21 août 2019
Dans le grand chambardement actuel, l’ennemi sera toujours la guerre et cependant ne pas la mésestimer car celle-ci a fait progresser de vie en vie. La Suisse, pays pacifique et neutre, sait qu’il faut s’armer fortement pour conserver ces deux avantages. Cependant, toutes ces années sans conflit n’ont produit que de belles horloges garanties à vie. La guerre fut, est, sera, elle est logée en nous comme un second cœur, jumeau du premier. Mais devrons-nous toujours adopter les mêmes réactions face à ses injonctions ? Les nouveaux guerriers ne sont pas si nouveaux en fait. Ils existent depuis la nuit des temps et ils proposent une autre forme d’interprétation à cette incessante bagarre. Ce sont les guerriers de l’art et du cœur, et ce ne sont pas des naïfs et des nigauds comme, à première vue, tu pourrais le penser. Repeindre la vie en couleurs vives, convertir le drame, la mélancolie, la tristesse dans l’athanor de leurs peintures vibrantes, c’est cela leur combat et ce n’est pas le moindre. Après l’horreur des tranchées naît la couleur vive sur les tableaux et ce n’est pas pour rien. Ceux qui décident ainsi d’orienter tranché ont connu les doutes affreux et la boue des charniers. Il faut des années pour comprendre que l’on ne sait rien, tu seras pardonné. Cependant, lorsque tu vois un peintre exposer ses toiles colorées dans un recoin du monde, souris-lui au moins, même les plus rudes guerriers ont besoin parfois d’un peu de chaleur humaine.
reprise nov.2025
Quand on parle de “guerre” aujourd’hui, on pense aux cartes, aux fronts, aux experts en plateau. Mais la guerre la plus tenace ne passe plus par les journaux télévisés. Elle cogne dans la poitrine, comme un second cœur qui bat trop vite. Colère, envie de cogner, réflexe de se défendre avant même d’être attaqué : c’est cette pulsation-là que, pour ma part, je connais le mieux. On peut rêver de paix, signer des pétitions, applaudir la neutralité de la Suisse ; on sait bien, au fond, que ce genre de paix-là se défend à coups d’armes et de frontières, et qu’il en reste parfois des horloges impeccables et peu de visages. La vraie question, pour moi, n’est pas de savoir si la guerre existe ou non — elle est là, point final — mais ce qu’on en fait. Certains la déposent sur les autres sous forme de blessures, d’ordres, de bombes. D’autres, plus discrets, la traînent dans leur atelier et la passent à la couleur. Ceux-là ne sont pas des anges ni des naïfs. Ils ont connu le goût métallique de la haine, le désir de casser, la fatigue d’un monde qui répète les mêmes massacres. Parfois, ils portent en eux des histoires de tranchées, des récits de grand-père qui ne dormait plus sans hurler, une photo sépia d’un jeune homme en uniforme, mort à vingt ans. Rien d’exceptionnel : une famille française comme une autre. Et puis un jour, au lieu d’aller cogner quelque part, ils se plantent devant une toile. Ils prennent ce cœur jumeau, celui de la guerre, et ils le font dégorger en aplats rouges, en jaunes acides, en bleus presque indécents. Ça ne sauve personne, ça ne signe aucun armistice, mais ça évite au moins qu’un peu de ce mal-là se transforme en coups ou en balles. Après 14–18, on a vu surgir des couleurs qu’on n’avait jamais vues : comme si, après la boue et le sang, certains avaient décidé que la seule réponse possible serait d’oser enfin peindre violemment vif. Je crois à cette logique-là : une violence déplacée, recyclée, tenue dans un cadre. Alors, quand je vois un peintre qui a accroché trois toiles trop vives dans un coin de salle des fêtes, avec son petit spot qui grésille et deux verres en plastique sur une table bancale, je ne vois pas un décorateur raté. Je vois quelqu’un qui, à sa manière, tient sa guerre en laisse. Ça ne lui donne aucun mérite héroïque. Ça veut juste dire ceci : même les plus rudes guerriers ont besoin, parfois, qu’on leur adresse un sourire en passant. C’est peu de chose, mais pour certains, c’est déjà une trêve.
résumé : il ne se contente pas du pacifisme abstrait ni des grandes déclarations contre la guerre. Il sent en lui une violence, une guerre intérieure, et il a besoin de croire que la peinture n’est pas une échappatoire lâche mais une façon de traiter cette énergie sans la tourner contre les autres. D’où cette insistance sur les “guerriers de l’art” : il se fabrique une figure où l’artiste ne serait ni décorateur ni clown, mais combattant déplacé. On y lit aussi une culpabilité sourde : il sait qu’il n’est pas dans les tranchées, pas dans les guerres “réelles”, et il cherche un cadre où son travail, malgré tout, ait un poids moral. L’homme de 2019 est donc traversé par un mélange d’écœurement (face à la guerre au sens large), de besoin de justification (pour sa pratique de peintre) et de tendresse pour ceux qui, comme lui, accrochent des toiles “dans un recoin du monde” en espérant qu’on y voie plus qu’un passe-temps.
Pour continuer
Carnets | Atelier
août 2019
1er août — Voix qui fait mal Cette voix ne va pas. Elle touche en moi quelque chose de souffrant que je ne veux pas entendre. Pour m'extraire de cette vulnérabilité, je dis que sa voix est fausse. Ces textes ne sont pas « aboutis », je ne sais même plus ce que ce mot peut vouloir dire. Je triche en tentant de réécrire des conneries sur des conneries. En vérité, je ne pousse pas les textes à bout, je me pousse moi, et c'est moi qui lâche le premier. 3 août — Profils Enfant, je voyais Dali surgir à la télé pour vendre du chocolat en expliquant que ça le rendait fou. Fernandel vantait des nouilles, Gainsbourg brûlait un billet de 500 francs. Quand j'ai ouvert un compte Facebook, ce n'était pas par goût mais parce que l'atelier débordait de toiles invendues. On m'a demandé de remplir mon « profil ». Le mot m'a arrêté : on ne me demandait pas qui j'étais, mais sous quel angle j'acceptais d'apparaître. J'ai commencé à poster et très vite j'ai pris goût au jeu. Je me fabriquais un personnage. Avec le temps, j'ai compris que cette impression de toute-puissance servait surtout à couvrir une impuissance plus triviale : la difficulté à rester là, sans rôle, devant la toile. 4 août — Ténacité L'autre soir, j'étais à table avec un collectif d'artistes. On riait beaucoup, et au milieu de cette bonne humeur, des morceaux de catastrophe tombaient comme si de rien n'était. Un couple de sculpteurs a évoqué deux cents pièces disparues avec un transporteur. Pas de procès : ils ont tout refait. Un peintre a parlé d'une série envolée chez un galeriste, puis d'un retour de toiles toutes griffées. Leur refrain silencieux me revenait : on refait, on recommence, on continue. En rentrant, je me suis demandé si, moi, j'avais cette corde-là. J'ai passé des années à me débrouiller pour tenir, mais sans jamais appeler ça de la ténacité. 5 août — Tristesse et joie Jeune homme, je traitais la tristesse comme une amante à conquérir. Je rêvais de la prendre, de la pénétrer si profondément qu'à force sa source se tarirait. Le temps est passé, et je n'ai jamais vu la tristesse se métamorphoser autrement qu'en elle-même. Alors je me suis tourné vers la joie, en m'attendant au même combat. Il ne s'est rien passé. La joie ne se laissait ni forcer ni délivrer. Ce jour-là, j'ai compris que ce n'était pas elle qui manquait, mais moi qui tournais en rond dans ma manière de vouloir les posséder toutes les deux. 7 août — Hospitalité On oublie qu'« hôte » désignait autrefois aussi bien celui qui ouvre sa porte que celui qui la franchit. Le même mot pour accueillir et être accueilli. Ce n'est pas tant la figure de l'hôte qui importe que ce qu'elle suppose : l'hospitalité comme espace commun, où personne n'est au-dessus de l'autre. Ce mot mériterait de revenir au centre, à une époque où il évoque plus volontiers les couloirs d'un service, un dossier médical, qu'une maison ouverte. 8 août — Algorithmes Jamais je n'aurais imaginé à quel point on pouvait me faire sentir en défaut sur les réseaux sociaux. Depuis quelque temps, c'est une pub pour un trépied photo qui revient sans cesse. Chaque fois, j'ai une seconde de piqûre : je souffre de ne pas posséder cet objet. Je sais que si cette pub revient, ce n'est pas par erreur. Il a suffi que je la regarde une fois jusqu'au bout pour que l'algorithme enregistre mon arrêt, ma curiosité. Ce qui me frappe, ce n'est pas seulement les stratégies pour créer l'envie, c'est le peu de choses qu'on m'a apprises pour reconnaître la mienne quand elle se déclenche. 10 août — Ironie et inceste Pendant des années, l'ironie a été ma compagne la plus fidèle. Une vraie mère juive : dès qu'un malheur pointait, elle me serrait dans ses bras et je repartais à l'assaut. J'excellais dans la diatribe, le trait acéré. Et puis je me retrouvais seul dehors, dans ces rues mornes où je tournais pour lui échapper. Je cherchais une femme douce, compréhensive, ou bien l'inverse absolu : une femme dure qui saurait dénouer ma libido. Entre la maman et la putain, l'ironie faisait office d'utérus. La peinture a bousculé ce dispositif. La dernière fois, c'est la toile elle-même qui s'est ouverte : la surface blanche m'a avalé tout entier. À la sortie, il restait moins de mots, plus de silence. 13 août — Usines à peindre Les temps changent. Dans certains ateliers d'Asie, on peint déjà des paysages à la chaîne. J'ai vu des catalogues : on y choisit un « artiste » comme on choisit une police de caractère. Louise pour les marines, Chloé pour les scènes de café. Derrière, personne à rencontrer. Pendant ce temps, les musées continuent de programmer les mêmes noms prestigieux pendant que la majorité des vivants rame. Ce qui me dérange le plus, ce n'est pas que certaines toiles soient fabriquées en série, c'est la petite voix qui me demande quelle place j'occupe, moi, là-dedans. 15 août — Héroïsme Le premier héros que j'ai connu n'avait pas de stade ni de caméra. C'était mon père, debout dans l'entrée, ses chaussures posées devant moi. Chaque soir, il me demandait de les cirer. Je frottais en silence en me sentant plus domestique que fils. Un merci aurait suffi. Plus tard, j'ai essayé de regarder la même scène autrement. Il a fallu que je dénoue un à un les fils pour comprendre que mon ressentiment ne voyait qu'une partie du tableau. Héroïsme, pour moi, ne rime plus avec décor de film. Je le vois dans ces gestes modestes qui se répètent sans applaudissements. 16 août — Double contrainte Double contrainte à tous les étages : « je t'adore » suivi d'une claque. « Touche pas à la vaisselle, tu ne sais pas faire », puis « viens me faire un baiser dans le cou », « frappe un peu, tu es trop mou », « prends-moi », « arrête, lâche-moi ». À force, tu te tiens tranquille. Tu avales. Tu laisses descendre les larmes, tu avales les cris. Petit à petit, il ne reste plus qu'un masque : un sourire bien dessiné. De l'extérieur, ça fait « mec posé ». À l'intérieur, tu es juste devenu assez calme pour qu'on puisse tout te faire sans que tu bronches. 19 août — Copier, interpréter, créer Au fil des années, j'ai réduit mon vocabulaire à trois mots pour parler de peinture : copier, interpréter, créer. La copie me sert à nettoyer l'illusion de savoir. L'interprétation me sert à chercher la justesse du ton. Créer, c'est le moment où il faut lâcher prise. Dès les premières séances de cours, je commence par la fin : un exercice de création brute. Je leur demande de définir un « désordre personnel » et de le mettre sur la feuille. Au fond, ce qui m'intéresse, c'est le moment où, dans l'atelier, un silence se fait. Sans lui, aucune musique ne se compose, aucun tableau ne prend forme. 21 août — Guerriers de l'art La guerre la plus tenace ne passe plus par les journaux télévisés. Elle cogne dans la poitrine, comme un second cœur. Certains la déposent sur les autres sous forme de blessures. D'autres la traînent dans leur atelier et la passent à la couleur. Ceux-là ont connu le goût métallique de la haine, le désir de casser. Puis un jour, au lieu d'aller cogner, ils se plantent devant une toile. Ils prennent ce cœur jumeau, celui de la guerre, et ils le font dégorger en aplats rouges, en jaunes acides. Ça ne sauve personne, mais ça évite qu'un peu de ce mal se transforme en coups ou en balles. 22 août — Célébrer On a fini par réserver « célébrer » aux grandes messes : mariage, enterrement. Entre deux, on avale les jours sans rien marquer. Puis j'ai découvert qu'il existait une autre façon de célébrer, sans annonces, sans témoins : des petites cérémonies privées. Tu te fais un café, tu t'assois cinq minutes de plus, tu te dis : « J'ai traversé ça, et je suis encore là. » Personne n'applaudit, mais tu viens de t'accorder une petite minute de reconnaissance. Dans les périodes où tout ressemble à une guerre larvée, ces minuscules rites sont la seule chose qui m'ait évité de glisser dans la résignation. 29 août — Gentillesse Depuis quelques mois, je me suis mis à devenir gentil, histoire de voir ce que ça donne. J'essaie de rester cool parce qu'un coach m'a dit que « la colère fait de toi une victime ». Le problème, c'est que je vois bien l'effet secondaire : dès que je reste dans cette version soft, la prose ne décolle plus. La gentillesse ne me donne que des phrases flasques. Récupérer sa morgue dans l'écriture, pourtant, c'est contre-indiqué si tu veux passer une bonne journée de gentil : ce que tu utilises comme énergie se propage et te pourrit le cœur pour plusieurs jours. 31 août — Catastrophe L'air est déjà à la catastrophe ; elle n'est pas à venir, elle est là, et fait partie intégrante de la création : sans catastrophe, sans effondrement, il n'y a pas de renouveau. Cézanne ne commençait pas un tableau sans avoir traversé deux ou trois désastres préalables. Pour éviter le confort du cliché, il faut accepter ce passage par l'informe. Le retour à une case départ, au bout de l'effondrement, devient un rituel plus qu'un échec : on y redescend pour aller chercher une vérité gagnée de haute lutte contre soi.|couper{180}
Carnets | Atelier
31 août 2019
L’air est à la catastrophe ou la catastrophe est dans l’air. Elle n’est pas à venir, elle est toujours là, soit en toi ou à l’extérieur de toi. La catastrophe fait partie intégrante de la création, sans catastrophe, sans effondrement aucun renouveau. Paul Cézanne ne « démarrait » pas un tableau sans avoir au moins essuyé deux ou trois catastrophes préalables. Et plus loin on apprendra aussi qu’il doit arriver un moment où tous les plans s’effondrent les uns sur les autres. C’est que, pour éviter le cliché, force est de constater qu’il faut se tordre la tête et se vriller l’œil bien souvent pour laisser à la main sa propre intelligence. Ainsi le retour à une case départ au bout de tout effondrement semble être une sorte de rituel ou tout du moins un passage obligé pour qui veut aller puiser une vérité au fond d’un puits qui se trouve être généralement, sans fond. Le mot « vérité » ici n’étant pas universel bien sûr mais il est tout de même possible qu’une vérité obtenue de haute lutte envers soi, touche l’autre resté tout en haut à contempler l’eau luisante en bas. reprise nov. 2025 L’air est déjà à la catastrophe ; elle n’est pas à venir, elle est là, en toi comme dehors, et fait partie intégrante de la création : sans catastrophe, sans effondrement, il n’y a pas de renouveau. Paul Cézanne ne commençait pas un tableau sans avoir traversé deux ou trois désastres préalables, ces moments où l’ensemble ne tient plus, où les plans s’écrasent les uns sur les autres et où ce qui s’organisait se défait brusquement. Pour éviter le confort du cliché, il faut accepter ce passage par l’informe, se tordre la tête, se fatiguer l’œil jusqu’à laisser enfin à la main sa propre intelligence. Le retour à une case départ, au bout de l’effondrement, devient alors un rituel plus qu’un échec : on y redescend pour aller chercher une vérité qui n’a rien d’universel, mais qui a été gagnée de haute lutte contre soi. Parfois, cette vérité arrachée au fond du puits — ce fond qui se dérobe toujours — rejoint tout de même quelqu’un resté là-haut, penché sur l’eau luisante, sans savoir exactement ce qui insiste en dessous. résumé : En quelques phrases : ce narrateur est quelqu’un qui ne croit pas aux œuvres lisses et aux réussites immédiates. Il se méfie du cliché, de l’aphorisme confortable, et tente de faire du ratage un passage obligé. Il se traite lui-même avec une sévérité constante, préférant l’effort, la lutte, la reprise, à la facilité d’un sens déjà donné. Il sait que la vérité n’est ni universelle ni stable, mais il continue à descendre au fond du puits, convaincu que ce mouvement, même incertain, reste la seule manière de rester vivant dans son travail.|couper{180}
Carnets | Atelier
29 août 2019
Depuis quelques mois, je me suis mis à devenir gentil, juste pour tester cette version de moi et aussi soulager quelques acidités d’estomac. Donc je tente de rester cool à peu près en toutes circonstances parce qu’un putain de coach, quelque part sur la toile, m’a dit : « la colère fait de toi une victime » et, par orgueil, comme je ne veux pas être une victime, je me suis enfilé comme j’ai pu par le chas de l’aiguille de l’humilité. Pas simple, de prime abord, quand on ne croit pas à grand-chose, je te le concède. Mais le jeu a toujours été un de mes péchés mignons. Voilà exactement comment je suis devenu addicted à la gentillesse, à ma façon. L’un des principaux effets secondaires de la gentillesse que je détecte malgré tout, c’est la difficulté à s’envoler en prose. Tu me diras que tu t’en fous si tu n’écris pas, mais moi, ça m’importe, car j’adore écrire. La gentillesse ne produit guère que des choses flasques dans l’écriture, je m’en aperçois. Si je publiais un jour tout cela, je n’aurais en gros que quelques grenouilles de bénitier, quelques putes repenties, et le reste, ma foi, serait du tout-venant. Récupérer sa morgue dans l’écriture, cependant, est contre-indiqué si on veut passer une bonne vieille journée de « gentil ». Ce que l’on utilise comme énergie se propage à la vitesse de la lumière dans les veines et pourrit le cœur pour des jours, parfois. Une voyante, de mes amies, m’a assuré que ça ne faisait aucun doute pour elle : j’étais un peu trop sensible aux étoiles filantes de Dzika… et que j’aurais bien besoin d’un « bouclier de glace » pour les contrer. Moyennant quelques euros, je me tâte et, comme d’habitude, je laisse tomber : je veux bien essayer d’être gentil, mais, de là à devenir con, il y a quand même de la marge. reprise nov.2025 Depuis quelques mois, je me suis mis à devenir gentil, histoire de voir ce que ça donne et, au passage, de calmer deux ou trois acidités d’estomac. J’essaie de rester cool à peu près en toutes circonstances parce qu’un putain de coach, quelque part sur la toile, m’a balancé que « la colère fait de toi une victime » et que, par orgueil, comme je refuse ce rôle-là, je me suis faufilé comme j’ai pu par le chas de l’aiguille de l’humilité. Pas simple, de prime abord, quand on ne croit pas à grand-chose, je te le concède, mais le jeu a toujours été un de mes péchés mignons, alors j’ai joué le jeu de la gentillesse jusqu’à m’y rendre presque addict, à ma façon. Le problème, c’est que je vois bien l’effet secondaire : dès que je reste dans cette version « soft » de moi, la prose ne décolle plus. Tu peux t’en foutre si tu n’écris pas, mais moi ça m’emmerde, parce que j’adore écrire et que la gentillesse ne me donne que des phrases flasques. Si je publiais tout cela tel quel, je récolterais quelques grenouilles de bénitier, deux ou trois putes repenties, et le reste, ma foi, serait du tout-venant. Récupérer sa morgue dans l’écriture, pourtant, c’est contre-indiqué si tu veux passer une bonne vieille journée de « gentil » : ce que tu utilises comme énergie se propage à la vitesse de la lumière dans les veines et te pourrit le cœur pour plusieurs jours. Une voyante parmi mes amies m’a juré que ça ne faisait pour elle aucun doute : je serais trop sensible aux étoiles filantes de Dzika et j’aurais besoin d’un « bouclier de glace » pour les contrer. Moyennant quelques euros, je pourrais m’en offrir un, je me tâte toujours, mais comme d’habitude je laisse tomber : je veux bien essayer d’être gentil, oui, mais de là à devenir con, il y a encore de la marge. résumé : ce narrateur est un joueur fatigué qui teste sur lui-même des postures morales comme on essaie des médicaments. Il craint autant la position de victime que celle du cynique rance, et tente de trouver un passage étroit entre les deux. Il sait que sa colère nourrit son écriture mais l’abîme ailleurs, dans le corps et dans la vie ordinaire. Il préfère pour l’instant garder cette tension plutôt que choisir franchement un camp, convaincu qu’entre « gentil » et « con », il lui reste encore une bande étroite où tenir debout et écrire.|couper{180}