poésie du quotidien
Écrire le quotidien, ce n’est pas le figer. C’est au contraire chercher les plis, les accidents, les débords.
Ce mot-clé regroupe des textes qui partent d’un détail, d’un moment, d’une parole anodine, d’un geste à peine esquissé — et qui, peu à peu, laissent remonter ce qu’il y a dessous : une fatigue, une inquiétude, un souvenir, ou simplement un souffle.
Il ne s’agit pas ici de faire de la "poésie" au sens noble. Il s’agit plutôt de capter ce qui insiste, dans le banal, ce qui résiste, ce qui fait que ce moment-là — un bus en retard, un repas en silence, un regard dans une cuisine — reste.
La poésie du quotidien, c’est ce qui n’est pas dit, mais que le texte laisse affleurer. Une forme d’attention, sans jugement, sans projet. Une manière d’habiter le temps comme on marche lentement dans une ville qu’on connaît trop bien — ou pas assez.
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Carnets | juin 2025
18 juin 2025
Réveil tôt. Acheté hier un petit carnet Clairefontaine, noir. Ainsi qu’un répertoire, noir aussi. Deux boîtes de Bic, noirs et bleus. Spécialement dédié à N. Nova et à ses exercices d’observation. Si j’avais encore les carnets Clairefontaine, c’est exactement ce que je faisais à 30 ans, sans le savoir. Donc parfois je me dis : mais comment sais-tu ça ? J’oublie que je l’ai déjà fait. Je n’attache pas d’importance à ce que j’ai fait. C’est sans doute là une faille. Que ce soit en photographie, en peinture, dans l’écriture, j’ai des aptitudes dans l’instant présent. Certaines. Je récolte, j’empile, mais il est rare que je compile. Et encore, il faudrait voir comment je compile. Autre chose : il faut revenir souvent à ce que l’on note, sinon ça ne sert pas à grand-chose. Or moi, je ne reviens pas. Je note, et hop. Je note, et hop. Et quarante ans passent ainsi — comme une journée. Panique en y pensant. Dépôt de la Dacia chez le mécano, hier soir à 17 h. Revenu avec S. Pas mis les pieds dans l’atelier. Ce qui me flanque un peu la honte. Et de me souvenir combien de fois j’ai rêvé à ce grand atelier. Et de me dire combien de personnes rêveraient d’en avoir un. Et de voir que moi, je passe mes journées désormais à l’éviter. Il faut remonter à la raison de tout ça. Comment ça a vraiment commencé. Avec le Covid, le confinement, l’interdiction de travailler, de se déplacer, l’obligation de se faire vacciner — sinon rien. J’aurais pu en profiter vraiment pour peindre, à ce moment-là. Mais non. Le fait qu’on m’empêche de travailler m’a fichu dans une telle colère… un désespoir. C’est à ce moment-là que j’ai accéléré avec l’écriture. Je me suis jeté là-dedans comme on plonge de plus en plus profond pour échapper à quelque chose, sans doute. Sans savoir qu’en plongeant ainsi, j’allais me rejoindre à l’autre bout. Gros Jean comme devant. C’est pour ça que j’ai acheté ces petits carnets. Pour reprendre ces exercices d’observation. Parce qu’en même temps, ils m’entraîneront à prendre des photos, à dessiner. Ce ne sera pas que du texte. La situation matérielle n’est pas au beau fixe, ce qui crée quelques frictions. Personne ne s’est inscrit au stage de juin. Ça m’ennuie de parler de ça, finalement.|couper{180}
Carnets | avril 2023
04 avril 2023
Lecture de Rabelais, souvenir de Musil, pensée du chat maigre et digestion lente du désastre : ce journal du 3 avril explore la perte de repères, la fragmentation, le doute, avec l’humour grave d’un homme à l’écoute du monde — même quand il est en miettes.|couper{180}
Carnets | mai 2025
05 mai 2025
Depuis que j’ai de nouvelles lunettes, j’ai plus de mal à lire. Il est possible que l’imagination en soit la plus grande responsable. Le fait d’avoir acquis ces lunettes au rabais, pour ainsi dire : monture sécu, verres non traités pour éviter le surcoût inévitable. Cette nuit, j’ai même roulé dessus. Il a fallu que je redresse les branches doucement pour ne pas les péter. Durant trois ans, je me suis contenté de simples loupes que j’achetais un peu partout où j’en trouvais : Action, Gifi, supermarchés de tout acabit — presque jamais aucune en pharmacie. J’en achetais plusieurs paires à la fois et j’avais une sensation d’opulence. Je pouvais en laisser une à l’atelier, une sur la table de nuit, une dans le bureau, une sur mon front, et le surplus, tout emballé encore, dans un tiroir. Et pourtant, malgré la profusion, il était assez rare que j’en brise une. En fait, j’éprouve une colère de tous les instants à comprendre à quel point je vieillis mal. Parfois, je me dis qu’il faudrait que je trouve la fameuse pilule rose ; puis, quelques secondes après m’être imprégné de l’imbécillité dans laquelle je ne manquerais pas, à mon avis, de pénétrer une fois ingurgitée, un ricanement s’empare de moi, me flanque au sol. — Tu penses que tu vas t’en tirer aussi facilement que ça ? une voix me dit — la voix de ma conscience ? Aiguë et aigrelette, faussement naïve, moqueuse. Du coup, non, bien sûr que non, je me dis qu’il faudra aller jusqu’au bout du film. Je connais déjà l’ennui de m’y rendre, évidemment, mais ça ne me flanquera pas la paix avant le générique de fin. Ce qui est une grosse différence par rapport à il y a encore un an, où je me disais encore beaucoup de balivernes. La phrase « il faut boire la coupe jusqu’à la lie » me rappelle le café turc et toute une série d’autres expériences, toutes plus idiotes les unes que les autres. Parfois, je pourrais écrire des histoires romantiques, amusantes, légères — je me disais encore ça l’année dernière. Mais, à vrai dire, non, je n’éprouve aucune envie de divertir : ni divertir autrui, ni moi-même. Illustration Huile sur bois d'après Serge Poliakoff / P.B 2025|couper{180}
fictions
j’ai continué son portrait en silence
Dans une atmosphère ordinaire, les cris d'une jeunesse déchaînée résonnent comme ceux d'animaux. Les mots se transforment, s'érodent sous l'influence des modes, laissant un homme désemparé face à ce qu'il ne comprend plus. Entre fascination et résignation, il observe, impuissant, cette nouvelle réalité.|couper{180}
Carnets | septembre 2024
11 septembre 2024
Dans un café, un groupe d’individus commente la fuite de la foule et l’action des désespérés qui s’agitent dans la rue. À travers des discussions banales, l’auteur se perd dans une réflexion sur l’espoir, le désespoir, et la manière dont chacun cherche un sens, même dans l’inutilité des révoltes collectives. Un texte fragmentaire qui entrelace les événements publics et la solitude intime.|couper{180}
Carnets | Mars 2024
1er mars 2024
Comment échapper à l’écoulement ordonné du temps et des pensées ? Par la danse, par le chaos, par la folie douce de l’écriture. En un ballet de fragments, on suit l’auteur à la poursuite d’une liberté fugace, dans un monde qui cherche à tout aligner.|couper{180}
Carnets | août 2023
06 août 2023
Sous la pluie, au réveil d’un matin orageux, se déroule une journée entre méditation silencieuse et gestes du quotidien. Entre la mer qui embrasse la côte et l’espace confiné d’une maison, le narrateur se perd dans des réflexions sur l’absence d’opinion, la mobilité de l’être, et le mystère des îles. Un récit fragmenté où chaque geste devient une pensée, et le silence , des mots.|couper{180}
Carnets | août 2023
05 août 2023
Partir sans carte, guidé par un GPS réglé « sans péages » et découvrir l’Italie en franchissant les Alpes jusqu’à l’Adriatique. De là, une traversée sous la pluie vers la Croatie, avec des marchés d’un autre temps et des réflexions sur l’écriture contemporaine. Entre Balzac, la création d’un nouveau blog et la question de l’effacement des souvenirs, ce voyage devient autant physique qu’introspectif.|couper{180}
Carnets | mars 2023
se tenir à l’écoute
Dans le fatras des langues, dans Babel, ce réel, se tenir à l’écoute sans but est difficile. Il faut tenir selon l’ouïe et le vent, du corps et des décors. Comprendre intuitivement la torsion des racines, rejeter l’inutile, choisir sans choisir, saisir le mouvement des branches, la danse de l’arbre, l’immobilité des oiseaux figés en plein ciel, écriture muette, illisible sur une page invisible. Quel mystère que celui de se tenir ici dans l’écoute sans autre but que d’être ici. C’est au présent que la clarté se fait, comme elle se défait. Mais ce ne sont encore là que pensées très éloignées de l’idée, un rêve, un rêve de réalité, un rêve de présent. Quel son pourrait soudain nous éveiller ? Quel bruit ? Un mot familier de l’enfance dont on se souvient, l’écho d’une familiarité qui se répète au cours des âges : Nylon, Arc, Caoutchouc, Élastique. C’est un passage pourtant, une voie sans issue, mais sans issue est nécessaire. Aucune issue, aucune prison. Traverser tous les murs, brèches dans l’espace et le temps. Persévérer.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Kali Yuga
Nous avons bu le vin sacré, nous sommes devenus immortels, nous sommes parvenus à la Lumière, nous avons découvert les dieux. Que pourrait bien maintenant nous faire hostilité ? Quel tort, ô immortel, pourrait nous faire mortel ? -- Rg Veda VIII, 48, 3 Au fond de cette obscurité actuelle, il y a ce miracle : pouvoir se souvenir de ce chant solaire. Des bribes de phrases, accompagnées de rires et d’eau, remontent du fond des âges. Ici, la vache n’est pas la vache mais la plus sacrée des lumières puisqu’elle est la Lumière. Mon père et mon grand-père disaient "oh la vache" quand ils étaient désarçonnés, comme s’ils avaient été éblouis par une réalité qu’ils n’avaient jamais vue. Oh la Vache, je l’entrevois. J’ai choisi de revenir. Ce n’est pas un hasard d’être ici. L’ère de la destruction des mondes, Kali Yuga, a commencé et touchera bientôt à sa fin. Je fouille dans la mémoire, mais il n’y a rien dans la mémoire. Je fouille dans la pensée, mais il n’y a rien dans la pensée. Je fouille dans le cœur, mais il n’y a rien dans le cœur. Voilà ce que l’homme est devenu : un vase vide sans cesse rempli par l’abondance du rien. Et pourtant, les mots sont là, dans l’air, j’arrive à les entendre de plus en plus nettement. Oh la Vache, je peux voir au-delà du rien. Au-delà de mon propre rien, comme de tous les autres. Un vaste troupeau qui court à perdre haleine en soulevant des nuées de poussière, ce qui le rend aveugle à l’approche du précipice. La langue, les mots, leur vrai sens, leur sens le plus proche de la réalité, n’est pas dans la mémoire, n’est pas dans la pensée, n’est pas dans le cœur. Mais dans le son. La racine br crée soudain le bras, le brin, la brute comme la brèche. C’est de ce son qu’il faut repartir. De tous les sons possibles comme des impossibles. La création du mythe demande l’oreille absolue au présent. Recréer les dieux à l’image de ces sons, que les eaux se déchaînent à nouveau, que la Vache dise Oh et qu’ils s’épousent et se mêlent dans de nouveaux poèmes, toujours les mêmes.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Des petits jets intempestifs.
Signe de sénilité, il patine en pantoufles sur le verglas de la page, de lui sortent de petits jets de mots comme d’autres produisent avec les reins des cailloux. Un petit pipi de mots en pleine nuit. Le lendemain, il prend du fil à coudre blanc, se perce la joue, se fait un ourlet à la langue trop pendue, qui traîne par terre comme des bas de chausse dans tous les caniveaux. L’incontinence verbale, parmi tous les maux qui frappent les petits vieux, n’est sans doute pas un des pires, mais pas des meilleurs non plus. mot cri|couper{180}
Carnets | mars 2023
ça crée
L’oreille est essentielle et il faut être sourd à bien des inepties. Il faut un sang dur, cirer les tympans pour ne laisser filtrer que le chant des ruisseaux qui, si on l’écoute, rassemble tout le nécessaire pour vivre. Ça crée un monde parallèle à ce monde, un jus mot. Une scissiparité de l’organisme monde, pénétré par le chant, le son, le mot. Un acte sexuel, diront les benêts. Non, ça crée bien au-delà. Ça crée sans arrêt, une démultiplication des avenirs et des passés, des milliards et des milliards de mondes, mais là n’est pas l’important. Le résultat n’est qu’un leurre. Comme la corolle, les pétales des fleurs, les jupons, les cornettes, joli leurre, ma sœur. Non, l’important, c’est l’infini que ça crée, l’infini sacré, le vieux serpent de mer, Nessy dans sa mare, l’écho sait cela. L’ouroboros, dont il est mensonger de dire qu’il se mord la queue, étant donné qu’il est cercle parfait.|couper{180}