{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/rumpelstiltskin-le-nain-tracassin.html", "url": "https:\/\/www.ledibbouk.net\/rumpelstiltskin-le-nain-tracassin.html", "title": "Rumpelstiltskin - Le Nain Tracassin", "date_published": "2025-11-08T07:00:45Z", "date_modified": "2025-11-08T07:00:45Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
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Sous l\u2019entr\u00e9e ATU 500<\/strong> du catalogue Aarne\u2013Thompson\u2013Uther, l\u2019histoire est toujours la m\u00eame : un contrat impossible<\/strong>, un prix exorbitant<\/strong> (l\u2019enfant \u00e0 na\u00eetre), et une clause de sortie<\/strong> qui tient en un mot — le nom<\/strong>. Dans Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em>, dire le nom du personnage brise l\u2019obligation. Ce conte, souvent rang\u00e9 au rayon des « malices pour enfants », propose en r\u00e9alit\u00e9 une th\u00e9orie du contrat<\/strong> par le langage : ce qui lie peut \u00eatre d\u00e9li\u00e9<\/strong> non par violence, mais par connaissance<\/strong> et \u00e9nonciation exacte<\/strong>. Ce texte clarifie, pour notre s\u00e9rie, l\u2019autre face du « vrai nom » : non pas le nom qui donne prise, mais le nom qui retire<\/strong> la prise.<\/p>\n<\/blockquote>\n


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Le ressort narratif para\u00eet simple : un meunier fanfaron promet au roi que sa fille sait changer la paille en or ; mise \u00e0 l\u2019\u00e9preuve, condamn\u00e9 si elle \u00e9choue, la jeune femme voit surgir un petit \u00eatre — Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> — qui accomplit l\u2019impossible en \u00e9change<\/strong>. L\u2019\u00e9change monte en intensit\u00e9 : premi\u00e8res fois contre colliers et bagues, derni\u00e8re fois contre l\u2019enfant<\/strong> qu\u2019elle aura du roi. Accord scell\u00e9. \u00c0 la naissance, d\u00e9sespoir ; l\u2019\u00eatre offre un sursis : si tu d\u00e9couvres mon nom<\/strong> en trois jours, tu gardes l\u2019enfant. Le troisi\u00e8me jour, la reine apprend ce nom, elle le prononce<\/strong> ; l\u2019obligation tombe. Fin.<\/p>\n

Tout est l\u00e0, mais le conte nous int\u00e9resse moins par sa morale (prudence face aux promesses) que par sa m\u00e9canique contractuelle<\/strong>. La paille devenue or n\u2019est pas un miracle : c\u2019est un service<\/strong> rendu contre contrepartie<\/strong>. Au dernier tour, la contrepartie est illicite<\/strong> (l\u2019enfant), mais le contrat est valide<\/strong> dans le monde du r\u00e9cit — jusqu\u2019\u00e0 l\u2019introduction d\u2019une clause r\u00e9solutoire<\/strong> : le nom<\/strong>. Dire le nom n\u2019est pas ici un s\u00e9same d\u2019emprise (Isis sur R\u00ea), c\u2019est un geste d\u2019arr\u00eat<\/strong> : l\u2019\u00e9nonciation exacte r\u00e9voque<\/strong> l\u2019accord. D\u2019o\u00f9 l\u2019int\u00e9r\u00eat pour notre fil « \u00e9crire fait » : certaines phrases annulent<\/strong> ce qu\u2019une autre a li\u00e9<\/strong>.<\/p>\n

Cette structure contractuelle se double d\u2019un jeu sur le secret<\/strong>. Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> d\u00e9tient une puissance op\u00e9ratoire (filage de l\u2019or) tant que son nom<\/strong> demeure inconnu<\/strong>. Le secret n\u2019est pas d\u00e9coratif ; il est la source<\/strong> de la contrainte. D\u00e8s que la reine obtient l\u2019information — par enqu\u00eate, \u00e9coute, hasard organis\u00e9 selon les versions —, la publicisation<\/strong> (prononcer, \u00e0 haute voix, en face) agit comme r\u00e9vocation<\/strong>. Il ne s\u2019agit pas d\u2019un porno du savoir : on ne veut pas « tout savoir », on cible un identifiant<\/strong> pr\u00e9cis. C\u2019est ici que le conte rejoint notre modernit\u00e9 technique : un identifiant expos\u00e9<\/strong> (vrai nom, credential, cl\u00e9) change<\/strong> les rapports de force sans<\/strong> recourir \u00e0 une force sup\u00e9rieure.<\/p>\n

Le conte, d\u2019ailleurs, multiplie les fa\u00e7ons de nommer<\/strong> : la plupart des pr\u00e9noms propos\u00e9s par la reine \u00e9chouent parce qu\u2019ils appartiennent \u00e0 un r\u00e9pertoire public<\/strong> — liste plausible, statistiquement inform\u00e9e, mais non op\u00e9ratoire<\/strong>. Seule la forme exacte<\/strong> convient, celle qui indexe<\/strong> l\u2019\u00eatre, non son apparence. Dans plusieurs variantes, l\u2019origine de l\u2019information m\u00eale hasard<\/strong> et travail<\/strong> : un messager ou la reine elle-m\u00eame surprend<\/strong> le petit \u00eatre qui chante son nom pr\u00e8s d\u2019un feu, la nuit, dans la for\u00eat. La sc\u00e8ne n\u2019est pas innocente : le nom n\u2019est pas arrach\u00e9 par torture ni donn\u00e9 par gr\u00e2ce ; il est entendu<\/strong> dans un contexte o\u00f9 le sujet se d\u00e9voile<\/strong> par jeu, hybris ou n\u00e9gligence. L\u2019\u00e9thique implicite est nette : l\u2019abolition du contrat ne proc\u00e8de pas d\u2019un acte plus violent, mais d\u2019un d\u00e9placement d\u2019information<\/strong>.<\/p>\n

Il faut situer Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> parmi ses variantes<\/strong>. En anglais, Tom Tit Tot — Tom Tit Tot<\/em>, Whuppity Stoorie — Whuppity Stoorie<\/em> ; en ga\u00e9lique, Gillidanda — Gillidanda<\/em> ; en nordique, Titteliture — Titteliture<\/em>. Toutes modulent le m\u00eame motif : nom inconnu \u2192 pouvoir ; nom connu \u2192 chute<\/strong>. L\u2019onomastique est ici un r\u00e9gulateur social<\/strong> : ce que le village sait ou ignore fait loi<\/strong>. La menace de l\u2019« enfant pris » n\u2019est pas qu\u2019une terreur archa\u00efque ; c\u2019est la figure limite<\/strong> d\u2019un contrat o\u00f9 la personne devient gage<\/strong>. Le conte n\u2019approuve pas ce contrat ; il montre comment<\/strong> le d\u00e9faire<\/strong>.<\/p>\n

Nous touchons l\u00e0 une asym\u00e9trie utile pour la s\u00e9rie. Chez Le Guin (Terremer), le vrai nom<\/strong> se confie sous relation<\/strong> et lie ; chez Isis et R\u00ea, le nom secret<\/strong> s\u2019arrache et donne prise<\/strong> ; chez Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em>, le nom exact<\/strong> fait tomber<\/strong> la prise. Trois r\u00e9gimes, trois fonctions. Notre vocabulaire peut s\u2019ajuster ainsi : nom habilitant<\/strong> (Le Guin), nom d\u2019emprise<\/strong> (Isis\/R\u00ea), nom r\u00e9solutoire<\/strong> (Rumpelstiltskin). Dans tous les cas, un point commun : la forme<\/strong> de l\u2019\u00e9nonc\u00e9, non l\u2019intensit\u00e9 dramatique, d\u00e9cide des effets<\/strong>.<\/p>\n

On dira : la reine « triche » en espionnant. Le conte ne blasonne pas la vertu ; il teste<\/strong> des outils. Que peut<\/strong> l\u2019information pr\u00e9cise ? Elle d\u00e9lie<\/strong> les contrats sc\u00e9l\u00e9rats l\u00e0 o\u00f9 ni la force<\/strong> (arm\u00e9e du roi) ni la pi\u00e9t\u00e9<\/strong> (pri\u00e8res) n\u2019y suffisent. C\u2019est une le\u00e7on politique minimale : il existe des situations o\u00f9 la connaissance<\/strong> remplace l\u00e9gitimement la contrainte<\/strong>. Cela n\u2019innocente pas la ruse ; cela la norme<\/strong> : la ruse est ici publique<\/strong>, contradictoire<\/strong>, prononc\u00e9e<\/strong> face \u00e0 l\u2019adversaire — elle expose<\/strong> le nom pour annuler<\/strong> l\u2019emprise, puis cesse<\/strong> de circuler (on ne part pas en croisade pour r\u00e9v\u00e9ler tous les noms). La sc\u00e8ne de la nomination n\u2019est pas une f\u00eate de l\u2019humiliation ; c\u2019est un acte de proc\u00e9dure<\/strong>.<\/p>\n

Le d\u00e9tail final varie : parfois le petit \u00eatre s\u2019emporte et se d\u00e9chire<\/strong> en deux ; parfois il fuit<\/strong> ; parfois il tombe<\/strong> dans un trou. Ce d\u00e9bordement grotesque n\u2019est pas le c\u0153ur du dispositif ; c\u2019est sa d\u00e9flation<\/strong> : une fois le nom connu, la figure perd de la substance<\/strong>. L\u2019important est ailleurs : la reine r\u00e9cup\u00e8re l\u2019initiative<\/strong>, l\u2019enfant reste<\/strong>, l\u2019exc\u00e8s s\u2019arr\u00eate<\/strong>. Pour notre s\u00e9rie, l\u2019enseignement tient en trois questions \u00e0 poser \u00e0 tout « nom » en jeu : 1) Quel type de lien<\/strong> instaure-t-il ? 2) Quel degr\u00e9 d\u2019exposition<\/strong> exige-t-il ? 3) Quelle proc\u00e9dure<\/strong> permet de le r\u00e9voquer<\/strong> sans violence ?<\/p>\n

Ce triptyque nous ram\u00e8ne \u00e0 l\u2019actualit\u00e9 la plus triviale : plateformes et politiques de « vrais noms<\/strong> » ; doxxing comme arme ; DIDs<\/strong> (identifiants d\u00e9centralis\u00e9s) et possibilit\u00e9s de r\u00e9vocation<\/strong> ; droit \u00e0 l\u2019effacement<\/strong> (RGPD). Rumpelstiltskin — Le Nain Tracassin<\/em> ne fournit pas un mod\u00e8le juridique, mais une grammaire<\/strong> : parfois, un contrat ne c\u00e8de pas \u00e0 la force, il c\u00e8de \u00e0 l\u2019\u00e9nonciation exacte<\/strong>. Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui rend le conte durable : il apprend comment parler<\/strong> pour d\u00e9faire<\/strong>.<\/p>\n


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— Sc\u00e8ne-source (r\u00e9sum\u00e9)<\/h2>\n

Une jeune reine doit livrer son enfant \u00e0 un \u00eatre qui a fil\u00e9 la paille en or pour la sauver. Clause de sortie : d\u00e9couvrir son nom<\/strong>. Trois jours, une enqu\u00eate, un chant surpris dans la for\u00eat — « Rumpelstiltskin » —, l\u2019\u00e9nonciation en face. L\u2019obligation tombe.<\/em><\/p>\n

— Ce que la sc\u00e8ne nous apprend<\/h2>\n