Narration et Expérimentation
Il ne s’agissait pas d’inventer des histoires, mais de chercher ce que la narration permet encore d’ouvrir. Ces textes n’ont pas toujours de personnages, ni de dénouement, ni même de tension narrative classique. Ils cherchent une manière de dire autrement.
Parfois cela passe par une voix intérieure décrochée du réel. Parfois par des ruptures de ton, des changements de format, des fragments qui tiennent sans structure. Parfois encore, c’est la langue elle-même qui se met à vaciller : on interroge ce qu’un "je" peut encore dire, ou ce qu’un "tu" fait au lecteur.
Ce mot-clé regroupe des formes où la narration devient elle-même une expérience : pas un outil pour faire passer un contenu, mais un lieu où quelque chose se tente. Une voix, une distance, un silence, une fatigue, une colère, un rien — tout peut faire récit, si l’on accepte de perdre un peu les repères.
Il n’y a pas d’esthétique fixe ici, seulement cette volonté de creuser : que peut encore un texte, quand on ne lui impose plus d’être un récit, mais qu’on le laisse chercher sa propre forme ?
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Carnets | septembre 2023
Le Temps, le Profit et l’Énergie du Vide
Face au temps qui file ou s'étire, le narrateur se débat avec l'envie de tout accomplir et le refus obstiné de se soumettre à la logique du profit. Entre douleurs physiques et existentielles, entre travail effréné et repos forcé, ces fragments racontent l'homme dans sa complexité : un être pris entre frénésie et refus, oscillant sans cesse entre action et contemplation.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Comme un jour de plus
Toujours le même exercice pour ceux qui suivent... Comme quoi… comme un cochon… comme un excentrique autour d’un axe taré… comme un jour sans pain… comme une moule claquée …. Comme trente-six chandelles…. Comme un coup de Sirocco… comme tu dis… comme elle est bien roulée celle-là… comme elle tu sais bien, machine … comme trois coups de cuillère à pot… comme un os dans le pâté… comme de l’électricité dans l’air … comme ça ne mange pas de pain… comme ce n’est pas pressé… comme il a dit le Môssieur… comme il est mignon le KIKI … comme chez vous, faites… comme nous l’avons écrit nous le faisons… comme des œufs au plat… comme une limande… comme un âne en rut… Comme si ça ne suffisait pas déjà… comme dans du beurre.. Comme un coq en pâte… comme papa dans maman… comme un blanc… comme un gros rouge qui tâche… comme un bourrin… comme une pédale… comme une danseuse… Comme un coup de trique… comme un rêve… comme un air de reviens-y… comme dans le temps… comme (à la guerre comme) … comme un seul homme… comme un troupeau de moutons… comme une frayeur… comme une étincelle…comme du pipi de chat… comme un gros blaireau… comme un castor… comme un ouragan… comme une andouille… comme une fleur… comme un poisson dans l’eau… comme une fausse note… comme un ange qui passe… comme un train qui peut en cacher un autre… comme type tu te poses là… comme on boit sans soif… comme on rit sans les yeux… comme on pleure des larmes de crocodile… comme se range des carrioles… comme on pète dans la soie… comme qui dirait… comme la lune pas le doigt… comme des oignons alignés… comme un petit vent frais… comme un gros coup de pompe… Comme elle est venue elle est repartie… Comme quoi j’avais bien raison… comme une cerise sur le gâteau… comme une parenthèse… comme une débandade… comme un coup de grisou.. Comme une maison ( gros ) … comme une chatte sur un toit brûlant… comme un film au ralenti… comme un film à l’accéléré… comme la mer et les poissons… comme du vent dans les voiles… comme un avion sans aile… comme une fourmi sans sucre… comme une mouche sans coche… comme un fleuve asséché … comme un lapin de la dernière couvée… comme un chien de ma chienne… comme une dent contre l’autre… comme un nez au milieu de la figure… comme des rats… comme des sardines… comme aux heures de pointe… Comme chien et chat… comme de l’eau de roche… Comme un mot de trop… Comme un aveu… comme un ciel de plomb… comme une plume… comme des pattes de mouche… comme un porc… comme une truie… comme un monstre… comme s’il fallait remettre encore ça… comme j’aurais voulu voir ça… Comme il perd rien pour attendre… comme une odeur de caoutchouc brûlé…comme ça pue … comme une crêpe… comme une orange… comme une pipe… comme une éclaircie… comme le bout du tunnel… comme un coup de trop… comme de la petite bière… comme une ville déserte… comme un coin paumé… comme un château de cartes… Comme des empreintes de doigt… comme une preuve par neuf… comme il fait chaud.. Comme il fait peur… comme il m’emmerde… comme il parle pour ne rien dire… comme il ne dira strictement rien… comme des veaux… comme un bœuf à l’abattoir… comme une flèche en plein cœur … comme une machine dans ma tête… comme il est beau mon légionnaire… comme le loup le renard et la belette…comme un air d’accordéon… comme une chanson de Mac Orlan… comme un poème de Prévert… comme une rue qui s’éveille… comme une grève de poubelle… comme une lettre à la poste… comme une marque sur le front… comme un juif, un noir, un arabe… comme un gland… comme une pute… comme un peu de rosée…Comme une petite pointe d’ail et de persil… comme un zeste de citron… comme c’est alambiqué ton truc mon biquet… comme elle nous bassine… comme elle nous retourne… comme elle nous achève… comme elle suce… comme elle fait les cent pas… comme elle fait le trottoir… comme il est con comme un balai… comme quoi déjà ?… Comme un cochon ! Comme l’occasion fait le larron… comme un air de fandango…comme un loir… comme une grue… comme une poule… comme un pou… comme des animaux… comme dans une bauge… comme un asticot… comme le ver dans la pomme… comme une roue voilée… comme une trace de freinage… comme un oubli… comme un pet de travers… comme un coup foireux… comme en quarante… comme au boxon… comme à l’école… Comme à la cantine… comme du papier à cigarette… comme une injonction… comme une résistance… comme un nœud dans la gorge… comme un truc dans le nez… comme un sale goût dans la bouche…comme des queues de pelles… comme un manche… comme une tête de pioche… comme un râteau… comme une initiation… comme une défaite cuisante… comme le passage sous les fourches caudines… comme un peu de rouge au front.. Comme un œil au beurre noir… comme une page arrachée… comme des signes néfastes… comme des routes qui ne se croisent jamais… comme un cerf qui brame… comme un vol de gerfauts … comme une ombre… comme une lueur d’espoir… comme une prémonition … comme un torticolis … comme une jambe de bois… comme un point à l’horizon… comme la fin d’une belle histoire.|couper{180}
Carnets | avril 2023
mystère du nom
Si nommer est un pouvoir, être nommé peut être une bénédiction et une malédiction. Tout changement procure un espoir et une crainte. Changer de nom, prendre un pseudonyme, un nom d'artiste par exemple, m'a toujours posé problème. Il en allait d'une responsabilité sur quoi ne pas faillir : assumer le nom donné comme on assume le monde donné. Car qui suis-je, ce fut toujours ce que je me disais quand j'y pensais, pour avoir le pouvoir, l'intelligence, la perspicacité nécessaires à modifier quoi que ce soit du donné. Ne serait-ce que remettre en question ce qui est donné pour réel, pour réalité. La "remise en question" est une expression perturbante. La question est toujours là. Il est possible que, plus d'une fois, on ait eu le sentiment de l'avoir résolue, mais en vérité pas tant que ça, puisque l'on éprouve cette envie régulière de la remettre en question. Remettre l'ouvrage sur le métier cent fois — et bien plus — fut l'un des principes fondamentaux de mon éducation. Le travail est ainsi associé à la répétition d'une tâche, toujours la même, à l'infini, dans un cadre de quatre saisons. Un programme implanté de longue date par des générations passées d'ouvriers, de journaliers, constituant les deux branches maîtresses de l'arbre généalogique familial. Changer de nom, c'est changer d’arbre : c’est à la fois perdre ses racines et leur porter atteinte. En y réfléchissant, mon amour des forêts, des arbres, vient peut-être d'une forme sublimée de résignation. Ne pouvant fuir un arbre, ni le couper, ni le brûler, autant remettre cent fois l'ouvrage sur le métier pour apprendre à l’adorer. Pour ne pas perdre son nom, inventer un amour en grande partie factice, ruser. N'est-ce pas aussi ce qui parachève le statut de chevalier chez Cervantes ? Après avoir dégotté une rosse comme monture, après s'être affublé d’un nom, d’une patrie, Don Quichotte invente sa Dulcinée de Toboso. C’est peu après qu’il pourra entamer ses différentes métamorphoses — du chevalier à la triste figure à Alonzo. Ce sera aussi l’apprentissage de ce que peut dissimuler — en premier lieu à soi-même — l’usage d’un nom dont on est affublé, et qui va avec une réalité de même nature. Apprendre à vivre dans un nom donné, c’est prendre à son compte la perception, faite de mensonges et de vérités, du monde dont est issu ce mot, ce nom. Dans ce cas, l’écarter ne peut s’effectuer qu’une fois que l’on en aura fait cent fois le tour, pour être bien certain de ne rien avoir oublié d’explorer, de comprendre, de connaître. L’espoir est tout entier ramassé dans le cent unième tour, dans la confiance aveugle attribuée à l’éclosion des œufs. Écrire, c’est donc tenter de nommer l’existant — et comme il est innombrable, proche d’innommable, comment sélectionner ce qu’on écrit ? Quelle importance va-t-on donner à ces choses, pour les extirper en premier lieu de ce que l’on considère important, banal, heureux, malheureux, etc. ? J’ai toujours pensé qu’il fallait se mettre au service de cette parole en soi qui désire s’exprimer telle qu’elle est, en premier lieu, afin de mieux pouvoir l’étudier. La difficulté est qu’on ne peut en même temps écrire et étudier ce qui s’écrit, et que l’on doive remettre cette seconde opération à "plus tard". L’urgence de la chose qui s’écrit est si impérieuse qu’elle relègue cette opération dans une temporalité plus fantasmée que probable. Un pays que l’on s’invente pour jamais n’y parvenir. Et dont, ainsi, sera maintenu un fantasme de virginité, comme l’effroi de la perdre.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Lundi déco.
Blocs Alignement au milieu. On pourrait écrire n'importe quoi pour commencer. On verra bien ensuite où tout cela nous emporte. Si cela marche, fin des compagnies d'aviation, fin des transports en tous genres. A part le vélo bien sur pour ne pas se mettre les fanatiques à dos. Ensuite on peut écrire une grande phrase qui sert de séparateur, et si les caractères sont si petits c'est pour économiser de la place, de l'encre, du papier. De plus personne ne lit jamais vraiment, mettons donc un point d'honneur dans l'esthétique et non un poing sur la figure de son prochain(e) Une vidéo Youtube https://youtu.be/C243DQBfjho Les 4 saisons de Vivaldi , en voici une légende. Une liste de courses Acheter du painDes pommesdu sucre en poudredes cornichonsdu beurredu gruyère Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Dans le fond il semble que le fond continue de s'enfoncer encore plus profondément qu'on l'imaginait. Citations De Gaulle disait les Français sont des veaux Les Français qui aiment la viande froide. “Les Français croient qu'ils parlent bien le français parce qu'ils ne parlent aucune langue étrangère.” Tristan Bernard “Quand quelqu'un paye un tableau 3.000 francs, c'est qu'il lui plaît. Quand il le paye 300.000 francs, c'est qu'il plaît aux autres.” Edgar Degas|couper{180}
Carnets | mars 2023
Continuité de mots
À partir d’un même lieu, une continuité de mots. Haricots verts, poulailler, porte, oseille, cerises, cerisier, poirier, cerises aigres, la bêche, le râteau, le parterre, l’allée, le jardin. Le petit mur, le champ, le lait, le pot au lait, la ferme, le soir, la tombée de la nuit, la peur. Les bûches, les rondins, les stères, la cheminée, le feu, les livres, le bureau, les pipes, le bois, la forêt. Sylvestre. L’escalier, le premier étage, l’étage, la cave, le grenier, les pièces, le salon, la cuisine, la chambre des enfants, la chambre des parents, l’armoire, la commode, le plancher, la moquette, les tapis, le linoléum, le carrelage. La salle de bains. La douche, la baignoire, l’armoire de la salle de bain, la pierre ponce, le gant de toilette, la serviette de bain. Le chauffe-eau. Le radiateur électrique. Le confort. Le vestibule. La penderie. Les monstres. La tonnelle, les branches, le couteau, l’épluchage, l’arc, la corde, la flèche, l’indien. La chambre à air de camion, les ciseaux de couture, le holster, la bouée, l’étang, le garage des Renards, l’odeur d’essence. Le jeudi, les jeux, le copain, le stylo, le blé, les crocodiles dans la fosse, les flashs, le vélo, la liberté. Les carrières, le trou, la grotte, creuser, s’enfouir, le noir, la terre, sous terre, souterrain, galeries, la Chine. Le ciel, l’horizon, la colline, le champ, l’espace, la route, le temps. Les cosses, les petits pois, le raisin, la salade, l’ortie, la soupe, le poivre, la nappe, la toile cirée, la gazinière, l’évier, la passoire, la crème à récurer, la paille de fer, la louche, la lèchefrite, le four, le poulet rôti du dimanche, la peau du lapin, la patte porte-bonheur. Le clapier, les fanes, la grille, le sang, l’œil. Le fumier, les vers, les lombrics, les trous dans le couvercle, la pêche, la canne, le lancer, le fil, la plombée, la bourriche, le Cher, le gardon, l’ablette, l’asticot, les galets, la rivière, les haies, les vaches, le taureau, la pluie, l’herbe mouillée, les cuissardes, le moulinet, la cuillère, la mouche, les nanas, les perches arc-en-ciel, le menu fretin, la belle prise, l’anguille, la carpe, le brochet. Le vernis, l’odeur du vernis, la tête des brochets, des trophées. L’instituteur, la blouse grise, le sérieux, la barbe, les lunettes, la règle en fer, la règle de grammaire, la règle d’orthographe, la règle à calcul, la baignoire qui se vide, le robinet qui coule, les devoirs, l’absence, la faute, la punition, l’odeur de craie, l’encrier, la plume sergent-major, le pupitre, la case. Les marronniers, le préau, la cour de récréation, la bille, le calot, les filles, les gendarmes, les doryphores, en rang par deux, le porte-manteau, le tableau noir, le coucou qui chante, le corbeau qui passe, l’hirondelle qui revient. Le chemin de l’école, le pont du Cher, le bourg, la gare, le canal, le pont au-dessus du canal, le Crédit Agricole, l’église, le bistrot, la boulangerie, le bureau de tabac, les bonbons, les roudoudous, le réglisse, l’argent de poche, le partage, l’injustice, le vol, les mensonges, la bagarre, les pauvres, le Cluzeau, Thierry la Fronde, Robin des Bois. Les gendarmes et les voleurs, les cow-boys et les indiens, la cabane, le refuge, les arbres, la forêt, les champignons, l’humus, les gouttes qui s’égouttent, les branches qui craquent, les biches, les sangliers. L’école buissonnière. À partir d’un même lieu, une continuité de mots.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Singer
La machine à coudre était une Singer. Aucun souvenir précis de son arrivée dans l’atelier. Les tout premiers souvenirs doivent se situer vers 1965-66, après la mort de Charles Brunet, mon aïeul. Le salon du rez-de-chaussée avait été transformé en atelier de couture. Au début, ma mère façonnait, comme sa propre mère, des cravates pour une entreprise parisienne. Une activité à domicile. À la Varenne, l’appartement comptait trois pièces. L’une servait d’atelier de couture et de chambre pour ma grand-mère estonienne, Valentine. Un nuage de fumée y flottait en permanence. Elle fumait des « disques bleus ». La cigarette lui avait éraillé la voix. Elle confectionnait ses cravates, cigarette au coin des lèvres, sans cesser de travailler. Le bruit de la machine à coudre Singer résonne encore. Le pied appuyé sur la grande pédale, ma mère coud des robes de mariée. L’atelier a pris de l’envergure, elle a même embauché quelques femmes du village pour les finitions, qu’elles réalisent chez elles. Je revois les mannequins dans l’atelier, habillés comme des mariées. Certains avec tête, d’autres sans. Combien sont-ils ? Deux ou trois ? J’hésite. Je regarde vers la porte qui sépare l’atelier de la vieille cuisine : deux sûrement, et un autre dans l’angle opposé, plus indistinct, car l’endroit est plus sombre. Ce qui est certain, c’est cette impression de mouvement continu, ce bruit de la machine, comme un battement régulier qui rythmait nos journées. Il y avait aussi l’odeur du tabac froid, celle des tissus, des patrons épinglés, des épaulettes qui traînaient sur le sol. À droite de l’atelier, une porte menait au bureau-bibliothèque de mon père. Une odeur de livres, de bois, et de feu de cheminée. Mais en observant une vieille photo de la maison, je me demande si cette porte ne donnait pas plutôt sur un petit couloir, menant à une entrée que nous n’utilisions plus. C’est toujours le même problème avec les souvenirs : ils se mélangent, se superposent, s’inventent. Comment être vraiment sûr d’un souvenir ? Même en imaginant revenir dans cette grande pièce, rien ne garantit que je n’invente pas complètement cette scène. Peut-être faudrait-il tout noter depuis le début pour ne rien oublier. Mais même là, que faire de ces notes ? Les relirait-on ? Les feuilleterait-on ? Tout finirait dans un grenier, une cave, ou pire, à la déchetterie. À moins d’un livre, évidemment. Mais même un livre... Plus j’ai envie de tout oublier, plus les souvenirs reviennent. Que je ressente le besoin de les écrire est déjà suspect. Que j’aie envie d’en faire un livre l’est encore plus. Il doit se passer quelque chose avec le désir et le renoncement en ce moment, qui m’échappe. Je suis étonné de ne pas avoir repris une cigarette depuis le 27 février. Parfois, le désir de fumer surgit, mais aussitôt, j’y renonce sans effort. Peut-être que l’écriture pourrait suivre le même chemin. Éprouver l’envie d’écrire, mais y renoncer, et en ressentir une légère fierté.|couper{180}
Carnets | février 2023
ombres
Le premier mot qui vient au réveil est ombre, mais comme je l'entends phonétiquement, je ne sais s'il s'agit d'un pluriel ou d'un singulier. S'il est à considérer comme une ombre en particulier ou les ombres de façon générale. Et simultanément cette injonction qui accompagne le mot, quelque chose que l'on pourrait traduire par étudier l'ombre ou encore épuiser les ombres. De plus forte impression qu'il s'agit d'une sorte de présent qui m'est donné ainsi dès le réveil, en même temps qu'une sorte de test. Peut-être que si je botte en touche, si je ne prends pas cette injonction comme il se doit je risque gros. Gros, l'adjectif propose aussitôt différentes pistes de naufrage ensuite parmi lesquelles, la folie, le suicide, la perte irrémédiable de mon âme. Ce qui peut sembler de prime abord exagéré, voire ridicule si la raison l'analyse. Mais tout à fait logique sur le plan de l'intuition. Il me faut absolument tirer cette histoire d'ombre au clair si j'ose dire. Qu'est-ce que l'ombre ? D'abord les faits. (Ou encore ce qu'il est convenu d'en dire.) L'ombre est un phénomène optique qui se produit lorsqu'un objet bloque la lumière provenant d'une source de lumière. L'ombre est créée par l'absence de lumière dans la zone où elle est bloquée par l'objet. Elle est généralement perçue comme une zone plus sombre sur le sol ou sur une autre surface. L'ombre peut varier en forme et en taille en fonction de la distance de l'objet par rapport à la source de lumière et de l'angle sous lequel la lumière frappe l'objet. Lorsque la source de lumière est proche de l'objet, l'ombre sera plus petite et plus dense, tandis qu'elle sera plus grande et plus douce lorsque la source de lumière est éloignée. Outre son aspect physique, l'ombre peut également avoir des connotations symboliques et culturelles dans différentes traditions et croyances. Par exemple, dans certaines cultures, l'ombre peut représenter la peur, le mystère, la solitude ou la mort. Dans d'autres cultures, l'ombre peut représenter la sécurité, la protection ou le refuge. En résumé, l'ombre est un phénomène optique qui peut être interprété de différentes manières selon les contextes culturels et symboliques. Comment qualifier l'ombre ? Est-il suffisant de nommer l'ombre sans la qualifier ? Et, dans ce cas, quel qualificatif utiliser ? Une liste de mots pour qualifier l'ombre s'avère peut-être utile. Ceux qui sans effort, par exemple, viennent sont : Contrastées Douces Estompées Sombres Obscures Mystérieuses Foncées Sinistres Éclipsées Étouffées Enveloppantes Ténébreuses Trompeuses Effrayantes Irréelles Menaçantes Étranges Démoniaques Fantomatiques Vaporeuses Évanescentes Floues Brouillées L'ombre comme personnage en littérature ? Le Horla de Maupassant vient en premier, ou encore certains récits d’Edgar Allan Poe. Mais peut-être que je confonds ombre et double... Essayons de retrouver d'autres récits où l'ombre joue le rôle de personnage, voire du personnage principal. L'Ombre du vent est un roman de Carlos Ruiz Zafón publié en 2001. Il est considéré comme l'un des meilleurs romans espagnols de la dernière décennie et a été traduit dans plus de 40 langues. L'histoire se déroule à Barcelone, en Espagne, et suit un jeune garçon nommé Daniel qui découvre une bibliothèque secrète appelée le Cimetière des Livres Oubliés. Là, il tombe amoureux d'un livre appelé L'Ombre du Vent écrit par un auteur nommé Julian Carax. Peu de temps après, il est contacté par une mystérieuse figure appelée l’Ombre, qui semble le suivre partout. Au fil de son enquête, Daniel découvre que Carax a été impliqué dans une série de meurtres et de mystères qui ont eu lieu à Barcelone au début du XXe siècle. L'Ombre apparaît comme un personnage central dans cette intrigue mêlée de romance, de mystère, de magie, de suspense et de littérature. Évidemment je comprends pourquoi ce mot ombre surgit ce matin. Mon polar ne se déroule-t-il pas à Barcelone en grande partie ? N'ai-je pas utilisé le patronyme du Quichotte pour mon tueur ? Patati patata... l'inconscient est un farceur. Pourtant une chose à dire : je n'ai pas lu ce roman de Carlos Ruiz Zafón. Je le découvre ce matin en effectuant une recherche Google. Ce qui entraîne que l'on n’a pas d’idée vraiment nouvelle en décidant simplement qu’elle le soit. Ce qui entraîne qu’avant de s’attaquer à un roman, il serait intéressant de savoir de quel(s) thème(s) on va parler, puis d’aller jeter un coup d’œil sur ce qui a déjà été fait dans tel ou tel domaine. C’est beaucoup moins grisant que de partir direct sur la page blanche, mais si au bout du compte ça évite de flanquer 300 pages à la corbeille… peser le pour et le contre. Un peu d’humour ne fait pas de mal pour trouver la porte de sortie. Saint-Exupéry aussi parle d’ombre dans Le Petit Prince (ce roi qui ne peut se déplacer sans son ombre). Jules Verne dans son Voyage dans la Lune (les ombres des voyageurs apparaissent puis disparaissent). L’Ombre du corps, une nouvelle de Julio Cortázar : un homme se réveille un matin avec une ombre qui ne lui appartient pas. Cette ombre appartient à un homme mort, mais il ne sait pas comment il a pu l’obtenir. L’homme se rend compte qu’il peut contrôler l’ombre en la manipulant avec ses mains, et il en devient obsédé. Il passe des heures à jouer avec elle, jusqu’à ce qu’elle prenne vie et commence à l’attaquer. Ce conte est un exemple de l’utilisation symbolique de l’ombre dans la littérature. Il joue avec les idées de réalité et d’irréalité et questionne les limites entre la vie et la mort. L’ombre y représente les aspects sombres de la personnalité de l’homme, ainsi que ses désirs et ses peurs inconscients. Ce texte surréaliste a été largement salué pour son imagination et son usage de la symbolique. Il reste un récit marquant. Les Ombres est un roman de l’auteur australien Tim Winton publié en 2008. Il se concentre sur la vie d’une famille dans une petite ville côtière en Australie. Les personnages cherchent à trouver leur place dans le monde et à faire face aux défis de l’existence. Thèmes abordés : famille, identité, survie, acceptation de soi. Enfin, des passages entiers, une atmosphère, dont je me souviens et qui appartient à la plupart des ouvrages de Virginia Woolf, notamment Orlando et Les Vagues, me reviennent. Ai-je fait le job ? Je n’en sais rien. Mais j’ai aussi une vie, je ne peux pas accorder trop de temps à l’ombre ce matin. On verra si dans la journée d’autres choses me viennent. Ou un autre jour. Ou peut-être rien.|couper{180}
Carnets | 2023
Le point de vue
réecriture Je te le dis, tu n’es pas obligé de garder le même point de vue — non pas parce que tu serais plus libre que les autres, mais parce que rester au même te colle au carton d’identité, aux paluches encrées, à la photo de zombi dépressif qui te range dans la case des opinions, et c’est de là que tu tires la cassette numéro 13 (Paris, 1995, c’est écrit au dos), tu lances la bande et ça râcle, on entend Alonso Quichano parler de Gilda qui se croyait gentille, bien sous tout, cordiale — non, pas gentille, collée à son portrait d’elle-même comme tout le monde —, et lui qui grossit le trait, qui dit qu’elle mange, marche, travaille, baise cordiale, et puis le bus qui ne la loupe pas (le destin ne loupe pas, répète la bande), et toi tu te demandes si la lettre sert encore, si l’épistolaire fait polar ou seulement écran, et Fred rit, mains tachées de peinture, il dit qu’il retire le superflu — non pas le superflu, l’essentiel peut-être, il ne sait plus —, le JB fait un cercle ambré sur la table, Frances s’est levée vers la cuisine (tu l’entends, tasse contre l’évier), elle demande Hannah, Fred esquive, alors tu balances la suite : un carton de vieilles cassettes, une vieille dame, peut-être la tante, la police qui a fait des doubles, vingt femmes entre les années 90 et 2000 (tu le dis et tu retires aussitôt ta phrase, non pas pour l’atténuer, pour la tenir sans effet), et Fred qui siffle 30 000 — tu pourrais tuer pour ça, dit-il en plaisantant, puis il se retient, puis il rit quand même, et toi tu continues parce que changer de point de vue ne guérit rien, ça déplace seulement : Gilda sans soupçon, la cave et le grenier jamais ouverts, le solde de tout compte coché en bas, tu lui as tout dit d’un coup pour lui montrer qu’on peut se tromper de point de vue sur quelqu’un, mais trop tard, et ce trop tard c’est déjà la voix de la bande qui grésille, qui insiste, non pas comprendre, tenir, non pas accuser, regarder comment le mot cordiale fait façade jusqu’à la dernière seconde, et pendant que tu parles, Fred remet la bouteille sur le rond humide, la bande claque, le moteur s’arrête, il ne reste qu’une tache d’ambre qui s’élargit sur la table. Illustration Sans titre 2024, PB|couper{180}
Carnets | 2023
Le lecteur
Je te le dis, tu entends Borges sur la route — non pas une leçon, une fêlure dans la voix du poste — et tout s’ouvre : chaque lecteur lit ce qu’il peut, chaque écrivain écrit ce qu’il peut, c’est l’accord minimum pour ne pas tomber, et pourtant l’abîme vient quand même, il vient par la page qui n’est plus la même, par la main qui change en la tenant ; tu te dis qu’un seul livre, relu, peut devenir galaxie (âge après âge), et que ce que tu appelles “but” n’est qu’hypothèse en marche, non pas destination, ramifications qui mangent la carte jusqu’à ce que La Havane, Quetta, Sonora ne fassent plus que varier l’orthographe du désir ; tu conduis, les bandes blanches défilent (non pas preuve de mouvement, métronome de l’hésitation), puis l’atelier, la feuille, l’autoportrait : on croit se voir, on se lit seulement, et l’on se lit différemment chaque fois, tu le sais, tu le sais depuis ce singe dactylographe qui finit par écrire le Quichotte — non pas Cervantès retrouvé, Pierre Ménard encore, c’est-à-dire personne ; ce que tu voudrais dire, tu le sais ? non, tu crois le savoir et cette croyance suffit pour tendre la phrase comme on tend une corde entre deux arbres, juste assez pour ne pas s’asseoir par terre ; alors tu écris : hypothèse, abîme, page, et tu retires aussitôt, non pas par prudence, pour laisser place — à l’autre qui lit, à l’autre que tu es quand tu relis, aux scènettes rejouées par la mémoire qui n’obéissent à personne ; l’autorité, s’il t’en faut une, c’est l’hésitation : non pas se dédire, tenir au bord, là où le livre change en même temps que le lecteur ; tu poses le crayon, la radio grésille, la nuit monte, et sur le pare-brise l’essuie-glace trace une parenthèse qui s’efface.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
7 janvier 2023
Ce texte plonge dans les méandres d'une lutte intérieure contre l'autorité. Le narrateur, d'abord en quête de refuge dans l'idiotie et la soumission apparente, finit par voir émerger une autorité authentique, née d'une prise de conscience soudaine et violente. Un voyage à travers l'oppression inconsciente jusqu'à la libération personnelle.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
06 janvier 2023
Dans cette famille, les objets des morts ne se jettent pas. Ils circulent, héritage silencieux qui perpétue leur présence. Ce lit, celui de Charles Brunet, incarne la permanence des absents et les rêves qu’ils suscitent. Dormir dans ce lit devient une passerelle vers des souvenirs enfouis et une adolescence marquée par l’ennui et les longues marches à travers la campagne bourbonnaise. Une réflexion subtile sur le poids du passé, de l’héritage, et la confrontation à l’absence.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
05 janvier 2023-2
L'homme marche dans les rues d'une ville qui lui est étrangère, bien qu'il y soit né. Le texte relate ses réflexions et son quotidien marqué par un sentiment persistant de décalage avec la société environnante. Les moments d'isolement deviennent des instants de réflexion, où la monotonie du travail et la solitude prennent le dessus, le menant vers une forme d’évasion intérieure.|couper{180}