Suivre la voie du timbre-poste

C’est en lisant des poèmes qu’on peut se rendre compte. Peut-être pas tous. Certains poèmes. Ceux qui ne traitent que d’une seule idée à la fois. Qui ne sont pas feux d’artifice. Qui ne partent pas dans tous sens. Encore que rien contre tous les sens. Le sens est important. Mais ici, le propos, c’est le timbre-poste : chercher et suivre la voie du timbre. Trouver un timbre-poste, s’y tenir, s’y accrocher, ne pas lâcher l’affaire, métamorphose en pit-bull philatéliste, en spéléologue explorant les abîmes du parallélépipède postal. Le timbre-poste n’est pas plat comme une limande. Plus on s’en approche, plus on lui découvrira un volume, monumental en proportion de la concentration de qui vient à lui. Un timbre-poste peut être un bloc monstrueux, un édifice inquiétant, proche des dolmens, des menhirs, des pyramides aztèques ou mayas, du gigantisme de Baalbek ou de Lovecraft.

Trouver un timbre-poste. Aller à la rencontre du timbre-poste. Comment faire ? Comment s’y prendre ? Avec toute l’abondance autour, comment distinguer celui-ci, que sera le bon timbre, le juste timbre, le gong ? Un timbre-poste dans le chaos général. Y aller à la loupe et avec circonspection.

Prendre l’autoroute pour se rendre dans telle ou telle ville en quête du timbre est un risque. On ne sera pas seul sur la route. Beaucoup semblent à la recherche de la même chose. Préférer les nationales, les départementales, les vicinales. Chercher l’oblique, la diagonale, bien plus dynamique.

Faire attention aussi où l’on pose les pieds si l’on marche à pied. Y aller d’un bon pas sans se perdre en tergiversations ; se munir d’une carte, d’une boussole ; savoir se repérer grâce au soleil, à la lune, aux étoiles. Ça prend plus de temps, parfois, mais ce n’est pas bien grave. On risque moins de rouler sur un timbre-poste sans même le voir. À cheval, il faut lutter contre la légende transmise de cavalier en cavalier que tout puisse être ou ne pas être sous le sabot de la monture.

Vu sous cet angle obtus, par la lorgnette, un être humain est un timbre-poste. Sous cellophane, papier cristal, planqué dans l’anodin, le désordre, la multiplicité des envies sans but. Dans le chaos des envies brutes. Tout être est timbre-poste, non oblitéré, vierge de toute salive encore. Aucun crachat, sans postillon. Pas plaqué sur une enveloppe : autonome, inconnu.

Vu sous un autre angle, encore plus obtus : la phrase. Le mot. La lettre. Tout ce qu’on emploie pour dire la sensation, indicible. Ce qu’on ne sait pas dire, ce qu’on n’arrive pas à sortir, mais qu’on voudrait quand même dire. La toute petite sensation timbre-poste dans laquelle on s’enfonce, on sombre, on décroche. Sables mouvants, mer au galop, archange juché sur une flèche. Omelette à gogo. Un morceau de pelouse, un matelas rembourré, un corps de tout son long, offert et hermétique. Offert à l’œil, à la main, aux narines, à la langue ; hermétique à toute pensée. Black-out total. Les neurones dysfonctionnent, court-circuit dans les synapses. C’est offert, mais inaccessible à la pensée. Qu’aux sens de s’y risquer. S’y jeter. Se jeter dans le timbre-poste, puits infini, puits sans fond, les yeux fermés, la bouche close, se pincer le nez, les oreilles, comme on plonge dans la mer. La curiosité fera le reste. La curiosité : le facteur entre la peau et la cervelle.

Le timbre-poste peut être une obsession. Faire de ses obsessions des timbres-poste. C’est plus facile avec les obsessions. Ça nous regarde. Au regard de l’obsession qui nous cloue au mur, au sol, à l’arbre, au ciel, ouvrir les yeux en grand, ne pas en perdre une miette. Absorber comme un buvard. Recracher tout, ensuite, par la bouche, pêle-mêle, dans un trou. Laisser mijoter un moment. Attendre quelques heures, quelques jours, que l’écho fasse son job. Que le boomerang revienne.

Au regard de ce qui revient, dit karma, explorer le malaise, devenir circonspect, ne prendre que ce qui nous appartient vraiment. Laisser de côté les courriers mal adressés. Retour à chaque expéditeur, retour à l’envoyeur souhaité mais pas indispensable.

Ouvrir les oreilles en grand, maintenant. Plonger dans une mémoire d’éléphant, ne pas se tromper de mémoire. Reprendre tout ça, le malaxer dans le son jusqu’à trouver l’accord. Un seul timbre-poste, un unique accord, se délier les doigts, tenter quelques arpèges. Si ça sonne, ne pas courir vers la porte. S’y rendre doucement.

Pour continuer

Carnets | mai 2023

Disparitions

Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}

Carnets | mai 2023

31052023

Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mai 2023

Assemblage

Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}

Autofiction et Introspection