Autofiction et Introspection
Habiter n’est pas impossible, mais c’est un vrai problème pour le narrateur. Il occupe des lieux sans jamais vraiment y entrer. Maison, atelier, villes traversées : ils existent, mais restent comme à distance. Il imagine que peindre ou écrire l’aidera à habiter autrement, à investir un espace intérieur qui compenserait l’absence d’ancrage. Mais cela demeure du côté du fantasme. Le réel, lui, continue de glisser, indifférent.
C’est de ce décalage que naissent ces fragments. Écrire pour traverser l’évidence, pour examiner ce qui ne s’examine pas. Écrire comme tentative d’habiter, sans garantie d’y parvenir.
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Carnets | septembre 2023
Les Voix et les Mues : Entre Écoute et Positionnement
À partir de la lecture de Quignard, ce fragment s'aventure dans une exploration personnelle du malaise face aux voix aigües, la quête d'une identité artistique et la complexité du positionnement en art. C’est une plongée dans les méandres de la pensée et de la création, où se mêlent fatigue, introspection et une forme de rébellion contre les attentes du monde.|couper{180}
Carnets | septembre 2023
Le Temps, le Profit et l’Énergie du Vide
Face au temps qui file ou s'étire, le narrateur se débat avec l'envie de tout accomplir et le refus obstiné de se soumettre à la logique du profit. Entre douleurs physiques et existentielles, entre travail effréné et repos forcé, ces fragments racontent l'homme dans sa complexité : un être pris entre frénésie et refus, oscillant sans cesse entre action et contemplation.|couper{180}
Carnets | août 2023
07 août 2023
Sommes-nous conscients de notre propre attention ? Que vaut-elle sans une conscience réflexive qui inclut l’attention dans un vaste mouvement d’observation de soi ? À travers un regard critique sur la lecture, la littérature populaire et classique, et les dynamiques intérieures qui nous habitent, l'auteur nous propose une réflexion singulière et poétique sur l’importance que nous accordons à nos perceptions.|couper{180}
Carnets | août 2023
02 août 2023
Achever pour passer à autre chose : une idée simple, ancrée dans notre éducation, mais qui cache une illusion plus profonde. Ce texte méditatif nous invite à repenser notre rapport à l'achèvement, à l'inachevé et à la patience. Loin d’être une simple quête de contrôle, l’acte d'achever révèle notre incapacité à réellement changer ce qui nous entoure. L'inachevé persiste, et la clé se trouve peut-être dans l’acceptation.|couper{180}
Carnets | mai 2023
31052023
Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Assemblage
Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Comme un jour de plus
Toujours le même exercice pour ceux qui suivent... Comme quoi… comme un cochon… comme un excentrique autour d’un axe taré… comme un jour sans pain… comme une moule claquée …. Comme trente-six chandelles…. Comme un coup de Sirocco… comme tu dis… comme elle est bien roulée celle-là… comme elle tu sais bien, machine … comme trois coups de cuillère à pot… comme un os dans le pâté… comme de l’électricité dans l’air … comme ça ne mange pas de pain… comme ce n’est pas pressé… comme il a dit le Môssieur… comme il est mignon le KIKI … comme chez vous, faites… comme nous l’avons écrit nous le faisons… comme des œufs au plat… comme une limande… comme un âne en rut… Comme si ça ne suffisait pas déjà… comme dans du beurre.. Comme un coq en pâte… comme papa dans maman… comme un blanc… comme un gros rouge qui tâche… comme un bourrin… comme une pédale… comme une danseuse… Comme un coup de trique… comme un rêve… comme un air de reviens-y… comme dans le temps… comme (à la guerre comme) … comme un seul homme… comme un troupeau de moutons… comme une frayeur… comme une étincelle…comme du pipi de chat… comme un gros blaireau… comme un castor… comme un ouragan… comme une andouille… comme une fleur… comme un poisson dans l’eau… comme une fausse note… comme un ange qui passe… comme un train qui peut en cacher un autre… comme type tu te poses là… comme on boit sans soif… comme on rit sans les yeux… comme on pleure des larmes de crocodile… comme se range des carrioles… comme on pète dans la soie… comme qui dirait… comme la lune pas le doigt… comme des oignons alignés… comme un petit vent frais… comme un gros coup de pompe… Comme elle est venue elle est repartie… Comme quoi j’avais bien raison… comme une cerise sur le gâteau… comme une parenthèse… comme une débandade… comme un coup de grisou.. Comme une maison ( gros ) … comme une chatte sur un toit brûlant… comme un film au ralenti… comme un film à l’accéléré… comme la mer et les poissons… comme du vent dans les voiles… comme un avion sans aile… comme une fourmi sans sucre… comme une mouche sans coche… comme un fleuve asséché … comme un lapin de la dernière couvée… comme un chien de ma chienne… comme une dent contre l’autre… comme un nez au milieu de la figure… comme des rats… comme des sardines… comme aux heures de pointe… Comme chien et chat… comme de l’eau de roche… Comme un mot de trop… Comme un aveu… comme un ciel de plomb… comme une plume… comme des pattes de mouche… comme un porc… comme une truie… comme un monstre… comme s’il fallait remettre encore ça… comme j’aurais voulu voir ça… Comme il perd rien pour attendre… comme une odeur de caoutchouc brûlé…comme ça pue … comme une crêpe… comme une orange… comme une pipe… comme une éclaircie… comme le bout du tunnel… comme un coup de trop… comme de la petite bière… comme une ville déserte… comme un coin paumé… comme un château de cartes… Comme des empreintes de doigt… comme une preuve par neuf… comme il fait chaud.. Comme il fait peur… comme il m’emmerde… comme il parle pour ne rien dire… comme il ne dira strictement rien… comme des veaux… comme un bœuf à l’abattoir… comme une flèche en plein cœur … comme une machine dans ma tête… comme il est beau mon légionnaire… comme le loup le renard et la belette…comme un air d’accordéon… comme une chanson de Mac Orlan… comme un poème de Prévert… comme une rue qui s’éveille… comme une grève de poubelle… comme une lettre à la poste… comme une marque sur le front… comme un juif, un noir, un arabe… comme un gland… comme une pute… comme un peu de rosée…Comme une petite pointe d’ail et de persil… comme un zeste de citron… comme c’est alambiqué ton truc mon biquet… comme elle nous bassine… comme elle nous retourne… comme elle nous achève… comme elle suce… comme elle fait les cent pas… comme elle fait le trottoir… comme il est con comme un balai… comme quoi déjà ?… Comme un cochon ! Comme l’occasion fait le larron… comme un air de fandango…comme un loir… comme une grue… comme une poule… comme un pou… comme des animaux… comme dans une bauge… comme un asticot… comme le ver dans la pomme… comme une roue voilée… comme une trace de freinage… comme un oubli… comme un pet de travers… comme un coup foireux… comme en quarante… comme au boxon… comme à l’école… Comme à la cantine… comme du papier à cigarette… comme une injonction… comme une résistance… comme un nœud dans la gorge… comme un truc dans le nez… comme un sale goût dans la bouche…comme des queues de pelles… comme un manche… comme une tête de pioche… comme un râteau… comme une initiation… comme une défaite cuisante… comme le passage sous les fourches caudines… comme un peu de rouge au front.. Comme un œil au beurre noir… comme une page arrachée… comme des signes néfastes… comme des routes qui ne se croisent jamais… comme un cerf qui brame… comme un vol de gerfauts … comme une ombre… comme une lueur d’espoir… comme une prémonition … comme un torticolis … comme une jambe de bois… comme un point à l’horizon… comme la fin d’une belle histoire.|couper{180}
Carnets | mai 2023
L’imaginaire
Il faut être dans le plus dur du dur de la réalité pour découvrir l'immense potentiel de l'imaginaire. Les gens qui vivent dans un certain confort ne savent pas à coté de quoi ils passent. Je me faisais cette réflexion hier encore en inventant une histoire d'enlèvement par les extraterrestres, en direct, face à mon beau-frère. En prenant le ton le plus sérieux qu'il soit, et en fournissant suffisamment de détails mais pas trop non plus, l'ellipse est essentielle dans ce genre de narration, je vis son visage s'allonger, son regard chercher un appui sur le mur du fond derrière moi. "— Est-il devenu cinglé ?" semblait demander au mur ce regard. Evidemment je me mis à sourire pour le rassurer. "— je plaisantais, bien sûr..." Il en fut à la fois soulagé et un peu triste je crois bien. Mais le fait est qu'on ne devrait pas raconter à n'importe qui tout ce qui se passe dans notre vie. Même avec les meilleures intentions du monde. Comme par exemple tenter de réveiller un peu l'imagination de nos proches qui souvent parait bien endormie. Je racontais ça au pilote de la soucoupe qui se gondola, si tant est qu'un être métamorphe puisse se gondoler comme nous autres humains, bien sûr. Le voyage est assez long jusqu'à Alpha du Centaure, il faut bien parler de quelque chose, même si dans le fond, on n'a pas grand chose à dire.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Comme un chant
( suite de l'exercice d'écriture d'un atelier de FB à partir de l'adverbe Comme et de Marcelin Pleynet, de Lautréamont.) comme j'allais à rebours, effeuillant page à page, feuille à feuille, la fausse mémoire de ma fausse vie, je découvris soudain un vide logé dans la reliure qui m'intrigua et dans lequel je pénétrai, non sans quelques difficultés, car j'avais, dans l'opération précédente déjà, perdu énormément de mon ancienne souplesse. comme j'atteignais l'obscurité totale je n'avais aucune indication concernant la taille de l'excavation. Était-elle de la taille d'une boite à gâteaux, d'une tombe, d'un continent noir, cette question me servi un instant de béquille pour m'installer au calme dans la nuit. comme j'étais là depuis un moment, était-ce des minutes, des heures, des siècles, difficile à dire, mes yeux peu à peu s'habituèrent et commencèrent à distinguer les contours d'une terre immense, sorte de paysage marin, peut-être une grande baie bordée de part et d'autres par de prodigieuses falaises. Comme je m'interrogeais sur la hauteur de ces falaises j'aperçus soudain dans le ciel des milliers d'étoiles dont les lueurs brillaient faiblement mais suffisamment pour que je puisse me faire une idée assez juste de l'innombrable. comme j'étais allongé sur le sol l'idée me pris de me relever et de me dégourdir les jambes, j'y voyais désormais suffisamment pour rejoindre une grande plage où la pâleur semblait indiquer qu'elle était constitué de sable clair. comme j'étais entré pieds nus dans cet étrange pays, je fus heureux de constater que je retrouvais de vieilles sensations oubliées, comme celle de marcher sur une herbe mouillée, puis sur le sable, et même parfois de sentir sous la plante la dureté tout à fait agréable d'une pierre, d'un rocher. comme je m'interrogeais sur le différence appréciable entre ces sensations que j'appelais nouvelles faute de mieux et celles habituelles quand dans la vie de tous les jours on marche pieds nus sur de l'herbe ou du sable ou des rochers, l'idée suivante et qui parut à ce moment éminemment logique était celle qu'en passant à travers la reliure du faux livre de ma fausse vie j'étais mort. comme je réfléchissais à la nature de cette mort, et que je désirais pousser la logique vers ses extrémités les plus extrêmes je découvris soudain que j'étais encore plus vivant que jamais je ne l'avais jusque là été. comme j'en étais content, j'ouvris la bouche et sans la moindre volonté de ma part quelque chose en sorti et qui réflexion faite, avait l'air d'être un chant. NB. Il est possible de supprimer la toute première phrase, ou de la sauter, elle ne sert à rien sauf à commencer.|couper{180}
Carnets | mai 2023
30052023
Réception des ambassadeurs siamois par l'Empereur Napoléon III au palais de Fontainebleau, 27 juin 1861© RMN-GP (Château de Versailles) / Droits réservés Ça y est mai se termine. Je n’ai pas compté le nombre de textes écrits ce mois-ci. Il doit y en avoir un bon paquet. Minimum deux par jour en moyenne. Et d’ailleurs quelle importance de compter. Tu ne vas pas t’y mettre aujourd’hui. Lu hier soir un peu du Lautréamont de Marcelin Pleynet. Que de supputations de part et d’autre. Un peu étonné par les avis de Bachelard concernant la biographie du jeune Ducasse et surtout toutes ces interprétations qui seront extraites de si de peu de chose finalement. Que la littérature soit le fruit d’un règlement de compte, d’une revanche, d’un complexe d’infériorité ou de supériorité la place dans le camp des psychologues et des universitaires qui cherchent toujours des raisons à tout. D’ailleurs ceux qui prendront Lautréamont pour un doux dingue sont souvent dans l’enseignement. Ce sont les serviteurs d’une certaine vision de la littérature au même titre qu'on retrouvera les mêmes en peinture. Chaque art institutionnalisé possède ses serviteurs zélés pour entretenir les échafaudages branlants de la culture telle qu’on veut nous l’imposer. Il y a une gène à penser que Lautréamont ou Ducasse soit mort jeune. Et qu'on profite ainsi de sa disparition précoce. Qu'on l'élève ainsi à une position d'étoile presque naturellement. Car dans le fond, Que sait-on vraiment de l’existence à 25 ans ? Et surtout possible que nombre de vieux barbons ayant renoncé à la fulgurance du génie de leur jeunesse en soient non pas admiratifs chez l’autre mais fondamentalement jaloux. Cette jalousie se dissimulant dans de gros livres bourrés de propos prétendus sérieux ou savants. Ce dont se moque éperdument le génie de la jeunesse qui d'ailleurs ne sait même pas qu'il est génie. Est-il possible d’admirer qui que ce soit sans que cette admiration nous propose un reflet de nous-mêmes, de qui nous fûmes, de qui nous rêvions d’être dans le temps ? C’est le fameux phénomène d’identification sur lequel on nous interroge avec inquiétude tout au long de notre scolarité. “—Va t’il enfin pouvoir s’identifier à quelqu’un ? Ça nous soulagerait bien, et nous serions tranquilles un moment” Comprendre ce phénomène de reflet trop jeune est une malédiction car on ne peut que se méfier alors de toute admiration. Toute admiration prétendument spontanée fini par être polluée par l’introspection. C’est un long processus de passer de l’admiration à l’amour. Et encore il faudra se farcir toutes les strates pour parvenir à s’anéantir proprement face à l’événement d’aimer, face à son authenticité surtout si on y accède après avoir ruminé longuement le mot authentique. Pleynet débute son livre avec des témoignages concernant la jeunesse de Lautréamont ( je préfère dire Lautréamont que Ducasse finalement ) C’est toujours la même scène qui est reprise de témoignage en témoignage. Un jeune homme efflanqué assis devant un piano dans une chambre d’hôtel et qui, au fur et à mesure qu’il écrit plaque des accords au grand désespoir de ses voisins. Sorte d’image refuge pour la plupart. De même que le récit de la vie scolaire est toujours celui d’un être qui semble perdu, dans sa bulle et qui n'est visiblement pas très doué pour la poésie voire qui la réfute telle qu’elle est enseignée. On pourra dire ce que l’on voudra, étudier Lautréamont au lycée est une ineptie. Déjà parce que les enseignants ne font que répéter ce que d’autres leur ont appris de l’œuvre la plupart du temps et que de plus les phrases à rallonge n’offrent que peu d’intérêt aux étudiants de cet âge. Ca les ennuie surtout. Encore que je ne fasse encore que parler de moi bien sur. De ce moi à l’âge des étudiants d’un lycée d’autrefois, dans les années 70. Alors qu’il y avait tant de choses à étudier d’autre, notamment cette liberté sexuelle, grande nouveauté s’il en est. A moins que justement les têtes pensantes de l’Académie imaginent le placer dans le programme pour tenter de canaliser une libido débordante. Car un psychologue ne verrait dans ce texte des Chants qu’une resucée de ce que lui a enseigné Sigmund, que le sexe est à l’origine de tout, y compris des chants de Maldoror, surtout de ce genre de textes. Alors que si l’on lit ce qu’en dit l’auteur c’est tout le contraire, c’est l’anéantissement par d’autres moyens, par tout autre moyen, notamment celui de l’exercice de la langue, une remontée à ses origines, à son incohérence fondamentale. A l’incohérence fondamentale de l’égo tout autant que de tout narrateur, tout personnage et même de toute histoire, notamment celle littéraire. En quoi tout cela m’intéresse t’il soudain ? Assez modestement quant à la rédaction de ce blog dont les enjeux sont à peu près les mêmes, y compris cette nécessité d’anéantissement. Cet anéantissement ce n’est pas celui de l’être cependant mais de cet ensemble de couches mensongères que la notion d’avoir, de posséder ; de maîtriser, aura enseveli Comment en finir avec ce mensonge, en le montrant, en le désignant sous toutes ses formes, en l’épuisant, ce qui n’est pas une mince affaire. Parallèlement je reviens sur le fait d’avoir perdu ma voix il y a deux semaines et qui prend un sens symbolique tout à coup Perdre sa voix ce n’est pas rien. Je suis allé consulter et je m’en suis tiré avec une semaine d’antibiotique. Ma voix est revenue. Mais un petit doute subsiste. Si ma voix physique est revenue, quelque chose s’est produit dans l’invisible. Une mue. Ce qui provoque un certain nombre de rêveries tout droit surgies de l’enfance, comme si perdre ma voix d’adulte me ramenait illico à une période de puberté. A cette charnière où l’on voit s’évanouir sa voix d’enfant, mais pas seulement, tout un monde que l’on porte en soi et dont l’abandon sonne le glas de cette enfance. Comme si l’on se sentait poussé par des forces maléfiques à troquer son enfance ; et tout ce qui nous est de plus cher, contre des compromis médiocres afin de pénétrer dans l'âge adulte. Avec surtout cette obsession, cette obstination à être accepté comme tel. Troquer une immaturité prétendue contre une autre avérée alors qu'on sait d'avance qu'avérée est synonyme d'imposée, c'est un supplice. De là tous ces phénomènes d’identification, ce besoin de modèles, ces admirations etc etc. Il y a aussi une envie de renoncement très forte à ce monde dit adulte mais que je considère totalement cinglé. Bien sur je ne le peux pas. Je ne peux pas renoncer complètement. Mais écrire une histoire féerique m’attire beaucoup. Revenir à des archétypes essentiels. A une relation binaire bien et mal serait reposant, voire même roboratif. Quand je repense aux textes d’Elie Faure sur la décadence de l’art chez les grecs, c’est, dit-il par l’excès de détails, de drapé surtout, par l’abondance de nuances que la décrépitude s’installe. Et du coup si je poursuis ce raisonnement je ne peux pas faire l'impasse sur ce qui est en train de se produire en Espagne comme un peu partout désormais en Europe. La montée de l'extrême droite qui justement prétend proposer une vision binaire du monde, du bien et du mal, de revenir à des valeurs claires, bien tranchées dans le vif, rassurantes. Et pour revenir à Lautréamont et à cette période sinistre dans laquelle il a vécu il est difficile de ne pas faire un rapprochement avec la notre. Napoléon III et la naissance du capitalisme, la naissance de l’horreur et puis cette période dans laquelle nous sommes, son agonie, ses sursauts effroyables encore à venir certainement du monstre qui sent bien qu’il est en train de crever. Possible que le désir d'ordre, de dictature soit l'accompagnement récurrent de l'anéantissement d'un phénomène économique défaillant. Une sorte d'outrance comme on peut trouver dans les phrases à rallonge, bourrées d'images de métaphores en regard d'une autre outrance qui elle assène à coups de bottes et d'armes lourdes l'impératif de la sobriété.|couper{180}
Carnets | avril 2023
Ponctuation, silences, corps
Des gens très bien qui peuvent vivre sans ponctuation. Les Grecs, par exemple, avant qu’ils ne s’amusent à séparer les mots grâce aux blancs. Par exemple. Ensuite, à quoi ça sert de ponctuer ? Y a-t-il encore suffisamment de typographes, d’éditeurs, qui s’en soucient, puisque ce sont eux au final qui ponctuent à la place des auteurs ? Nous serions dépossédés du pouvoir de ponctuer vraiment, comme de tout pouvoir de pondération ? L’auteur devenu quantité négligeable dans le grand univers des rotatives ? Il faut parfois lui flanquer un point sur le i, une barre au t, et bien d’autres petits signes caractéristiques et autres pattes de mouche, et des virgules, et des points-virgules, et encore, quand ce ne sont pas ceux d’interrogation ou d’exclamation ! De plus, en matière de ponctuation, il semble que chacun désormais n’en fasse plus qu’à sa tête, ou à sa guise – c’est devenu semblable – que tout le monde, à part les experts, les aficionados de ce code ésotérique, voire hermétique – jugulaire jugulaire – s’en foute. Ceci dit, on peut tout de même en parler, un peu, de la ponctuation comme de la pondération, du poids des mots, sans le choc forcément des photos, des images, du paraître. S’en parler à soi-même déjà, faire le point sur la ponctuation. Tu ne sais pas ponctuer, pas plus que pondérer tes propos, c’est un fait désormais avéré. Tu es excessif en quasiment tout, surtout en mauvaise foi, ou alors le contraire d’un seul coup. Gouffres et sommets depuis toujours, et il en sera probablement ainsi jusqu’à la fin des fins. La ponctuation est-elle en relation avec la pondération ? C’est drôle que ça vienne soudain s’inscrire ainsi en tout cas, si tu ne l’avais pas écrit tu n’y aurais pas pensé. Une écriture pondérée, bien ponctuée, claire, compréhensible par le plus grand nombre. Servile. Ou qui se moque de la pondération, de la clarté, de la ponctuation, comme du monde dans son ensemble. Une écriture de pitre pitoyable ou de génie, quelle importance de se soucier de l’intersection – mauvais génie, mauvais daemon – Une écriture qui ne tient compte que de sa propre règle, qui s’invente au fur et à mesure, au fil de l’eau. Reprends ça, ne lâche pas l’affaire, tu tiens sûrement quelque chose, il faut juste fatiguer les doigts, sentir le corps au-delà de toutes ces foutaises – ton corps – au-delà de la ponctuation, au-delà de la pondération, au-delà de la compréhension, au-delà de tous les silences – mon corps – sans majuscule, tout minuscule comme il se doit, au-delà des silences, mon corps… Que dire sur le corps qui ne soit pas encore un discours vide, un discours pour discourir, un discours sans substance véritable, un discours à côté de la plaque ? Que dire pour retrouver le corps, lui laisser la parole ou – un vrai silence ? – Rien. Il ne faut surtout pas t’en mêler. Attendre, ne pas se presser, écouter, lire, relire, se relire, observer comment il réagit à toutes ces choses que tu mets en place pour lui couper la parole, pour le bâillonner : tous ces obstacles, tous ces silences, toutes ces pensées, tous ces rêves, tous ces cauchemars, tous ces désirs, toutes ces frustrations, toutes ces opinions, tous ces sentiments. Oui, ce sont bien des silences terrifiants qu’ainsi tu opposes à un autre silence : ton corps et toi, un dialogue de muets. À moins que ça ne soliloque. Mais qui parle ici, en nos noms ? L’égocentrique, le narcissique, l’enfant, l’adolescent, le vieux, l’âme, l’esprit, la prétention, l’orgueil, la tristesse, le malheur, la souffrance d’être ainsi dissocié du monde comme dissocié de mon corps, cet inconnu. Car, quel que soit ce que tu veux penser comme corps, tu ne fais jamais que de le penser, sans plus rien sentir. Comme si, toute la journée, moi et mon corps, tel que moi l’imagine, comme si tout cela n’était qu’une suite de silences empilés, chaque jour, jour après jour, comme des briques, pour fabriquer un mur. Un mur entre moi et moi, entre mon corps et mon corps, entre le mot et l’objet, le mot et le sujet. Ce qui, au bout du compte – penses-tu ? veux-tu ? rêves-tu ? te mens-tu ? – fera disparaître tout sujet pour de bon. Une vie imaginaire VS une vie réelle. Un jeu de ping-pong. La mort gagne. C’est elle qui remporte le pompon. Une vie dans laquelle la joie comme la souffrance ne sont plus que des données pour alimenter l’avatar, une existence parallèle, virtuelle. Cette possibilité existe : de passer toute une vie à côté de mon corps, de ne pas le voir, de le mépriser, d’en être si déçu (surtout à partir de la cinquantaine). Mais de quel corps parles-tu encore, que tu ne saches rien ou tout ? Tu t’imagines, c’est plus fort que toi, mais à la fin c’est le corps qui gagne, quand il te lâche. Quand il se lâche lui-même. Il te lâche déjà, celui que tu nommais mon corps et qui ne fut qu’enveloppe vide, courrier mal adressé, courrier qui ne s’adresse à personne, dont l’expéditeur n’est personne également. Retour à l’envoyeur. Il est tout à fait possible de passer à côté de cette réalité une vie entière, en s’illusionnant, en se créant un corps à son propre corps défendant, en même temps qu’une mauvaise foi en cette réalité. Et si tu commences à t’interroger ce matin sur la ponctuation, sur la pondération, sur le poids des choses, est-ce que tu ne te sens pas proche soudain d’évoquer un autre poids, celui dont tu évites de peser l’existence : mon corps ? À qui appartient-il vraiment ce corps, si tu lui retires tout ce qu’il n’est pas, ne sera jamais ? Et encore faut-il utiliser le bon verbe, la bonne ponctuation, pour se poser les bonnes questions, celles surtout qui ne demandent pas de réponse. À qui est le corps ? Cela revient au même. Avoir, appartenir, posséder, tous ces termes si détestables, qui sont devenus tellement détestables avec le temps. Mon corps et le temps, mon corps et mon temps, deux illusions. Tu te compliques tellement la vie pour ne pas voir que tu es un corps, avant d’être ce que tu crois être, penser, parler, faire, vivre. Tu t’inventes sans relâche quantité de mensonges pour ne pas voir – en face – la matière dont tu es constitué. Tu crées des profils, des avatars, des personnages, et même des auteurs, chaque jour différents, pour fuir la réalité de mon corps, la réalité de ma mort, la fatalité, l’inéluctabilité qu’entraînent aussitôt ces deux mots : corps et mort. Dans le vaste ciel plane, effectue des spirales, le cormoran. Pâques est passé et rien. Pas de renaissance cette fois. Pas d’illusion. Pas d’espoir. Pas de simagrée, pas d’entourloupette. Peut-être que, finalement, tu te rapproches du corps. Tu deviens un peu plus chaque jour mon corps. Tu es le corps, comme tu es la mort. Sauf que la vie attendue (en échange, comme dans tout bon deal) ne vient pas, cette fois. Tu coules à pic dans ce corps-à-corps, dans l’abîme de l’insignifiance des idées, des pensées, et cette fois le ridicule ne te sauvera pas. Tu ne pourras pas te cacher derrière le ridicule, l’éprouver avec délice comme s’il s’agissait de renaître grâce à lui, comme après chaque trempe qui te laisse au sol quelques jours, quelques mois, mais dont tu as pris le pli de toujours te relever. Marche ou crève. Mon corps, encore. Il a toujours été là, avec lui-même. Si seul avec lui seul. Mon corps. Quelques intersections avec le corps d’autrui n’ont jamais permis l’oubli vraiment. Sauf ces vertiges délicieux et effroyables qu’offrent toute intersection, tout croisement, tout carrefour. Le choix d’une route comme d’un corps à prendre. Déplacement du corps, s’asseoir, s’allonger, se remettre debout, marcher encore, apprendre ainsi le pas, la cadence, arpenter. Partir de la ponctuation et parvenir soudain à cet exercice d’écriture ne te fait pas ciller, mon corps, plus à présent. Dans le grand flux général, les prétextes comme les vérités, l’insignifiant comme l’important, l’utile et l’inutile, semblent enfin (à jamais ?) gommés, si enfin mon corps me pardonne, mon corps se pardonne, mon corps bouge, mon corps danse, mon corps jouit, mon corps se gave, mon corps s’illumine, mon corps lévite, mon corps, dans le temps qui lui reste, avant de s’effondrer en cendres, en poussière, avant d’être emporté sous terre, ou aux quatre vents, ou sur la mer, ou dans l’azur, ou mangé, ou avalé sans y penser, ou mon corps et moi, amis enfin dans l’heure de tous les renoncements ; nous récupérerons l’espoir fou d’être voués au Grand Corps, celui qui ne sera pas pensé unique, mais sidéral, grand, uni, vers, déesse Mère, papa Père, enfin bref, tout ce qui restera derrière. Derrière les silences, mon grand corps, à l’aise pour se détendre enfin, se dilater à l’infini, le repos sans virgule, ni point, ni pondération, ni ponctuation.|couper{180}
Carnets | avril 2023
3 avril 2023
Est-ce que tu sais où t’en es. Où t’en es de quoi. Qu’est-ce que c’est que ce "quoi" dont tu ne sais pas s’il est loin d’où t’es. Mais de même : avec qui. Tout aussi loin. Est-ce que tu sais où t’en es avec qui, avec quoi. C’est une question. Il faut bien un quoi ou un qui. Peut-être les deux. Est-ce que tu veux vraiment savoir où t’en es, avec qui, avec quoi, avec qui et quoi ? Et comment que tu le sauras ? Comment que tu peux le savoir ? Est-ce que tu veux vraiment le savoir — où t’en es, de qui, de quoi ? C’est pas seulement en le disant, en posant la question, que ça devient une vraie question. Tu le sais, ça. Tu sais que tu pourrais très bien lancer une question en l’air sans en avoir rien à faire. Et vite repartir, entre les pluies de réponses qui tombent. Est-ce que ça va bien t’avancer, tout ça, pour savoir où t’en es ? Pour savoir de qui, de quoi ? T’es ici, t’es là. Tu le vois bien. Alors pourquoi tu demandes où t’en es. Peut-être que tu voudrais que quelqu’un s’amène, te réponde. Qu’il te dise : t’es ici, t’es là. Comme un pot sur une étagère. Un arbre dans un champ. C’est pas comme si toi, tu le savais pas. Peut-être alors que c’est pour que t’en sois sûr. Tout à fait certain. Certain à devenir fou. Mais pourquoi pas devenir fous. Pourquoi vouloir jamais être sûr ? Toute la question est peut-être ici. Ou là. Comme dans qui, ou quoi. Peut-être que c’est pour ne pas devenir fou. Et peut-être qu’à force… tu l’es devenu. Et si, des fois, t’en sais rien ? Qu’est-ce que ça peut bien faire. Si ça se trouve, c’est comme ça qu’on sait où on en est : c’est quand on arrête de se le demander. Quelqu’un s’amène et te demande : alors, où t’en es ? Tu réponds : je sais pas. Suis ici. Ou là. Ici et là. Voilà tout.|couper{180}