le double voyage 01

Cette année cela fait des mois que tu ne cesses de te répéter le jour, la nuit il faut que je fasse quelque chose de moi Et cette pensée, cette obsession s’est transformée en projet, en l’idée d’un déplacement, comme si l’idée de partir, de se déplacer d’un point à un autre du monde pouvait provoquer une séparation véritable entre celui que tu considérais être et celui que tu imagines devenir. Comme si cette idée de voyage était une sorte de sas, un rite initiatique de l’ordre du passage entre la jeunesse et la maturité. Cette année tu ne veux pas caresser seulement un rêve comme les années précédentes, aussi tu as préparé tout le nécessaire pour t’arracher d’ici de ce petit appartement d’Aubervilliers, mais quelle expérience des préparatifs connaissais-tu alors, aucune. Tu n’as fait qu’imaginer que pour effectuer un tel voyage il te fallait surtout de l’argent, pas mal d’argent. Et cela fait des mois que tu as deux emplois, le premier t’occupe de 7h30 à 17h et le second de 19h a 6h du matin. Tes journées s’effectuent à Bobigny dans un entrepôt où tu prépares des commandes de matériel informatique, et le soir. la nuit tu es gardien de nuit au siège social, place Vendôme, à Paris d’une autre société informatique concurrente. Tu dors très peu, à peine quelques heures, à l’heure du déjeuner dans une sorte de petite réserve sur des rouleaux de papier bulle, à peine une heure mais suffisante pour tenir ensuite jusqu’à 2 ou 3 heures le matin où dans le hall du luxueux siège social tu t’écroules sur un canapé, une heure encore parfois deux selon la bienveillance de tes collègues de travail. Il faut que tu fasses quelque chose de toi.cette phrase est toujours orientée vers un lieu un temps dans l’avenir mais tu ne parviens pas vraiment à t’y projeter. Aucune vision particulière qui te permettrait d’avoir un peu de cœur à l’ouvrage durant cette période de préparatifs de départ. Non, pas la moindre image, pas la moindre idée d’ailleurs tu n’en as jamais eu du tout, l’avenir est une chose si abstraite pour toi, comme les mathématiques, la grammaire, les déclinaisons latines ou allemandes, que tu as fini par faire l’impasse sur lui. Tu ne sais vivre qu’au jour le jour advienne que pourra et c’est justement pour cela que ton existence s’est brisée plusieurs fois déjà. Parce que tu vis au présent sans calcul, sans stratégie, sans projet et qu’il est pour autrui inadmissible de vivre ainsi. Surtout pour P. ta compagne durant dix ans avec qui tu viens de rompre. Et tu penses encore à cette nuit d’avant, à cette nuit dingue durant laquelle vous avez fait l’amour. Jamais elle ne s’était offerte comme cette nuit là et tu en avais été effrayé, ce fut comme une prémonition.Tu n’avais pas pu fermer l’oeil ensuite, jusqu’au matin où surprise enfin elle t’appris qu’elle partait vivre au Brésil, qu’il y avait un autre homme, que tout cela était plus rassurant ou excitant, tu ne sais plus vraiment les mots. tout cela lui correspondait plus ou mieux. Tu ne relates peut-être aussi que les mots qui t’arrangent des mots définitifs, de ceux qui imposent une décision. Et cette décision elle tourne en toi depuis des mois, c’est il faut en finir se fondant dans il faut que je fasse quelque chose de moi

Tu ne t’en sors pas avec la photographie. Tu ne sais pas très bien ce que tu veux mais tu sais ce que tu ne veux pas en revanche. Tu ne veux plus faire de photographies d’architecture, pas de photos de mariage, pas de book pour ces filles, ces types imbus d’eux mêmes qui veulent devenir mannequins ou acteurs, tu ne veux plus faire ce genre de photographies utilitaires ou dans l’intention que tu y détectes quand on s’en servira sera trouble pour toi. Plutôt que d’aller te vendre comme photographe tu préfères effectuer des boulots dans lesquels tu perds ton temps pour gagner des salaires minables. Mais où tu te sens en prise avec une réalité, celle de tout le monde en général, tous ces gens qui se lèvent le matin pour emmener les gamins à l’école, qui prennent des trains, des bus des métros, pour se rendre dans le même type de travail assommant, qui gagnent juste de quoi survivre. Toi tu préfères cette réalité là, elle te correspond mieux que n’importe quel projet de réussite que d’autres désirent que tu fomentes depuis des lustres, en vain.

L’agrandisseur est emballé avec un sac poubelle. Les bacs pour tirer les photos empilés à côtés. c’est tout ce qui reste sur le grand plan de travail qui prend une grande partie de la chambre. L’appartement est briqué de fond en comble. Pas un seul grain de poussière, pas une seule chiure de mouche sur les murs blancs, ni au plafond, tu as même préparé la cafetière pour demain matin, le café est dans le filtre l’eau dans le réservoir, tu n’auras plus qu’à appuyer sur le bouton, regarder une dernière fois les lieux en sirotant ton jus , puis tu rinceras la tasse, debrancheras la cafetière, tu couperas le compteur électrique, et tu refermeras la porte de l’appartement derrière toi. Ensuite ton sac sur l’épaule tu marcheras le long du canal une dernière fois, tu auras taillé assez large pour parvenir à la Villette juste un peu avant l’heure. Le temps de trouver le bus qui t’emportera vers l’ailleurs, vers l’incertain, sans doute mille fois préférable à toutes les sales certitudes que tu t’es déjà confectionnées en chemin.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre