septembre 2022
Carnets | septembre 2022
Créativité et Serendipité
Lorsque l'on parle des " créatifs", à quoi pense tu immédiatement ? Est ce que tu n'es pas en train de penser à ces personnes stressées qui boivent des litres de café, fument comme des pompiers, s'agitent dans tous les sens de façon apparemment désordonnées ? Tu les vois peut-être aussi se prélasser sur un divan pendant des heures en ayant l'impression qu'ils ne fichent rien ? Ou alors tu as des images de grandes salles open-space avec des types qui jouent au baby pendant que d'autres ont la tête dans leur écran les yeux explosés et une barbe de 3 jours ? Voilà quelques clichés concernant la créativité. Quand à la définition que donne par exemple Wikipédia : "La créativité décrit — de façon générale — la capacité d'un individu ou d'un groupe à imaginer ou construire et mettre en œuvre un concept neuf, un objet nouveau ou à découvrir une solution originale à un problème. Elle peut être plus précisément définie comme « un processus psychologique ou psycho-sociologique par lequel un individu ou un groupe d'individus témoigne [d'imagination et] d'originalité dans la manière d'associer des choses, des idées, des situations et, par la publication du résultat concret de ce processus, change, modifie ou transforme la perception, l'usage ou la matérialité auprès d'un public donné ». Elle croise notamment la créativité individuelle avec la sérendipité ; l'aptitude à utiliser des éléments trouvés alors qu'on cherchait autre chose. Opérationnellement, la créativité d'un individu ou d'un groupe est sa capacité à imaginer et produire (généralement sur commande en un court laps de temps ou dans des délais donnés), une grande quantité de solutions, d'idées ou de concepts permettant de réaliser de façon efficace puis efficiente et plus ou moins inattendue un effet ou une action donnée..." La créativité, tu l'as compris, doit avoir un but ! Et c'est là que l'on peut discuter des raisons pour lesquelles tu hésites à peindre par exemple car tu te demandes aussitôt dans quel but ? Est ce que c'est parce que ça te détend de peindre ? Est ce que tu penses que tu as du talent et que tu vas pouvoir vendre des tableaux ? Est ce que tu as parié avec toi-même que tu étais capable de réaliser des tableaux ? Est ce que tu crois que tu es un génie et qu'il faut quand même que tu offres au monde quelques preuves de celui ci ? Et du coup je peux te poser une question ? Et si la créativité était une fonction naturelle que l'on retrouve aussi bien chez l'être humain, la plante et l'animal ? Et si la créativité c'était l'art de jouer avec les circonstances de la vie ? Et si en peinture il suffisait d'oser faire confiance à sa main et à ses yeux pour être créatif ? La sérendipité toujours d’après Wikipédia : "La sérendipité est le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue à la suite d'un concours de circonstances fortuit et très souvent dans le cadre d'une recherche concernant un autre sujet. La sérendipité est le fait de « trouver autre chose que ce que l'on cherchait », comme Christophe Colomb cherchant la route de l'Ouest vers les Indes, et découvrant un continent inconnu des Européens. Selon la définition de Sylvie Catellin, c'est « l'art de prêter attention à ce qui surprend et d'en imaginer une interprétation pertinente ». En France, le concept de sérendipité adopté dans les années 1980, prend parfois un sens très large de « rôle du hasard dans les découvertes ». Alain Peyrefitte avait fait un usage sans rapport du conte oriental Voyages et aventures des trois princes de Serendip de Louis de Mailly en 1976, dans Le Mal français. Sa généralisation a fait l'objet de remises en cause, le hasard intervenant toujours, par définition, dans une découverte ou une invention. On ne peut connaître que ce qui existe déjà, et le sentiment à la vue d'une chose nouvelle se confond aisément avec la surprise d'un événement fortuit. D'un autre côté, on ne trouve jamais que ce qu'on est préparé à voir. Parmi les nombreux exemples de découvertes et inventions liées au hasard, figurent notamment le four à micro-ondes, la pénicilline, la dynamite, le Post-it, le Téflon, l'aspartame, le Viagra, ou encore le super-amas galactique Laniakea. L'existence de la sérendipité est un argument fréquent dans le débat public pour défendre des options d'organisations interdisciplinaires contre la tendance à la spécialisation croissante des champs qui résulte de l'approfondissement des recherches. Cet argument se trouve particulièrement à propos de l'organisation de la recherche." Alors pourquoi je te parle de sérendipité. Si tu débutes en peinture tu vas trouver que ce que tu fais est souvent moche et bon à jeter à la poubelle ... parce que tu te compares à des tableaux connus. Si tu faisais abstraction de ce que tu connais tu verrais ton travail complètement différemment. Ensuite il faudra affronter le regard des autres mais maintenant, tu connais la musique, c'est pas bien grave n'est ce pas ...?|couper{180}
Carnets | septembre 2022
Négatifs
Route menant à rien. Cuba Patrick Blanchon C’est la même résistance, la même entrave qui se représente encore et encore lorsqu’il s’agit de vouloir revenir en arrière pour trier, ranger, organiser et tirer parti d’un travail effectué. Comme si, en tâche de fond, j’éprouvais la sensation pénible de devoir me mettre à bricoler, espérer, récupérer quelque chose de fichu, d’irréparable. Tirer parti de toutes ces années dites « perdues ». Tenter de rétribuer le sacrifice, l’abandon, l’échec, dans un acte qui tirerait de toutes ces ombres, une lumière. Peut-être une nostalgie de cette chambre noire que je n’ai jamais eu ni le courage, ni l’envie suffisante de reconstituer. Je possède pourtant l’essentiel, un carton rempli de négatifs noir et blanc que j’ai trimballé dans tous mes déménagements. Une quinzaine d’années de prises de vue. Comme si le hasard voulait me titiller, renforcer encore plus la tentation, j’ai récupéré un agrandisseur que l’association dans laquelle je donnais depuis quelques années des cours de peinture m’a offert gracieusement. Ils me l’ont offert plutôt que d’avoir à le jeter à la benne, car ils changeaient tout leur matériel devenu obsolète pour se mettre au numérique. Revenir au laboratoire, à la chambre noire, je crois que je préfère caresser cette idée en imagination que de la concrétiser véritablement. Sans doute que j’y trouve une sorte d’avantage. Il y en a forcément un. Peut-être seulement conserver cette envie, recréer une chambre noire, afin qu’elle reste dans le domaine du désir uniquement, du fantasme, plutôt que de passer à l’acte et d’avoir une nouvelle fois à affronter les conséquences d’un tel passage. Conséquences que j’imagine forcément douloureuses, décevantes. J’ai finalement peine à croire que le temps passé possède le pouvoir de réparer ce qui est brisé, de redresser ce qui est tordu depuis son origine. Ainsi, le thème de ce nouvel atelier d’écriture #photofiction me semble-t-il être à première vue une aubaine. Une bonne partie du travail n’est-il pas déjà fait ? Je n’aurais qu’à fouiller un peu sur ce blog à l’aide de quelques mots clefs pour extraire quantité de textes traitant de mon histoire avec la photographie. C’est d’ailleurs ce que je tente de faire ce matin. Cependant, même déception qu’autrefois lorsque je voulais retirer des négatifs. Englué dans la répétition malgré les différentes versions du même, plus ou moins de contraste, changement imperceptible de la composition, rien n’y faisait. Comme si finalement le jugement était déjà présent depuis toujours et cela quels que soient mes efforts pour le contrer, lui donner tort. Et bien sûr, je rapprocherais cette réflexion, trouver de bonnes raisons à celle-ci en me remémorant une multitude de phrases assassines. Tu n’y arriveras pas, tu rêves, tu marches complètement à côté de tes pompes disait mon père lorsque je lui faisais part de cette volonté d’être photographe. Comme auparavant, je lui avais fait part de vouloir être poète, chanteur, écrivain, chercheur d’or. Une usure s’était ainsi créée simultanément qu’une perte de foi mutuelle. Ça ne partait certainement pas d’un bon sentiment de ma part et il l’avait compris bien avant moi. Vouloir être artiste, c'était nier tout ce que lui avait échafaudé comme croyances, comme valeurs pour devenir ce qu’il était. Un homme qui s’était élevé grâce à la ténacité, grâce au travail, un homme qui ne reculait pas devant la difficulté, et au contraire fonçait sur elle pour l’aplanir, pour continuer son ascension. Un homme qui s’était donné des buts et les avait atteints. Mais, qui lui procurait désormais cette sorte d’omnipotence qui nous écrasait tous sans exception. Ce devait être la rançon à payer et qu’il avait finalement dû accepter par une étrange sagesse paysanne. D’avoir autant gravi de marche pour se retrouver au bout du compte si seul au sein de sa propre famille. Et, cette solitude lui procurait comme un sixième sens pour détecter la moindre entourloupe en matière de logique, de calcul, de stratégie. Comme meneur d'hommes, rien ne pouvait lui échapper de leurs faiblesses congénitales. Ainsi, j'avais l’impression moi, son fils, que je n’étais constitué que de ces faiblesses qu’il n’avait de cesse de pourchasser. Faiblesses que je jurais bien sûr, intérieurement, de transformer en force. Juste pour lui prouver qu’il était possible de ne pas toujours avoir raison. Cet enjeu s’incarnait dans les feuilles de papier baryté argentique que je plongeais dans la bassine de révélateur. Désir contradictoire de donner simultanément raison et tort à ce père tout-puissant, trop puissant pour que ce soit réel. Vaincre ainsi par l’érosion, forme de ténacité aussi s’il en est, par la faiblesse de croire que cette puissance était l’obstacle principal à notre rencontre. Des milliers de négatifs noirs et blancs par conséquent, tirés sur du papier vierge dans une presque obscurité en quête du meilleur équilibre, du meilleur contraste, de toute la richesse que peuvent apporter, à force de les étudier, les gris. La question aujourd’hui est devenue de plus en plus précise. Est-ce que l’art sert à régler des problèmes personnels ou bien faut-il trouver en eux, dans ce minuscule, un point d’appui pour s’ouvrir, pour établir une connexion à une sphère plus vaste, plus générale ? Comme pour l’écriture se pose le problème de l’intérêt autobiographique. Ce n’est pas en modifiant l’ordre, l’usage des pronoms personnels, en inventant soi-disant des histoires et des personnages que le point gris peut passer par-dessus lui-même. Je crois qu’il faut beaucoup plus que cette croyance un peu simpliste. Et par ailleurs, comme les choses doivent être plus aisées, que d’en être totalement inconscient. La difficulté réelle est d’être coincé dans une sorte de no man’s land entre conscience et inconscience, de ne pas savoir effectuer un choix. Exactement, la même chose pour effectuer un tirage en noir et blanc. A un moment donné, on s'aperçoit que les différentes versions d’un même négatif se valent tout autant. Ce qui nous décide pour une version en particulier plutôt qu’une autre tient à une idée subjective d’équilibre, de beauté, de sens , de perfection, ou tout simplement à la fatigue, à la lassitude, à une forme salutaire de renoncement. C’est tout ce mouvement que l'on ne voit pas au bout du compte dans une photographie que l’on propose au monde. Ce non-dit. C’est aussi une difficulté à surmonter que de n’obtenir aucun avis ou si peu. Voire tellement à côté de tout ce que l'on a pu imaginer y avoir placé comme joie ou peine. Une habitude à prendre aussi. Avec le temps, on donne et l'on disparaît progressivement. On s’efface par les actes. Ainsi, il me semble qu’il n’y a rien de plus naturel. Ou du moins en observant un tant soit peu la ronde des saisons, il arrive qu’à un moment, on se sente étroitement en accord avec elle. C’est sans doute la seule vraie forme de rétribution de tout l’ouvrage effectué. Il faudrait, ce n’est pas toujours le cas. Mais, s’y contraindre, se tenir à y trouver le contentement sous la forme de cette paix qui vient tout doucement nous consoler. On dit que choisir c’est renoncer. En revanche, que se passe-t-il en sens inverse. Est-ce que le renoncement offre alors le meilleur choix qu’il nous est permis d’effectuer à un instant T ? Sans doute est-ce la raison dont, intuitivement, je me sers pour écrire à chaque fois un nouveau texte plutôt que de vouloir ravauder de plus anciens ? La raison pour laquelle ces négatifs restent rangés dans leur carton, n’est-elle pas parce que je crois que je ne pourrais pas faire autrement que de reprendre les memes données et faire du nouveau. Il me faudrait alors retrouver un vieux Leica M42 du film argentique noir et blanc, repartir en quête de nouvelles images tout en sachant qu’elles seraient nouvelles que pour mieux encore me leurrer, me replonger dans l’inconscience. Cependant, il me faudrait plusieurs vies et ce serait contraire à l’ordre des choses. Finalement, cette sagesse paysanne, je la possède sûrement au fond de moi aussi. Cette rencontre tant souhaitée jadis, elle peut s’effectuer désormais presque à chaque instant où j’écris. Mieux encore, l’écriture, la peinture sont le lieu par excellence de cette rencontre dorénavant. Le laboratoire que je cherchais à reconstituer se sera transformé, agrandi. Et, chaque jour, que puis-je faire d’autre vraiment dans ma journée ? C’est comme une nature à présent que de saisir ainsi, entre deux doigts, un négatif pour l’étudier en long, en large et en travers, puis le passer sous une lumière et en extraire un positif. Quelque chose se sera aussi modifié quant à la vision de l’art. Encore un relent de cette fameuse sagesse rurale qui dit, on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs que d’abord apprend à vivre avant tout. Ensuite, s'il reste un peu de temps, pour l’art entre autres, il ne faut pas le considérer de façon exagérée. Parce que tout ce qui est exagéré est souvent faux, c'est-à-dire mal équilibré, injuste essentiellement.|couper{180}