12 août 2019

Un peu facile de me dire ce matin que je fais ce que je veux. Trop facile. C’est-à-dire peindre à la volée des bribes de tout format dans le seul but d’expulser l’énergie énorme qui pousse sans relâche à l’intérieur. La volonté de vivre est là, qui s’étale en couleurs, parfois de façon obscène. Quel problème avec l’obscénité ? C’est le lien que j’y entrevois avec la dispersion. C’est ainsi qu’on a créé des tabous, des totems, des pieux comme axe à la vie des villages. Pour ne pas se laisser baiser par la dispersion, les pulsions. J’ai passé ma vie à vouloir enfoncer des portes ouvertes parce que je me sens fondamentalement seul. Singulier. Je suis un peintre maudit, désespérément seul, un baiseur à la chaîne qui se retrouve la queue entre les jambes, pathétique. J’éclate de rire pour expulser l’effroi mais bon, je ne suis pas dupe. Tout est encore à venir. Ma trouille bleue d’avoir chopé une merde genre cancer ne me lâche pas, en même temps que je continue à renoncer à la visite médicale. Genre Viking, c’est le destin le plus fort et j’y crois. Je me suis remis à fumer encore plus, du coup, pour faire la nique à je ne sais quoi, vu que je me considère presque rien. Les gens pensent que c’est simple d’arrêter de fumer comme d’arrêter de penser, comme d’arrêter de se disperser. Pour moi, tout va de pair : je fume comme je pense et je me disperse en fumerolles colorées. Je me décompose gentiment en couleurs. Toute cette violence bouillonnante à défoncer en chaîne des chattes et des culs, désormais mélangée à l’huile de lin. Ma volonté d’esquiver le mot artiste, chaque fois, n’est pas une coquetterie. Je suis de moins en moins escroc. Je suis un peintre suicidaire, exhibitionniste et obscène ; dans ma main, le pinceau me sert de sextant pour chercher ma justesse comme ma place, auxquelles systématiquement je renonce. C’est ma route, dans le fond, et si, ma foi, certains pensent que c’est de l’art, c’est qu’ils se fourrent le doigt dans l’œil. Une fois qu’il eut vidé son sac, le peintre s’installa à son chevalet devant sa toile encore vierge. Il dessina un sexe de femme béant, puis il tenta d’enfouir sa tête à l’intérieur, mais la froideur du lin qu’il sentit sur son front le réveilla. Il alluma une nouvelle cigarette et commença à esquisser des courbes, des creux, autour du sexe. Peu à peu, une femme extraordinaire commença à prendre forme.

reprise nov. 2025

Ce matin encore, je pourrais me dire que je fais ce que je veux : allumer une cigarette, entrer dans l’atelier, attaquer une toile sans réfléchir, balancer des couleurs pour vider l’énergie qui cogne à l’intérieur. C’est la version confortable. En réalité, je ne fais pas ce que je veux : je laisse la même poussée me traverser, jour après jour, sans jamais vraiment la regarder. La volonté de vivre s’étale en taches, parfois jusqu’à l’obscène, et je sais très bien pourquoi ce mot me gêne : dès que ça déborde, ça se disperse. On invente des tabous, des totems, des axes, pour tenir les villages ; moi, j’ai essayé de tenir ma vie avec des principes, des refus, des fanfaronnades, et j’ai quand même passé des années à enfoncer des portes ouvertes, sûr d’être seul, singulier, « maudit ». Ça m’arrangeait : tant que je jouais au peintre maudit, je n’avais pas à voir l’homme qui tremble en dessous. Depuis quelque temps, une trouille plus précise s’est installée : la peur d’avoir ramassé une saloperie, un cancer quelque part. Elle ne m’a pas lâché, mais je continue à éviter le médecin avec une obstination ridicule. Je dis que je suis fataliste, « genre Viking », que le destin est plus fort ; en vérité, j’ai peur de mettre un mot sur ce qui me ronge. Alors je fume davantage, en me racontant que, de toute façon, c’est plié. Fumer, penser, se disperser, tout va ensemble : la fumée devant le visage, les idées qui partent dans tous les sens, les gestes qui cherchent un corps et retombent dans la toile. Je me suis longtemps vanté d’être obscène pour de bon, un baiseur infatigable ; ce qui reste aujourd’hui, c’est surtout la violence retombée, mélangée à l’huile de lin, et un corps qui se défait à petit feu. Je n’ai plus très envie de me dire « artiste », je trouve le mot faux sur moi. Peintre me suffit : quelqu’un qui se tient devant un rectangle de lin avec un pinceau, en espérant que quelque chose se trouve là. Le pinceau comme seul instrument de mesure : un sextant de fortune pour tenter de repérer où je me tiens vraiment, dans ce chaos. Souvent, je renonce avant de trouver. Je pose les couleurs, je recule, je rigole pour masquer la panique, et je me dis que tout ça ne vaut pas grand-chose. Et puis il y a ces moments où, sans y penser, la main trace une forme qui me met au pied du mur. Ce matin-là, j’ai commencé par dessiner une ouverture, un sexe de femme frontal, comme pour me coller en face de ce que j’ai poursuivi pendant des années. J’ai eu l’élan d’y entrer, de m’y enfouir, comme si la toile pouvait encore servir d’abri. La froideur du tissu m’a arrêté net. Alors j’ai tiré une bouffée, j’ai laissé la fumée passer, et j’ai repris le pinceau. Autour de cette ouverture, j’ai ajouté des courbes, une hanche, un bras, un visage qui résistait un peu à ma main. Peu à peu, une femme s’est dessinée, moins obscène que prévue, moins spectaculaire. Juste une présence, debout, qui me regardait peindre. Elle ne me sauvait de rien, mais au moins, pour une fois, je n’étais plus tout à fait seul dans la pièce.

résumé Ça montre un homme qui se vit comme un mélange de survivant et de déchet : il se dit « presque rien », redoute le cancer, fume davantage par défi, et joue en même temps à se mettre en scène en peintre maudit lucide sur sa propre obscénité. Il sait que sa dispersion – le sexe, la fumée, la couleur – est une manière de fuir la peur brute, celle du corps qui lâche et de la solitude. Il commence pourtant à voir la comédie dans laquelle il s’est enfermé, à sentir que la peinture n’est pas seulement un exutoire, mais aussi le seul endroit où il peut regarder sa violence sans tout détruire autour de lui. En 2019, il est encore pris entre deux gestes : se saboter en continu, et tenter malgré tout de se tenir devant la toile assez longtemps pour qu’autre chose que son propre numéro apparaisse.

Pour continuer

Carnets | Atelier

août 2019

1er août — Voix qui fait mal Cette voix ne va pas. Elle touche en moi quelque chose de souffrant que je ne veux pas entendre. Pour m'extraire de cette vulnérabilité, je dis que sa voix est fausse. Ces textes ne sont pas « aboutis », je ne sais même plus ce que ce mot peut vouloir dire. Je triche en tentant de réécrire des conneries sur des conneries. En vérité, je ne pousse pas les textes à bout, je me pousse moi, et c'est moi qui lâche le premier. 3 août — Profils Enfant, je voyais Dali surgir à la télé pour vendre du chocolat en expliquant que ça le rendait fou. Fernandel vantait des nouilles, Gainsbourg brûlait un billet de 500 francs. Quand j'ai ouvert un compte Facebook, ce n'était pas par goût mais parce que l'atelier débordait de toiles invendues. On m'a demandé de remplir mon « profil ». Le mot m'a arrêté : on ne me demandait pas qui j'étais, mais sous quel angle j'acceptais d'apparaître. J'ai commencé à poster et très vite j'ai pris goût au jeu. Je me fabriquais un personnage. Avec le temps, j'ai compris que cette impression de toute-puissance servait surtout à couvrir une impuissance plus triviale : la difficulté à rester là, sans rôle, devant la toile. 4 août — Ténacité L'autre soir, j'étais à table avec un collectif d'artistes. On riait beaucoup, et au milieu de cette bonne humeur, des morceaux de catastrophe tombaient comme si de rien n'était. Un couple de sculpteurs a évoqué deux cents pièces disparues avec un transporteur. Pas de procès : ils ont tout refait. Un peintre a parlé d'une série envolée chez un galeriste, puis d'un retour de toiles toutes griffées. Leur refrain silencieux me revenait : on refait, on recommence, on continue. En rentrant, je me suis demandé si, moi, j'avais cette corde-là. J'ai passé des années à me débrouiller pour tenir, mais sans jamais appeler ça de la ténacité. 5 août — Tristesse et joie Jeune homme, je traitais la tristesse comme une amante à conquérir. Je rêvais de la prendre, de la pénétrer si profondément qu'à force sa source se tarirait. Le temps est passé, et je n'ai jamais vu la tristesse se métamorphoser autrement qu'en elle-même. Alors je me suis tourné vers la joie, en m'attendant au même combat. Il ne s'est rien passé. La joie ne se laissait ni forcer ni délivrer. Ce jour-là, j'ai compris que ce n'était pas elle qui manquait, mais moi qui tournais en rond dans ma manière de vouloir les posséder toutes les deux. 7 août — Hospitalité On oublie qu'« hôte » désignait autrefois aussi bien celui qui ouvre sa porte que celui qui la franchit. Le même mot pour accueillir et être accueilli. Ce n'est pas tant la figure de l'hôte qui importe que ce qu'elle suppose : l'hospitalité comme espace commun, où personne n'est au-dessus de l'autre. Ce mot mériterait de revenir au centre, à une époque où il évoque plus volontiers les couloirs d'un service, un dossier médical, qu'une maison ouverte. 8 août — Algorithmes Jamais je n'aurais imaginé à quel point on pouvait me faire sentir en défaut sur les réseaux sociaux. Depuis quelque temps, c'est une pub pour un trépied photo qui revient sans cesse. Chaque fois, j'ai une seconde de piqûre : je souffre de ne pas posséder cet objet. Je sais que si cette pub revient, ce n'est pas par erreur. Il a suffi que je la regarde une fois jusqu'au bout pour que l'algorithme enregistre mon arrêt, ma curiosité. Ce qui me frappe, ce n'est pas seulement les stratégies pour créer l'envie, c'est le peu de choses qu'on m'a apprises pour reconnaître la mienne quand elle se déclenche. 10 août — Ironie et inceste Pendant des années, l'ironie a été ma compagne la plus fidèle. Une vraie mère juive : dès qu'un malheur pointait, elle me serrait dans ses bras et je repartais à l'assaut. J'excellais dans la diatribe, le trait acéré. Et puis je me retrouvais seul dehors, dans ces rues mornes où je tournais pour lui échapper. Je cherchais une femme douce, compréhensive, ou bien l'inverse absolu : une femme dure qui saurait dénouer ma libido. Entre la maman et la putain, l'ironie faisait office d'utérus. La peinture a bousculé ce dispositif. La dernière fois, c'est la toile elle-même qui s'est ouverte : la surface blanche m'a avalé tout entier. À la sortie, il restait moins de mots, plus de silence. 13 août — Usines à peindre Les temps changent. Dans certains ateliers d'Asie, on peint déjà des paysages à la chaîne. J'ai vu des catalogues : on y choisit un « artiste » comme on choisit une police de caractère. Louise pour les marines, Chloé pour les scènes de café. Derrière, personne à rencontrer. Pendant ce temps, les musées continuent de programmer les mêmes noms prestigieux pendant que la majorité des vivants rame. Ce qui me dérange le plus, ce n'est pas que certaines toiles soient fabriquées en série, c'est la petite voix qui me demande quelle place j'occupe, moi, là-dedans. 15 août — Héroïsme Le premier héros que j'ai connu n'avait pas de stade ni de caméra. C'était mon père, debout dans l'entrée, ses chaussures posées devant moi. Chaque soir, il me demandait de les cirer. Je frottais en silence en me sentant plus domestique que fils. Un merci aurait suffi. Plus tard, j'ai essayé de regarder la même scène autrement. Il a fallu que je dénoue un à un les fils pour comprendre que mon ressentiment ne voyait qu'une partie du tableau. Héroïsme, pour moi, ne rime plus avec décor de film. Je le vois dans ces gestes modestes qui se répètent sans applaudissements. 16 août — Double contrainte Double contrainte à tous les étages : « je t'adore » suivi d'une claque. « Touche pas à la vaisselle, tu ne sais pas faire », puis « viens me faire un baiser dans le cou », « frappe un peu, tu es trop mou », « prends-moi », « arrête, lâche-moi ». À force, tu te tiens tranquille. Tu avales. Tu laisses descendre les larmes, tu avales les cris. Petit à petit, il ne reste plus qu'un masque : un sourire bien dessiné. De l'extérieur, ça fait « mec posé ». À l'intérieur, tu es juste devenu assez calme pour qu'on puisse tout te faire sans que tu bronches. 19 août — Copier, interpréter, créer Au fil des années, j'ai réduit mon vocabulaire à trois mots pour parler de peinture : copier, interpréter, créer. La copie me sert à nettoyer l'illusion de savoir. L'interprétation me sert à chercher la justesse du ton. Créer, c'est le moment où il faut lâcher prise. Dès les premières séances de cours, je commence par la fin : un exercice de création brute. Je leur demande de définir un « désordre personnel » et de le mettre sur la feuille. Au fond, ce qui m'intéresse, c'est le moment où, dans l'atelier, un silence se fait. Sans lui, aucune musique ne se compose, aucun tableau ne prend forme. 21 août — Guerriers de l'art La guerre la plus tenace ne passe plus par les journaux télévisés. Elle cogne dans la poitrine, comme un second cœur. Certains la déposent sur les autres sous forme de blessures. D'autres la traînent dans leur atelier et la passent à la couleur. Ceux-là ont connu le goût métallique de la haine, le désir de casser. Puis un jour, au lieu d'aller cogner, ils se plantent devant une toile. Ils prennent ce cœur jumeau, celui de la guerre, et ils le font dégorger en aplats rouges, en jaunes acides. Ça ne sauve personne, mais ça évite qu'un peu de ce mal se transforme en coups ou en balles. 22 août — Célébrer On a fini par réserver « célébrer » aux grandes messes : mariage, enterrement. Entre deux, on avale les jours sans rien marquer. Puis j'ai découvert qu'il existait une autre façon de célébrer, sans annonces, sans témoins : des petites cérémonies privées. Tu te fais un café, tu t'assois cinq minutes de plus, tu te dis : « J'ai traversé ça, et je suis encore là. » Personne n'applaudit, mais tu viens de t'accorder une petite minute de reconnaissance. Dans les périodes où tout ressemble à une guerre larvée, ces minuscules rites sont la seule chose qui m'ait évité de glisser dans la résignation. 29 août — Gentillesse Depuis quelques mois, je me suis mis à devenir gentil, histoire de voir ce que ça donne. J'essaie de rester cool parce qu'un coach m'a dit que « la colère fait de toi une victime ». Le problème, c'est que je vois bien l'effet secondaire : dès que je reste dans cette version soft, la prose ne décolle plus. La gentillesse ne me donne que des phrases flasques. Récupérer sa morgue dans l'écriture, pourtant, c'est contre-indiqué si tu veux passer une bonne journée de gentil : ce que tu utilises comme énergie se propage et te pourrit le cœur pour plusieurs jours. 31 août — Catastrophe L'air est déjà à la catastrophe ; elle n'est pas à venir, elle est là, et fait partie intégrante de la création : sans catastrophe, sans effondrement, il n'y a pas de renouveau. Cézanne ne commençait pas un tableau sans avoir traversé deux ou trois désastres préalables. Pour éviter le confort du cliché, il faut accepter ce passage par l'informe. Le retour à une case départ, au bout de l'effondrement, devient un rituel plus qu'un échec : on y redescend pour aller chercher une vérité gagnée de haute lutte contre soi.|couper{180}

Carnet mensuel résumé

Carnets | Atelier

31 août 2019

L’air est à la catastrophe ou la catastrophe est dans l’air. Elle n’est pas à venir, elle est toujours là, soit en toi ou à l’extérieur de toi. La catastrophe fait partie intégrante de la création, sans catastrophe, sans effondrement aucun renouveau. Paul Cézanne ne « démarrait » pas un tableau sans avoir au moins essuyé deux ou trois catastrophes préalables. Et plus loin on apprendra aussi qu’il doit arriver un moment où tous les plans s’effondrent les uns sur les autres. C’est que, pour éviter le cliché, force est de constater qu’il faut se tordre la tête et se vriller l’œil bien souvent pour laisser à la main sa propre intelligence. Ainsi le retour à une case départ au bout de tout effondrement semble être une sorte de rituel ou tout du moins un passage obligé pour qui veut aller puiser une vérité au fond d’un puits qui se trouve être généralement, sans fond. Le mot « vérité » ici n’étant pas universel bien sûr mais il est tout de même possible qu’une vérité obtenue de haute lutte envers soi, touche l’autre resté tout en haut à contempler l’eau luisante en bas. reprise nov. 2025 L’air est déjà à la catastrophe ; elle n’est pas à venir, elle est là, en toi comme dehors, et fait partie intégrante de la création : sans catastrophe, sans effondrement, il n’y a pas de renouveau. Paul Cézanne ne commençait pas un tableau sans avoir traversé deux ou trois désastres préalables, ces moments où l’ensemble ne tient plus, où les plans s’écrasent les uns sur les autres et où ce qui s’organisait se défait brusquement. Pour éviter le confort du cliché, il faut accepter ce passage par l’informe, se tordre la tête, se fatiguer l’œil jusqu’à laisser enfin à la main sa propre intelligence. Le retour à une case départ, au bout de l’effondrement, devient alors un rituel plus qu’un échec : on y redescend pour aller chercher une vérité qui n’a rien d’universel, mais qui a été gagnée de haute lutte contre soi. Parfois, cette vérité arrachée au fond du puits — ce fond qui se dérobe toujours — rejoint tout de même quelqu’un resté là-haut, penché sur l’eau luisante, sans savoir exactement ce qui insiste en dessous. résumé : En quelques phrases : ce narrateur est quelqu’un qui ne croit pas aux œuvres lisses et aux réussites immédiates. Il se méfie du cliché, de l’aphorisme confortable, et tente de faire du ratage un passage obligé. Il se traite lui-même avec une sévérité constante, préférant l’effort, la lutte, la reprise, à la facilité d’un sens déjà donné. Il sait que la vérité n’est ni universelle ni stable, mais il continue à descendre au fond du puits, convaincu que ce mouvement, même incertain, reste la seule manière de rester vivant dans son travail.|couper{180}

palimpsestes

Carnets | Atelier

29 août 2019

Depuis quelques mois, je me suis mis à devenir gentil, juste pour tester cette version de moi et aussi soulager quelques acidités d’estomac. Donc je tente de rester cool à peu près en toutes circonstances parce qu’un putain de coach, quelque part sur la toile, m’a dit : « la colère fait de toi une victime » et, par orgueil, comme je ne veux pas être une victime, je me suis enfilé comme j’ai pu par le chas de l’aiguille de l’humilité. Pas simple, de prime abord, quand on ne croit pas à grand-chose, je te le concède. Mais le jeu a toujours été un de mes péchés mignons. Voilà exactement comment je suis devenu addicted à la gentillesse, à ma façon. L’un des principaux effets secondaires de la gentillesse que je détecte malgré tout, c’est la difficulté à s’envoler en prose. Tu me diras que tu t’en fous si tu n’écris pas, mais moi, ça m’importe, car j’adore écrire. La gentillesse ne produit guère que des choses flasques dans l’écriture, je m’en aperçois. Si je publiais un jour tout cela, je n’aurais en gros que quelques grenouilles de bénitier, quelques putes repenties, et le reste, ma foi, serait du tout-venant. Récupérer sa morgue dans l’écriture, cependant, est contre-indiqué si on veut passer une bonne vieille journée de « gentil ». Ce que l’on utilise comme énergie se propage à la vitesse de la lumière dans les veines et pourrit le cœur pour des jours, parfois. Une voyante, de mes amies, m’a assuré que ça ne faisait aucun doute pour elle : j’étais un peu trop sensible aux étoiles filantes de Dzika… et que j’aurais bien besoin d’un « bouclier de glace » pour les contrer. Moyennant quelques euros, je me tâte et, comme d’habitude, je laisse tomber : je veux bien essayer d’être gentil, mais, de là à devenir con, il y a quand même de la marge. reprise nov.2025 Depuis quelques mois, je me suis mis à devenir gentil, histoire de voir ce que ça donne et, au passage, de calmer deux ou trois acidités d’estomac. J’essaie de rester cool à peu près en toutes circonstances parce qu’un putain de coach, quelque part sur la toile, m’a balancé que « la colère fait de toi une victime » et que, par orgueil, comme je refuse ce rôle-là, je me suis faufilé comme j’ai pu par le chas de l’aiguille de l’humilité. Pas simple, de prime abord, quand on ne croit pas à grand-chose, je te le concède, mais le jeu a toujours été un de mes péchés mignons, alors j’ai joué le jeu de la gentillesse jusqu’à m’y rendre presque addict, à ma façon. Le problème, c’est que je vois bien l’effet secondaire : dès que je reste dans cette version « soft » de moi, la prose ne décolle plus. Tu peux t’en foutre si tu n’écris pas, mais moi ça m’emmerde, parce que j’adore écrire et que la gentillesse ne me donne que des phrases flasques. Si je publiais tout cela tel quel, je récolterais quelques grenouilles de bénitier, deux ou trois putes repenties, et le reste, ma foi, serait du tout-venant. Récupérer sa morgue dans l’écriture, pourtant, c’est contre-indiqué si tu veux passer une bonne vieille journée de « gentil » : ce que tu utilises comme énergie se propage à la vitesse de la lumière dans les veines et te pourrit le cœur pour plusieurs jours. Une voyante parmi mes amies m’a juré que ça ne faisait pour elle aucun doute : je serais trop sensible aux étoiles filantes de Dzika et j’aurais besoin d’un « bouclier de glace » pour les contrer. Moyennant quelques euros, je pourrais m’en offrir un, je me tâte toujours, mais comme d’habitude je laisse tomber : je veux bien essayer d’être gentil, oui, mais de là à devenir con, il y a encore de la marge. résumé : ce narrateur est un joueur fatigué qui teste sur lui-même des postures morales comme on essaie des médicaments. Il craint autant la position de victime que celle du cynique rance, et tente de trouver un passage étroit entre les deux. Il sait que sa colère nourrit son écriture mais l’abîme ailleurs, dans le corps et dans la vie ordinaire. Il préfère pour l’instant garder cette tension plutôt que choisir franchement un camp, convaincu qu’entre « gentil » et « con », il lui reste encore une bande étroite où tenir debout et écrire.|couper{180}