Le code et la composition des textes se répondent : qu’une seule classe CSS soit modifiée et tout l’édifice, silencieusement, se déplace ; la marge d’un paragraphe s’agrandit, une grille se resserre, un contraste s’atténue, et me voilà forcé de remonter, de balise en balise, le fil du HTML, comme on remonte une généalogie pour comprendre de quelle branche vient l’inclinaison de la bouche. J’ai parfois l’impression de me réfugier dans le code par crainte — crainte de quoi, je l’ignore — tout comme jadis je me réfugiais dans l’écriture pour ne pas regarder en face ce que la peinture, d’un seul aplat franc, m’aurait montré. Est-ce bien de la peur ? C’est sans doute plus proche du désir : je veux quelque chose et je redoute de l’obtenir, car une fois le désir satisfait, il faudrait lui trouver un successeur, et l’on n’ose pas toujours priver sa journée de ce moteur si commode. J’ai essayé d’écarter le désir ; l’effet fut imprévu et, disons-le, déprimant : le plus attristant fut la disparition de l’humour, car sans désir on perd aussi cette ironie légère qui sauve la gravité du sérieux ; ne restait qu’une peur nue, embarrassante, à laquelle je ne savais que faire, faute même d’un désir de lui résister. Alors je me surprenais à singer l’énergie — taper du pied, trépigner, m’emporter — comme on imite un dialecte sans en comprendre la syntaxe ; j’ai vu tant de gens s’en tirer à grand renfort de trépignements que ce pastiche de résolution est devenu une langue commune. À quoi bon, me dis-je à présent ; mieux vaut, dans ce marasme, chercher à faire quelque chose de la peur, lui prêter attention plutôt que de la fuir, lui demander de parler au lieu de la réduire au silence. Il faut que je me souvienne aussi que je « détestais » le code, et que je ne puis plus le dire avec la même bonne foi : je ne l’aime ni ne le hais ; il m’est indifférent comme tout outil auquel la crainte avait prêté un affect. De quoi avais-je peur ? De me tromper, de casser le site — bagatelles si on les mesure à la misère du monde, tracas tout au plus, puisqu’il faudra comprendre d’où vient la panne et la réparer : juste cela. Le code, au fond, est reposant : binaire, il marche ou ne marche pas, et c’est peut-être pour cela qu’on s’y reclus, parce qu’on n’y attend pas de surprise autre que celle, très franche, du succès ou de l’erreur. La peinture, l’écriture, elles, réservent de vraies surprises, dont la beauté même inquiète. Et pourtant je me fais encore des idées : il n’y a peut-être rien à attendre de rien, et la sécheresse même de l’énoncé lui donne sa chance de vérité. Alors je continue, pas à pas, à examiner ces dépendances qui font qu’un détail dérange l’ensemble, et j’essaie, plutôt que d’ajouter de l’agitation à l’agitation, de mettre un peu d’ordre — non pour « représenter » quoi que ce soit, mais pour réparer l’écart entre ce que je cherche et ce qui, sans bruit, cherche en moi.
25 octobre 2025
Pour continuer
Carnets | octobre 2025
31 octobre 2025
Impression d'accélération du rythme enthousiasme/dépression, mais je regarde ça de manière détachée, ce qui est assez inconfortable. Comme si je ne pouvais plus reprendre la main, observer seulement et patienter, attendre que ce rythme ralentisse. Ce qui procure une sensation bizarre d'être balancé contre les murs de la pièce dans laquelle je me trouve, que ce soit dans le bureau, dans l'atelier, dans la cuisine. À moins que ce texte ait besoin de débuter ainsi, par cette image. Car, dans le fond, derrière cette image, il pourrait y en avoir mille autres. J'imagine bien volontiers être battu, roué de coups, bringueballé par des gens ivres, cogné et recogné… sans pour autant broncher, les observant ainsi faire sans pouvoir agir, sachant pertinemment qu'il ne servirait à rien d'agir, sauf à envenimer encore plus les choses. Non, je regarde, je vois tout, je n'en loupe pas une seule miette. Cela pourrait se produire dans une prison, sur un champ de bataille, au pensionnat… Le point commun est quelque chose d'inscrit dans l'étroitesse de leur front. L'implantation basse de leurs cheveux, leurs regards hallucinés : ce n'est pas moi qu'ils rouent de coups, c'est eux-mêmes. Ils n'en ont aucune conscience. Et à cet instant, le silence atteint un degré extraordinaire. Aucun cri, aucune récrimination de ma part. Je m'enfonce dans ce silence comme dans un havre de paix en plein centre du cyclone. Tout le monde voudrait certainement agir. Quand je discute avec les quelques personnes que je croise, elles sont ulcérées. Il va falloir que ça change, disent-elles, puis soudain, interruption, et surgit un propos décalé comme : "Il faut vite que j'aille acheter le pain avant que ça ferme." Ou encore ça parle de sport, de tout, de rien. Puis le rictus revient, comme une ombre dans le regard. Il va falloir que ça change. Bonne journée. Ce n'est pas une critique de ma part. Je pense faire de même. Tenter de temporiser la rage, l'écœurement, le dégoût. Quand cela devient trop intense, j'entre en catalepsie, je me concentre sur une aspérité d'un mur, je m'introduis dans la moindre fissure, le moindre orifice, je m'enfouis. Bien que j'aie chargé tous les flux dans Feedly, que j'aie exporté l'OPML, que j'aie créé une page pour pouvoir déposer la liste des sites suivis en Markdown, je me refuse à la mettre en ligne. Au final, quelle intention se cache derrière cela ? Je n'en sais rien. J'ai l'URL et je peux l'entrer moi-même dans la barre de navigation. C'est plus rapide que les favoris ? Je ne sais pas. Je continue à publier sur Mastodon et Seenthis, je dépose mon post et je m'en vais, je ne cherche même plus à suivre le flux. De temps en temps, un message auquel je réponds, mais souvent via messagerie ou en privé. S'exposer à la fois entièrement et très peu est encore une sorte de paradoxe. Mais je crois que c'est surtout la peur de perdre du temps qui me fait agir ainsi. Et aussi le déjà-vu. La peur d'un certain ennui. Ce soir, tandis que je m'assoupissais devant un article de blog, j'ai eu une vision de rats serrés les uns contre les autres dans une presque obscurité. Je n'avais pas peur, j'étais seulement étonné d'être là, rat parmi les rats. Je pense que la chaleur humaine, si je puis dire, n'est pas l'apanage de sapiens.|couper{180}
Carnets | octobre 2025
30 octobre 2025
J’ouvre les yeux. Quelques secondes durant, le monde est neuf, propre, étincelant comme au premier jour. Puis quelqu’un ricane de ce que j’écris, et tout redevient terne, sale, puant. La petite vengeance de l’ordinaire sur l’intact. Le sacré. Se lever avant que l’une des trois gunas ne décide de sa victoire. Direction le café. J’ai pris un somnifère, au radar, pause, et je croise les doigts. Effectivement, il fait gris. Mais ça peut ne pas durer. La chatte réclame. Plaisir du rythme indéfectible des estomacs. Sinon, peu de choses à dire qui puissent intéresser « le monde ». Il est même possible que, bientôt, très bientôt, tous les carnets rejoignent leur anonymat primordial. En parcourant de nombreux sites hier : personne n’étale ses états d’âme comme moi. Je dois être une sorte de monstruosité, une anomalie littéraire. Je suis même étonné qu’on ne soit pas encore venu me tuer. À mort le boomer ! Tout ce que j'espère, c'est que l'autre côté ne soit pas exactement semblable à celui-ci. Parfois j'y pense. Je pense même qu'on peut mourir sans même s'en rendre compte. Pas tout de suite. Et puis, au bout d'un certain laps de temps, on assiste à une sorte d'absurdité généralisée, de plus en plus d'anomalies surgissent, et l'on comprend que quelque chose s'est produit. Difficile alors de géolocaliser notre position... Enfer, purgatoire. Tout ce que l'on peut dire, c'est que ça n'a pas l'air d'être paradisiaque.|couper{180}
Carnets | octobre 2025
29 octobre 2025
Je ne dors toujours pas. Il est bientôt trois heures. J’ai pu ôter mon pansement. Toujours aucune douleur, ça cicatrise bien. Néanmoins il faut s’abstenir de porter des charges lourdes. J’ai lu, une bonne partie de la soirée et de la nuit, quelques livres de Gustave Le Rouge. Je pense à FB, plongé de son côté, probablement au même moment, dans la vie de Lovecraft, 1925, à moins qu’il ne soit dans celle de Balzac, de Rabelais. Chacun faisant comme il peut pour échapper à l’imminence d’une catastrophe que nous pressentons tous. Et, à côté de tout cela, le rouleau compresseur du quotidien. Cette réalité implacable du temps qui passe. Sur les cinq cent quatre-vingt-dix euros gagnés au cours des trois derniers mois, cent vingt-six iront à l’URSSAF. Regarder froidement les faits. Information lue par hasard — qu’au mois de novembre deux mille vingt-six — les découverts autorisés seront soumis au même régime que les crédits à la consommation. C’est-à-dire que de nombreuses personnes, ne gagnant guère plus que le salaire minimum, se verront refuser ce pseudo-crédit : un pas de plus vers la paupérisation en France. Ce chaos, ces peurs que l’on ne cesse de nous brandir, ces sempiternelles diversions : quelles fonctions ont-elles, vraiment ? Tout cela, apparemment, ne semble avoir aucun sens. Pour ma part, je crois que cet immense théâtre de guignol montre à quel point le système est malade ; à cet instant il devient véritablement plus dangereux, réellement prêt à tout, à tous nous tuer au besoin pour se survivre à lui-même. Ce qui fait que j’ai retardé le moment de remonter au grenier pour descendre les cartons de livres paternels ; en fin de compte, j’ai décidé de scanner un par un les ISBN et de les refourguer sur des plateformes de vente d’occasion. Je n’ai plus le temps de lire des policiers, j’ai tellement d’autres livres à lire encore. Et puis j’ai peur qu’à la fin tout cela s’abîme. Le froid s’est déjà logé là-haut et j’ai bien peur que l’humidité n’arrive d’ici peu. S. s’est fait vacciner contre la grippe. Ses analyses reçues hier sont bonnes. C’est de mon côté que ça se corse. J’ai envoyé celles-ci à M. par l’entremise de l’espace Santé. Qu’on sache tout de moi à travers ces divers espaces — finance, santé, littérature — quelle importance. Je n’ai pas, de moi-même, une si haute idée d’importance pour que la peur me vienne d’être à découvert, pas en très bonne santé, vieux et un peu plus mauvais qu’hier. En cela, ce que je pense ou dis n’a guère d’importance dans l’immédiat, c’est juste un témoignage comme un autre de la vie de notre temps. Pansement d’urgence pour remplacer les flipbooks défaillants. Mais il faudra revenir dans les boucles SPIP, car les compilations, si elles restituent bien les articles par rubrique et mots-clés, conservent toujours le titre « carnet / mois ». Ce qui ne va pas pour les rubriques Lectures, Fictions, etc. Création d'un .htaccess spécial dans le dossier JS pour débloquer turn.js. Étudié le lecteur de flux RSS Feedly et commencé à créer ma liste de sites suivis, en fait celle qui existe déjà dans les favoris du navigateur. J’ai réussi à bricoler un outil de conversion via les fichiers de TC récupérés sur son Git. Reste à étudier le problème des fréquences, qui semble dépendre de mon usage. En fait, je ne me pose pas la question de combien de fois je vais visiter tel ou tel site dans une journée, une semaine, un mois. Ce sont de nouvelles questions inédites. Et, comme telles, certainement plus intéressantes en soi que toute réponse à leur apporter. Repris aussi deux textes sur la littérature de SF en Chine et en Inde dans Histoire de l’imaginaire. Ajouté une réflexion dans la rubrique Fictions/archives/Instituteur. En tirant parti de ma lecture de Le Rouge. C’est après coup, en me demandant soudain pourquoi Le Rouge, que j’ai compris ce lien avec mon arrière-grand-père. illustration île de la Platière, Saint-Pierre-de-Boeuf|couper{180}