avril 2022

Carnets | avril 2022

notule 10

Dernière mouture de cette toile qui finalement relève plus de l’icône.|couper{180}

Carnets | avril 2022

notule 24

Bientôt une nouvelle guerre avec toute sa panoplie d'inepties, c'est à prévoir comme on prévoit tranquillement les différents ingrédients d'une liste de course. On voit très bien désormais que la seule issue au capitalisme en cas de crise est de semer le désordre, de créer la confusion, pour parvenir à augmenter exponentiellement la peur dans les populations. Ce qui entrainera l'arbitraire des choix envers une cause apparente ou une autre larvée, peu importe. Et au final cette demande de sécurité, d'être rassuré, de s'en remettre à une autorité incontestable. La pantomime jouée par les faibles et les forts. Représenter l'horreur une fois de plus pour que les légendes reprennent du poil de la bête. Celle du héros, comme celui d'un âge d'or passé ou à venir. Avec toute la hiérarchie des couillonades habituelles, dont on peut déjà apercevoir les longs nez. La valeur travail, la valeur sincérité, la valeur solidarité, travail famille patrie. On secoue le pochon du loto et on tire à nouveau avec le hasard comme prétexte. On n'y coupera pas, c'est une nécessité car nous avons encore besoin de la douleur pour apprendre. Encore plus de douleur, pour parvenir à saisir l'inexistence de l'égo. De ce "je" à qui on ne cesse de demander son avis à seul fin de le renforcer. Sondages d'opinion, élections, cartes de fidélité et double voire triple authentification. Et plus cela devient raisonnable plus on obtient le contraire justement. Une irrationnalité qui se banalise, pour ne pas dire une bêtise qui se démocratise. Quand la bêtise devient la raison, la violence n'attend que ce feu vert pour se répandre, jetant à bas les institutions, en créant d'autres, toujours plus absurdes et kafkaïennes. Comme je le disais encore hier, concernant les gens de ma génération, les sexagénaires, nous avons englouti notre pain blanc qu'on l'accepte ou pas. Il en résulte une désagréable impression de satiété mal adressée pour les plus à l'écoute du pouls du monde. Un peu de culpabilité mais pas trop, et souvent une envie de réparer les pots cassés. C'est peut-être mon cas. Encore que cette envie je la trouve tout aussi suspecte que toutes les autres précitées. L'envie de fuir au fond d'une grotte ou au sommet d'une montagne, à priori ne me quitte pas depuis mes tous premiers pas. Comme si justement je savais déjà tout des tenants et des aboutissants de la satiété factice dans laquelle dès les premiers jours on m'a plongé. Les fameuses trente glorieuses ne sont rien d'autre qu'un tampon hygiénique, une sorte de bouchon à un phénomène périodique. Ma chance est d'être né prématurément quelques semaines trop tôt. Sinon je n'y coupais pas, j'allais devenir un petit robot comme les autres sans même m'en rendre compte. Le simple fait d'avoir été relégué dans une couveuse à l'hôpital Saint-Michel, dans le 15 ème arrondissement de Paris, est une chance. Car le déchirement, l'absence, le manque, à peine éjecté de la matrice maternelle m'auront donné le ressort nécessaire étrangement pour m'éveiller. C'est à dire une forme de rage directement reliée à l'amour et à ce constat d'impuissance de pouvoir le trouver normalement en l'Autre. Cette transition des limbes dans les limbes si l'on veut m'aura mis en contact immédiat avec une sensation d'équanimité qui doit venir de bien plus loin que ma naissance. Qui probablement remonte justement à cet indifférencié, ou le mal et le bien n'existent pas plus que l'ombre et la lumière. Où l'absence de séparation finit par créer le fantasme de la séparation comme pour mieux constater sa donnée immuable. Une sorte d'ennui ontologique. Je mentirais si je disais que je me souviens de cette période. Par contre lorsque mon imagination désire s'y alimenter elle n'y découvre aucune joie, et sans doute aucune peine véritable non plus Car pour éprouver ces deux émotions il faut bien évidemment les relier à quelque chose de défini, il faut bien créer une relativité. J'arrive au monde comme tout le monde par une femme, mais je n'ai guère le temps de nouer une relation claire avec elle en tant que mère, que déjà je m'en trouve séparé une seconde fois. N'est-ce pas étonnant d'y penser. Il en résulte en tous les cas un rapport d'étrangeté à la mère, à la femme puis aux autres et au monde finalement. Le fait que j'ai passé des années à suivre le penchant naturel de la plainte, m'y accrochant, parce qu'elle me construisait, ne me sert plus à rien. Je crois que l'échafaudage tout entier s'est effondré en 2003 au mois de février à l'hôpital de Créteil. Ma mère est allongée devant nous, mon père et moi. Elle a les yeux grands ouverts elle est shootée à la morphine, les yeux gris bleu immenses grands ouverts mais elle semble ne pas nous voir, nous distinguer. J'ai passé la main devant ses yeux pour voir si ils suivaient le mouvement, rien. Un regard de nouveau né au moment même de repartir dans l'indistinct. Elle nous a laissé seuls encore une fois j'ai pensé. Du coup j'ai pris les commandes avec un sang-froid comme celui que l'on s étonne de rencontrer sur un champ de bataille, durant un accident de la route, ou dans la panique d' une émeute. Je ne me suis pas laissé envahir par l'émotion, j'ai oublié que c'était ma mère, j'ai juste pensé à l'homme que j'accompagnais et qui était encore mon père à cet instant. Je n'étais plus un fils vraiment mais un compagnon apte à gouverner, à naviguer dans la confusion de ce moment. J'ai dit prends lui la main. Ce qu'il a fait sans broncher. Puis je me suis approché de l'oreille de la mourante et j'ai dit, c'est bon ma petite maman, rien ne te retient plus ici, tu peux y aller. Je n'en reviens toujours pas en y repensant. Cette froideur, cette totale absence d'émotion personnelle, et qui m'a autant effrayé que surpris d'où venait t'elle ? Tout de suite après nous sommes rentrés à la maison familiale à Limeil Brévanne . Nous n'avons pas échangé un seul mot. Et le lendemain matin très tôt l'hôpital a appelé pour dire que maman était décédée. J'éprouve le besoin de dire maman comme pour me rassurer encore. Pour me dire que moi aussi j'ai eu une mère, même si le lien entre nous aura été d'une telle bizarrerie... Je nous dois bien cela. Pourquoi je reviens encore à cela ? Pourquoi partir de ce constat que la guerre est inéluctable pour parvenir à la mort de maman. Tout simplement par ce que sans doute c'est à cette occasion qui nous est offerte, la guerre ou la mort et ce même si nous imaginons les circonstances désagréables, que nous sommes sans doute le plus nous-mêmes véritablement. Sans les oripeaux, les déguisements, les mensonges dont nous nous revêtons dans l'illusion du groupe, de la famille de la patrie ou je ne sais quelle autre illusion , nécessaire pour nous distinguer au sein de la confusion générale. En fait comme à peu près à chaque fois que j'écris je me laisse déborder par les mots qui s'inscrivent. Cette fois comme le petit Poucet j'ai pris soin d'inscrire quelques mots clefs dans la case "étiquettes" de l'éditeur que j'utilise pour rédiger ces billets. J'avais écrit "avoir un but", "supporter la douleur" et "croire en un but". J'avais pensé à la question, à la torture je crois en démarrant ce texte. Je m'étais posé la question de savoir si mon but en tant qu'être humain me permettrait de résister à toutes les douleurs qu'un bourreau pourrait m'affliger pour obtenir je ne sais quelle information. Ce qui m'a amené à considérer cette idée de but. Puis partant, en remontant encore en amont du but ce qui pouvait sans faille le créer. Je ne trouve que la foi comme source ou comme raison et cause. Donc pour résumer et pour résister à la torture , il faut croire qu'un but existe même si on ne sait pas lequel car nous ne savons pas qui nous sommes sans cette foi. Peut-être que pour résister à la douleur il faut croire qu'il existe un but, et qu'à force d'y croire il finira par exister vraiment. Peu importe si on y laisse sa peau sous la main du bourreau. Et là comme vous me voyez je peux très bien être Harrison Ford avec tout son attirail d'aventurier le précipice est devant moi, j'avance une jambe, je ferme les yeux et j'avance. Bien sur c'est très américain, cinématographique, risible à première vue. Joe Biden sans doute aussi a coiffé un drôle de chapeau mou alors que le monde entier est face au précipice. Avance t'il aussi sa jambe pour voir si quelque chose de solide supporte le poids de sa foi , de son idéal américain, de sa croyance dans le pognon, dans la démocratie à l'américaine ? Et s'il s'agissait seulement d'un pari encore, d'une simple bévue, une erreur nécessaire juste avant de projeter le monde dans un cataclysme ? Comme ma grand-mère le disait à juste raison il ne faut pas tenter le diable surtout si on a la certitude qu'il n'existe pas. Bientôt la fin de l'ère du poisson, on ne pourra plus filer entre deux eaux. Je ne pourrais plus non plus achever mes textes en queue de poisson ni peindre avec une queue de morue. Quant à l'ère du Verseau elle promet effectivement d'être plutôt glaciale du point de vue des gens qui vivent aujourd'hui. L'émotion ne sera plus nécessaire, les sentiments non plus mais ce sera probablement à ce prix que l'âge d'or reviendra. Etrange âge d'or, incompréhensible encore à l'aube d'une nouvelle fin du monde.|couper{180}

Carnets | avril 2022

notule 9

Si je dis je de façon inconsidérée c’est un blasphème. Si je est un personnage crée par soi c’est différent. Mais c’est dangereux. Le danger de confondre moi et soi. Le blasphème serait de dire je au présent sans rien créer. Je crée mais ce n’est jamais l’ego qui crée. De même pour les maladies On ne devrait pas dire j’ai mal Mais plutôt j’ai eut mal jusqu’à présent Et c’est déjà du passé. Ça a l’air con comme ça si on n’est pas dedans. Mais si on y est c’est magnifique ! Cela dit voilà l’exemple typique d’un tableau bousillé suite à une erreur d’aiguillage entre je et soi.|couper{180}

Carnets | avril 2022

Notule 23

Âmes sensibles s'abstenir... Devant moi trône une dent. Je ne saurais pas dire si c'est une molaire vraiment mais ça y ressemble. Je l'ai perdue voici trois semaines désormais. En mangeant un sandwich à la con, une tranche de jambon entre deux tranches de pain mou. Redoutable le pain mou. D'autant que ce n'est pas la première fois que ça m'arrive, et de plus exactement de la même façon. Je l'avais récupérée à temps avant de l'avaler puis flanquée dans la poche arrière de mon bloudjine. Et c'est en voulant mettre le linge sale à la panière, que je l'ai retrouvée au fond de la poche susdite. Du coup je l'ai déposée devant mon clavier sur le support de mon écran plus précisément. Ivoire un brin jaunie sur fond noir. Et puis les jours ont passé, ils passent toujours. J'y pense ce matin car justement je n'ai rien à me mettre sous la dent. Un petit coup de blues passager ( encore une fois, allez, vous y êtes habitués désormais) où je ne sais pas si j'ai envie d'aller m'embaucher comme marin pêcheur, ou bien me préparer un nouveau sandwich au pain mou. Mais, fortuitement je n'ai plus de jambon, et la mer c'est bien trop loin. D'où mon regard flottant qui s'arrête soudain sur cette dent. Oh tiens une dent, mais c'est ma dent merde alors... C'est dégueulasse je me dis. Réflexe. Puis non, après tout je suis peintre, la nature morte c'est mon rayon. Je devrais la peindre tiens. Après le clou du spectacle ( déjà vendu ) un grand format sur la dent sans Eve. Bon d'un autre coté je me disperse un peu beaucoup en ce moment. Plus que d'habitude encore je crois. C'est que ça me fait drôle d'avoir une dent sous les yeux et de ne pas me rendre compte. A part maintenant. Comme une évidence. Comme un mot que l'on a l'habitude d'utiliser sans savoir ce qu'il veut vraiment dire, ou ce que l'on veut lui faire dire. Ce qui revient à peu près au même. J'imagine la vie de ma dent un peu comme la mienne. De longues racines un peu tordues avec une pellicule de tartre ce qui rompt par endroit sa jolie patine brillante. Combien de repas aurais-je donc engloutis avec ? Combien de bout de bœuf, d'agneau, de veau, de cochon, de poulet, de gras et de maigre m'a t'elle aidé à déchirer déchiqueter, mâcher ? Je n'ai plus de doliprane je ne m'engagerais pas dans les calculs, mais ça doit être quelque chose comme... innombrable, encore que ce ne soit pas non plus infini. Et non cette dent en a forcément chassé une autre, de lait. Et le premier repas qu'elle a effectué toute contente d'être une dent pour de vrai, ben désolé mais je l'ai oublié. J'ai juste en mémoire désormais le dernier, assez peu glorieux, comme l'époque finalement. Se faire faucher par deux tranches de pain mou, c'est tellement con que l'évidence me saute au visage , ça tombe pile poil avec le lendemain des érections pestilentielles. Me voici donc seul comme Hamlet avec ma dent. Mâcher ou ne pas mâcher that is the question. Déjà que je ne mords plus guère, ni ne croque et ne déchire presque plus... va falloir que j'étudie l'esquimau, la haute métaphysique des Inuits dont je me suis laissé dire qu'elle était éminemment reconnue pour son pragmatisme. Quand t'as plus de dents tu manges de la purée et de la soupe. C'est pas plus compliqué que ça la haute métaphysique Inuit. En tous cas pas plus con que le devis que j'ai reçu par email après consultation chez mon dentiste abhorré. J'aurais encore pu faire un jeu de mot avec le fait d'avoir une dent contre lui. Mais ce serait d'une trop grande proximité encore. Je préfère m'abstenir. Passer la langue sur ma béance, pour être toujours certain qu'elle se tient là, comme un mort dans un cimetière, et pas n'importe où ailleurs ou nulle part comme ces cendres et ces paroles que l'on disperse sans savoir aux quatre vents.|couper{180}

Carnets | avril 2022

Shéol

Le Christ dans les Limbes, d'après Jérôme Bosch J'ouvre un œil. Une lumière verdâtre, à laquelle peu à peu mon regard s'accoutume. Une immense salle. Cependant l'atmosphère qui règne ici est suffocante, à la fois chaude et humide une odeur d'ail m'envahit. En me tortillant je parviens à relever la tête pour regarder autour de moi. Et j'aperçois des milliers de rayonnages qui contiennent des boites de forme oblongue. L'endroit m'est familier. Une sensation de déjà vu. L'ensemble ressemble à un entrepôt de stockage gigantesque. Ce sont des corps qui se trouvent dans ces boites, alimentés par tout un réseau de tuyaux. J'ai la sensation de me retrouver dans un bouquin de Philip José Farmer, probablement pas un de ses meilleurs. Et parallèlement je sais que je suis aussi là, quelque part, que mon vrai corps est dans l'une de ces boites. J'essaie de me dégager de mes entraves en vain. Encore un de ces cauchemars probablement où j'ai été terrassé par des gnomes comme le géant Gulliver. J'essaie de rire comme je le faisais enfant en disant à voix haute : je sais que c'est un rêve, je me réveille quand je le désire. Mais rien ne se passe. L'incantation ne fonctionne pas. Mes paupières se referment lentement et j'éprouve comme une sensation de chute. Ce genre de chute dont on pense qu'elle ne s'arrêtera jamais, durant laquelle on cherche désespérément quelque chose pour se raccrocher à un appui, une solidité. Mais on ne trouve rien, la chute continue inexorablement, dans la partie négative de l'infini, une fois le zéro franchi et que la vitesse tout en s'accélérant une fois cette nullité franchie, nous emporte vers un but dont on pressent déjà la présence effroyable. "Les morts ne savent rien ; ils n'ont plus de récompense, et jusqu'à leur souvenir est oublié." Je me souviens qu'il faut passer par cet oubli. « Quoi que tes mains trouvent à faire, fais-le pleinement car dans le Shéol, où tu vas, il n'y a ni travail, ni plan, ni connaissance, ni sagesse. » Ecclésiaste. Plus terrible encore cette dernière phrase que je retrouve, toujours en route vers cette destination que je pressens. La perte de tout de ce que je pense être, avoir été ou serais. Ce lieu qui tel un purgatoire réunit les morts de tout acabit pour leur apprendre à oublier la vie. Voilà où je me rends. Dans le Shéol de Job et de Jacob. Et bien sur il y aura tous ceux que j'ai autrefois côtoyés, les bons et les moins bons, les justes et les ignorants. Une foule véritable à considérer tout en me considérant par ricochet. Quantité négligeable, poussière, peanuts. "Shéol n'est jamais rassasié" C'est dire la faim du vide personnifié. Comme si à un moment un auteur anonyme avait éprouvé le besoin d'en dresser un portrait, de le personnifier, d'en faire une allégorie. Je me dirige vers mon propre vide et le vide de tous les autres et c'est le même vide, le même appétit de vide et d'oubli pour tous. Une justice implacable. Dans le fond que l'on aille dans un sens ou l'autre depuis le zéro l'infini se ressemble. Sa bi polarité n'est qu'une vue de l'esprit. Et si je chute encore, et si la vitesse continue de s'accélérer il me vient à l'esprit que je n'ai qu'à tirer comme autrefois à l'armée sur la sangle pour que s'ouvre le parachute. Je n'ai qu'à penser que j'ai aimé car c'est tout ce qu'il me reste pour m'accrocher dans cette sensation de vide. Comme si tout ce que j'avais pu faire n'avait jamais été crée que par cet amour, le moindre geste, le moindre mot, tout ce qui a pu émaner de cette incarnation. J'ai aimé sans savoir que c'était toujours l'amour qui conduisait mes pas. J'ai aimé et j'ai cru être dans l'amour comme dans la haine, la joie ou la colère, l'envie et l'indifférence. Qu'importe les sensations, les sentiments contradictoires. Au fur et à mesure de ma chute les opposés se déchirent s'éloignent de façon inversement proportionnels les uns des autres. La loi de la gravité ne parait plus les retenir prisonniers l'un de l'autre. Voilà. Je sens une brise fraiche sur ma joue. Le plus important de toute cette vie est sans doute là dans ces retrouvailles de la sensation vraie. Impression de me dissoudre sans plus de douleur, le corps reste en arrière, comme un véhicule qui continue à effectuer des tonneaux sur la chaussée pendant que le conducteur ou le passager sont déjà éjectés. curieuse sensation aussi que cette nudité. Et toujours le contact doux de la brise sur la joue. "Le shéol a agrandi son désir et ouvert sa bouche sans mesure" Comme un serpent qui avale un mouton, j'ai cette image qui se superpose à la phrase d'Isaïe. Décidemment je suis incorrigible jusqu'à la dernière seconde je continue à réfléchir malgré tout, à effectuer des liens, à employer mon esprit analogique. j'ai toujours pratiqué ainsi au fond des cauchemars pour conjurer la peur. Réfléchir pour renvoyer son propre reflet à tout ce qui méduse. La question, comme le poison, s'y habituer au début un peu, chaque jour, tenir dans cette régularité ensuite. Se mithridatiser. D'ailleurs le shéol ce n'est rien d'autre que cela : le séjour des morts comme décorum et sur scène toujours l'actrice principale : la question. Rien à voir avec l'Enfer. Je n'ai jamais réussi d'ailleurs à concevoir un Enfer pas plus qu'un paradis. En revanche il me parait logique qu'une fois mort on ne devienne une question pour les vivants. Que chacun de nous pour une durée plus ou moins longue, ne finisse ainsi, comme autant de questions qui peu à peu s'évanouissent remplacées par d'autres. Ainsi va la vie mais aussi tout ce qui peut se situer en son amont comme son aval. Enfin la chute s'arrête, je ne tombe plus, je me retrouve au sol à nouveau, la pesanteur me revient. Je suis dans un monte charge finalement et les portes s'ouvrent doucement. Plus que de la surprise j'ai juste le temps de me dire zut, petite déception.|couper{180}

fictions brèves

Carnets | avril 2022

21.notule 21.

C’est inéluctable, on ne peut pas fabriquer autant d’armes pour ne pas être tenté à un moment ou l’autre de vouloir s’en servir. Ma génération, les sexagénaires nous avons en même temps de la chance et de la malchance quant à cette habitude initiatique des générations précédentes de participer à une « bonne guerre » On n’en veut pas mais tout de même il y a une petite amertume qui se love dans la partie reptilienne de notre cervelle. Le fantasme de la guerre, c’est un peu comme le fantasme tout court. On n’en guérit pas avant d’être passé à l’acte. Et la raison n’y peut pas grand chose. Le je doute donc je suis est un peu court. Par contre si on change la syntaxe on pourrait se dire Je crois donc je crée. Je crois en l’humanité donc je la crée. Chacun selon ses moyens, sur un plan local. C’est justement le doute qui nous emmerde le plus actuellement, et tout le cartésianisme qui va avec. Le doute a fait son temps, il nous faut de la certitude, de la foi. Pas celle des hypocrites des grenouilles de bénitiers qui veulent s’acheter une bonne conscience, rien à voir avec Rome pas plus qu’avec les ayatollahs de tout acabit. Foi en la conscience je dirais Foi en la lumière de la conscience C’est à partir de là qu’un commencement est possible. Le doute se débat il veut perdurer, ses secousses ses sursauts sont imprévisibles. La raison est devenue irrationnelle. Je ne suis que peintre et par l’exercice de la peinture j’ai vécu le doute l’absence de certitude, je cherchais à être un peintre « raisonnablement »… Ça ne fonctionne pas. Donc, je remplace peu à peu le doute par la certitude, j’espère ainsi apporter ma petite pierre à l’édifice, pour accompagner cette grande transformation qui s’accomplit en ce moment même. Il est possible que nous ayons encore besoin d’une guerre pour convaincre une grande part de la population que cette transformation est notre seule issue. Ceux qui gouvernent sont devenus fous. Nous ne sommes pas obligés de les suivre dans cette folie. Nous avons le choix celui de douter encore ou bien de croire. Quelque soit la suite cette transformation s’effectuera de toutes façons. Mais plus il y aura de monde qui prendra conscience de cette transformation plus elle sera facile. Sinon il y aura encore beaucoup de souffrance. Par peur, par doute. Il n’y a rien à l’extérieur de notre conscience. C’est la première certitude. Celle qu’on nous cache car elle nie toute séparation.|couper{180}

réflexions sur l’art

Carnets | avril 2022

Bruits de botte

Dessin d’enfant. Pourquoi moi ? Me voici saucissonné et jeté sur le sol d’un grand vaisseau sombre dont j’ai pu apercevoir vaguement la forme triangulaire. Qu’ai-je donc dit ou fait pour m’attirer autant de déboires en si peu de temps ? C’est comme si les choses s’accéléraient. Comme si la crainte, l’inquiétude, qui ne me quittent plus depuis des jours, avaient le pouvoir non seulement de créer le temps mais de l’accélérer brutalement. Comme si je pressentais une fin. La fin de cette histoire à dormir debout, celle d’un monde qui s’évanouit pour laisser place à quelque chose de terrible, de jamais vu, d’une ineptie dépassant toutes les autres. On ne s’attarde pas suffisamment sur la modernité de l’ineptie qui, elle aussi, suit son chemin, en parallèle de toutes les autres qualités humaines. Un accent traînant américain. Un gradé qui donne des ordres d’une façon faussement décontractée à d’autres que je n’entends pas. On m’a aveuglé avec ce que j’imagine être un bandeau. J’ai les pieds et poings liés. J’ai l’air fin. Qu’est ce que je fiche ici dans ce vaisseau et pourquoi ça parle américain ? —il se réveille attention ! dit une voix en français. Donnez lui une dose plus forte nom de Dieu ! Des pas s’approchent, des pas légers comme ceux d’une femme, d’ailleurs je peux sentir un parfum de talc Azura, c’est étonnant comme on peut tout de même relever ce genre de petit détail dans ce genre de situation. Mais pas le temps de philosopher je sens la piqure dans mon avant bras. On m’injecte quelque chose, je tente de me débattre mais déjà mes pensées deviennent confuses. Je m’accroche à l’odeur du talc puis je me sens glisser peu à peu dans le sommeil. Paris, septembre 1981. Je n’arrive toujours pas à réaliser que je vis avec cette fille. Je crois qu’il s’agit d’un rêve, et que ce rêve va s’achever d’un moment à l’autre. Peut-être que si je dis les choses ainsi je comprendrais mieux la suite logique de cette histoire. D’un côté j’estime bénéficier d’une chance inouïe. Alors que d’un autre je reste persuadé de l’illégitimité d’une telle chance. J’ai, comme on le dit vulgairement, le cul entre deux chaises. Et c’est extrêmement inconfortable. Les psychologues diraient avec cet air grave au chevet d’un patient : double contrainte ! D’ailleurs n’est-ce pas cette année là que je découvre les travaux de Grégory Bateson, je crois bien, et sa théorie du Double bind. Bref je cherche des raisons à ce sentiment d’inconfort déjà à cette époque. Elle, qui est t’elle ? Avant tout je pense à un trophée que la vie m’aurait flanqué dans les bras sans que je n’ai vraiment commis le moindre effort. Car il faut mériter les choses encore en ce temps là, tout me revient. Et donc quelque chose ne va pas. J’ai été récompensé pour rien. Pour rien ? Ou plutôt pour une de ces phrases intempestives qui sortent de ma bouche sans que je ne les comprenne moi-même, une sorte d’Oracle livré par un idiot. On m’a tellement bourré le crâne avec l’existence du hasard. Je lui avais dit j’ai la clef du septième ciel. En revenant par la route goudronnée du cimetière d’Auvers sur Oise. J’avais été ému à cause du lierre qui reliait les deux sépultures de Vincent Van Gogh et son frère Theo. Il avait plu, peut être y avait il aussi une odeur de lilas qui se mêlait à l’odeur de terre mouillée montant des champs alentours. Bref j’étais en transe et comme nous marchions l’un près de l’autre en dehors du groupe, je n’avais pas pu me retenir de dire cette phrase à haute voix. Elle m’avait donné la main juste après. Concours de circonstances extraordinaire. Je suis totalement dépassé. Mais je n’affiche rien. Je fais le gars qui connaît la vie. Putain, quel abruti de première. En vrai je ne sais pas du tout quoi faire de cette main dans la mienne, c’est ça la putain de vérité. Quelle méfiance, quelle peur puis je constater à rebours. Je ne suis constitué que de ça. Une inquiétude une angoisse perpétuelle devant la vie. Aussi je peux me souvenir un peu mieux des événements constitutifs de cette défaite programmée. C’est à dire en écrasant la coquille crée pour enfermer les raisons aussi opaques que mensongères dans laquelle j’ai tenue enfermée le souvenir véritable. Je pourrais dire que je la considère comme une fille bien sous tous rapports et que je ne suis qu’une brute, un voyou. Mais ce serait simplifier de façon irrespectueuse la réalité. Disons que je ne mesure pas plus sa complexité que la mienne à l’époque. Voilà qui est beaucoup mieux et qui ouvre un champs de possibles bien plus vaste. Les choses une fois que l’on met un doigt dedans vont très vite. On ne se rend pas compte de la vitesse que procurent les habitudes, le quotidien, et de la rapidité à laquelle le miracle se métamorphose en banalité. Cela fait partie intégralement du programme choisi. On croit au bout de tout ça à un ersatz d’éternité que l’on confond avec l’ennui. Et l’ambition dans tout ça ? Ce n’était plus du tout sérieux de vouloir être écrivain, chanteur, photographe, peintre… du moins c’était à mettre de côté pour l’instant. Être responsable, assumer, sérieux. Là aussi belle erreur car elle ne demande rien. Elle me laisse libre de choisir. Elle compatit même quant à mes doutes, mon malaise, mon absolu manque de confiance en moi. Elle a raté médecine, se dirige vers une formation d’infirmière. Elle veut secourir les pauvres gens là bas en Afrique où je ne sais où. Mais ce n’est pas ma mère. Merde non ! Elle a mit très vite le doigt sur cette croute ce qui me l’a faite gratter jusqu’au sang. Alors je l’ai baisée. Je ne lui faisais plus l’amour, je n’étais pas de taille. Je l’ai baisée , baisée et re baisée jusqu’à 9 fois par jour, matin midi et soir. Parfois en recommençant durant la nuit. Avec une rage dont j’éprouve de la honte aujourd’hui. J’en avais mal à la bite mais c’était plus fort que moi . Et puis j’ai arrêté. D’un coup j’ai dit merde assez stop un peu de respect pour elle surtout. Moi j’étais totalement persuadé que je ne valais pas tripette. Moi j’ai continué plus bas, de plus en plus bas. Dans la merde et la boue. Des femmes, pas des jeunes filles, J’en pouvais plus. Des mères et des putes , si possible le package entier, avec les goodies, la petite pipe dans les chiottes ou la levrette sur un capot de bagnole dans le fin fond d’un parking. Du cru et pas des moindres, merde aux bons sentiments, colargol et le manège enchanté dehors ! Adios nounours nicolas et pimprenelle. Du cul du cul du cul ! Et rien d’autre. Et de les entendre râler gueuler insulter prier réclamer ça redonnait encore plus de vigueur à la tige, à la méchanceté en moi que je découvrais enfin autant horrifié qu’émerveillé. Et après ces gouffres… ces retours par les Grands Boulevards déserts, juste les camions poubelle et moi. L’apaisement dans l’ordure et le parfum de l’urine, juste avant de dégringoler dans la culpabilité la honte ce confort finalement si cher à l’esprit petit bourgeois. C’est durant cette période que j’allais retrouver Richard et ses putes de la rue des Lombards toutes les rues jusqu’à la Porte Saint-Denis. Elles étaient humaines, lui aussi, sans doute étais je lisible pour eux comme dans un livre ouvert. J’étais comme le chat du foyer, on me nourrissait d’attentions, on m’abreuvait de conseils accompagnés de mon chéri. Ce n’est pas par les braves gens que j’ai appris la compassion et l’amitié, ça non. Je n’étais pas non plus taillé pour ça. C’est par la pègre, les bas-fonds, le vrai malheur, la vraie faiblesse, la vraie lâcheté, que j’ai pu enfin sentir que je possédais un muscle qui pouvait servir à autre chose qu’à pulser le sang dans mes artères. —Il en sait beaucoup trop, il faut s’en débarrasser dit la voix américaine à l’accent trainant —Non pas tout de suite, attendons encore un peu dit une autre voix, celle d’une femme entre deux âges. Je passe ainsi un temps indéterminé entre la veille et le sommeil. Peu à peu la réalité et le rêve se confondent. Je me revois enfant, je retrouve mes rêves anciens. Oh ils ne sont pas extraordinaires. Je voudrais bien que ce gros nuage qui a la forme d’un cheval vienne tout près de moi et qu’il m’emporte la haut dans le bleu. Je voudrais avoir un ami, un vrai qui ne me trahisse pas. Et surtout je voudrais parvenir à rester conscient dans mes rêves la nuit, comprendre comment rester longtemps en suspension dans l’air en volant, pour me diriger là où mon esprit le désire.|couper{180}

fictions brèves

Carnets | avril 2022

notule 8

Je me méfie des évidences aussi spontanément que des clichés et ce depuis très tôt. Ce qui me place devant une image télé métrique du réel. Celui que j’ai du accepter comme étant commun et le mien. D’ailleurs lorsque j’étais photographe j’ai revendu tous mes boîtiers reflex pour acquérir un vieux Leica. Avec ce dernier j’ai visité l’Asie et passais inaperçu. On aurait dit un appareil inoffensif. Je pouvais m’approcher des visages à 30cm car je n’avais qu’une optique de 35mm. On ne savait pas quand je déclenchais l’obturateur, pas de claquement de miroir. Pour faire le point il suffisait de faire coïncider deux images dans le viseur. C’était rapide et très efficace. Je ne suis pas devenu célèbre grâce à mes photographies. J’avais imaginé le devenir lorsque j’étais jeune. Mais ce n’était qu’un leurre pour m’entraîner dans de drôles d’aventures. Au bout du compte je faisais mes classes tout en semant des petits cailloux dans mon esprit, un puzzle extra. Caroline me dit qu’elle voit un homme seul et qui grelote dans un paysage en apercevant mon tableau. Je l’ai vu aussi tard hier soir avant de lire son message, et du coup l’image dans le viseur m’apparaissait d’une évidence trouble. J’ai tout recouvert de bleu, je ne pouvais pas m’installer dans ce cliché. Puis j’ai repris mon pinceau chargé de blanc, excellente gomme mais pas seulement. Baguette de sourcier plutôt, voire pendule de radiesthésiste. Et une autre vision est arrivée, suffisamment inachevée pour qu’elle m’ouvre à l’inconnu.|couper{180}

Carnets | avril 2022

Notule 18

Je regarde mon compte Instagram pro, ça fait un bail que je ne poste plus rien. Sur cette plateforme aussi faut pas être dupe. Je te like tu me like etc. Mais parfois je vais jeter un œil, comme on va sortir la poubelle. Les influenceurs, ceuses... ça me la coupe. toujours pimpants, souriants pas de mèche rebelle ou alors vraiment hyper bien calculée, au petit poil. Et des bisous et des chatons et de l'amour qui déborde de partout j'avoue que j'ai un peu de mal. voir que je suis à deux doigts de dégobiller à chaque fois. Pour la peinture c'est pareil. Vais demander d'avoir l'air d'une poupée Barbie dans ma prochaine incarnation. Klosie Barbie of course. Un truc qu'il faudra que je me trouve c'est un genre de baromètre pour accrocher au mur de ce bureau. Prévoir l'humeur de chien ( pourquoi de chien d'ailleurs on se demande ) Et les élans d'amour universel aussi, on ne sait jamais. Ne sortir que lorsque l'aiguille est bien calée entre les deux. Ou la boucler aussi. Ne rien dire, rien écrire, attendre que la force magnétique m'oublie un moment.|couper{180}

réflexions sur l’art Technologies et Postmodernité

Carnets | avril 2022

notule 7

Frotter du blanc sur du noir, créer des formes plus ou moins distinctes ainsi que des valeurs, un contraste, voir déjà une profondeur. J’explore ainsi un commencement sans avoir d’idée. Je ne pense pas au résultat. Agir, laisser aller les choses comme elles veulent se retirer sans s’attacher à une pensée à un jugement. Arrêter sitôt la première idée séduisante qui s’impose. Passer à un autre tableau en laissant celui-ci suffisamment silencieux quelque part dans l’atelier, l’oublier quelques jours. C’est un travail à la fois très rapide et très lent.|couper{180}

Carnets | avril 2022

notule 6

Dans l’étude des rythmes suivant lesquels un homme parvient à la réussite puis à l’échec il y beaucoup à apprendre de la notion d’arrogance. L’arrogance c’est lorsqu’on s’approprie un miracle, lorsqu’on dit c’est moi ! C’est humain bien sûr. C’est le pivot le plus évident que l’on pourra trouver qui produit le basculement de la réussite vers l’échec. Une forme de satiété accompagnée de paresse et d’un je ne sais quoi de fatuité. Un sabotage du merveilleux. Dans quel but ? L’avidité et l’éternelle insatisfaction encore une fois, moteurs de notre chute vertigineuse dans la matière.|couper{180}

Carnets | avril 2022

notule 5

En peinture qu’est ce que c’est que le talent ? C’est du temps M’a dit un jour un professeur Mais problème le temps n’existe pas Il n’y a qu’un instant présent Oui et non en fait C’est comme toi qui lit mes bêtises Tu crois que nous sommes différents Et nous le sommes heureusement Mais en même temps ce qui fait notre essentiel Ce qui nous relie N’est pas différent. C’est la conscience. Si nous n’étions pas dans cette illusion du temps, de la séparation, nous ne pourrions jamais rien échanger. Dans la vie qu’est ce que le talent ? C’est s’éveiller au paradoxe C’est comprendre que la vie est une onde Et que nous devons faire attention aux sommets comme aux gouffres. On peut les explorer bien sûr Mais le meilleur emplacement est au milieu Et tenter de rester sur ce chemin Persévérer C’est aussi ça le talent Donc le talent c’est avant tout une prise de Conscience Du chemin puis de la régularité à marcher du même pas De la persévérance Dans tout ce qui nous intéresse vraiment Du fond du cœur À chaque instant On le fait tous Même si on n’en a pas du tout conscience Donc tout est ok n’est-ce pas ?|couper{180}