économie de moyens, efficacité d’action. Responsabilité du regard. Exposer des morts oblige : contexte, pudeur, restitution — la science n’exonère pas l’éthique. Communauté et mémoire. On ne “gère” pas la mort seul : on fabrique du commun pour que la vie reprenne axe. En bref : moins d’“opinions” sur la mort, plus d’outils qui tiennent — des formes, des noms, des gestes qui font passage.|couper{180}

documentation imaginaire La mort

Carnets | Atelier

15 octobre 2025

L’épicerie a un nouveau toit. Nous pensons revendre la maison qui nous coûte trop cher, trouver un appartement, peut-être dans Vienne. Pas de tristesse. Avoir un projet tient. Nous avons commencé à nous projeter. Les toiles rangées dans l’atelier. Les meubles. Les livres de mon père à l’étage et au grenier. Toutes ces choses dont il faudra se défaire. Repartir sur une nouvelle tranche de vie. Ce ne sera pas la première fois. Il me faudra une solution pour les livres. Personne ne nous aidera à déménager. A. et L. ont prévenu : « Ne comptez pas sur nous. » Sur la route, en longeant la Saône, je me suis dit qu’il y avait plus de morts que de vivants. Vertige. Puis la concession que S. a achetée à Caluire. J’essaie d’imaginer ma tombe, S. venant déposer un pot de fleurs de temps à autre. J’ai toujours pensé partir le premier. Ce serait trop triste autrement. Les silhouettes sur les trottoirs marchent vers leur fin, et moi, déjà un peu mort, je regarde sans rien dire. La route grésille. Klaxons, appels de phares, nervosité. Un 4x4 arrive par la gauche, plaque boueuse, antenne tordue, clignotant oublié, il se rabat au dernier moment sous les flèches du rétrécissement. À Feyzin, palissades et tags criards sur ciel gris. Plus haut, Arkema. À Pierre-Bénite, on évite les œufs. On dit que les femmes enceintes s’inquiètent. Produits partout : air, sols, bouffe, jusque dans le lait maternel. On continue, parce que la chaîne tourne et que certains y tiennent leur mesure. La colère baisse. À Caluire, je revois la dalle vide et, posé de travers, un pot de chrysanthèmes. Livraison d'un toit en pièces détachées La colline qui prie La colline qui travaille Sinon, en rentrant j'ai pu régler le bug de la mise à jour 4.4.6 de SPIP. J'ai crée un patch, envoyé au forum spip dev ( Patrick.B.) Titre : [statistiques] table_objet_sql() reçoit un array dans referenceurs.php → fatal PHP 8 Contexte SPIP : x.y.z (prod) PHP : 8.x Plugins noyau : statistiques (version livrée avec x.y.z) Plugins : statsobjets 2.1.0, referer_spam 1.2.1 Hébergeur/OS : … Reproduction Activer Statistiques et StatsObjets. Aller dans : Activités → Statistiques → Liens entrants. Avec certains objets passés par l’interface, l’erreur survient. Résultat obtenu table_objet_sql() : Argument #1 ($type) must be of type string, array given …/ecrire/base/objets.php:1074 appelé depuis …/plugins-dist/statistiques/inc/referenceurs.php:191 Résultat attendu Affichage normal des référents. Analyse referenceurs.php::referes() peut recevoir $objets sous forme de tableau (extraction depuis spip_referers_objets ou appels externes). La boucle foreach ($objets as $objet) envoie ensuite un élément potentiellement tableau à table_objet_sql($objet), qui attend une chaîne. Correctif proposé (défensif) Extraire proprement la colonne objet depuis sql_allfetsel. Aplatir/normaliser $objets en tableau de chaînes. Passer chaque $objet par objet_type() avant table_objet_sql(). Diff minimal sur plugins-dist/statistiques/inc/referenceurs.php : --- a/plugins-dist/statistiques/inc/referenceurs.php +++ b/plugins-dist/statistiques/inc/referenceurs.php @@ function referes(string $referermd5, $objets = null, string $serveur = '') : string { if ($stats_objets) { if ($objets = sql_allfetsel('DISTINCT objet', 'spip_referers_objets')) { $objets_par_defaut = array_values($objets) ; } } if ($stats_objets) { if ($tmp = sql_allfetsel('DISTINCT objet', 'spip_referers_objets')) { // extraire colonne 'objet', nettoyer et dédupliquer $liste = array_column($tmp, 'objet') ; $liste = array_filter(array_map('strval', $liste)) ; $liste = array_values(array_unique($liste)) ; $objets_par_defaut = $liste ; } } if (sql_fetsel('*', 'spip_visites_articles', '', '', '', '0,1')) { $objets_par_defaut[] = 'article' ; // (pas de déduplication ici) $objets_par_defaut = array_values(array_unique($objets_par_defaut)) ; } @@ elseif (is_array($objets)) { // laisser tel quel } elseif (is_array($objets)) { // aplatir d’éventuels sous-tableaux $flat = [] ; foreach ($objets as $o) { $flat[] = is_array($o) ? reset($o) : $o ; } $objets = array_values(array_unique(array_filter(array_map('strval', $flat)))) ; } @@ foreach ($objets as $objet) { $table_objet_sql = table_objet_sql($objet) ; foreach ($objets as $objet) { if (is_array($objet)) { $objet = reset($objet) ; } $objet = objet_type($objet) ; $table_objet_sql = table_objet_sql($objet) ; $id_table_objet = id_table_objet($objet) ; Remarque front/squelettes (optionnel) Dans prive/squelettes/contenu/stats_referers.html, on peut aussi normaliser côté gabarit pour éviter de passer un tableau : #SETobjet_norm,#ENVobjet|table_valeur0,#ENVobjet … utiliser #GET{objet_norm} à la place de #ENV{objet} … Mais le correctif robuste est côté PHP.|couper{180}

Autofiction et Introspection La mort

histoire de l’imaginaire

Le rite funéraire

Un rite funéraire n’illustre rien : il fait que ça passe. On veille, on lave, on porte, on dit, on dépose. Suite de gestes, pas décor : ça sépare l’avant, ça tient la marge, ça nous réagrège après. Le défunt reçoit un statut — encore là, déjà ailleurs — les proches reprennent une place, un faire, une parole. De là naît le récit commun, sobre, tenace. Ce premier article regarde ce que ces gestes réparent — liens, places, mémoire — et pourquoi la forme qu’on choisit, religieuse, civile ou intime, change tout. Ouverture Cimetière communal, Vallon-en-Sully, Allier. On est là, pas grand monde, vent léger sur les cyprès. La corde passe, deux hommes tiennent, on descend, lent, régulier. Le bruit sourd quand la caisse touche les parois, puis plus bas, puis plus rien. Un nom dit au micro, juste le nom, pas d’enflure. On se rapproche, on voit la terre, on voit les fleurs encore fraîches, on voit les mains hésiter puis se décider : une pelle, deux pelletées. Ça fait un son que le gravier n’a pas, un son qui coupe court. À gauche, l’arrosoir qui goutte près du robinet, ploc, ploc, ploc, comme si le lieu lui-même réglait la seconde. On ne cherche pas de grandes phrases, on cherche ce qui tient : poser, couvrir, nommer, se taire une minute, regarder ensemble au même point, puis relever la tête. Le célébrant lit trois lignes, pas plus, on a tous compris. On serre une épaule, on remet un ruban, on corrige l’angle d’une gerbe. Rien d’héroïque, pas de décor, seulement la suite exacte des gestes qui fait que l’avant lâche prise et que l’après trouve une forme. Ce n’est pas la mort qu’on met en ordre, c’est le lien : il passait par ces mains, par cette corde, par la terre qu’on rend, et par le nom prononcé une dernière fois pour qu’il ne tombe pas avec le reste. On reste encore un peu, sans parler, parce qu’il faut ce peu de temps-là pour que ça prenne. Repères Arnold van Gennep (1873–1957). Un homme qui passe les frontières, langues et coutumes dans la besace. En 1909, il pose trois rails simples et puissants : séparation, marge, agrégation. Les rites ne sont plus folklore mais mécanique sociale, un outillage pour transformer le statut des gens. L’Algérie, les Alpes, des enquêtes à pied, peu d’institution mais une méthode tenace. On lui doit ce mot qui nous sert partout : liminalité. Avec lui, les funérailles deviennent lisibles par la suite de gestes qui fait tenir. Robert Hertz (1882–1915). Normalien, élève de Durkheim, écriture brève et ferme. En 1907, il éclaire l’angle mort : la mort est un fait social ; le cadavre, un statut instable. D’où les funérailles en deux temps, le temps biologique et le temps des vivants qui s’ajuste. Il nomme ce qu’on fait quand on lave, enveloppe, nomme, attend — non pour montrer, pour protéger. Destin fauché dans les Vosges, mais une idée qui reste : tant que le mort n’a pas sa place, le groupe ne tient pas. Philippe Ariès (1914–1984). Historien des mentalités, à côté des couloirs officiels, mais la porte qu’il ouvre est large. Années 1970 : de la « mort apprivoisée » à la « mort interdite », de la chambre commune à l’hôpital, des cimetières au centre aux périphéries. Il regarde les manières de dire au revoir, l’enfant, la tombe, l’image, l’industrie funéraire. Sa voix est calme, presque narrative. Avec lui, on comprend que les pratiques ne disparaissent pas : elles se déplacent, s’inventent à neuf quand la société change. Références, citations Van Gennep, Les Rites de passage (1909) ; Hertz, « Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort » (1907) ; Ariès, L’Homme devant la mort (1977). Hertz. Le cadavre n’est ni chose ni personne : zone instable. D’où les opérations : laver, envelopper, nommer, attendre parfois — pour rendre au mort une place, protéger les vivants. Ariès. On est passé de la mort publique à la chambre fermée, puis aux couloirs de l’hôpital. Moins visible, plus technique. Les rites ne disparaissent pas : ils se déplacent, s’inventent de nouveau. Lexique flash Liminalité : l’entre-deux où ça se transforme ; ni avant, ni après, mais le seuil. Psychopompe : le guide du passage — personne, fonction, parfois un objet ou un lieu. Obsèques civiles : cérémonie sans Église, gestes et paroles choisis, même fonction de tenir. Deuil / souvenir : le temps pour que ça prenne / la trace qui reste et qu’on revient travailler. Ce qu’on empêche, ce qu’on institue On a tous croisé Antigone, même de loin. Pas besoin de théâtre pour comprendre : on interdit d’ensevelir, donc on empêche la communauté de faire son travail. Empêcher, c’est laisser la dette ouverte. Le mort devient une affaire en suspens. Les vivants restent coincés sur le seuil. On sait ce que cela produit : colère froide, gestes clandestins, paroles qui butent. Antigone ensevelit malgré tout, petite poignée de terre pour dire que le monde continue à tenir. Ce n’est pas la morale qui est en jeu, c’est la mécanique. On a besoin du geste pour refermer la porte. À l’inverse, on institue. Tombeau du Soldat inconnu : pas de nom, donc un nom pour tous. La flamme, la relève, la marche, l’inscription. Des gestes réglés pour un corps absent. Et pourtant ça tient, justement parce qu’on fait comme si. On dépose, on se tait, on recommence demain. La répétition fabrique la mémoire. On photographie, on amène une gerbe, on lit les noms ailleurs, sur d’autres pierres. Ce qui s’institue n’impose pas un récit unique : il cadre l’émotion, lui donne un espace pour ne pas s’éparpiller. Empêcher le rite, c’est désorganiser les vivants. L’instituer, c’est leur rendre la capacité de faire avec. Ce que fait un rite Il donne un statut au mort. Ni vivant, ni chose. Une place. C’est pour ça qu’on lave, qu’on habille, qu’on ferme la bouche avec douceur, qu’on croise les mains. On ne montre pas : on opère. Le geste n’explique rien, il effectue. Dire le nom au micro, poser la main sur le bois, ce sont des actes qui fixent la limite. Ce que l’on fait là, c’est aussi redistribuer les rôles. Qui parle, qui porte, qui décide de la musique, qui tient la corde. Les proches ne sont pas seulement présents, ils font quelque chose, même minime. Cette part active empêche que l’événement avale tout. Le rite ordonne le temps. Avant : la veille, les coups de fil, les démarches. Pendant : l’heure dite, le cortège, la séquence. Après : la visite à la tombe, la date qui revient, la pierre posée plus tard. On en a besoin parce que le temps brut est inégal. La mort tombe d’un coup, mais la communauté met du temps à reprendre souffle. On étale, on fractionne. Parfois, on fait en deux temps, et c’est juste : aujourd’hui le dépôt, demain l’ossuaire, ou la dispersion quand la météo le permettra. Il n’y a pas d’orthodoxie : il y a des raisons matérielles qui rencontrent des raisons symboliques. Le rite sert de charnière. La matière compte. Terre, eau, feu, air. La poignée de terre, le ploc de l’arrosoir, la fumée sur le froid, le vent qui bouge les rubans. On travaille avec ça. Une urne, c’est léger, mais on lui donne le poids d’un trajet, d’une marche, d’un arrêt au seuil. Une pierre, c’est lourd, mais on lui donne la douceur d’un prénom gravé. Ce sont des techniques de présence. On ne cherche pas le spectaculaire : on cherche l’ajustement. Le bon angle de la gerbe, la bonne place pour la photo, la bonne durée du silence. Chacun reconnaît quand c’est juste, même sans mots. Il y a aussi la parole. Pas l’éloquence. Des phrases brèves, des faits : où il a vécu, ce qu’il bricolait, comment il riait, ce qu’il disait toujours au marché. On ne rompt pas le lien en parlant, on le réinscrit. C’est pour cela qu’un texte de trois lignes peut suffire. Qu’une musique entendue mille fois change d’épaisseur quand elle vient ici, maintenant. On ne “raconte pas la mort”, on fait tenir la communauté qui reste. Et puis la protection. On sait l’embarras, la peur qui traîne, l’envie de fuir. Les gestes cadrés empêchent le déraillement, autorisent la pudeur. On ne force pas, on propose. Certains ne pourront pas regarder la descente, d’autres auront besoin de jeter eux-mêmes la terre. Le cadre tient pour tous. Si le protocole se vide, si on sent la machine à l’œuvre pour elle-même, on ajuste : on coupe une lecture, on garde le silence plus long, on remplace l’orgue par rien. Ce n’est pas de la personnalisation gadget. C’est la mécanique fine du tenir. Variantes, absences, réparations Il n’y a pas qu’une forme. Inhumation, crémation, dispersion, ossuaire. Quand on disperse, on marche, on ouvre la main au bord d’une eau, on choisit le lieu. Quand on n’a pas le corps, on fait autrement : photo, bougie, lettre, pierre déposée à blanc. Les guerres, les catastrophes, les pandémies ont appris cela : rites empêchés, rites compensatoires. Un autel improvisé sur un trottoir, des peluches, des fleurs, des noms écrits au feutre. On se dit que c’est trop, parfois. Non : c’est la fabrication d’un espace commun le temps qu’il faut. On ne hiérarchise pas. On regarde ce que chaque forme permet de réparer. Il y a le bref et le long. Certains veulent en finir vite, comme on arrache un pansement. D’autres ont besoin de tout, du cortège au repas, des photos à la pierre. On croit que la longueur mesure l’amour. Non. Ce qui compte, c’est l’ajustement. Un geste juste vaut mieux que dix gestes mécaniques. Un silence peut faire plus que des pages lues sans air. On ne sort pas d’un deuil par l’accumulation ; on passe par un point où le monde retrouve son axe. Le rite sert à trouver ce point. Déplacements d’aujourd’hui On s’éloigne des grands cadres, et pourtant, partout, ça revient. Célébrants laïcs, maisons funéraires plus sobres, cérémonies où l’on prend la parole sans prêtre ni formule. Les familles composent. Elles empruntent des formes au religieux, ou s’en passent, mais gardent la logique : faire tenir. Des mémoriaux s’installent là où il n’y avait rien, durent quelques jours ou restent des années. On dépose une bougie sur une borne, on revient au printemps, on change l’eau des fleurs. Sur les écrans aussi, la mémoire persiste. Anniversaires qui s’affichent, messages qui reviennent chaque année à la même date. Ce n’est pas un autre monde : c’est un autre lieu pour les mêmes opérations. La question écologique entre dans la scène. Forêts-cimetières, cercueils simples, compost humain dans certains pays, urnes biodégradables. On fait attention à l’empreinte, sans perdre la force du geste. Une marche silencieuse dans les arbres, un nom sur un galet, une carte pour se repérer. La technique change, le besoin reste. Ce qu’on cherche n’a pas changé depuis qu’on a commencé à enterrer : refermer sans effacer, transmettre sans figer. Revenir sur le seuil On peut repartir de Vallon-en-Sully, si tu veux. Une grille, un chemin de gravier, un banc. On s’assied dix minutes après que tout le monde est parti. Le ploc, plic, ploc régulier d'un robinet mal fermé. On regarde la terre, on ne pense à rien de noble, on écoute. Ce temps minuscule, c’est déjà du rite : le supplément qui permet que l’on se relève, que l’on traverse la route sans craindre de laisser quelque chose derrière. On saura revenir, poser une fleur quand la pierre sera là, ou rien du tout, juste la main sur le granit froid. C’est cela que l’on appelle “tenir”. Illustration : La Toussaint, Émile Friant (1863–1932)|couper{180}

dispositif imaginaire La mort

Carnets | décembre 2023

1 décembre 2023

Au moment où la tête touche l’oreiller, la pensée revient toujours au même point : cette seconde où l’idée que dormir et mourir se confondent s’insinue. La peur arrive avec son attirail, l’image de la mort plantée depuis longtemps, mais la fatigue lui résiste. De là naissent peur, dégoût, une tendresse sourde pour cette vie, au moment précis où l’on s’aperçoit qu’on pourrait la perdre. L’ignorance, autrefois effrayante, allège. J’écoute en MP3 les conférences de Michel Butor, je perds le fil, je rattrape une phrase, une inflexion ; cela suffit pour mesurer ce qui demeure : quelques livres, quelques images, quelques visages. Je pense aux bleus et aux beiges de Fra Angelico, à une aile d’ange sur un mur, parce qu’ils tiennent ensemble douceur et gravité. Les nuits ont suivi les métamorphoses du corps. Il y eut le côté, repli de sécurité, puis le dos pour tenter de flotter au-dessus de soi. Aujourd’hui, sommeil sur le ventre, une jambe relevée, nage lente au-dessus d’un trou qu’il n’est plus nécessaire de nommer. Les insomnies se raréfient. À force d’entendre revenir les mêmes pensées, j’ai fini par fabriquer un geste : vider la pièce. Yeux clos, j’ouvre une porte sur une chambre encombrée de meubles, souvenirs, phrases, et je les laisse sortir avec l’air. Certains souvenirs résistent. Cette phrase par exemple : ta maison 12 est vide, tu n’auras jamais le moindre ami. Elle a longtemps traîné dans un coin. Enfant déjà, je descendais dans les rêves chercher l’amitié, je n’y croisais que des bêtes ou des figures étranges, et le désespoir tenait moins à leur absence qu’à la certitude précoce qu’on ne trouve pas vraiment ces amis-là. Il faut pourtant, la nuit venue, écarter aussi ce bloc pour pouvoir dormir. Écrire un testament ne m’intéresse pas. Ce qui compte, c’est ce déménagement répété. Les objets, les images, même les conditions de la mort ne m’appartiennent pas. Je me répète qu’un désir de mourir masque souvent l' envie de vivre autrement, et que le suicide volerait jusqu’à la façon dont la mort nous surprendra dans l'erreur. On croit choisir, puis il reste un rictus, une fraction de seconde qui échappe. Le jeudi matin, ils ne sont que deux à l’atelier. Trois heures de peinture suspendent la discussion avec la mort. On étale le papier, on passe le fusain, le blanc, on ajoute une couche de couleur, en sachant qu’on pourra tout recouvrir. Superposer, effacer, recommencer : le même geste que pour vider la pièce intérieure , s’abandonner au sommeil sans garantie de retour.|couper{180}

Autofiction et Introspection La mort