mai 2023

Carnets | mai 2023

indélébile

par un mystère que je ne cherche pas à élucider les corrections que j'effectue dans l'éditeur ne sont pas prises en compte à la publication des textes. Donc les fautes deviennent indélébiles. On ne peut plus dissimuler l'inadvertance ou l'ignorance aux regards du lecteur. Et du coup je me demande pourquoi vouloir dissimuler. Certains puristes s'en soucieront plus que je ne m'en soucierai désormais. Ce sera leur souci, plus le mien. Après tout le véritable lecteur comme le véritable amoureux aime souvent plus les défauts que les qualités en l'autre ce qui le rassure aussi de n'être pas trop différent. Aussi vive l'écriture buissonnière, les tâches d'encres indélébiles, tout ce qu'on ne peut cacher pour vouloir donner de soi une image qui n'est qu'une image.|couper{180}

poésie du quotidien

Carnets | mai 2023

Nourrir, entretenir.

en chemin 120x90 cm huile sur toile j'ai placé un tableau inachevé dans ma dernière exposition dont le titre est "en chemin", d'ailleurs la toile aussi est ainsi nommée. Ce qui me fait rebondir sur l'achevé. L'achevé ne peut être qu'un jugement temporaire en ce qui me concerne. Tant que je suis vivant je peux toujours reprendre une toile que j'ai à un moment ou l'autre désignée comme achevée voire même inachevée et inverser les mots comme les usages. la croyance car s'en est une logée profond qu'une toile sera par définition achevée définitivement quand je le serai également n'est pas un manque de confiance en soi, mais plutôt une forme de lucidité parfois insupportable. Il me semble qu'un tableau se nourrit au fur et à mesure du temps du changement de regard, de tout ce qui ne cesse jamais de nous traverser, nous entretenons bien plus qu'une surface une épaisseur une croyance ainsi. A même niveau que l'espoir sans les inconvénients des déceptions, c'est vivre avec ce qui nous entoure qu'on le peigne ou pas. Un tableau peut avoir le même sourire que le chat du Cheshire.|couper{180}

peinture

Carnets | mai 2023

Témoigner

C’est par période que ce que j’aime le plus me dégoute le plus. Dire par exemple le mot artiste, je crois que je l’ai tant désiré que c’est normal d’en ressentir cette dégoûtation actuelle. Parce qu’un glissement s’est effectué. Avant artiste était auréolé. Désormais je ne sais pas de meilleur synonyme à ce mot qu’austérité. C’est à dire qu’il faut enlever beaucoup de choses que l’on projette , comme sur tant d’autres et qui ne nous appartiennent pas. Je crois que j’ai fabriqué avec le temps ma propre définition des mots, dont celle d'artiste. Je l’utilise avec parcimonie, et jamais vis à vis de qui je suis. Sauf quand j’y suis contraint et en m’en moquant intérieurement comme pour exorciser toute diablerie encore possible. C’est que les mots ont de l’importance. C’est sans doute la chose qui a le plus d’importance puisque il n'y aurait pas de monde pour nous sans les mots. C’est probablement la seule chose digne d’une importance. Ou encore, je ne me sens plus capable vraiment d’accorder une importance à autre chose qu’aux mots. Je sais qu’il faut se méfier de ce mot d’importance. Que ce mot autrefois a vidé le monde entier de ses nombreux attraits vers lesquels j’ai pu être attiré en me fiant à la définition des dictionnaires, ou à l’éducation qui m’a été donnée. On ne peut que témoigner du temps qui passe et ce chacun à sa façon. En vivant tout d’abord, en espérant, en renonçant. Il n’y a rien de triste à se répéter que nous sommes semblables aux saisons, que la lune a autant d’influence sur nos désirs que sur les marées. Toujours les mêmes et changeant en même temps. Si on tient à témoigner. C’est à dire se sentir appelé à une barre dans un procès quelconque. Si on se sent contraint par son envie ; le devoir civique ou la force publique. Mais l’art n’est pas un procès, on ne peut pas s’en servir pour témoigner ou juger. Ce serait trop exigu. L’art se transmet depuis la nuit des temps, c’est un véhicule. Ensuite se demander s’il utilise des énergies fossiles, des moyens modernes, écologiques, c’est sans doute une question de mode. Une question à la mode pour ce que ça vaut. Comme peut l’être la mode de s’engager pour une cause ou pour une autre afin souvent de se livrer à une pulsion grégaire par la médiation des mots d’ordre, des slogans. On a beaucoup trop parlé d'art, moi le premier. Sans doute parce que je cherchais ma définition celle qui me semblait la plus juste à mes yeux. Non pour avoir raison, mais pour mieux aligner ma pensée avec mon expérience. Car au bout du compte une définition, qu’elle soit créée par des millions ou par un seul c’est toujours une tentative d’alignement entre le mot et la chose, entre la pensée logique et une sensation d'irrationnel. Je crois- car c'est bien sur le bilan d'un ensemble de croyances que l’art est en toute chose, l’art est comme le rire, propre à l’être, à la conscience et ne se limite pas aux catégories humaines. En percevant cela tout s’y trouve impliqué de la particule au mastodonte. depuis l'infime mouvement jusqu'au gigantisme des cataclysmes. C’est une expérience, un véhicule qui dépasse de beaucoup notre entendement qui ces derniers temps épouse un peu trop souvent la forme d’une autoroute. Donc, peut-être qu’il serait au bout du compte encore plus juste de refuser toute définition au mot art. De parvenir jusqu'à l'oubli de ce mot même en tous cas tant qu'il sera aussi proche de cet autre , l'artificiel. Je crois aussi que l'art est quelque chose de simple, de vivant, de naturel, c’est tout ce dont je pourrais témoigner si j’avais l’obligation ou le désir irrépressible de le faire.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | mai 2023

Images glissées, cassées

Paysage à Salaise sur Sanne Dimanche du mois de mai tôt le matin sur le parking du LIDL En train, en mouvement, la vitesse, dans la ville, le lieu, la lenteur , confrontation du regard vers l’extérieur, l’intérieur. Quelques bribes volées à Bernard Noël FORBACHTGVpartout les temples de la vieille misère maisons de peine et d’attente et de trop peu être humain est un long travail d’illusion la neige et le froid un bien petit hiver à coté des exigences de l’espoirle regard cherche à sentir son invasion une fumée trois maisons un trait de neige comment voir la pénétration du l’image son reflux quand les mots la jettent dehors mais rien et rien et rien un rond de lumière quelques formes à peine vues dans la vitesse langue balayée par la ventée du temps le noir a déjà imbibé tout l’espace chaque chose ainsi réduite à sa fumée la solitude s’étend sur la fenêtre Extrait d'une double page de son ouvrage le reste du voyage chez POL Des points de vue dissociés entre ce que l'on voit à l'extérieur depuis un endroit fixe ( ville de Forbach) et un voyage en train pour rejoindre (peut-être) cette ville. On est à Forbach et partout les temples de la vieille misère sont visibles à l' extérieur, mais avec une considération issue de intérieur ce que sont ces temples de la vieille misère, le lecteur peut l'imaginer comme des bâtiments, peut-être des usines. Puis un semblant de précision est fourni avec les mots peine, attente, trop peu ensuite une réflexion être humain un long travail d'illusion L'explication fournie est l'exigence de l'espoir à côté de quoi l'hiver est moindre Je ne sais pas si c'est utile de décortiquer ça ne donne guère qu'un son de cloche semblable à ces glissements. ce qui est plus intéressant ce sont les images que les groupes de mots déclenchent, produisant des images parallèles. Partout les temples de la vieille misère Dans le RER pour Paris, le matin avant l'aube, la traversée des paysages urbains que l'on devine plus qu'on ne les voit aux travers des vitres Ce mélange déjà entre les images extérieures, par delà les vitres. Des immeubles, des zones pavillonnaires, des arbres, des terrains vagues, des temples bouddhistes, des clochers d'églises mais pas uniquement, il y a aussi les images de l'intérieur du wagon qui se reflètent sur la vitre et donc celles du paysage extérieur. Des silhouettes, un visage qui regarde vers le dehors aussi, le mouvement des passagers dans l'allée, ou encore si on entre dans la gare souterraine de Vincennes, la perspective démultipliée des différents quais, des foules, des lignes et des lueurs artificielles. Gare de LYON, le regard cherche l'escalier, le regard traverse tout, murs affiches voyageurs il ne veut voir qu'un escalier qui mène vers les étages supérieurs le départ des grandes lignes. Escalier ou escalator. La gare de Lyon est une escale et, suivant l'itinéraire décidé, on choisira Grandes lignes ou métro pour se diriger, mais tout commence par l'escalier. L'impératif de l'escalier, l'effort à produire pour gravir, pour s'élever, pour arriver à l'étage. Temples de la misère pour dire usines, ou lieux de torture, ou travail. Ce que je vois en sortant à la station Bastille, en étant recraché dans la rue Saint Antoine face à l'immeuble de la Banque de France . Une perspective qui continue avec la rue de Rivoli, et qui, si je réunis tous les souvenirs de l'avoir arpentée me mène au Chatelet, au Louvres, puis à la Concorde. Chacun de ses mots pèse son poids d'émotions, de souvenirs, de petites joies et de petites misères, mais tellement personnelles que ça devrait le rester. Comment parler de ce qui reste entre ces souvenirs, ces émotions. Comment trouver les mots pour me débarrasser de tout ça. Est-ce un but que celui de vouloir s'en débarrasser. Ou au contraire déposer une bonne fois pour toutes tout ça en un lieu, un écrit, une tombe, un ici-gît... Une trouée dans la ville depuis Bastille qui s'ouvre comme une fente, une fente importante de la ville, plus étroite que la longue rue de Vaugirard dans laquelle j'ai moins de souvenirs et d'émotions mais qui fait toujours ressurgir ses abattoirs. J'ai plus pénétré la ville par cette fente première que par la seconde dans laquelle je ne me suis qu' hasardé. Pénétrer la ville de part en part. La connaitre par ses artères, ses rues ses venelles, ses impasses, en connaitre chaque quartier, ses raccourcis, ses détours. Avoir des engouements qui poussent à revenir dans tel ou tel quartier de la ville, des répulsions à revenir dans d'autres. Juste quelques bribes de poésie lues ce matin et déjà je pars en prose, comme on s'enfuit d'une chambre d'hôtel à la cloche de bois. En parlant des chambres il y a de la matière. Bien qu'il n'y ait toujours qu'un lit, une table, un évier, une vague armoire, une chaise et une fenêtre. L'ameublement est toujours à peu près le même. Et pourtant il y a tellement de chambres dans ma tête. Tellement que la chambre devient un symbole. Il suffit que je me dise une chambre pour que ça devienne une image kaléidoscopique. D'autant que l'âge n'arrange pas les choses, les images se chevauchent se confondent tout comme les époques, les lieux les personnes associées à chacune de ces chambres .Une vie entière passée de chambre en chambre. La chambre comme un long corridor. La chambre l'antichambre de la naissance et de la mort. L'étonnement de se retrouver seul dans une chambre inconnue. Entouré d'objets inconnus. Un lit inconnu, une table inconnue, une armoire inconnue, une fenêtre par laquelle aucun regard encore n'a traversé les vitres. Au contact d'une chambre inconnu on est un inconnu. Il n'y a que de l'inconnu. Ce n'est pas désagréable d'éprouver cette sensation. Ce qui est désagréable c'est de vouloir rester qui l'on croit être. d'éprouver un tremblement dans le connu. Une chambre inconnu remet en question qui l'on croit être. C'est pour cela qu'on s'assoit sur le lit pour tester le matelas, que l'on déplace la chaise, la table pour les mettre à une autre endroit, ou l'armoire pour mesurer encore sa force. On réorganise les meubles d'une chambre inconnue pour agir sur l'impression désagréable de ne pas se sentir chez soi . Mais la sensation peut malgré tout persister une fois cette action effectuée. Le peu de répit que provoque l'illusion de vouloir s'accaparer un lieu, peut être suffisant pour retrouver une illusion d'espoir. Pour ne pas s'allonger sur le lit, cesser de respirer, vouloir crever. Et même si poussé par une sorte de lucidité poussée à outrance, on va jusqu'à s'allonger sur le lit, essayer d'arrêter de respirer pour crever on se rend compte que ce n'est pas si facile. Que la vie est plus forte. Qu'on est d'une certaine façon obligé de s'y tenir, de s'accrocher à quelque chose, n'importe quoi peut à ce moment là faire affaire. Comme donner un coup de poing sur les couvertures. Ce qui est risible. Un rire peut nous faire glisser d'une envie de mort à une envie de vivre. Il faut s'entrainer encore pas mal avant qu'un rire puisse nous emporter à un second degré, c'est à dire passer d'une idée d'importance à l'indifférence totale. Ce qui n'est pas si désagréable qu'on peut l'imaginer aussi. Marcher dans les rues pour se rendre au travail. Etre disponible pour voir ces rues, pour expérimenter de nouveaux itinéraires, pour observer les modifications liées à la saison. Les devantures, les vitrines, l'encombrement des rues à certaines heures, ou au contraire la tranquillité de celles-ci, entendre son propre pas rebondir contre les murs. Rue du pas de la Mule, sous les arcades de la Place des Vosges, rue de Turenne, rue vieille du Temple. Les bruits propres à chacune de ces rues. Les périodes au cours desquelles on sera plus attentif à ces bruits, ces odeurs, ces brillances, ces changements subtils de luminosité, et qui semblent contraster avec les périodes d'encombrement de soi-même. Etre disponible ou indisponible. Etre pris dans la glue de l'habitude. Etre occupé. Se sentir occupé, avoir des soucis, des peines, des chagrins, des malheurs qui nous rendent indisponibles. Qui déclenchent soudain des envies intempestives, pousser la porte d'une boulangerie, acheter un croissant l'engloutir en marchant, avaler quelque chose de doux en marchant dans l'aridité des rues. Le contact honteux de la main sur la poignée d'une porte. La colère qui s'empare du corps. Les pensées noires que l'on distille au fond d'une pièce aveugle. la bouée qu'on trouve en dégottant les vies de Plutarque. Se calmer par la lecture acharnée, pour résister à toutes ces heures qu'on donne à des étrangers pour qu'ils nous permettent de payer un loyer, d'acheter un croissant, de vivre tout simplement. Avaler des livres pour s'enfuir comme on avale un croissant pour se souvenir du doux dans la dureté des trajets. Lire des livres en pagaille. Orgies de lectures, lectures anarchiques. Une bibliothèque immense dont l'image nous aidera à créer une image de l'inépuisable. Désirer épuiser l'inépuisable. S'épuiser dans l'inépuisable. S'oublier dans l'inépuisable comme dans une sensualité morbide. S'oublier et se souvenir de quelque chose qui sans cesse s'échappe. Se trouver et tout de suite se perdre, s'égarer encore plus loin. Marées de l'inépuisable dont il faudrait noter les heures afin de mieux les prévoir, trouver des gués, un rythme, une organisation, un emploi du temps. Apprendre à lire à des heures régulières. Cesser de se goinfrer de lecture. Jeuner au besoin. Comment digérer ensuite l'inépuisable dont on aura arraché la chair avec avidité. l'inépuisable dans le sang, dans les viscères continue à faire son petit bonhomme de chemin. Les rues que l'on emprunte dans la ville appartiennent à d'autres histoires comme les chambres dans lesquelles on se réveille ont connu d'autres locataires. Et plus on pénètre dans l'inépuisable plus on s'épuise, on épuise quelque chose que l'on ne comprend pas, on sent bien qu'il s'agit d'un combat inégal. On s'épuise, on perd une idée d'importance comme une façade rénovée son échafaudage. On n'est plus si important qu'on croyait qu'on voulait. On habite seul une chambre dans la ville, on se rend à pied à son travail, on passe toutes ces heures qui semblent perdues à tout jamais au profit de patrons qui vous les rémunèrent chichement. On subit de toute évidence au début une injustice. Est-ce que c'est seulement ça gagner sa vie ? Se contenter de ce qu'on veut bien nous donner, des restes, des os, jeter depuis la grande tablée des banquets. Où est la dignité à manger à même le sol les reliefs des riches. Est-ce que s'en plaindre y changera quelque chose. Est-ce que se mettre en rogne changera la donne. Est-ce que devenir zélé, servile, sera vraiment utile. S'apercevoir dans la rue marcher vers un destin partagé par des millions et ne pas parvenir à saisir le mot solidaire. Prendre l'inverse alors. Désirer le pire. Se débarrasser de toutes les épines. Jeter à bas la couronne, l'auréole, la croix et la bannière. Se révolter comme on implose, en silence, entrer dans une librairie, acheter un carnet, un stylo, trouver un café ensuite, s'attabler, écrire. Puis trouver ça tellement puéril, dépasser encore ça le puéril. Puis y revenir, se relire.|couper{180}

Auteurs littéraires poésie du quotidien

Carnets | mai 2023

Pureté

Le passeur 50x70 huile sur toile ( vendu) En dessin, que se dit-on pour chercher la pureté qui serait d’une efficacité autre, soi-disant supérieure que simple trace. Trouver le tracé à l’instant T. N’est-ce pas déjà tellement complexe ? Être dans l’instant présent qui peut véritablement y parvenir, mais personne. Et quand bien même y parviendrait-on rien ne dit qu’on verrait quoi ce soit. Tout aurait déjà disparu, nous serions déjà passés à autre chose. Ensuite si l’on réfléchit, si l’on cherche la pureté , il y a de grandes chances qu’on se perde en supputations. Qu’on mette à feu et sang sa maison, son village, sa ville, un pays tout entier voire même plusieurs ; sans pour autant la trouver. Est-ce mieux, est-ce pire, comment puis-je encore améliorer etc. Ce n’est plus de la pureté mais de l’efficacité, une illusion, un complexe d’infériorité mal soigné, une pathologie incurable. Rien à voir Dessiner comme ça vient au moment où ça vient manque parfois d’efficacité mais on y gagne en pureté, sans le savoir. Et c’est justement très bien de ne pas le savoir. C’est ce qu’il faut exactement, se tenir hors de tout savoir, de toute idée de déjà vu concernant cette fameuse pureté. Sinon on chercherait une pureté semblable à une autre, à une mémoire de pureté, un mensonge et on s’égarerait encore. Ensuite, on palabrerait, encore des avis, des opinions parce que ça ne ressemble pas tout à fait à, parce que c’est disproportionné, parce que ci ou ça, Tout ça surgirait de l’extérieur ou de l’intérieur peu importe. Les gens et soi-même ignorons tout de la pureté véritable alors nous nous reportons sur des ersatz. Mais si un ersatz vaut autant qu’un générique voire un placebo, on pourra dire tout ce qu’on voudra ; mais il faudra éviter de parler de pureté. La pureté n’est probablement pas dans les choses ni dans les êtres. De plus elle est si multiple qu’on ne peut l’enfermer dans une case ou une cage. Elle chemine dans un perpétuel entre-deux, peut-être dans ce fameux instant présent dont tout le monde parle sans jamais le connaître vraiment. Elle ressurgit parfois avec des parures d’éternité selon la saison, la mode, le goût du temps, pour redevenir brutale le cas échéant lorsque la nécessité, le besoin s’en fait sentir. La pureté en dessin c’est comme la pureté en général, c’est un loup blanc qu’on ne voit que lorsqu’il s’enfuit déjà de la périphérie de nos regards.|couper{180}

peinture

Carnets | mai 2023

La vraie définition du crétin

photo prise ce dimanche 21 mai en me promenant dans une zone commerciale déserte C'est en 1754 dans un article de l'Encyclopédie que Diderot reprend une définition du crétin des Alpes d'un mémoire rédigé le marquis de Maugiron 4 années auparavant et intitulé : " Voyage en suisse" On y parle du Valais et de sa capitale Sion comme la région où la densité de crétins est la plus remarquable. Voici donc la définition du "Crétin" dans le langage d'origine « CRETINS, s. m. plur. (Hist. mod.) On donne ce nom à une espèce d’hommes qui naissent dans le Valais en assez grande quantité, & surtout à Sion leur capitale. Ils sont sourds, muets, imbecilles, presque insensibles aux coups, & portent des goêtres pendans jusqu’à la ceinture ; assez bonnes gens d’ailleurs, ils sont incapables d’idées, & n’ont qu’une sorte d’attrait assez violent pour leurs besoins. Ils s’abandonnent aux plaisirs des sens de toute espèce, & leur imbecillité les empêche d’y voir aucun crime. La simplicité des peuples du Valais leur fait regarder les Cretins comme les anges tutélaires des familles, & ceux qui n’en ont pas se croyent assez mal avec le ciel. Il est difficile d’expliquer la cause & l’effet du Cretinage. La malpropreté, l’éducation, la chaleur excessive de ces vallées, les eaux, les goêtres même, sont communs à tous les enfans de ces peuples. Ils ne naissent pas cependant tous Cretins. Il en mourut un à Sion pendant le séjour que fit en cette ville M. le comte de Maugiron, de la société royale de Lyon ; on ne voulut point lui permettre de le faire ouvrir. Il s’est borné à examiner (apparemment sur le vivant) les deux sexes ; il n’y a rien remarqué extérieurement d’extraordinaire que la peau d’un jaune fort livide. Voyez Valais. Ce détail est tiré d’un mémoire de M. le comte de Maugiron, dont l’extrait nous a été communiqué, & qui a été lu à la société royale de Lyon. » En 1873 un autre rapport commis par le professer Baillarger est remis au Ministre de l'agriculture et du commerce ( De la Bouillerie) en France et qui permet d'analyser la densité de crétins sur une population de 1000 personnes. Les Hautes Alpes et la Savoie remportent haut la main la palme avec respectivement 22.5 et 16 pour 1000. La moyenne générale des autres départements français étant de 4/1000 Le crétinisme est souvent accompagné du goitre qui est une déformation de la glande Thyroïde. "L’accroissement de la thyroïde, allant de pair avec un fonctionnement défectueux des hormones thyroïdiennes, engendre ce qu’on appelle le « crétinisme », c’est-à-dire un retard dans la croissance corporelle et mentale. Manifestations connexes : ventre proéminent, langue gonflée, traits rugueux et peau sèche. Cette maladie qui a presque disparu, affectait surtout les populations des vallées de la haute montagne. Les hormones thyroïdiennes fonctionnant mal pendant la grossesse faute d’iode, les crétins présentent souvent des degrés de débilité mentale pouvant allant jusqu’à l’idiotie. D’autre part, ils sont sexuellement déficients par le fait de la croissance insuffisante des organes génitaux. » reprise du rapport de 1851 Peut-on extraire des hypothèses à partir de cette définition ? Nous savons bien ce que valent les hypothèses. Quand on ne sait pas on tire une hypothèse comme au tir au pigeon. ---Le phénomène aurait-il débordé au delà du Valais ? Du territoire des Helvètes ? Assistons-nous à des inondations de crétinisme ? — Utilisions-nous le mot crétin à tort et à travers ? — L'Encyclopédie des Lumières n'était pas plus éclairée que toute autre. Ce qui laisse penser qu'on peut vouloir se dire éclairé, que ça peut devenir une sorte de but, mais qu'au bout du compte on reste dans le noir. — Qu'une définition est susceptible de se modifier dans le temps, tout comme un mot ? — Nous sommes toujours dans une époque de mutation. Tout mute, le crétin n'échappe pas à la règle. — Est-ce de la responsabilité d'Hergé d'avoir dévoyé le terme, le transformant en insulte dans la bouche du capitaine Haddock ? — Est-ce de la responsabilité d'intellectuels subversifs comme Antoine de|couper{180}

Carnets | mai 2023

La ramener

La ramener : il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps, je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi, la tête rouge, en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller, cependant. Il y avait même, en chœur, tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait : -- Alors, t’en penses quoi ? C’est un sale con, n’est-ce pas ? Ou encore une belle salope, tu trouves, tu pas ? J’en pensais rien, bien sûr ; je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros, toujours le même : lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur, peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau, le laissant là, planté comme un poisson en train d’étouffer. C’était un miroir qui devait au moins faire sept mètres de long et qui faisait face au bar. Un jour qu’il la ramenait, j’ai chopé un tabouret et je l’ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l’a plus ramenée : c’était fini.|couper{180}

fictions brèves

Carnets | mai 2023

Consignes

Il y a stage, il y a thème, donc il y a consignes. Et comme je ne prépare jamais rien, la consigne, au début, n’est qu’un embryon. Un petit bout de quelque chose, une boulette de bousier qui, au fur et à mesure de la journée, s’épaissit. C’est pourquoi j’ai pris l’habitude de donner, dès le départ, une consigne vague. Par exemple celle-ci : — À l’aide d’une couleur primaire et de sa complémentaire, faites donc une peinture sur laquelle on serait incapable de voir ni l’une ni l’autre. Ensuite, on prend le café, des petits gâteaux, il y a des questions, plein. Les questions, c’est bien. Heureusement qu’il y a toutes ces questions, sinon je ne sais pas du tout quelle nouvelle consigne je pourrais leur donner. Une consigne pour produire encore plus de questions, peut-être… Tentons. — On était parti sur le thème de la couleur, mais est-ce que vous connaissez vos valeurs, au fait ?|couper{180}

peinture

Carnets | mai 2023

Apprendre à boire

À classer dans le recueil Pensées d’un idiot. Parmi les souvenirs de beuverie de ma jeunesse, beaucoup de gueules de bois. L’ivresse se paie cher, surtout si, pour une raison ou une autre, on désire en sortir. De plus, il y a toujours quelqu’un d’Agen pour vous dire d’aller à Castres ou à Pétaouchnok, d’apprendre à boire. Peut-on apprendre à boire ? Grande question. Cela nécessiterait une assez longue explication sur le pourquoi du comment, sur l’inné et l’acquis, sur la multitude des chemins qui n’en fait, somme toute, aucun. Aucun et quelque chose. Ou encore quelque chose et rien. Sophocle déjà en parle, non sans jouer d’ambiguïté à chaque vers. — Je trouverai le criminel, dit son Œdipe. Tout et rien. Ce ne sont pas deux choses, mais une. Et cette chose n’est pas grand-chose, au sens où « grand » la distinguerait de rien. — Boire pour oublier, disent certains. Boire parce qu’elle m’a quitté. Boire parce que je ne suis pas gai. Beaucoup de gens boivent à tort. Boire pour boire, c’est autre chose, de plus franc. Boire en gaulois, boire en celte, en gaélique, en britannique. Boire pour une identité linguistique. Si ça peut, faut essayer pour boire. Boire pour esquiver la réalité comme un champion de boxe sur un ring. Jeu de jambes : on titube, on s’étale, on se relève, on tourne en rond dans un espace plutôt carré. Boire avec méthode. Boire de façon quasi mathématique. En mesurant la progression du taux d’alcool dans le sang comme passe-temps. Être titubant, mais attentif à la titubation. Mais apprendre à boire : pas d’école connue, pas de formation. C’est que boire est affaire si personnelle, dans le fond, qu’on serait bien en peine d’en tirer des règles, un manuel, un objet de transmission. Se bourrer la gueule n’est pas boire comme souffler n’est pas jouer. C’est griller beaucoup d’étapes entre le matin et la fin de la journée. Je vois quelques-uns qui se vantent d’absorber, en un clin d’œil, l’équivalent d’un jour ou deux d’opiniâtreté et de patience. Pour s’écrouler lamentablement ensuite dans un sommeil sans rêve. Ceux-là boivent pour dormir. Alors qu’on peut, en buvant, atteindre le contraire : s’éveiller à des réalités parallèles, et qui ne touchent jamais cette réalité-ci. Même en cellule de dégrisement. Boire pour naviguer sur une multitude de réalités parallèles, c’est comme naviguer sur aucune. Il convient, à un moment, de s’en rendre compte. Ce n’est pas « apprendre à boire » qu’il faudrait dire : c’est tout ce qu’apprend le boire. Être un ivrogne ordinaire, rien de plus facile : tout le monde peut y arriver. Mais atteindre à l’extraordinaire par la boisson, c’est autre chose, et d’ailleurs la boisson n’est qu’un outil, elle n’est pas une fin en soi. L’important, c’est l’ivresse. Et qu’importe le flacon, dit-on : la bouteille ou le verre. Cultiver son ivresse est affaire si personnelle qu’il serait prétentieux et parfaitement inutile de vouloir l’enseigner à d’autres. Peut-être en est-il de même de toute chose en ce monde, une fois qu’on le découvre avec une. Apprendre à écrire, à peindre, à aimer. On peut aussi se demander à quoi sert l’éducation, en général, sinon à maintenir la croyance qu’on peut tout apprendre des autres et rien de soi.|couper{180}

Carnets | mai 2023

Relecture

Il y a quelque chose de douloureux. Douloureux est trop fort : une gêne. Je suis gêné lorsque je relis un texte. Pas tous les textes : les miens. Déçu est le mot qui accompagne la gêne. C’est décevant, c’est gênant. C’est une question de temporalité. Relire ne s’effectue pas dans le même temps qu’écrire. Ça paraîtra une évidence. Mais si l’on creuse cette évidence, on en découvre l’étrangeté. Le décalage se fait jour. Le mouvement de l’écriture, le mouvement de la lecture sont deux mouvements distincts. Peut-être parce que, lorsque j’écris, je ne sais pas du tout vers quoi me mène ce mouvement. Je ne fais que suivre le mouvement, avec ses variations d’intensité issues d’un mouvement intérieur à l’écriture elle-même, en train de se constituer. Quand je relis, je me retrouve face à une chose achevée, une chose morte, inerte : un cadavre. Je ne me sens pas en mesure de dire « c’est un bon cadavre », un mauvais ; dans mon esprit, tous les cadavres se valent. Ce ne sont qu’enveloppes vides, dépouilles de quelque chose qui n’est plus. Se relire est donc lié en grande partie à la mort. Est-ce douloureux de faire face à la mort dans un texte ? Ce serait trop fort, exagéré, grandiloquent. Non : il s’agit d’une gêne, et cette gêne crée un empêchement à cet autre mouvement que j’imagine possible, bien sûr, sans toutefois y accéder : lire à tête reposée. Lire avec sang-froid. Lire froidement. Lire d’une façon impitoyable ces textes. Voilà quelque chose de nouveau : l’idée d’être sans pitié. Mais pour qui ou quoi ? Pour le texte, pour celui qui l’écrit ou le réécrit en le lisant de nouveau. Avec du recul. Si je m’appuie sur mon expérience en peinture, c’est la même chose : une totale absence de pitié envers mes propres peintures. Rare que la moindre trouve grâce à mes yeux quand je prends un tant soit peu de recul. Alors qu’il en est à l’opposé pour les peintures réalisées par mes élèves. Je suis doté d’une compassion sans borne pour les peintures réalisées par les enfants, notamment. Peut-être pas tant pour les adultes, à la vérité. C’est difficile. Il faut à la fois ménager les sensibilités et maintenir un certain niveau d’exigence. Une exigence que j’attribue au fait qu’on me paie pour donner mon avis, ou des conseils. Il est nécessaire de ne pas raconter d’histoire ici. Il est nécessaire de les raconter habilement. Enseigner demande beaucoup d’habileté pour aplanir les obstacles. Les mêmes, très exactement, que moi je ne cesse de mettre en travers de ma propre route pour écrire ou peindre. Quel paradoxe. Peut-être qu’un texte achevé, un tableau achevé venant de l’autre déclenche plus d’aménité. Je ne peux intervenir sur une chose considérée comme achevée. Ce n’est pas souhaitable d’intervenir, a priori. Qui suis-je pour dire : « cette chose aurait pu être un peu mieux achevée », ou « elle n’est pas tout à fait achevée, ça bouge encore, ça demande à vivre », ou je ne sais quoi. Mais quand je pense « ça demande à vivre », et que cette phrase surgit presque en même temps, simultanément à une notion d’achèvement, j’ai certainement de quoi me questionner. Si ce n’est pas achevé, si c’est encore trop vivant, ce n’est ni mort ni vif, à la façon dont je comprends, moi, qu’une chose est morte ou vive. Qu’en sais-je ? Qu’est-ce que je comprends vraiment de ces deux états de l’être ou des objets ? Et quelle relation cette ambiguïté entretient-elle avec une idée personnelle de la beauté ? On parle d’art, il faut donc, de toute évidence, du beau. Ainsi, il y aurait la belle mort et la belle vie. Le regard serait posé sur cet horizon, s’aveuglerait de ce mot, sans doute. Resterait dans l’aveuglement un certain temps jusqu’à ce qu’une sorte de vision soudaine surgisse, balayant d’un coup, en même temps, ces deux notions de mort et de vie. Les balayant comme on balaie un sol d’atelier en recueillant la poussière dans une pelle. Pelle qu’on vide ensuite, sans y penser, dans une poubelle, tout en recommençant une nouvelle journée. Est-ce que la relecture me gêne car elle m’oblige à aller explorer la poubelle ? Pour voir si je n’ai pas jeté autre chose que de la poussière. Si je ne me suis pas trompé quant à ce que je considère comme de la poussière, c’est-à-dire du temps qui passe, dans lequel on ne parvient pas à achever correctement quoi que ce soit. Dans un tel cas, il faudrait se mettre à l’écart du temps, s’isoler du temps afin de mieux le considérer pour ce qu’il est : un espace. Un espace tout à fait semblable à une page d’écriture, un texte. Un espace comme une toile clouée sur un châssis et sur laquelle peine et joie sont mêlées à un point tel qu’elles en deviennent indiscernables. Peut-être que la relecture d’un texte ou d’un tableau représente l’indiscernable. Me replace dans une strate enfantine oubliée dans laquelle la différence n’existe pas encore. Sauf que l’adulte ne veut rien comprendre de cette strate, il ne veut plus y retourner, vu la peine, la difficulté qu’il aura eue à s’en extraire, bien malgré lui. S’en extraire pour être avec le groupe. Ce qui lui fait finalement détester tout groupe quel qu’il soit, par pur réflexe animal. Là, ce n’est plus de la gêne : c’est une véritable douleur. Cela veut dire tout ça pour ça, tout ça que pour ça ? Encore que ce dégoût réflexe ne provienne que d’un engouement bâillonné depuis belle lurette. Un engouement premier contrarié, qui n’est jamais parvenu à reprendre sa forme d’origine. Un engouement premier resté logé comme un poignard dans un mur, auquel, à force de le voir tous les jours planté là, on devient parfaitement invisible. Relecture, relire, relier. De belles difficultés quand on s’y penche.|couper{180}

Carnets | mai 2023

d’un point de vue global

Il m’en avait bouché un coin. Comment pouvait-il prétendre voir ça ? Pantois, j’assistais à la représentation. J’avais trouvé une place de choix, au premier rang. La difficulté, comme toujours, étant celle de maintenir sur mon visage l’impassibilité propre aux stoïques. Puis il dit : -- Si « je » considère les informations dont « je » dispose d’un point de vue global… Je sentis mon corps me trahir à cet instant précis du bal de global. Des convulsions irrépressibles me jetèrent hors de moi, m’éjectèrent depuis mon siège vers le sol, à quelques centimètres des chaussures en cuir de vachette de l’orateur, qui fit un bond en arrière. L’assistance, un instant stupéfaite, très vite ensuite se tint les côtes, tandis qu’un peu penaud, je retournais m’asseoir à ma place.|couper{180}

Carnets | mai 2023

Ce qui est une tuile

Une autre idée qui peut être digne d’entrer dans le recueil « Les pensées d’un idiot ». La sensation, parfois, de pousser le bouchon plus loin que nécessaire. Ainsi cette pensée sur les œuvres, toutes les œuvres, quelles qu’elles soient. Celles que l’on classe par catégories, avec des qualificatifs, des jugements, des avis d’experts ; celles qui méritent qu’on s’y attarde, et les autres qu’on met en un clin d’œil au rebut. Toutes les œuvres se valent sur le plan de l’être. Elles sont. Toute œuvre est ce qu’elle est. Et ce, avant même que l’on pose un regard sur elle. Ce regard qui, ensuite, désire se l’approprier ou la repousser. Le professeur, en vieillissant, ne parvenait plus à dire si les œuvres de ses élèves étaient « bonnes » ou « mauvaises ». Avec les années, son œil s’était exercé à un tel point qu’il était parvenu à dépasser les critères de jugement habituels que fournissent l’éducation, l’apprentissage, la pratique. Il ne parvenait plus vraiment à se souvenir à quel moment l’étrange phénomène s’était produit. Un jour, il ouvrit la porte de l’atelier, aperçut les élèves installés devant leurs chevalets, puis il avait considéré cet ensemble et en était resté interloqué. Tout était parfait. Il n’y avait rien à dire sur quoi que ce soit. Tous les tableaux tombaient d’aplomb. Il n’y voyait partout qu’harmonie, justesse, perfection. Ce qui est une tuile. Car si le professeur avait perdu sa langue, il conservait une assez bonne oreille, et peu à peu les voix des élèves lui parvinrent. -- Comme c’est moche. -- Je ne sais vraiment pas où je vais avec cette croûte. -- Je suis complètement perdue. -- Rien ne va plus. Cela le réveilla de sa torpeur, ou de sa rêverie. Il comprit qu’il devait poursuivre sa tâche jusqu’au bout, ainsi que tous attendaient qu’il le fît ou le fasse. Il ne pouvait pas rester de profil. Il passa le reste de la journée à produire du conseil comme tous l’attendaient. -- Moins bleu, ce bleu. -- Plus rouge, ce rouge. -- Plus épaisse, cette ligne. -- Pas nécessaire, celle-ci. Ce faisant, il se voyait lui-même d’une façon étrange. Il était en même temps lui et un autre. Tout comme ses élèves étaient eux-mêmes et encore d’autres. Plusieurs fois dans la journée, il éprouva l’envie de dire : -- Arrêtez. Arrêtez tout, cessez cette comédie ! Cependant, il n’en fit rien : la réalité grondait derrière les verrières de l’atelier. Un orage formidable, des grêlons gros comme des œufs de pigeons.|couper{180}