poésie du quotidien
Écrire le quotidien, ce n’est pas le figer. C’est au contraire chercher les plis, les accidents, les débords.
Ce mot-clé regroupe des textes qui partent d’un détail, d’un moment, d’une parole anodine, d’un geste à peine esquissé — et qui, peu à peu, laissent remonter ce qu’il y a dessous : une fatigue, une inquiétude, un souvenir, ou simplement un souffle.
Il ne s’agit pas ici de faire de la "poésie" au sens noble. Il s’agit plutôt de capter ce qui insiste, dans le banal, ce qui résiste, ce qui fait que ce moment-là — un bus en retard, un repas en silence, un regard dans une cuisine — reste.
La poésie du quotidien, c’est ce qui n’est pas dit, mais que le texte laisse affleurer. Une forme d’attention, sans jugement, sans projet. Une manière d’habiter le temps comme on marche lentement dans une ville qu’on connaît trop bien — ou pas assez.
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Carnets | mars 2023
ça crée
L’oreille est essentielle et il faut être sourd à bien des inepties. Il faut un sang dur, cirer les tympans pour ne laisser filtrer que le chant des ruisseaux qui, si on l’écoute, rassemble tout le nécessaire pour vivre. Ça crée un monde parallèle à ce monde, un jus mot. Une scissiparité de l’organisme monde, pénétré par le chant, le son, le mot. Un acte sexuel, diront les benêts. Non, ça crée bien au-delà. Ça crée sans arrêt, une démultiplication des avenirs et des passés, des milliards et des milliards de mondes, mais là n’est pas l’important. Le résultat n’est qu’un leurre. Comme la corolle, les pétales des fleurs, les jupons, les cornettes, joli leurre, ma sœur. Non, l’important, c’est l’infini que ça crée, l’infini sacré, le vieux serpent de mer, Nessy dans sa mare, l’écho sait cela. L’ouroboros, dont il est mensonger de dire qu’il se mord la queue, étant donné qu’il est cercle parfait.|couper{180}
Carnets | mars 2023
ça voir
ça voir un mot nuage chien passage entre deux aveuglements, deux verrues, thé ça cri ça crée ça corde ça lie ça peur ça va ça vient ça va voir ce que ça va voir en rose en noir la vie la vue le corps le mot le corps beau le corps y fait le corps mot rend le corps à cris le corps y dort le corps pusse l’index ça voir le fond de la fondue au fromage de Gruyère ça voir le trou le chas l’aiguille ça voir de fil en aigle île Bonne à part aparté une poire Sainte-Hélène ça voir le bicorne et la lie corne ça licorne l’hallali l’alléluia et l’azalée alizés lisez Alonzo allons-y ça ça ça voir mignon mignonne si la rose et la rosse et cætera d’Hamelin la flûte de Brême les musiciens ça lu Anne chère Anne mâchez ma chère ne voit rien venir ma chair faible ça voir une peau pleine de pores des polypores, des lanternes chinoises, des photophores, des mots sortant de bouches d’or de gens bons Chrysostomes ça voir l’atome et en être baba atone le Teuton tâtonne le ciel tonne les heures viennent à la tienne Étienne sous le pont le Zouave ça voir qu’il prend l’eau par le pied de nez se mire à beau ça voir comme elle coule la Seine et la fondue au Gruyère le petit bruit de l’œuf cassé sur le comptoir des tiens. Galapagos, Brocéliande, Irlande, Cercle Arctique, Papouasie, Bornéo, Malaisie, Pondichéry, Ceylan, Lac de Côme, Mandelieu, Mondello, Aiguebelette, Léman, Lausanne En corps implants d’habitude de dire de voir de dormir Fracasser (comme le capitaine) Isidore Ducasse impair et passe Les particules de poussière dansent dans le rai de lumière glissant par la fente de fer du volet à rabat. joie. L’eau la lumière le vin la nuit l’amour la mort Décousu Dès coups su sur le bout des doigts par cœur Dés à coudre pour en découdre avec le fer la pointe de l’aiguille La jeune femme ravissante enfile sa robe de mariée sans un cri un froufrou froissement d’étoffe à côté un grand dadais dodeline de la tête un d’Inde on dirait un dindon. Des cous de poulets grillés des cous de poulets mis en valeur par des nœuds-pape la pomme d’Adam monte et descend dans la prononciation du Patenôtre Au son des Sirtaki des métèques. de vieux pingouins aux cous de poulets des cornichons à tête de veau. Décor en carton bouilli le cou du père François le cou du lapin le cou et le licou la tête et le reste tenu par le cou parle cou ça voir ça vaut le cou une voix de gorge une voix de crécelle une voix de tête une voix de stentor une voix de garage une voix avinée une voix sans issue une voix il était une voix et tout commencera recommencera ira de commencement en commencement On appuie sur l’interrupteur un mot pour l’ombre l’autre pour la lumière Avant tout un mot pour nommer du rien un mot vient de rien vient le mot qui fait tout le fait-tout où mijotent les cous de poulets de mijaurées de vieilles taupes avec quelques ruts à Baga des taupins d’Hambourg une parmi 8000 espèces de ver jaune fil de fer qui grignote la terre Je ne suis pas fou j’observe le fait-tout la soupape qui siffle ça va bientôt être à point. ça voir Avant le cri les préparatifs du cri|couper{180}
Carnets | octobre 2022
Neuf
Neuf possibilités de relations dans le couple. Et une portée de trois lignes. Un peu de silence entre les notes. Nature, intellect, reconnaissance de l’autre en tant que personne et donc de soi. Rare que cela s’accorde dans l’immédiateté par paire exacte. Encore tout un cheminement dans la nuit avant d’atteindre l’aube.|couper{180}
Carnets | mai 2022
Notule 43
L’esclavage. On ne saurait dire à quel point il est toujours présent. Sous différentes formes souvent insidieuses. Par exemple la bonne pensée serait de lire chaque jour tout ce que chacun des abonnés de ce blog publie. Il y a des jours où je me demande si cette bonne pensée n’est pas un joug aussi serré finalement que les fers anciens auquel on attachait les boulets. En parallèle bien sûr la mauvaise pensée, qui est cette rébellion permanente depuis l’enfance envers toute forme d’autorité. 1848 la date de l’abolition de l’esclavage … croit-on. Entre les deux, cet espace, un aquarium où vit le poisson rouge. Le voici le voilà qui monte à la surface pour plaquer ses lèvres contre la membrane ténue du moment. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Et puis l’envie furieuse et jouissive de dire merde à l’algorithme, associée à celle, séduisante, de repartir une fois encore de zéro.|couper{180}
Carnets | 2019
La nuit
La nuit demeure. On la chasse, elle revient. Elle fut là dès l’origine. Elle sera là après la fin. On a voulu y loger la peur, l’ignorance, la barbarie. Mais la barbarie règne en plein jour. La nuit efface les formes, les couleurs, les visages. Elle réduit tout à l’indistinct. Reste le ciel. Les constellations traversent l’obscur. Lumières venues de loin. Morts anciennes qui continuent de nous guider.|couper{180}