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Photographie

Une femme à la fenêtre

Grande Rambla de Barcelone. Du monde, beaucoup de monde, et du soleil, écrasant. Une fête de toute évidence. Avec toutes les caractéristiques détestables de la fête. Le bruit, l'agitation, une violence joyeuse. Soudain j'entends une voix qui dépasse les autres. Elle vient d'en haut. Je lève la tête. Je fais la photographie. Elle est restée longtemps dans mes disques durs. Je ne l'ai même pas revue depuis que j'ai pris cette image. C'était en 2005. L'été 2005. Je venais de passer une année entière à Remiremont dans les Vosges pour suivre une formation de technicien supérieur en réseaux et télécommunications qui ne me fera jamais payer mon loyer. Des milliers de CV envoyés. Des humiliations reçues, de toutes sortes. Avec votre expérience pensez bien qu'on ne peut pas... qu'on ne peut pas ça. C'était trop bizarre de voir un type de quarante-cinq ans, cadre, qui soudain veut devenir tech. Même s'il demande de démarrer au bas de l'échelle. C'est encore bien plus bizarre. C'est à bout de souffle que j'étais entré dans cette formation, c'est à bout de souffle que je sortirai de Pôle Emploi, de l'APEC. C'est à ce moment-là que j'ai décidé de tout laisser tomber. L'entreprise, la soumission, l'hypocrisie. J'ai ouvert un cours de peinture, j'ai distribué des prospectus, c'était pas Byzance. Quelle importance. Donc j'appuie sur le déclencheur et je suis emporté par la foule, là-bas au loin tout en haut de la grande Rambla. Nous logions dans une rue perpendiculaire. L'image de cette femme qui chantait ne me lâchait pas. J'avais beau avoir tenté de l'enfermer dans un fichier numérique, elle était encore vivace. C'était exactement la même sensation qui revenait encore et encore. Une image de l'hystérie croisée très tôt dans l'enfance. La nuit alors que je me réveillais déjà dans la chambre de l'appartement rue Jobbé Duval. J'écartais le rideau et je la voyais, en chemise de nuit, blafarde, éclairée par la pleine lune peut-être, la folle qui s'époumonait. Elle ne chantait pas. Elle hurlait. Je m'étais étonné d'être le seul à l'entendre la nuit. Rambla in Barcelona. Crowds, heavy crowds, and sun, crushing. A festival, clearly. With all the detestable characteristics of festivals. Noise, agitation, a joyful violence. Suddenly I hear a voice rising above the others. It comes from above. I look up. I make the photograph. It remained for a long time in my hard drives. I haven't even looked at it again since I took this image. It was 2005. Summer 2005. I had just spent an entire year in Remiremont in the Vosges following a training program for senior technician in networks and telecommunications that would never pay my rent. Thousands of CVs sent. Humiliations received, of all kinds. With your experience, surely you understand we can't... we can't do that. It was too strange to see a forty-five-year-old guy, an executive, who suddenly wants to become a tech. Even if he asks to start at the bottom of the ladder. That's even stranger. It was breathless that I had entered this training, it was breathless that I would leave Pôle Emploi, the APEC. It was at that moment that I decided to let everything go. The enterprise, the submission, the hypocrisy. I opened a painting class, I distributed flyers, it wasn't Byzantium. What did it matter. So I press the shutter and I am carried away by the crowd, there in the distance at the top of the great Rambla. We were staying in a perpendicular street. The image of this woman who was singing would not let me go. Even though I had tried to lock her away in a digital file, she remained vivid. It was exactly the same sensation that came back again and again. An image of hysteria encountered very early in childhood. At night when I would wake up already in the bedroom of the apartment on rue Jobbé Duval. I would part the curtain and see her, in her nightgown, pallid, lit by the full moon perhaps, the madwoman who was screaming her lungs out. She wasn't singing. She was howling. I had been surprised to be the only one to hear her at night. (Translation in Teju Cole's style by AI)|couper{180}

Autofiction et Introspection Narration et Expérimentation photographie

Carnets | janvier 2025

19 janvier 2025

Photographie extraite du site "La loire à vélo" Le temps file sous les doigts nerveux et précis des Parques. Je ne sais quelle mesure elles jugeront correcte pour, au final, couper le fil de mon existence. Cela se fera, je le sais, machinalement, entre deux bavardages sans conséquence. Tout a commencé dans ma vie par la mythologie, et tout finira probablement dans la mythologie. La mort elle-même sera, pour moi, un échec. Je l’imagine glaciale, ouh ouh ouh, entrant dans la pièce. Alors, et c’est encore là la force de l’espérance, je verrai la vanité de tout ce que j’avais cru être une réussite. Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé les mythologies. Elles m’ont ouvert un monde. Ce furent d’abord leurs héros qui captèrent mon attention, comme le papier collant attire les mouches au plafond. Je ne savais pas qu’ils n’étaient pas réels. Et même lorsque l’on a tenté de m’en convaincre, je n’ai abdiqué qu’en apparence. Ils étaient tellement humains. Comment auraient-ils pu ne pas exister ? Plus que mes voisins, plus que les adultes anonymes croisés au quotidien, eux avaient une vie brûlante. Puis le temps a passé. Mon regard a dérivé, quittant les figures héroïques pour s’attacher aux paysages qu’ils habitaient, ces lieux où ils vivaient, se battaient, aimaient, déchantaient. La Grèce, pour moi, fut longtemps un lieu purement mythologique. Ce n’est que des années plus tard que j’ai pu poser mes pieds sur cette terre. En ai-je été émerveillé ? Déçu ? Je ne sais pas. À mon arrivée à Athènes, mon esprit était saturé de préoccupations triviales : trouver l’hôtel, m’orienter dans cette ville inconnue, gérer l’immédiat. Cela écrasait mes velléités de rêveur patenté. L’Acropole n’a pas été un choc. Ce fut ailleurs, devant une assiette de souvlakis dans une ruelle sombre, que je ressentis un étrange malaise. À chaque classe sa catégorie de malaise, non ? Ce n’était pas la première fois que ce sentiment me traversait, mais ce fut peut-être la première fois qu’il me saisit avec une telle clarté. Ce "malaise" me confrontait à ma propre ombre, comme une question tapie depuis toujours dans l’obscurité. Elle jaillit soudain de mon crâne, comme Athéna toute armée, me défiant de lui répondre. C’est là qu’intervient mon dibbouk. Ce mot, cette figure, je l’ai empruntée pour nommer mon site, mais aussi pour nommer cette part de moi. Le dibbouk, personnage issu de la mythologie juive, est mon double d’écriture. Une voix d’altérité, celle qui dialogue avec mes ombres et parfois avec mes clartés. Maupassant avait son Horla, Gogol son nez et son manteau, Dostoïevski son double souterrain, cheminant entre profondeur et altitude. Ces figures, finalement, nous parlent d’un même héritage : cette lutte intérieure entre ce que nous sommes et ce que nous craignons de devenir. Hier, je suis resté longtemps à contempler des paysages d’hiver, filmés par un homme. Son appareil photo devait être de grande qualité, car chaque détail semblait presque irréel. Les noirs, visqueux et profonds comme de l’encre d’imprimerie, s’opposaient aux blancs qui frôlaient la surexposition sans jamais s’y abandonner totalement. Une harmonie troublante se dégageait de ces contrastes. Ce n’était pas juste une image, c’était une sensation. Une texture presque tactile. À travers l’écran, je sentais l’air glacé, le silence qui enveloppe ces paysages d’hiver, le crissement lointain d’une semelle ou la succion d’une botte s’arrachant à la boue. En regardant ces images, j’ai ressenti un lien avec cet homme derrière la caméra. Pas besoin de le connaître, mais une certitude silencieuse : il avait vu quelque chose qui nous ressemblait. Ce silence, ce vide apparent entre les arbres nus, portait en lui une densité. Je n’avais pas besoin de voir son visage. À travers son regard, je voyais le mien. Cet homme, je l’imagine marchant dans le froid, attendant immobile pour saisir l’instant parfait. Était-ce un effort pour lui ? Peut-être pas. Mais pour moi, l’ensemble de ses gestes – charger son appareil, enfiler son blouson, sortir – était l’expression d’une volonté presque héroïque. Un geste à la fois minuscule et mythologique. Cela m’a rappelé les matins glacés où l’on s’entasse dans les trains de banlieue, les RER, ces paysages qui défilent au-delà des vitres embuées. L’héroïsme est là, dans l’interstice entre l’envie de sortir et la lutte contre toutes les excuses intérieures. Je me suis vu marcher encore et encore, sur une autre berge, longeant un autre fleuve. J’ai ressenti cet appel et, presque aussitôt, l’hésitation : trop froid, trop loin, trop inutile. Ce combat silencieux, entre l’élan et la paralysie, est peut-être la plus grande épreuve. L’effort n’est pas dans le geste lui-même, mais dans tout ce qui précède, tout ce qui l’empêche. Le dibbouk, dans mon esprit, applaudissait doucement. Avec ce geste mesuré, presque moqueur, on aurait dit qu’il félicitait un enfant pour une évidence qu’il venait de découvrir. — "Le sacré s’est enfui, bien sûr," dit-il en allumant une cigarette, dégoûté. Écœuré. Mais toi, tu sembles dire que tu ne t’enfuis pas. Et pourtant regarde : tu restes là, les pieds dans la boue, comme tout le monde. Parce que tu attends, toi aussi. Tu ne sais pas quoi, mais tu attends. Un signe, un souffle, une voix, quelque chose pour te dire : je suis encore là. Même dans cette fange. Et en attendant, tu continues d’écrire. Comme si ça pouvait changer quoi que ce soit." Pour le coup, rien à ajouter. Je garde le silence.|couper{180}

Auteurs littéraires écriture fragmentaire photographie

Photographie

Venise 1979

Photographie datant de 1979. A l'époque mon premier appareil, un Nikkormat acheté à tempérament l'année précédente avant de partir en Irlande ( Pâques 1978 ?) Je n'ai pas retrouvé les diapositives couleurs datant de cette époque. J'imagine que P. les a emportées avec elle. Pour en revenir à cette photo, je crois que j'avais peu avant de partir acheté un téléobjectif de médiocre qualité. Cette image doit avoir été prise avec. En revanche bien que la composition de l'image ne soit pas catholique il me semble que je la redécouvre après l'avoir écartée autrefois. L'aspect mal cadré comme a pu en tirer partie le peintre Gerhard Richter dans les années ( 80 ???) le peintre allemand Gerhard Richter et dont j'ignorais totalement l'existence à l'époque. Je retrouve cette tension entre l'idée que je me faisais d'une "belle photographie" et ma révolte aussitôt concernant cette "belle image". En saccageant les règles de la composition à la prise de vue, il me semblait possible ensuite de composer uniquement par les valeurs de gris sous l'agrandisseur. Mais j'étais pas mal influencé par Ansel Adams Cette photographie en noir et blanc, prise par toi en 1979, t’évoque une scène animée sur un bateau, où des silhouettes humaines se mêlent à une composition que tu qualifierais volontiers d’imparfaite. Tu te souviens des circonstances de la prise de vue : ton premier appareil, un Nikkormat, acheté à crédit l’année précédente, et ce téléobjectif, pas vraiment à la hauteur, que tu venais d’acquérir. À l’époque, ce cliché te semblait raté, loin de l’idéal de "belle photographie" que tu poursuivais alors. Tu l’avais écarté, presque oublié. Mais aujourd’hui, en le redécouvrant, tu te surprends à voir autre chose : un potentiel artistique que tu n’aurais pas soupçonné à l’époque. Tu ressens dans cette image une tension qui te ramène à tes propres dilemmes de jeune photographe. D’un côté, tu admirais Ansel Adams, sa rigueur, son génie des contrastes, et cette quête de la perfection technique qu’il incarnait. De l’autre, une rébellion grondait en toi, un refus des règles strictes de la composition, un désir de déconstruire ce qui semblait trop ordonné. Avec ce cliché, tu avais tenté, consciemment ou non, de saboter les conventions : un cadrage malhabile, un désordre assumé, qui te laissait ensuite le soin de rééquilibrer tout cela sous l’agrandisseur, par le jeu des gris et des contrastes. Et puis il y a cette autre influence, que tu n’as comprise qu’avec le recul : Gerhard Richter. À l’époque, tu ignorais son existence, mais aujourd’hui, tu vois dans ton image une résonance avec ses peintures, ses photographies floues ou mal cadrées qu’il a su transformer en art. Comme lui, tu cherchais peut-être, sans le savoir, à transcender les imperfections, à donner du sens à l’accidentel. Cette photographie te rappelle la quête esthétique d'une époque. Alors que tu pensais toujours être décalé, finalement tu ne l'étais peut-être pas tant. Cette photo, mal cadrée mais étrangement vivante, transporte quelque chose que tu n’avais pas perçu à l’époque : une vérité brute, un instantané de vie sans fard, un désordre qui raconte mieux que n’importe quelle composition parfaite. Tu te rends compte aujourd’hui que c’est ce qui te parle, ce qui donne à cette image sa valeur. Et toi, où étais-tu dans tout ça ? Tu te vois, jeune, tiraillé entre tes aspirations artistiques et tes frustrations face à des résultats trop froids, trop "bien faits". Tu t’accrochais à l’idée qu’en "saccageant" volontairement les règles, tu pouvais trouver autre chose : une beauté intuitive, une entitée sauvage, libérée des carcans. Et cette photographie, que tu avais rejetée autrefois, devient aujourd’hui pour toi une sorte de réconciliation. Elle incarne ce moment où tu te débattais avec ton regard, où tu apprenais à te libérer des modèles imposés pour chercher ta propre voie. elle est étrangement calme cette image. Comme on est calme lors d' un accident de voiture. Tu ne peux t’empêcher de penser à cette époque où tu as aussi perdu quelque chose : ces diapositives couleurs, probablement emportées par "P.". Ce détail te touche, comme si cette absence symbolisait tout ce que tu n’as pas pu retenir de ces années. Ce noir et blanc, c’est tout ce qui te reste, mais il suffit à raviver les fragments d’une époque révolue. Avec le recul, tu comprends que cette photographie est plus qu’une image. C’est un instant, une tension, un écho de ton évolution artistique et personnelle. Elle te rappelle que l’art est souvent un processus fait de tâtonnements, de révoltes et de hasards, et que le regard qu’on porte sur une œuvre change avec le temps.|couper{180}

Espaces lieux peintres photographes photographie

Photographie

Tropismes photographiques

Ces mouvements imperceptibles et souterrains qui traversent les êtres, sont au cœur de la sous-conversation de ce premier texte. Du moins je l'espère. Les tropismes, dans la vision de Nathalie Sarraute par exemple, sont des impulsions psychologiques primaires, des réactions intérieures et instinctives à des stimuli émotionnels ou sensoriels, qui se manifestent sous la surface des mots et des gestes.|couper{180}

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fictions

Révélation

Elle avait toujours vécu entourée d’images, mais jamais vraiment de personnes. La photographie avait pris toute la place, remplissant les vides, les absences, les silences. Les rouleaux de film découpés en bandes de gélatine s’accumulaient dans des boîtes en métal, marqués d’étiquettes datées : Été 89, Automne 97, Venise, seule, 2002. Ces négatifs, elle ne les regardait presque jamais. Ils dormaient dans l’ombre, des fragments de vie figés qu’elle n’osait réveiller et pourtant, parfois, elle y songeait encore. Un jour, une amie lui parla de lui. "Il est doué, tu verras. Maîtrise absolue. Ses tirages en noir et blanc sont… lumineux." Elle avait souri, sans répondre. La lumière, elle connaissait. Ce qu’elle cherchait, c’était autre chose. Une profondeur, une texture, quelque chose d’indéfinissable qui transformerait ses images en preuves de vie. Elle l’appela sans trop réfléchir. Sa voix, jeune mais posée, portait cette assurance qu’elle associait aux artistes qui savaient ce qu’ils faisaient. Ils convinrent d’un rendez-vous. Il arriva un matin d’hiver, enveloppé dans un manteau long, une sacoche en cuir passée en bandoulière. Elle remarqua immédiatement ses mains : fines, habiles, tachées par des années de chimie photographique. "Montrez-moi vos négatifs," dit-il après un café expéditif. Elle ouvrit une boîte. Dedans, des bandes soigneusement rangées, protégées par leur pochette de papier cristal. Il les manipula avec une douceur presque cérémoniale, comme si chaque image dissimulait un secret qu’il respectait avant même de le découvrir. "Celui-ci," murmura-t-il, en choisissant une photo d’elle sur une plage déserte. Le grain du sable et le ciel gris semblaient attendre. Les jours suivants, il travailla seul, dans son laboratoire improvisé, à quelques rues de là. Elle n’osa pas l’accompagner. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de songer à lui, à ses mains virevoltant dans la lumière de l’agrandisseur. Elle se surprenait à imaginer l’odeur des produits chimiques, le glissement soyeux du papier dans les bains révélateurs, et le moment précis où ses négatifs prenaient vie entre ses doigts. Un soir, il l’appela : "Je crois que j’ai quelque chose." Elle se rendit chez lui, intriguée. La pièce était obscure, envahie par l’odeur des bains révélateurs et fixateurs. Il tendit un tirage, un carré parfait de lumière et d’ombre. C’était le même négatif qu’elle connaissait, mais différent. Les nuances entre le gris et le noir s’étaient approfondies. Pas un seul détail qui ne vibrait, le grain semblait respirer. Elle resta silencieuse. Il l’observait, un léger sourire au coin des lèvres. "Alors ?" "Vous l’avez trouvé," dit-elle enfin. Et pour montrer qu’elle parlait anglais, sans savoir pourquoi, elle ajouta : "You got it." Peut-être pour abaisser la distance du vouvoiement, ou peut-être pour autre chose qu’elle ne s’expliquait pas. Ils continuèrent à travailler ensemble. Petit à petit, elle redécouvrit ses propres images. Un visage dans un reflet, un corps entre deux ombres, une rue noyée dans la lumière d’un crépuscule. Mais ce qu’il révélait allait au-delà des tirages. Il dévoilait quelque chose en elle qu’elle avait oublié. Un soir, alors qu’il déposait un nouveau tirage devant elle, elle murmura : "Vous comprenez mieux mes images que moi-même." Il haussa les épaules, presque gêné. "Peut-être. Ou peut-être que c’est votre ... (il se reprit) la lumière et vos ombres qui guident mes mains." Elle le regarda, longtemps, sans rien dire. Ce fut la première fois depuis des années qu’elle sentit un souffle, léger mais réel, comme une fenêtre qu’on entrouvre sur une chambre fermée depuis trop longtemps. Quand il refermait la porte, elle restait seule. Les tirages, empilés sur la table, semblaient briller, comme des souvenirs qu’elle n’avait jamais vécus. Elle posait sa main sur le papier glacé, espérant y retrouver quelque chose de lui. Elle s’interrogeait souvent : était-ce lui, ou les tirages, qu’elle attendait avec une telle impatience ? Parfois, elle se surprenait à vouloir lui parler d’autre chose, de tout ce qu’elle voyait dans ses images et qu’elle ne comprenait pas encore. Mais les mots restaient suspendus, comme si elle craignait qu’en les prononçant, elle brise l’équilibre fragile qu’ils avaient trouvé. Pourtant, une certitude grandissait en elle. Ce n’était pas seulement ses négatifs qu’il sublimait. C’était elle qu’il révélait, doucement, à travers ses ombres et sa lumière.|couper{180}

fictions brèves nouvelle photographie

Carnets | juillet 2024

26 juillet 2024

Notes pour exercice d’écriture Ateliers TL. vers l’image rémanente On passe tous par là (clic clac kodak) le bébé allongé à quatre pattes ou autre. Cette photographie sépia par exemple, pas besoin de la voir pour m’en souvenir : il est écrit son nom au dos : C. 1935. Combien de photographies conserve t’on d’une vie ? Il me semble que c’est de celles que j’ai perdues ou égarées- égarées nécessite on l’apprendra plus tard une intention de le faire- dont je me souvienne le mieux, ou le moins mal que de celles qui me restent. Elles possèdent une rémanence convocable à l’envie. Parfois même elles surgissent comme des fantômes, font irruption sans que je n’ai rien demandé.Je ne vais pas les dire, de toute façon j’ai compris que ça ne sert à rien, c’est comme les voyages, les dîners ou le cousin, le beau frère, l’ami vous bassine avec ses photographies de Sicile ou d’ailleurs. Il me montra ses photographies et nous fûmes alors séparés durant toute la durée de cette séance, Le bruit du chargeur de diapos, comme une mitraillette exécuta tout sentiment de familiarité que j’avais cru entretenir vis à vis d’eux. Il avait un objectif de taille appréciable, l’un de ces zooms qui permettent de photographier sans se mouiller les oiseaux et les gens. Ce qui renforça ma volonté de conserver mon 35 mm. Cela obligeait surtout à dépasser la timidité. Il fallait que je m’approche au plus près si je voulais obtenir la sensation précise d’une vraie photographie. Tout ce qui rentre par les yeux, alors qu’on dit ça me sort par les yeux. Il faudrait pouvoir formater le cerveau aussi facilement qu’un disque dur. Mais on le remplirait des mêmes saletés, on ne décide pas. On ne sait pas d’avance Combien de place prend dans une mémoire visuelle les spots de publicité qu’on nous inflige depuis le début de nos vies. Les affiches sur les vitrines, les annonces radiophoniques, tout l’audio et le visuel, qu’est-ce qui reste à part tout çaParmi les images rémanentes, la table de la salle à manger. vide, sans la nappe, sans rien, une grosse plaque de chêne d’environ 10 cm d’épaisseur, appuyer verticalement contre le mur, une fois démonté le socle. Le poids des choses joue peut-être aussi un rôle dans la puissance des rémanences. En être ou ne pas en être, de ce spectacle permanent, voilà la question lancinante qui revient sans cesse. Cette interrogation me hante, jour et nuit. Suis-je vraiment partie prenante de ce spectacle ou n’en suis-je qu’un spectateur distant ? Mes ancêtres m’ont appris à balayer d’un revers de main l’imbécillité de telles questions, mais elles persistent. Qui regarde le spectacle ? C’est la question qui découle de la première, lent goutte à goutte. Moi, j’aimerais que ce soit moi, rien que pour moi, en y rangeant tous les autres. Mais je vois bien que ce n’est pas toujours facile, ni sincère. En pesant bien les choses, avec la tare adéquate, il m’apparaît cette évidence : c’est parce que ce n’est pas sincère que ce n’est pas facile. Créer son propre spectacle pour soi seul. Est-ce un désir ardent, une obsession qui brûle longtemps à l’intérieur, tout nettoyant de fond en comble ? Ou bien est-ce une peur de perdre cette flamme et de se retrouver face au vide, sans rien, rien du tout, que le vaste néant ? À la limite du zéro degré celsius, je m’accroche à cette chaleur, par peur de la perdre pour de bon. Déjouer ses propres ruses devrait donc être la plus urgente des priorités. Les traquer sans relâche n’est pas une partie de plaisir, mais ce n’est pas non plus la pire des tortures. Un petit effort chaque jour, avec une régularité si possible. Et du silence, beaucoup de silence. Faire face à cette grande difficulté que représente l’installation de ce petit cirque dans un terrain vague. Le petit cirque du silence. Je n’admire pas assez, je m’en rends compte. Dès qu’il y a un sujet, un objet, les difficultés sont infinies. Mais si je reviens au verbe seul, j’admire. J’admire en gros tout ce qui me passe sous les yeux. Par exemple, tout à l’heure, je suis allé mettre un chèque à la banque. Sur le chemin du retour, j’ai admiré les petites herbes qui poussent entre le béton et le ciment. Leur vert éclatant contraste avec la grisaille urbaine. Elles forment des îlots, notamment à la base des immeubles qui cernent à l’Est la place de la Halle. Il y a une entreprise de façades, une boutique vide qui fut naguère une agence immobilière, une boucherie Hallal, fermée suite à un contrôle sanitaire. Peut-être que ces petites herbes ont connu ces commerces florissants. Peut-être étaient-elles en lutte acharnée avec les gérants, les propriétaires, qui, pour des raisons obscures, s’efforçaient de les déraciner, de les dissimuler, de les anéantir avec plus ou moins de méthode ou d’opiniâtreté. Eh bien, c’est une leçon : les commerces ont disparu, mais les petites herbes, que l’on nomme de façon habituelle « mauvaises », sont revenues. Désormais, elles prolifèrent, mais pas trop près les unes des autres, à une distance respectable. Elles ne jouent pas un spectacle les unes vis-à-vis des autres.|couper{180}

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Carnets | juin 2024

13 juin 2024

Je perds de la distance. L’emploi du temps, peut-être parce qu’il n’est qu’employé, pèse sur les nerfs. En notant les dates de réception des classes à la médiathèque sur l’agenda, j’ai peur de me tromper. Je déteste écrire ces événements, je fais souvent des erreurs : orthographe des mots, horaires, ou même le mauvais jour. J’ai toujours été ainsi. Mon cahier de textes, de la maternelle au collège, était toujours en désordre. Une résistance futile à tout calendrier, tout emploi du temps. Les marges étaient criblées de gribouillis, envahissant la page et les tâches à faire. Ces gribouillis, ce désordre, cette maladresse, étaient mes armes de résistance enfantine, mais si vaines face à l’Organisation scolaire. J’explique encore trop, beaucoup trop. Hier, lors du discours, je parvins à ne dire presque rien en public, laissant la place au maire et à mes deux collègues peintres. Le ridicule de tout discours se répand dans ma cervelle, comme une gangrène. Sans doute parce que je ne cesse de discourir avec moi-même, en prenant tout le dérisoire de plein fouet. C’est bien de ma faute. Pourquoi chercher toujours au-delà des limites ? Dimanche tout entier consacré au stage sur le monotype, je n’ai pas préparé grand chose. Tant de faire le point avant qu’ils n’arrivent … me dépêche d’aller voter avant que ce ne soit l’heure. Encore un peu de temps. Ce gâchis de papier. Pas voulu y participer. Pris mon bulletin et l’ai fourré dans l’enveloppe avant même d’atteindre l’isoloir. A voté. Belle journée. Je crois que c’est Louise Bourgeois qui aura donné le top de départ. Ses monotypes ont séduit le groupe. Pour le reste le hasard, les morceaux de plastique que j’avais découpés à la hâte, les ardoises que j’ai retrouvées soudain sur une étagère de la remise, et le bloc de papier aquarelle aura fait tout le reste. Nous avons fini les restes du vernissage de la veille. La dernière heure le prétexte d’un goûter parachève la journée. Tout le monde est épuisé. Découverte de M. que G. a conviée. P. quant à lui allait partir encore sans payer, mais je l’ai gentiment retenu par l’épaule. Je n’ai fait aucune photographie des œuvres réalisées, je pense au mot résistance.|couper{180}

Essai sur la fatigue peinture photographie réflexions sur l’art