mai 2023
Carnets | mai 2023
Disparitions
Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Comme si
c’est comme si [cécomci] Une condition pour qu’il y ait du similaire, du semblable, sinon ça reste monstrueux. Si c’est presque emblable, le comme tombe comme un cheveu dans la soupe. Le comme devient alors insensé. Justement, plongée dans l’insensé. Comme si de vieilles lunes, déjà, étaient mille fois tombées sur Terre, emportant dans leurs débris les vivants d’autrefois, surpris en plein rêve. Comme si, dans les récits rédigés en sanskrit, on ne racontait pas des histoires pour enfants sages, mais de vraies histoires cruelles et sanglantes, et où le mal déjà montrait le vilain bout de son nez. Comme si les dieux étaient des êtres de chair et de sang vraiment, tout aussi impitoyables et colériques que nous le sommes envers nous-mêmes. Comme si leur image n’était pas pur effet de style. Comme si l’éternité dont nous rêvons, la rose ne la rêvait pas aussi, mais la vivait désormais comme nous ne la vivons plus. Comme si la rose la vivait d’autant plus fort que nous ne la rêvons plus, pour compenser le manque et redresser un équilibre oublié, défaillant. Comme si les ours avaient enseigné à nos ancêtres, il y a 300 000 ans, à utiliser les anfractuosités de la roche pour faire naître le vivant au travers de la magie du dessin, en utilisant du bois brûlé, de la terre d’ocre. Comme si ridicule est ce milliardaire qui se bourre de gélules pour garder une peau de bébé, que cet autre, plein aux as, rêvait de conquérir Mars la rouge, qui fut jadis probablement notre origine. Comme si les choses s’accélèrent désormais, à un point de non-retour tel que rien ne pourrait plus être arrêté, sauf par un miracle ou un cataclysme. Comme si l’arrivée des flottes extraterrestres allait compenser la fuite fiscale des consortiums qui, sur notre dos, se sont tant gavés. Comme si la voiture électrique, le robot aspirateur électrique, la vitre électrique, le vibromasseur électrique allaient fournir la moindre impulsion électrique à nos cœurs éteints. Comme si l’encéphalogramme plat allait bondir à nouveau vers une orgie de synapses. Comme si les bruits de bottes allaient être étouffés par les spots publicitaires à gogo, les trois pour le prix d’un, les promos. C’est comme si Rome, Athènes tombaient encore et encore, en direct au journal de 20 h, et que nous en restions indifférents, décérébrés. Comme si la seule sensation valide était encore celle du pouce zappant sur les boutons des chaînes de nos télécommandes. C’est comme si mai tournait en eau de boudin, que le printemps, jadis si gai, devenait tout à coup, comme tout le reste, poussif en nos têtes et cœurs. C’est comme si, dans le ciel, les oiseaux se fichaient de nos tourments de riches, d’opulents, et qu’ils partent encore à la quête de leurs rêves de nids, de progéniture, en s’en moquant.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Pessoa comme Lautréamont
Je l'avais lu tôt, l'intranquillité de Pessoa résonnait tellement bien avec la mienne. Trop tôt peut-être, j'aurais pu encore jouir un peu de la jeunesse si je l'avais lu vers la quarantaine. Mais cette phrase "vivre cela n'est rien, naviguer est précieux" ou encore celle-ci, "je ne suis rien mais en moi il y a tous les rêves du monde..." Elle auront achevé une grande partie de mes doutes sur le fait de vouloir être quelqu'un et certainement avant même que je commence à en prendre conscience. Pas étonnant de voir que Lautréamont évoque également cette nécessité d'anéantissement de l'auteur. Pessoa comme Lautréamont comme on pourrait dire étoile comme fleur. L'utilisation d'un comme nécessite une disparition, d'abattre certaines cloisons. Il ne s'agit plus de métaphore au sens où on utilise la métaphore par défaut ou par facilité. Tout au contraire. On use du comme comme d'une gomme. Maintenant concernant la conscience que l'on peut continuer à entretenir durant la mort comme de son vivant, il s'agit probablement de la même chose, c'est à dire se résoudre à passer par le goulot étroit de cet anéantissement. De mettre fin à une fiction. Cette fiction qui, pour exister, aurait besoin d'une réalité. Une absence parce que les mots viennent mieux ainsi, ils ne sont plus freinés. Les mots sont comme des bolides qui traversent l'espace intérieur, et partant rendent compte de l'existence d'un tel espace. Qu'on puisse les projeter ensuite vers l'extérieur nécessite l'invention d'un extérieur également. On pourrait dire alors l'intérieur comme l'extérieur. J'ai souvent pensé non pas à la mort mais à qui j'étais avant de venir au monde. Avant de naitre et après-vivre, n'est-ce pas tout comme, abstraction faite de toutes les péripéties. très métaphysique ce mardi.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Bibliothèque de sons
De quoi a t'on besoin pour écrire ? des sons essentiellement. Peut-être qu'on se fabrique ainsi, sans le savoir, une gigantesque bibliothèque de sons et qu'à un moment ne sachant quoi vraiment en faire, on se met à les écrire. Ensuite quelle intention se cache encore derrière le fait de les faire écouter à d'autres ? Il faut peut-être rester ferme vis à vis de nos curiosités, ne pas les écouter. Ecouter n'est pas savoir, et probable que c'est aussi cela savoir.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Des raisons de refuser
soudain cette phrase qui parait sortir de la page : "Il y avait, je crois, des choses qu'il ne voulait pas comprendre pour ne rien perdre de ses antipathies et de ses dédains."|couper{180}
Carnets | mai 2023
29052023 ( suite )
J’aurais pu ajouter ces lignes dans la première partie, peut-être le ferais-je plus tard. J’ai encore un peu de temps ce matin et j’oscille entre fiction et journal. C’est désagréable à première vue d’osciller. Mais en prenant du recul je crois que ce sont ces oscillations justement qui sont utiles à toute espérance de progression. Pourquoi faut-il que les choses soient toujours aussi désagréables à première vue ? Parce qu’elles nous expulsent d’un confort, d’une habitude tout en la renforçant Prendre l’habitude de vivre cet aspect désagréable, jouer le jeu qu’impose cette sensation première. Il est cependant nécessaire de ne pas s’appuyer sur l’espoir que les choses à un moment ou l’autre s’inversent. Écrire n’est pas une recherche de martingale. Un nouvel exercice proposé dans le cadre de l’atelier d’écriture de FB. L’adverbe comme avec comme protagonistes Lautréamont et Marcellin Pleynet. Le premier comme compte pour du beurre. Et je n'ai rien contre Isidore Ducasse. Il est con comme un balai ( par exemple) Oui mais suivre ensuite les mouvements du balai, qui au bout du compte ne s’avère pas si con que ça puisqu’au bout on retombe toujours plus ou moins sur une table de dissection avec une machine à coudre, un parapluie et une rencontre assez surréaliste. C’est comme Amélie Nothomb qui dit que la métaphore est à bannir, que c’est bien trop facile, qu’écrire à grand renfort de métaphores est une forme de paresse affligeante. En sommes-nous encore à une affliction près ? Ce n’est pas la même chose d’écrire en jouant avec ce qui s’écrit au fur et à mesure que de penser écrire en pensant dur comme fer avoir vraiment quelque chose à dire. C’est comme pisser dans un violon, la seconde manière de plus en plus. Car ai-je quelque chose à dire ? J’ai des choses qui poussent, qui s’embrouillent au portillon. Ticket s’il vous plaît ! Faites donc un petit tour au guichet, la queue comme tout le monde, ensuite revenez voir. Soyons sérieux comme un pape. ( admettons le sérieux des papes c’est plus simple que d’admettre le sérieux d’Artaban) Car la fierté est une affaire de sérieux où elle n’est pas. Maintenant est-ce Perse ou Parthes bien malin qui pourra le savoir. Écrire en se détournant du sérieux donne du fil à tordre. Puis peut devenir une fuite en avant. Une lente implosion, une implosion comme au ralenti de tout sérieux creuse progressivement une distance, un écart avec l’objet d’apparence solide qu’il pensait être. Sombrer dans l’oulipo. Faire naufrage chez les oulipiens. A moins que comme d’habitude ce soit exactement le contraire. dans la collection écrire avec quelque chose à dire, je m'aperçois que j'ai complètement oublié d'écrire ce que je voulais dire en ouvrant à nouveau l'éditeur. comme un blanc. Je voulais dire qu'un lecteur qui paie, qui achète son livre justement parce qu'il paie peut se sentir légitime de fournir son avis sur ce livre. Mais un lecteur de blog ne se sent même pas tenu de mettre un like s'il désire lire de façon anonyme. Ensuite donner un avis de quelque manière que ce soit y compris en écrivant un journal, est-ce bien pour cela qu'on s'enferme ? ça m'étonnerait bien. C'est comme un frottement, deux bâtons l'un contre l'autre qui attendent de concert l'étincelle. Les meilleures sont celles qu'ont ne voit pas. C'est comme le feu qui entre dans la terre qu'on ne voit pas mais qui à la plus petite occasion rejailli et dévaste une ville entière. Une armée de drones peut-elle réduire en poudre une ville entière aussi surement que cette étincelle invisible, il faudrait peser le pour et le contre comme toujours. Hier j'ai revu ce film avec Trintignant et Romy Schneider. C'est drôle comme certains films ne prennent aucune ride alors que lorsque je l'avais vu la première fois il m'avait agacé, j'y avais vu beaucoup de clichés. A moins que je ne fasse plus aussi attention aux clichés, que je me fiche des clichés. Peut-être même que je trouve assez rassurant de les retrouver finalement ces clichés. L'image de la France que traverse ce train je ne l'ai pas connue. Mon image viendra plus tardivement et je me demande dans quelle mesure cette image déjà aperçue autrefois dans ce film y participe. J'ai passé un temps fous à vouloir démêler les images ou à m'imaginer le faire. C'est comme courir au devant de sa peur. C'est comme vouloir être autre pour essayer de s'extraire d'une fatalité d'être toujours le même.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Métaphore
C’est comme ça. Comme il arrive elle repart. Comme on dit. Comme on fait son lit on se couche. Comédie. Comme elle est belle. Elle est belle comme le jour. Elle est sage comme une image. C’est un jour comme un autre. Une image comme mille mots. Comme les copains, comme les jours se suivent et ne se ressemblent pas, comme deux gouttes d’eau, comme un soleil, comme un jour à marquer d’une pierre blanche, venez comme vous êtes, en un mot comme en dix, comme si ça suffisait, comme si ça excusait tout, faites donc comme ça, faites comme ci, comme des chiens, comme des cons, long comme un jour sans pain. Le jour est comme la nuit, la nuit comme un manteau, la lune comme un pièce d’argent, l’herbe comme un tapis, l’eau comme une peau, la terre comme une croûte, la douleur comme un aiguillon, la joie comme une présence, l’absence comme une présence, la mort comme une fatalité. Un mot comme un autre, une fille comme une autre, un jour comme un autre, une main comme une autre, un gars comme un autre, un arbre comme un autre, une maison comme une autre, une fenêtre comme une autre, un mur comme un autre Ça ressemble à l’Italie, ça ressemble au pesto, ça ressemble à rien. Des journées longues comme sans pain. De longues journées sans croissant, sans brioche, sans pain russe. Des journées suffisamment longues pour qu’on se demande où est le pain. Une journée de la taille d’un pain de quatre livres. Des jours ressemblant à des nuits, des nuits ressemblant à des jours, on ne savait plus si on était le jour ou la nuit, on était comme perdu, égaré, on avait perdu le goût de l’eau. Un petit goût de reviens-y. Il a un goût de chiotte celui-là. Des goûts et des couleurs, comme ça ne se discute pas. Comme une rue morte. Comme une ville morte. Comme un rien. Comme un tout. Ce n’est pas comme si tu voulais vraiment dire quelque chose. Tu te prends pour qui quand tu dis ça. Comme le goût de l’oseille sur la langue. Son rouge à lèvre a un goût de fraise. Elle fait une bouche en cul de poule. Elle a les yeux revolver. Elle arrive on dirait une panthère mouchetée, et lui un éléphant dans un magasin de porcelaine. Elle a des yeux verts yeux de vipère, elle est blonde comme les blés, elle a une peau de bébé, il sent bon le sable chaud, on dirait bien qu’il va pleuvoir comme vache qui pisse. Comme un ouragan s’abattant sur Monaco, là bas au loin, dans les années 90, tandis qu’ils végétaient dans la villa en bordure de la Grande Corniche. Comme une andouille il en bafouilla, puis il décampa. L’ennui s’abat comme une chape de plomb. C’est ce fichu point de vue figé sur le monde comme vous pouvez le constater qui fut la cause d’une telle désespérance. Comme un chat il possède neuf vies. Celle-ci fut un coup pour rien, un coup à blanc, un brouillon. La prochaine serait peut-être un chef d’œuvre, mais rien n’était moins sur. En attendant il peint il écrit comme un dératé. Elle est bonne comme le bon pain. Il est chaud comme la braise. Ils baisent comme des lapins.|couper{180}
Carnets | mai 2023
23 mai 2023
J’observe. Une idée vient, plongée. Elle parait bonne. La maintenir dans la durée oui mais comment ? Chaque jour, la répétition, impossible à tenir. Impossible car cette régularité imposée n’est pas naturelle, elle ne produit pas une musique. Elle fait un bruit de marteau-piqueur. Pourtant je m’acharne, chaque jour à obéir à l’instance d’une idée qui vient en acceptant pleinement son éphémère. Elle surgit je m’y accroche un instant, le temps de quelques centaines de mots, puis j’ouvre la main elle repart. Je crois que c’est parce que j’ouvre ainsi la main à un moment précis, difficile à définir d’ailleurs, qu’elle reviendra à un moment ou à un autre. Je crois que parce que je ne veux pas la retenir absolument dans une main, l’emprisonner, qu’elle acquiert confiance et revient. Quand ? Je ne le sais pas. Il faut du silence en deux notes pour pouvoir les entendre. Le temps de l’écriture est peut-être un genre de partition. Des idées viennent se poser puis repartent qu’on retrouve quelques mesures plus tard en aval. Sans doute est-ce tout l’attrait d’un journal. Voir ainsi ces idées aller et venir au fur et à mesure des textes qu’on écrit, des fragments de longueurs inégales. Il y a un rythme dans tout cela, un rythme naturel je crois. Et donc de la musique. Rythmes et cycles, comment les repérer, comment sortir de la partition pour en juger, et en juger a t’il vraiment un intérêt ? Un oiseau a t’il la possibilité de quitter le ciel pour se regarder voler ? Cette obsession de l’image envoyée, cette obsession des réceptions, comme on la trouve étonnante quand tout à coup elle se dissipe. Ça ne dure pas longtemps. La lucidité aussi possède son propre rythme comme la naïveté. Mais si l’on parvient aussi à dépasser ces catégories à n’écouter que la musique, rien de bien grave. La seule chose déplaisante vraiment en état de fatigue est le bruit des marteaux-piqueurs, et la publicité assénée un peu partout dans les boites mail, la télé, les slogans et les mots d’ordre des couples. D’où prendre soin de sa santé, bien dormir, manger sobrement le plus possible, aller toucher un arbre de temps en temps. Être en mesure de supporter le rythme des choses même quand il ne semble pas produire de la musique. Rester dans une ignorance de ce qu’est la musique, ne pas se faire d’idée sur ce qu’est véritablement la musique. Etre ainsi surpris autant par une musique que par une idée. Et ne pas refermer la main, les laisser vivre leurs vies.|couper{180}