Poésie
Poésie
Fin d’été
Le ciel est blanc — un blanc de craie, comme il vient sur les buttes, à la fin des vacances. Les charmes et les frênes ne bougent pas. Je marchais entre eux pour me perdre. L’herbe des prés de fauche est sèche, jaunie là où j’ai posé le pied. Une vache charolaise mâche. Le bruit monotone accompagne mes errances. Le chemin creux monte, vide. Il tourne au niveau d’une borne moussue — je ne sais plus vers où. La maison en grès de mes grands-parents — les volets clos en plein jour. Une tuile plate a glissé. Le toit a des laves fissurées. Je les comptais, des après-midi entiers. Le temps ne passe pas. Seul un nat coule quelque part, invisible, comme le temps lui-même. Je reste debout près d’une haie plessée. Mes mains touchent les prunelles dures, amères. Je pense à des choses que j’ai oubliées. Peut-être les ai-je seulement rêvées. Le silence n’est pas un silence. C’est l’absence de voix qui m’appellent. L’ennui n’est pas un sentiment. C’est un état. Comme être une borne, un tesson de grès, un piquet de frêne. Quelque part, un fil électrique pend entre deux poteaux. Il bouge à peine. Je pourrais rester là longtemps. Personne ne viendrait. Et c’était cela, l’enfance : se perdre pour exister un peu.|couper{180}
Poésie
Nuit
Quand la nuit reprendra tout, lasse de ses rêves de lumière la nuit-femme, la nuit-mère, la nuit dévergondée, la nuit-enfant, la nuit recyclée, descendra de son grand vélo. Elle aura fait un si long tour qu’elle en rira peut-être. Et, comme un enfant, je pénétrerai la nuit dans un rêve d’homme, de vieillard, de moribond. Et le voyou tutoiera le saint. Les chiens seront des chats. Les chattes, des chiennes. Des ours bruns s’approcheront, des colibris flotteront à hauteur d’épaule. Il y aura de la salsepareille, du jasmin, des pollens inconnus. Il y aura tout ce qui, d’ordinaire, se tient tapi dans l’ombre, au pied d’un mur, le souffle suspendu. Et il y aura surtout l’extraordinaire béance noire des lèvres peintes en noir, la langue obscure de l’anthracite, murmurant des promesses au jais, au naphte, à la bauxite. Jailliront alors de toutes parts les geysers puissants du silence assourdissant. On les écoutera. On ne les verra pas. Je baiserai la nuit ; elle me baisera. Nous baiserons l’horizon infini, jusqu’à nous rejoindre dans un cri muet. J’aimerai cette nuit. Elle m’aimera. Nous n’aurons plus rien d’autre à faire que cela : nous aimer, produire la nuit, comme un enfant, de nuit en nuit, dans la nuit. Un foulard de soie resserré étroitement autour de nos vies|couper{180}