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Créer son emploi
Marché boulevard Brune à Paris années 70. Auto entrepreneur non. Ce mot désormais me ramène trop à un statut fiscal. Par contre, tu regardes à 63 ans qui tu es, comment tu vis, et bien sûr, tu te poses la question de ce que tu veux. As-tu encore envie d’être salarié, dépendant d’une structure extérieure, avec tout ce que cela réengage d’énergie, de patience, de temps, pour finalement peu d’avantages ? Faire une liste de ces bénéfices supposés serait sans doute salutaire. Juste pour comprendre comment tu te l’expliques te justifies la plupart du temps. Pour ne pas dire franchement cette appréhension que tu éprouves de t’écarter d’une structure maternante dans le fond. Pour ne pas perdre la sécurité inventée de toutes pièces qui tient le rôle principal de cette pièce jouée depuis des années. Une fondation que tu as toujours considérée essentielle à la survie. Même si, à côté, tu t'imaginais possiblement fou, cette folie aurait-elle pu s’exprimer sans cette sécurité tenant le rôle de filet dans tout ce cirque ? Sûrement pas. Il y a tout de même quelque chose de raisonnable qui aura continué à donner le cap à toutes tes dérives. Le fait de se lever le matin et de se rendre au boulot par tous les temps. D’affronter la réalité du monde du travail. Aucune folie ne peut vraiment prendre le pas sur ça. Toutes les fois où tu auras testé cette vérité, les conséquences en auront été douloureuses presque immédiatement. L’implosion des couples n’en fut certainement pas une des moindres. D’ailleurs une idée de noter aussi les différents paliers de l’expérience en revenant à ces histoires de couples. Pour saisir le côté de plus en plus tranchant de l'hiatus, et simultanément du paradoxe. Ce rapport à la mère au bout du compte si envahissant que l'on ne se rend même plus compte. De plus le désir d'être materné et l’opposition à ce désir qui revient comme une constante. Parce que l'on sent bien que quelque chose cloche. Cette autonomie qui finalement ne s’appuie que sur l’attente d’un regard bienveillant. Un regard gris-bleu se dissimulant sous tant de nuances et de tons. Parfois même à l’opposé sur le cercle chromatique. Cette désespérance puis finalement cette ironie de s'apercevoir que tous nos agissements rejoignent à peu de chose près les mêmes qu’autrefois enfant. Comme si quelque chose se retrouvait figé dans la gelée d’un temps mythique. Que tout emploi de soi ne serait employé que pour revenir à la chaleur d’un ventre maternel. Comme une promesse donnée que l'on aurait peine à reprendre de peur de faire s’écrouler le monde entier. On peut me parler sur tous les tons du travail, de l’emploi, du salaire, je ne peux plus traduire tous ces mots prononcés souvent en toute inconscience autrement qu’à la lumière des pages blanches de mon propre dictionnaire. Faire plaisir à maman. Qu’elle soit sous terre, éparpillée en cendres ou cachée dans le corps d’une compagne, c’est toujours plus ou moins ce même désir, cette même obligation, cette même contrainte. Encore plus décevant de constater que toute velléité de création de ma part ressemble finalement à une sorte de récréation. Comme si maman réouvrait la porte d’entrée de la maison et qu’après toutes les corvées effectuées, elle me concédait une pause. Va jouer, tu l’as mérité, ou encore va jouer, je sollicite être un peu tranquille. Cette seconde proposition plus riche en supputations de toutes sortes. Que pourrait vouloir dire besoin d’être un peu tranquille dans ce cas ? Était-ce pour peindre, était-ce pour aller s’en jeter un en douce. La plupart du temps la bouteille de blanc était encore cachée dans le placard sous l’évier. Cette déchéance, comment l’avais-je perçue, sinon comme une fuite, une répudiation, simultanément de moi enfant, et d’un rôle à jouer intenable. Le rôle de femme au foyer, le rôle de maman, le rôle d’épouse, Pénélope attendant son Ulysse. Tout en ne se leurrant pas sur les écarts imaginaires ou réels de celui-ci. Mon père n’était-il pas lui aussi tout soumis à la même structure maternante lui octroyant en même temps le désir, le droit, peut-être même le devoir de l’entailler à chaque occasion pouvant se présenter ? Jamais pourtant je ne l’ai entendu dire ou souhaiter à voix haute de vouloir créer son propre emploi. Sans doute avait-il vu mes grands-parents se quereller énormément et avait-il confondu toute cette violence perçue avec le fait d’être à leur compte Lorsque j’étais enfant, durant les quatre premières années de mon existence, on m’avait confié à ces grands-parents paternels. J’étais donc au cœur de tous ces conflits perpétuels, je les vivais aux premières loges. Et, je me souviens de cette admiration que j’entretenais pour mon grand-père beaucoup plus que pour ma grand-mère. La plupart du temps, c'était toujours elle qui flanquait le désordre, essentiellement en parole. C’était la remarque désobligeante, l’humiliation, l’ironie, ses armes principales. J’observais alors les efforts de patience de mon grand-père pour ne pas exploser. Alors, il conservait une bonhommie étonnante quand j’y repense face à ce déluge d’observations malveillantes. Et, aussi, il y avait entre nous, entre homme, une distance qui ne fut jamais véritablement comblée. Enfermé dans sa solitude et son travail, son cercle de copains, il semblait aussi présent qu'absent. De même ici, entre les murs de l’appartement parisien, puis plus tard pareillement dans la cour de la ferme qu’ils avaient achetée pour passer leur retraite. Il avait pourtant réussi un exploit dont nul ne voulait vraiment tenir compte. Que l'on paraissait même à terme lui reprocher. Être à son compte. Par ailleurs, j'ai un peu connu mon arrière-grand-mère, la mère Houlevigue, d’origine anglaise d’après ce que l’histoire familiale a bien voulu me laisser sur elle. Elle était dure en affaire, mais pas seulement. Son mari avait été tué le premier jour de la guerre de 14. Ainsi, à partir de là, elle s’était arrangée seule pour élever ses deux enfants. Ainsi, je me souviens encore de son regard. Un œil clair, intelligent, mais d’une froideur polaire. Elle me scrutait lorsque parfois, je passais l’après-midi chez elle boulevard Brune à quelques pas de la rue jobbé-Duval. Ainsi, je pense qu’elle a tout su de moi en un clignement d’œil à peine. Je l’ai senti avec un effroi d’enfant. Elle n’avait rien du tout d’une mère pas même d’une grand-mère. Elle était une femme avisée, traduction facile pour notre famille, une vieille carne, une sorcière. À son contact, si peu fréquent fût-il, je crois qu’elle m’a transmis quelque chose de sa compréhension du monde. Sa solitude de femme d’affaires, probablement aussi de son rôle génitrice déçue ou vexée. Elles se haïssaient toutes les deux bien sûr elle et sa bru. Pas pour les mêmes raisons en apparence. La plus vieille considérant la plus jeune comme une paysanne ignorante. La plus jeune considérant la vieille comme un démon. L’enjeu quel était-il sinon une proximité avec le fils. Tout le reste n’était qu’artifice évidemment. De plus c’était elle la vieille qui détenait les cordons de la bourse, qui finançait en grande partie, mais jamais gracieusement, toujours avec profit et intérêt l’occupation du fils. Elle lui louait des places de marché. Ce n’était pas philanthropique ni maternel. Loin de là. C’était les affaires. Ma grand mère ne le comprenait pas. Elle remettait le couvert autant que possible, à tous les repas. Robert, disait elle a mon grand père tu es un faible. Ta mère te mène par le bout du nez. Le visage de mon grand père s’assombrissait, il achevait son repas sans piper mot. Puis se levait de table et disparaissait. Apres le déjeuner dans sa chambre. Il faisait la sieste puis l’après-midi disparaissait complètement de l’appartement. Il allait voir ses copains. Les bistrots. C’est là dans ces établissements enfumés qu’on le vénérait comme un prince. J’ai pu le constater les rares fois où j’ai pu l’accompagner. Un homme très écouté. Nul ne lui aurait fait l’affront de lui dire qu’il parlait pour ne rien dire comme le faisait la plupart du temps ma grand-mère. A quoi tenait donc cette vénération. La plupart de ses copains étaient des artisans comme lui, soit des gens vivant d’expédients. Travaillant par ci par là à l’occasion. Mais, ayant leur franc parler. Ils se livraient volontiers à mon grand père quant à leurs problèmes quotidiens. Que ce soit un soucis au travail, ou dans leur foyer avec leur épouse. Alors Robert disait vous allez sûrement me prendre pour un imbécile, mais. Alors il déroulait une pelote d’expérience et de considérations personnelles sur tel ou tel sujet de la vie. Car pour lui tout était matière à réflexion. C’était un homme seul dans le fond et qui réfléchissait énormément. Je crois qu’il en avait parfois un peu honte. Il n’avait pas fait de très longues études qui aurait pu lui conférer un statut, le mettre plus en confiance vis à vis du savoir. Mais, il avait eu cette intelligence d’accepter un certain nombre de compromis pour créer au final son propre emploi. Et, ils ne vivaient pas si mal, ma grand-mère et lui suite à cette décision. Par contre il ne rechignait à aucune tache, ne comptait pas le temps et l’effort. Debout des quatre heures du matin pour se rendre à la halle ou sa chambre froide. Des poulets, des lapins alignés dans des cageots, dont le poids je m’en souviens encore n’était pas de la gnognote. Plus tard je l’aiderai à décharger le camion. Il me donnera un de ses grands tablier blanc. J’aurai un crayon sur l’oreille, on me confiera la vente des œufs. 13 à la douzaine, et aussi quelques rudiments pour haranguer le chaland. Le provoquer. Les gens sont des enfants il disait, ils adorent qu’on les gronde pour rire, qu’on leur rappelle maman. Et c’est vrai qu’en regardant autour de moi tous les marchands adoptaient plus ou moins ce même principe. Surprendre, attirer l’attention, provoquer, puis fidéliser. Créer son propre emploi demandait non seulement de l’argent, une mise de fond mais aussi une connaissance profonde du genre humain. Ensuite reste à savoir jusqu’à quel point on pouvait faire l’effort de remonter à la source. Quelle importance de se dire aussi clairement le fondement de tout. De découvrir cette idée de structure maternante sorte de glu tenant tous ces fragments du monde. Peut-être qu’il suffisait de déconsidérer à haute voix et pour rire les ménagères faisant leurs courses en toute inconscience pour être un peu soulagé de quelque chose. Le pire où le meilleur c’est que ça fonctionnait assez bien, les clientes en redemandaient. Elle revenaient, c’était l’essentiel.|couper{180}
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Fin de partie
L’intuition n’a pas que du bon. Le fait de n’être pas surpris par une réponse fournie à une question posée, sachant déjà ce qu’elle pourrait être et le constater, noir sur blanc, un dimanche soir par e-mail reçu. Quelques lignes à peine. Le recours à la formule administrative, prévu lui aussi si je puis dire. Évidemment que l'on ne va pas te payer les 80 euros d’une prime de transport à laquelle tu n’as pas droit puisque, durant ces deux mois d'été, tu n’es pas venu dispenser de cours à la MJC. On pourrait avoir des problèmes en cas de contrôle. Cette dernière phrase surtout. Que toi, tu aies eu des problèmes en ne recevant pas sur ton compte en banque ces sommes pourtant prévues, nous nous en tamponnons allègrement le coquillart. Ça n’a pas mis longtemps pour faire un tour. Aussi sec, j'ai répondu que dans ce cas, j'étais au regret de ne pas pouvoir continuer. Veuillez agréer ma démission et tout le tutti. Tout à fait calmement. Tellement. Et, ce n’est pas comme si j’étais en colère, choqué par quoi que ce soit. A bien me souvenir de cette histoire d’indemnité de déplacement. Une astuce comptable pour ne pas avoir à inscrire la somme sur laquelle nous nous étions cependant mis d’accord en septembre dernier. J’en avais déjà imaginé les conséquences probables par la suite. Une amputation claire et nette de ces salaires durant l’été. Alors que sur les périodes de congés plus courtes, ils n’avaient sans doute pas osé. « En cas de contrôle, on pourrait avoir des problèmes » sûrement oui, un contrôle de ma part surtout, disons en période de fin d’année dernière vers Noël durant les vacances scolaires. Mais, ils n’ont pas osé, c’était trop proche de l’embauche. Alors que là plus facile sans doute, plus profitable en matière comptable. On vous le met bien profond et devant le fait accompli, à vous de jouer. 30 euros net de l’heure, c’est pourtant tout ce sur quoi nous nous étions mis d’accord. Oralement. Eh bien, ils ne pouvaient pas. Ainsi, il fallait inventer une combine pour faire passer la pilule. Notamment se préserver du quand dira-t-on que les autres professeurs ne sachent plutôt pas ce tarif exorbitant. Particulièrement ceux qui sont là depuis des lustres bénévoles. Vous ne vous rendez pas compte. Le bénévolat, je pourrais écrire un recueil entier. Sur les vertus du scoutisme aussi. Mais pas d’humeur maintenant vraiment. Et, le pire, le plus saugrenu, c’est que je passerai pour un orgueilleux, un capitaliste. 30 euros net de l’heure. N’importe quoi. J’imagine donc que la démission les soulagera forcément autant que moi. Ensuite absorber le choc, étudier son impact sur la géométrie de la semaine, du mois. Se dire que récupérer 240 euros à vrai dire pour conserver l’assiette ce n’est peut-être pas si compliqué que ça. Ouvrir un nouveau créneau à l’atelier pour des cours, par exemple, trouver seulement cinq élèves nouveaux. Mieux encore se mettre au travail, ne pas rouvrir de créneau. Fabriquer enfin ces cours numériques et nourrir cette page Patreon que j’ai ouvert depuis désormais une éternité. Une fois de plus se mettre en danger suite à une injustice éprouvée et qui fait réagir cette fierté, cet orgueil, c’est loin d’être une première fois. Et, en réalité, il est même grisant de retrouver cela, à 63 ans, un petit coup de jeune, cela remet d’aplomb la bête.|couper{180}
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Extreme proche
Techniques mixtes sur toile 80x80cm Patrick Blanchon 2019. Se souvenir le plus souvent que nos émois sont proches de réactions chimiques, une affaire d’ingrédients et de dosages devenus familiers avec le temps. Mais, que cette familiarité dont on veut les recouvrir ne nous appartient pas, qu’elle n’est qu’une facilité en symbiose avec « l’air du temps ». Parfois, je m’en souviens. D’autres fois non. Et, c'est sans doute grâce à cette amnésie que l’on s’autorise aussi à dire, je vis, j’ai vécu, en espérant s’arrêter juste à temps pour ne pas emprunter une tournure au futur ou pire encore au conditionnel. Ce « je » une cristallisation éphémère finalement. Entre scorie et vif-argent. Ce qui reste et perdure se lit parfois aussi dans les corps. Ou dans un pétillement du regard, dans le timbre clair ou éraillé d’une voix. Ainsi donc, malgré tout, malgré le temps, certaines choses sembleraient durables. Du moins, les souhaiterait-on, ainsi, pour durer soi-même. N’est-ce pas cela, cette quête de l’extrême proche ? Qui n’a rien à voir avec la familiarité. Au contraire, dès que cette sensation surgi, ouvre grand ses ailes pour accueillir, dans un sourire, toute l’ignorance du monde. Il faut vraiment s'agenouiller et même se coucher à plat ventre, se retrouver à hauteur d’herbe. Ce que l’on y voit, des toiles abstraites bien sûr, mais également une abstraction de soi.|couper{180}
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Le meilleur tirage
Passer des nuits blanches dans la chambre noire durant des années et s’apercevoir enfin d’un mur contre lequel on n’a pas cessé de se heurter. Le voir enfin ce mur. On pourrait penser qu’il n’est constitué que de vanité. Vouloir à tout prix obtenir le meilleur tirage, mais c’est évidemment tout un jeu de poupées russes que l'on découvre en plissant les yeux. Que cette perfection recherchée dissimule quelque chose de louche. Une obscurité. Alors que tel un papillon, on se pensait attiré par la lueur d’une flamme. En oubliant le risque de s’y consumer comme il se doit. Tout a commencé dans une sorte d’ivresse, une toute puissance, conséquence logique après tant de mois, d’années de doute, d’incertitude profonde. Une opportunité dont on a envie de ne regarder que l’aspect brillant. Ce cabinet d’architectes dans lequel j’atterris en 1983 après avoir démissionné d’un job de vendeur de véhicules neuf en porte-à-porte. J’avais éprouvé cette pénible sensation d’être un escroc. Vendre à tout prix des bagnoles à des personnes qui allaient suer sang et eau pour payer leurs traites. Jouer sur les ressorts du désir, les facilités de paiement à crédit. C’était lancinant dès les tout premiers jours. À ma toute première vente. Cette sensation m’avait gâché la fête, mais je m’étais obstiné à vouloir passer outre. N’étais-je pas trop timoré, sentimental, idéaliste… Et puis mon propre père n’avait-il pas dû dépasser cette sale impression lui aussi. Finir par conclure que dans ce monde, il y va de la responsabilité de chacun de donner libre cours à ce désir, ou pas. Que finalement ce que je nommais l’escroquerie, la manipulation, la vente n’était rien d’autre qu’une réalité, une vérité à quoi ce métier de vendeur m’avait déjà trop initié. Quelques jours de flottement à peine suite à mon départ, le temps de faire un gros tas de tous ces costumes achetés dans un magasin de prêt-à-porter et d’y flanquer le feu. Puis les petites annonces, enfiler les périodes d’essai. Être plus vigilant envers mes sensations, le cadre, le tenant et aboutissant de chacun de ces emplois. Et, pour autant ne pas perdre de vue le terme du loyer qui se rapproche toujours trop vite, de jour en jour, achevant de mettre un terme à ce commencement de détestation pour toute velléité de tergiversation. Et bien sûr à la fin plonger dans une urgence. Le cabinet d’architecture à la recherche de son archiviste. Cela changeait des boulots salissants, éreintants, d’aide maçon, de plongeur, d’homme à tout faire. N’y avait-il pas même une noblesse dans les mots cabinet d’architecture... archiviste. La curiosité aussi y fut sûrement pour beaucoup ; curiosité et urgence, des ingrédients omniprésents pour à chaque fois, inventer une nouvelle recette de la défaite. Puis rapidement les choses s’enchaînent. Une porte qui s’ouvre au rez-de-chaussée, tout au fond du grand hall, lumières tamisées de celui-ci, impression d’un havre de paix. La porte s’ouvre sur un local poussiéreux. Des dizaines d’étagères, des dossiers de sinistres empilés n’importe comment et même des piles jetées en hâte au sol. Voilà ton nouveau chez-toi, voilà ta nouvelle mission : mettre de l’ordre dans tout ce chaos. Tout ça instantané. Et, aussi, le oui accompagné de la signature au bas du contrat d’embauche. Période d’essai un mois. Poignée de main. Sentiment mitigé, mais soudain le loyer est sauvé. On se rassure raisonnablement d’autant que l'on est complètement timbré. En un mois, j'avais quasi tout rangé. De plus, j'avais trouvé des ressources que je n’avais jamais su utiliser pour ranger mon propre chaos personnel. C’était intéressant. Les architectes étaient rassurés. Alors, ils m’ont proposé de rester à la fin de la période d’essai. Peut-être un projet de microfilmer tout ça maintenant que l'on y voyait plus clair. Dans ma tête, je ne voyais que la paix que cette situation allait m’apporter. Installé rue vieille du temple, le cabinet était à quelques minutes à pied de chez moi, à la Bastille. Mon amoureuse aussi allait être rassurée, qui étudiait la médecine. Elle souhaitait savoir ce que j’allais bien pouvoir faire de ma vie, parfois à mi-voix. Tout roulait en n’y réfléchissant pas trop. De plus, il n’y avait qu’à suivre gentiment la pente, dévaler ainsi le fil des jours. Rapide l’ennui me tomba dessus. Le week-end, j'étais souvent seul, car mon amoureuse rejoignait sa famille. Alors, je déambulais dans la ville dans un étrange désœuvrement. J’appréciais me retrouver sur les quais devant les boites de bouquinistes. L’ambiance. Les flâneurs, les enveloppes de cellophanes au travers desquelles on découvrait les titres des ouvrages. Fréquemment les mêmes d’une boîte à l’autre, les moins chers, les poches. Il fallait se souvenir à temps de ceux que l'on possédait déjà et que l'on n’avait pas encore pris la peine de lire. Mais, rien de grave, d’avoir plusieurs faux-monnayeurs devait certainement signifier quelque chose que l’on découvrirait plus tard. Effectuer des actions inconsciemment comme s’il s’agissait d’investir dans un capital. Toujours pouvoir se dire qu’un jour, on comprendrait enfin le pourquoi du comment. Que certaines vérités nous sauteront aux yeux. Que tout prendra un sens enfin. J’avais déjà connu l’ennui, mais pas ainsi. L’ennui d’être libre deux jours par semaine et le recours de la déambulation pour tenter de le meubler. À quoi pouvais-je penser, y avait-il un but que je ne parvenais pas à m’avouer, que je refusais de m’avouer et qui me faisait plonger alors de façon hebdomadaire dans la vacuité ? Je n’étais pas heureux. Je le savais, mais je refusais de me l’avouer. Ma vie prenait un cours bizarre, elle ressemblait à train attaché à ses rails, allant ainsi d’une destination l’autre poussé par une volonté de sécurité, presque de confort. Je me dégoûtais beaucoup. Une impression d’avoir cédé à tout un enchaînement de lâchetés. D’avoir trop facilement renoncé à beaucoup de choses que j’avais tenues pour importantes afin de se sentir exister. Aussi le fait de m’apercevoir qu’en y ayant renoncé, je restais toujours en vie. Étonnant et perturbant quand je me retrouvais les soirs de semaine, invité par des amis, encore étudiants pour la plupart. Saisir d’emblée une naïveté en eux de n’avoir pas encore renoncé à leurs rêves. Comme si le fait d’avoir été plongé si jeune dans la contingence, me procurait comme une sorte de méta perception de ce qui compte et ne compte pas. D’un essentiel. D’une vérité. Au cabinet d’architecture, dans les archives, tout était désormais impeccable. Pas un seul grain de poussière, pas une seule ligne dérangeante. Tout était aligné au cordeau, étiqueté. Les tâches journalières s’étaient amenuisées. Le matin coup de balai, serpillière, quelques notes ensuite jetées sur un cahier à spirales pour élaborer un système de base de données. L’idée de trouver quelque chose de brillant. Pour me rendre indispensable. Conserver cette ennuyeuse tranquillité. Si paradoxal cela puisse-t-il être. Puis à un moment, on se retrouve noyé dans la régularité. On ne se rend plus compte des jours, des semaines, des mois qui passent. Cette familiarité que l'on crée sans même s'apercevoir avec les lieux, les personnes. Comme pour mieux se défendre de l’inconnu tout autour. Et, le week-end s’y jeter. Trouver une sorte d’équilibre dans cet entre-deux. Mais l’ennui comme une eau tiède. Pas facile d’y rester vigilant. Seule indication, le malaise que l'on éprouve au détour d’une rue, cette éclaircie soudaine ou au contraire cet assombrissement au crépuscule de la ville qui n’est plus que silhouettes. Puis les feuilles des arbres qui tombent au sol, le cœur qui se sert à un moment sans que l'on sache pourquoi. Un homme se plaignait dans la pièce à côté de devoir photographier la maquette d’une université. Un matin, je l’ai rejoint et sans savoir pourquoi j’ai dit que je pouvais m’occuper de faire les prises de vue. Ça m’est sorti d’un coup de la bouche et j’en fus presque effrayé. Ensuite un enchaînement rapide. Rencontre avec les patrons. À nouveau une proposition parfaitement folle. Je peux aussi faire les tirages. Ensuite, tout fut miraculeusement accepté. Évidemment sans pour autant modifier en quoique ce soit mon salaire. On me laissa comprendre que je pouvais me rattraper sur les achats de matériel en compensation. Je ne me fis pas prier de ce côté là. Le photographe de la rue Saint-Antoine allait fermer quand je me suis amené juste à la fin de cette fameuse journée. Tout acheté d’un coup sur ses conseils. Et puis c’était un vendredi. J’allais avoir tout le week-end devant moi pour apprendre et le développement des négatifs et le tirage. Dire que ça me faisait peur, non, pas tant que ça. Je crois que c'était un plaisir d’avoir enfin un but qui allait m’aider à passer ces deux jours de solitude. Plus largement une occupation pour les semaines à venir, peut-être trouver un sens nouveau à ma vie. Un sens tout bonnement La chance du débutant n’est pas un concept à prendre à la légère. On devrait surtout beaucoup s’en méfier. La première série de photographies en noir et blanc que je déposais sur le bureau des chefs les ravit. Ensuite, j'ignore quelle mouche m’a piqué, j’ai laissé s’écouler toute une année dans cette joie de vivre. Ce contentement apporté par l’acquiescement des têtes à chaque nouvelle livraison de photos. À la fin, trop répétitif, je m’en suis lassé. J’ai voulu me lancer dans la photographie d’art. Effectuer ensuite des tirages époustouflants d’images, on ne peut plus banales. Toutes les nuits désormais y compris en semaine, je refaisais le même tirage des dizaines de fois toujours pour parvenir à l’insatisfaction. Nourrir cette plante dont j’avais découvert la graine au fond de moi. Ensuite, sa croissance fut bien plus rapide que je n’aurais jamais pu le prévoir. Au bout du compte, je démissionnais sur un coup de tête et quittais le cabinet d’architecture. Ce fut la première fois que j’osais franchir le seuil de l’ANPE. Je me suis dit qu’une pause ne serait pas du luxe pour réfléchir un peu à ma vie. Refaire sans arrêt les mêmes erreurs devait sûrement signifier une volonté de quelque chose, indéfinissable, mais dont je me donnais comme nouveau but de vouloir définir.|couper{180}
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Sensation et pensée
Par la lecture de quelques poèmes je vois cette bête venant rejoindre l’oasis. Une bête assoiffée par la sapience qui cherche folle à faire dégringoler son cavalier. Le contact frais ou brûlant de l’eau sur les babines et la langue comme le palais, vague, elle en cherche en vain le goût. C’est que la bête pense encore et ne s’est pas toute entière donnée à la sensation. De nouveau elle se remplit, gonfle sa panse en pensant encore étancher la soif. Puis retourne à l’assaut de ses désert de son désir. Mais chaque matin elle s’en revient. L’oasis est toujours là. Peut-être avec le temps, la lassitude, viendra enfin le goût de l’eau, précis comme une sensation. Un recueil posé pas loin quelque part dans mon atelier.|couper{180}
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En abyme
Détail du tableau les époux Arnolfi. Jan Van Eyck. Si la série est un déploiement horizontal du même ou du semblable, la mise en abyme s’en rapproche mais, dans la profondeur, par sa nature fractale. Utilisée en géométrie pour indiquer une possibilité d’infini, celle de reproduire une même forme se contenant elle-même sous diverses échelles. Forme étant aussi contenue à des degrés que l’on peut ainsi imaginer plus grands et qui nous dépassent. C'est la représentation du double sens de cet infini, vaste comme petit, deux directions se rejoignant dans le mot abîmé que l’on écrit avec un i cette fois et non avec le y subsistant de l’orthographe première. Quelque chose d’abimé par rapport à une forme tenant le haut du pavé d’un premier plan. Forme première si l’on veut mais fausse mathématiquement car on peut imaginer d’autres répétions de celle-ci en amont. Et, qu'une fois qu’on la découvre non plus première une seule fois, elle recule elle aussi dans l’abime. La mise en abysme : Terme provenant de l’héraldique, l’art de créer des blasons. Ce procédé qui me fait penser à une tentative picturale d’indiquer la nature fractale de l’infini provoque une inquiétude concernant la définition que j’utilise pour ce mot même. Car ne s’agirait-t’il pas plutôt d’indéfini que d’infini. On ne sait plus dire la valeur du motif pas plus que celle du plan où celui-ci est placé. Au bout du compte le motif répété à différentes échelles semble annuler toute velléité de hiérarchie, d’importance. Ce n’est plus tant dans la représentation du motif que se situerait le désir de donner de l’importance. Mais, on se tiendrait face à un déploiement de cet objet de désir et qui, se déplaçant dans les deux infinis, finit non seulement par nous échapper puis à disparaître totalement. Perdant son objet qu’advient-il de ce désir ? Ne devient il pas alors l’ultime objet d’observation lui aussi. Un mat planté sur le radeau d’un naufragé et auquel il ne peut rien faire d’autre que de s’y ligoter. En se plaçant en tant qu’observateur de ce phénomène, on s’imagine facilement s’en tenir en dehors. Sur la paroi en face de Mona Lisa dans une étrange pénombre, il y a je crois toujours, la grande toile de Jericho. On croit se tenir ainsi à l’extérieur de l’objet d’un désir, d’une envie ainsi raisonnablement. Et, même en avoir le contrôle d’une certaine façon. Ainsi le photographe qui cadre une scène dans son viseur, le peintre qui place une toile rectangulaire sur son chevalet, l’écrivain qui écrit un texte sur tel ou tel sujet sur une feuille de papier ou un logiciel de traitement de texte. Si l'on observe ces actions d’un point de vue extérieur, on ne se rend pas compte. Les acteurs non plus. Chacun pense agir selon une volonté, des choix, des renoncements.. Mais, si l’on déploie le résultat de ces actes effectués sur une vie entière, est-ce que l’on ne peut pas finalement éprouver le même vertige que face à une image créée à partir de fractales. Et, à partir de cette observation s’interroger sur la nature de la conscience. N’est-elle pas de nature fractale aussi. C’est à dire que quelque soit le moment où l’on pense être conscient de quoique ce soit ce quoique ce soit nous échappe malgré tout encore. Ce qui nous place immédiatement en abyme nous et notre conscience de ce fait. Qui nous place dans cet indéfinissable, cette étrangeté. Être conscient de quelque chose est une chose, être conscient d’être conscient de cette chose en est une tout autre. Et, d'une certaine façon accepter de s’abîmer semble être la solution que personnellement j’ai choisie pour adhérer au mieux selon mes moyens au phénomène naturel universel. La difficulté provient sans doute d’un malentendu, comme souvent, entre les mots abyme et abîmer. Enfant j’entendais continuellement que j’abimais tout ce qu’il y avait autour de moi ce qui pour mes parents signifiait mettre en mauvais état les choses. Ils avaient ainsi la sensation que je détruisais tout ce qu’ils avaient construit avec peine. Cette hiérarchie de valeurs comme la préciosité de certains objets qu’ils avaient mis du temps à acquérir, à créer, à construire. Ils ne comprenaient pas que je m’oppose par réflexe, aux diverses valeurs sur lesquelles ils s’appuyaient pour vivre. C’était selon eux comme si je n’accordais d’importance à rien et donc pas même à eux, sauf à repousser tout dans cet abîme qu’il craignaient tant, cet indéfini, cet indifférencié. Il devait certainement au début de tout cela y avoir à quelque chose de pathologique ou de diabolique dans cette volonté d’abîmer, inconsciente le plus souvent. A mon avis désormais sûrement du à la violence avec laquelle cette hiérarchie et de ce fait un pouvoir était imposés. Et, aussi, si je voulais ainsi tout abimer ce n’était pas totalement vrai que ce fut par pure méchanceté ou vengeance, par ressentiment. Mais, bien au contraire. Parce que je pouvais capter la souffrance créer par ces choix et ces renoncements. Je cherchais à comprendre ce qui les avaient contraints dans un carcan de valeurs comme dans un intérieur se voulant atteindre à un but inadapté, factice. Un intérieur bourgeois oserais-je dire. Cette mise en abyme que je percevais déjà entre les différentes générations de ma propre famille tournait, je crois, autour du motif récurrent de la misère. Il y avait ceux qui l’avaient endossée comme une donnée constante de leur univers, tous ces journaliers que j’ai pu apercevoir dans les recherches généalogiques effectuées par ma mère. Et, ceux qui avaient essayé de la fuir en imaginant que socialement, par la rigueur, la ténacité, la rage, la constance, le travail on pouvait ainsi y parvenir. Avais-je perçu déjà enfant cette erreur de logique, qu’ils nageaient dans une illusion ? Et, surtout combien cette croyance que l’on pouvait s’en sortir seul. Sans vouloir tenir compte du contexte social. Le niant, s’en moquant même à haute voix. Sûrement pour renforcer plus encore cette illusion. Et je peux encore me souvenir comment tout sonnait faux à mes oreilles d’enfant. Je percevais plutôt le non-dit de la misère derrière tous les slogans. Comment l’invention de cette misère avait fait tant de ravages ? Car dans le fond, ils l’avaient très peu connue vraiment. Un peu durant la guerre et encore, la misère à la campagne, rien à voir avec la misère en ville. Ce que l’on découvre soudain c’est que l’idée de cette misère sert davantage à fonder l’idée d’une sécurité voire d’une opulence. Et, qu'elle sera transmise cette légende de générations en générations. Il me semble que j’ai fait de cette misère par conséquent un cheval de bataille. En y revenant sans arrêt, la traquant comme une bête, un de ces dragons de légende. J’ai voulu savoir ce qu’était cette misère et la peur qu’elle avait inspirée à tant de générations précédentes avant moi. Je me suis laissé glisser comme un de ces motifs que j’évoque au début de ce texte dans une géométrie, je me suis abîmé dans la misère. J’ai toujours été frappé de constater qu’en dehors de France, en dehors de l’Europe les gens vivent souvent bien plus modestement. Dans ce que l'on peut même nommer la pauvreté. Mais, ils ne la considèrent pas comme étant la misère au contraire de nous. Sans doute parce qu’ils ignorent totalement ce que sont la sécurité et l’opulence. Aujourd'hui encore ce n’est pas la misère qui me fait peur ou créer en moi la douleur, mais la façon surtout dont les gens tout autour de moi continuent de l’évoquer à mi-mots. Cet agacement que provoque l’angoisse, l’inquiétude, les fins de mois, le moindre courrier désagréable. Cette angoisse qui me vient lorsque pour des raisons de rôle à jouer dans un système conjugal par exemple la bonne manière est d’épouser toutes ces angoisse puis de bêler en chœur. Ce dont j’ai absolument horreur. Contre quoi je me rebiffe ce qui crée souvent des d’orages. Mais, ensuite ceci dit, je rentre dans mon atelier comme un Bernard-l’ermite en sa coquille. Je m’abîme dans la peinture et l’écriture. C’est sûrement très égoïste vu de l’extérieur. Cependant je ne crois pas que l’on puisse transmettre l’expérience de la misère aux autres. Ils ne la comprendraient pas, occupés qu’ils sont à la réinventer encore et encore pour mieux aiguiser leurs rêves d Eldorado. Il serait nécessaire d’étendre cette notion de mise en abyme à l’écriture même de ce texte. De comprendre comment il se relie à tant d’autres écrits comme à ceux qui viendront par la suite. Comment les idées, les contre vérités, l’illusion elle aussi finira par reculer de plan en plan et sans doute s’evanouira happée dans l’indéfinissable. C’est aussi une raison d’écrire. Une raison comme une autre. Ensuite le jeu des supputations, des interprétations, pourra commencer le cas échéant. Occuper le temps ainsi permet certainement aussi d’avoir la sensation de le passer utilement ou pas. Mais cela regarde chacun. Ce cela tellement indéfinissable. Texte parallèle qui provient de réflexions effectuées sur les relations entre photographie et écriture, dans le cadre d’un atelier d’écriture, #photofictions une proposition de François Bon, Tiers Livre éditeur et site.|couper{180}
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Médiocrité et excellence.
Dans mon atelier, laboratoire. 2022 Qu’est-ce que c’est, ce que ça pourrait bien être que de se pencher sur ces deux mots vraiment ? Ils sont tellement posés comme des évidences. Le genre que l'on ne regarde plus, mais sur quoi l'on ne cesse de s’appuyer pour livrer des avis, des opinions, ce que l'on nomme souvent à tort une pensée. Cette habitude de séparer aussi l’excellence dans ce qui sera à venir pendant qu’au présent, on ne semble avoir affaire qu’avec le médiocre. L’expression se résoudre à la médiocrité. Vue de prime abord comme un renoncement. Ainsi le mot excellence comme subterfuge, une façon de faire patienter, de temporiser. Autant dire maintenant impossible, irréalisable, intangible. Une idée qui doit coûte que coûte rester à sa place abstraite d’idée. Mais, qui taraude comme un but, une obsession, une pathologie. Contre quoi il n’en faut pas beaucoup plus pour entrer en guerre. Que ce soit autrefois par la pratique de la photographie, puis plus tard mes premières tentatives d’écriture, et enfin la peinture, voilà les champs de bataille. Cette habitude de penser que l’excellence isole alors que la médiocrité réunit. Choisir souvent de plonger dans cette dernière pour cette raison, la seule limite étant au bout la fatigue, la lassitude, l’éreintement. Ensuite le dégoût. Sûrement aussi fatigue et dégoût de revivre éternellement cette non-reconnaissance comprise comme une somme d’actions proche de l’héroïsme. Personne ne voit tous les efforts que je fournis pour rester médiocre, pour rester avec vous. Puis être assailli par les doutes, se tourner vers un orgueil incommensurable. Mais, justement, tenter d’en prendre la mesure dans cette collection d’actions inutiles que l’on enfile comme des perles à un collier que l'on porte virtuellement autour du cou. Un collier de chef à plumes. Collier de chef ou de chaman. De clown. Ce qui n’est pas virtuel, c'est la souffrance endurée, le corps qui lâche, l’esprit qui finit par se révolter et battre la campagne. Toujours et encore l’envie de partir, de s’évader de cette croix représentée par ce carrefour inaccessible, là où enfin excellence et médiocrité se retrouveraient comme larrons en foire ayant tombé leur masque de Comédia del Arte.|couper{180}
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Les romans-photos.
Depuis le sommet de l’ennui, dans ce paysage vallonné, comme un affront à la vitalité de mes 14 ans. Si vaste, ce paysage semble être encore dans la mémoire. Si paradoxal cet ennui alors que s’offrent tous les possibles. Se resserrer dans un non faire ou presque. Comme si pour tenter de tuer l’ennui la meilleure arme conservée put être l’immobilité. Ainsi en se confondant en celle-ci, peut-être comprendre la source de cet ennui plus intuitivement qu’autrement. Et, tout à coup, une après-midi, cette plongée dans les magazines auxquels mes grand-parents étaient abonnés ou avaient été abonnés. Il y en avait toute une collection. J’essaie de me souvenir de l’endroit où ils étaient rangés ici, dans la grande pièce qui servait de pièce de vie, de salon et de salle à manger. Sûrement près de la cheminée, pas loin des bûches, des rondins. Un de ces meubles bâtit en parpaings et recouvert d’un carrelage roux. À l’automne, on se saisissait d’un imprimé pour en déchirer une ou deux pages afin d’allumer le petit bois des premières flambées. Mais, ce jour-là encore tout ensoleillé, à 14 ans, étouffé d’ennui, prendre, comme on ramasse un caillou sur un chemin, attraper un magazine et le feuilleter. Plus de souvenir duquel… Mais, les titres défilent encore : Ici Paris, Nous Deux, Jour de France, Rusticail y avait aussi sur la seconde pile les catalogues de la Redoute. Et, plus loin, me semble-t-il, la pile des bottins téléphoniques, le dernier en date ayant sa place ailleurs, tout près du téléphone posé près de la fenêtre. Attraper un magazine à l’heure de la sieste dans ce silence à peine ponctué par le ronflement des dormeurs derrière les cloisons épaisses, par le vrombissement d’une mouche qui n’a pas encore été capturée par le ruban collant pendant au plafond. Lire les gros titres en couverture, éprouver la souplesse de celle-ci entre les mains, puis l’ouvrir et tourner les pages en quête d’un point d’intérêt, non, pas vraiment. Mais, pour passer le temps autrement. Pour prendre l’ennui par un autre bout. Pour faire une autre expérience, tentative de s’en évader, déjà presque un effort créatif, pour ça je n’ai jamais été à court. Et, découvrir le roman-photo. Quelques feuillets placés là comme une pause entre les publicités, les articles plus ou moins sérieux, les ragots sur telle ou telle vedette. Les petites annonces et les formulaires d’abonnement. Souvent noir et blanc encore, entouré par tant de pages couleurs. Des histoires d’amour, toujours à peu près les mêmes. Même canevas que l’on finit par repérer quand on en lit plusieurs. Des stéréotypes. Les dialogues noirs entourés de blanc coincés dans des bulles plus ou moins rondes ou alors des rectangles allongés dont on a adouci les angles. Découvrir ainsi une sorte de médiocrité allant bien avec l’ennui et s’y plonger, s’y absorber. J’ai conservé l’idée de cette médiocrité comme le plaisir un peu coupable qui l’accompagne. Peut-être parce que ce mot de médiocrité tient plus d’une défense, d’un refus, d’une résistance adolescente. Ne place-t-on pas l’amour si haut que de le surprendre ainsi dans un magazine déçoit. Le trouver dans un roman-photo... cela crée un trouble. Et, s'ajoute au trouble éprouvé quand on vit les derniers jours de vacances, avant de glisser irrémédiablement vers l’âge adulte. Ce que l’on perçoit de tous ces stéréotypes que sont le patron, la secrétaire, le monde du travail. Une réduction tellement criante de la réalité que son cri met mal à l’aise. Mais, ce malaise provoque simultanément un plaisir étrange. La perversion d’une réalité que l’on devine. Avec comme unique recours ou secours, les histoires d’amour. Et, leur platitude au bout du compte qui servira d’antichambre à une platitude plus grande encore que l’on devine aussi certainement déjà. Lire ces romans-photos fut un acte solitaire, et j’imagine que mes grands-parents auront fait de même. Chacun se taisant sur ces quelques pages lues. N’échangeant jamais sur elles. Au lieu de cela plus tard dans la soirée, on allume le récepteur de télévision pose face à la table. Le dîner se déroule ainsi dans une autre sorte d’hébétude. Mais toujours silencieusement. La mouche est collée au ruban du plafond, inerte. Les fenêtres donnent sur la fin du jour. Un peu plus loin un véhicule passe, un tracteur qui rentre à la ferme. Le bruit nous arrive, amorti par la distance et le silence qui se glisse entre deux publicités. On pense alors que la vie entière pourrait bien ressembler à cette médiocrité découverte, un peu au hasard, dans l’ennui d’une après-midi d’août dans le bourbonnais. La vie pourrait bien n’être qu’une somme d’histoires aussi médiocres que celles lues dans ces romans-photos.|couper{180}
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L’importance de la série
Les meules Claude Monnet. Pour poursuivre sur les parallèles entre peinture et photographie, la série est sans doute ce qu’il peut y avoir de plus en commun. Du moins en apparence. Si le photographe effectue plusieurs clichés d’un sujet, c’est pour changer de point de vue, pour obtenir le meilleur angle. L’idée de la série est une nécessité photographique, et elle commence dès la prise de vue. L’intention est de trouver la bonne image en tournant autour du sujet, avec la bonne focale, le meilleur couple, vitesse, profondeur de champ. Une idée flotte dans l’esprit encore à propos de la photographie et du photographe. Autrefois aide du bourreau appelé pour maintenir la tête du condamné pour que la guillotine tranche proprement pour que tout soit bien parfait. Est-ce la même chose pour le peintre face à son tableau ? Une fois le tracé effectué sur la toile, le peintre peut prendre du recul, mais il ne peut plus modifier de trop la composition tracée sur le tableau. Ainsi, pour obtenir la même sensation de série que pour la photographie, il doit prendre le temps à chaque étape de son travail de le documenter, de noter, sur toutes les ébauches, les esquisses, tentatives préalables afin de réaliser des photographies témoignant de ce travail. Ce qui se fait assez peu, du moins avant l’apparition d’internet et des réseaux sociaux. Il y a très peu de temps que je le fais moi-même et pour dire toute la vérité, cela ne sert que pour alimenter les réseaux sociaux, attirer de nouveaux élèves essentiellement, voire des collectionneurs. Durant des années, je n’éprouvais pas ce besoin. J’ai juste quantité de carnets de croquis dans mes placards qui peuvent servir à informer les curieux. Et puis c’est la partie parfois un peu honteuse du travail, les manqués, les échecs, sont bien plus nombreux que les réussites. C’est aussi ce qu’on se dit pour ne pas les montrer. Cela semble se rapprocher trop d’une exhibition. Et c’est évidemment un tort. Ce que l’on montre au public n’est finalement qu’une très infime partie du travail. Et pour les personnes profanes, c'est presque les tromper de ne montrer que cela. Elles ont ainsi des mots qui leur viennent à l’esprit comme don, talent, génie, inspiration... alors que l’essentiel provient de cette partie immergée de l’iceberg. Peu de photographes ont d’emblée montré leurs clichés manqués, ce sont des universitaires, des passionnés qui sont allés fouiller dans leurs archives quand elles existaient encore. Je pense notamment à Eugène Atget déambulant dans la ville en quête de trouver la meilleure position, le meilleur point de vue pour capter une attitude chez un passant anonyme. Des milliers de clichés qui, si on les met bout à bout, témoignent à mon avis bien plus de son travail que l’image dite aboutie que l'on conserve dans la mémoire collective. Quelques clichés pour documenter une de mes peintures. Il y a deux manières de considérer l’idée de série. Une comme suite d’étapes pour parvenir à quelque chose, disons un but. Et, une autre qui serait une collection d’images attestant chacune d’avoir atteint à ce que quelque chose. Ainsi, il y aurait une ressemblance, une familiarité entre toutes les images alors obtenues autour d’un « thème ». Est-ce qu’un thème suffit à expliquer une série ? Cela a toujours été mon questionnement comme peintre plus qu’autrefois comme photographe. Notamment si j’essaie de me souvenir du travail d'autres peintres. La Cathédrale de Rouen de Claude Monnet, la montagne Sainte-Victoire de Paul Cézanne, les natures mortes de Giorgio Morandi... pour ne citer que ces trois. Une répétition de la même chose, parfois avec la même composition. La seule chose qui change étant la lumière, les couleurs. Quelques lignes en plus ou en moins. Ce sont des séries, mais on pourrait les rapprocher de ce que cherche le photographe sur une seule pellicule. Ce sont des essais. Des essais admirables, néanmoins des essais tout de même. De toutes ces images que l'on retient ainsi de la cathédrale de Rouen peint par Monnet, laquelle est la plus belle, la plus achevée ? Personnellement bien en peine de le dire. Elles se retrouvent sur un pied d’égalité et il semble en manquer une, celle que l’on s’invente en les observant toutes. Une image totalement imaginaire que chacun peut s’inventer pour lui-même. La série ainsi abordée est donc d’une certaine manière le témoignage d’un échec du peintre en quête de cette même image qui se dérobe toujours sur la toile. On ne retient de ce fait d’un photographe, d’un peintre que ces images alignées en série la plupart du temps. C’est à partir de ces séries qu’on les identifie. Par ailleurs, j'ai toujours éprouvé une sensation de malaise que l'on puisse réduire ainsi le travail à finalement si peu. Une sensation de mensonge, de manipulation aussi. Sans doute dû à mon côté paranoïaque, mais pas seulement. Il n’y a qu’à regarder comment se présentent de nombreux peintres sur les réseaux sociaux. Cette obligation d’unité, de cohérence qui finit par produire un immense phénomène de clonage. Notamment concernant la peinture abstraite. J’y vois le résultat d’un mensonge à deux étages. Pour commencer, une idée erronée de penser qu’en se concentrant sur une seule chose, en tentant de l’amener à une perfection, on finit par s’assécher. Simultanément, le marché de l’art utilise les mêmes ressorts que les publicitaires. Le but est d’identifier un produit, une marque, et ainsi en stock, des peintres et de l'art, des produits fabriqués de toutes pièces et en série. Ensuite, que le peintre prenne pour lui de telles préoccupations mensongères pour en faire une sorte de graal artistique, parfois en toute sincérité, tient simultanément de l’ironie et provoque un émoi profond en moi. Pour ceux-là une profonde sympathie. Pas pour ceux qui intentionnellement acceptent de marcher dans la combine en toute connaissance de cause. Pas pour les opportunistes. La perfection, cette idée venue de loin pour ne citer que Platon, plane au-dessus de celle de la série. Cette idée qu’il faille la chercher, cette perfection plane encore aujourd’hui. Elle nous empoisonne bien la vie. Toute une interprétation du monde s’est greffée sur ce mot, entraînant les guerres de religions, la révolution industrielle et bien entendu l’industrie du luxe comme de l’art. Faire croire qu’il puisse exister une idée de perfection due à la ténacité, à l’acharnement, a l’inspiration comme à la grâce m’a toujours révolté dans le fond. Parce que les yeux rivés vers cet ailleurs, on ne voit rien souvent de ce qui nous entoure. Alors qu’il n’y a qu’à regarder seulement pour la voir cette perfection telle qu’elle est. Perfection, réalité, l’être, la nature... évidemment ce ne sont que des mots placés dans un texte, ce sont toutes ces esquisses, ces ébauches, ces négatifs rangés dans des boites, des placards. La perfection n’est rien d’autre que ce qui est voilà tout, elle déborde de beaucoup l’idée que l'on puisse la voir au travers de la lorgnette d’une série. Liens utiles [] http://expositions.bnf.fr/atget/arret/20.htm [embed]https://youtu.be/8Nh_gMvhLvE[/embed] https://www.tierslivre.net/ateliers/author/ateliers/ Ce texte est inspiré par une proposition de François Bon #photofictions. En périphérie de la consigne, mais sûrement utile pour pouvoir l’aborder ensuite avec l’élan qu’elle nécessite.|couper{180}
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Visages imaginaires
Visage imaginaire premier jet huile sur toile septembre 2022. J’aime peindre des visages sans modèle, des visages imaginaires. Au-delà de la représentation classique du visage, je suis être attiré par quelque chose qui tient plus du domaine de la peinture en elle-même que de la représentation. Peut-être une recherche d’équilibre entre l’habileté et la maladresse, entre le conscient et l’inconscience, entre une vision enfantine et une vision adulte de ce qu’évoque le mot visage. J’ai été sollicité pour exposer ces visages à la tour d’Orlienas (69), au mois d’octobre. Après la surprise, la joie éprouvée par cette proposition, je m'aperçois de l’inquiétude qui m’envahit graduellement concernant ce travail effectué. La part enfantine prend de plus le pas sur celle considérée comme adulte. Le recours aussi est le même qu’autrefois pour y mettre un terme. Cette obsession est revenue depuis plusieurs mois déjà. Que quel que soit ce qui peut advenir, je suis ok, prêt à mourir. Cela peut paraître exagéré, grandiloquent, mais c’est bien de cela qu’il est question en vrai. Une sorte d’extrémisme qui ressort comme un diablotin de sa boîte agité par le ressort des contingences.|couper{180}
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L’éblouissement abrupt
Huile sur panneau 1980 Pierre Tal Coat. La différence entre photographie et peinture est sans doute située pour beaucoup dans le temps de l’éblouissement. La plupart du temps ce qui pousse à appuyer sur le déclencheur s’effectue à l’aveugle. Quelque chose happe le regard en dehors du viseur que l'on cherche à capter en le cadrant plus ou moins au travers d’un rectangle ou d’un carré. Un éblouissement premier qui s’est déjà enfui quand on appuie. A ce titre j’ai aussi abandonné la photographie suite à la prise de conscience qu’elle n’était qu’une tentative de se souvenir de cet éblouissement. Et, partant de ce constat qu’elle n’est qu’une interprétation subjective, donc peu fiable de ce qu’est réellement cet éblouissement. La photographie œuvre sur le passé, et quand bien même réglerait-on la vitesse d’obturation à son maximum de rapidité, il y a toujours un temps de retard par rapport à l’événement, cet éblouissement. Temps de retard qui est un gouffre, une béance que l'on cherche ensuite à combler par la pensée par des préoccupations plus ou moins esthétiques dépendants de l’air du temps, de la mode. La peinture au contraire me semble plus en adéquation, plus en synchronisation avec l’instant. Je ne pars pas d’une nostalgie lorsque je peins. La peinture n’a pas besoin de cause. Je me lance dans la réalité de la peinture et l’éblouissement vient alors naturellement en cours de route. Parfois, je ne le vois pas, je suis aveugle. Car souvent lorsqu’il se produit, il me faut une distance pour m’en apercevoir, et pas seulement les quelques pas qui vont m’éloigner de la toile punaisée au mur ou posée sur un chevalet. Cette distance, c'est du temps aussi. Parfois des jours, des semaines, des années. Soudain, je le vois enfin. Cet éblouissement est là, comme s’il avait toujours été là et qu’il m’attendait patiemment. Abrupt, c'est vraiment cela. C’est d’un seul coup. Quelque chose qui s’effondre pour laisser surgir. Et, ce qui s’effondre, c'est le regard que l'on porte sur les choses et qui n’est pas notre véritable regard. Quand ça s’effondre, l’éblouissement surgi et c’est un regard non pas nouveau ou neuf qui entre ainsi en contact avec le vertige. C’est simplement notre regard tel qu’il a toujours été, mais occulté par tant de filtres qu’on l’aura aveuglé sans même en prendre conscience. C’est par hasard hier que je suis tombé sur une vidéo [embed]https://youtu.be/XC-UGNau54o[/embed]et qui m’a soudain ramené dans cette admiration éprouvée pour le travail de Pierre Tal Coat. Qui m’a aussi rappelé la vertu de ces longues marches que j’effectuais dans la ville et dans la campagne sitôt que j’avais l’occasion de le faire. Le rythme rapide, parfois si accéléré de la marche qui naît inconsciemment et que je ne m’expliquais pas. Parfois presque à courir sans savoir pourquoi. Tal Coat fournit une explication par ses toiles. Pour perdre justement le regard que l’on a l’habitude de poser sur les choses. En accélérant le pas, on peut parvenir à distancer l’habitude de voir d’une certaine façon et l'on en découvre plusieurs autres qui toutes finalement convergent vers cet événement abrupt qu’est l’éblouissement, c'est-à-dire des retrouvailles finalement. La peinture ressemble à marche, sans doute que je m’égare de la même manière sur la toile que je m’égarais dans la ville, la campagne pour me désembourber des buts, souvent créés par la contingence. Contre toute attente, poussé par celle-ci, pour me rendre au travail, je parvenais avec un peu entraînement à m’égarer aussi. Il suffisait alors de prendre le temps suffisant, tailler la durée de manière plus large avant d’atteindre le lieu de l’enfouissement, le lieu du travail. Une question vient ensuite de savoir si cet éblouissement peut se transmettre via la photographie, la peinture, l’écriture, n’importe quelle activité humaine finalement. Oui, je peux le constater de manière aiguë en revisitant le travail de Tal Coat. L’éblouissement est toujours là, il ne change pas. Nous devons perdre les écailles que nous avons sur les yeux pour le rencontrer. Ce n’est pas une affaire de volonté. Combien de personnes en voyant ces peintures ne verront que des croûtes... beaucoup certainement. De plus, il y a là un écart qui peut expliquer le malentendu entre le grand public et l’art moderne. La nature de l’éblouissement, sa définition. Et, c'est un paradoxe aussi, car aucun mot n'existe justement pour le décrire. Quand j’expose mon travail de peintre, je m’agace souvent d’entendre les mêmes réflexions, le fameux, c'est beaunotamment. Mon égocentrisme en est habituellement meurtri. Et, ce malgré tous les efforts effectués pour dépasser cela. Peut-être alors que je devrais me souvenir de ces mots que j’écris aujourd’hui à propos de cette affaire d’éblouissement. Ce constat qu’il ne peut se traduire par des mots. Ou alors des mots qui semblent à priori parce que tellement entendus continuellement sonner creux. Car l'éprouvant, les personnes ne peuvent le garder pour elles, qu’elles se sentent fréquemment obligées d’en parler avec le vocabulaire qui vient. Que ce ne sont pas les mots utilisés l’important, mais cette intention de dire oui, je l’ai ressenti moi aussi. J'ai pénétré dans le même éblouissement, merci.|couper{180}
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Revisiter la photographie
Nikkormat J’utilise aujourd’hui la photographie pour documenter ou illustrer des textes, essentiellement sur mon blog. Ou bien pour reproduire mes tableaux. Et, je m'aperçois, amené, dans le cadre de cette nouvelle proposition de François Bon, #photofiction, à devoir y réfléchir. Devoir m’expliquer, à moi-même d’abord, pourquoi j’insère une image plutôt qu’une autre. Quelle en est l’intention ? Et j’avoue que pour moi encore, tout ce qui procède des choix et des buts, se situe toujours dans le domaine de la confusion, du flou. J'aime ce flou justement, car je crois fermement qu’il déjoue toute velléité de but. Je crois de moins en moins aux buts. Au bout du compte, ma préférence va vers la vacuité si j’ose dire. Tenter de fournir une explication, à l’appui de mon parcours étrange avec l’objet photographique, mais également l’objet peinture, me semble simultanément vaniteux et foncièrement inutile désormais. Ce serait comme vouloir expliquer pourquoi je mets du jaune ou du rose à la surface d’une toile. Ce serait trahir l’instant où cette intuition surgie. Je crois qu’il y avait à la base, qu’il y a encore, une croyance probablement enfantine, mais que j’aime entretenir, envers et contre tout, notamment contre les bouffées de pseudo-lucidité qui parfois m’accablent en me traversant. Une vieille croyance en la magie de l’instant. Autrefois, dans une autre vie, j'ai exercé le métier de photographe. Ce fut le résultat d’une suite de circonstances fortuites. Cependant, au centre de laquelle, l’air du temps y est pour beaucoup. Un point central invisible dû à un angle mort puisque le cône de vision d’alors se focalise sur la brillance des légendes que l’on s’invente jeune. Des modèles que l’on installe en points de fuite pour dessiner une perspective. Ansel Adams, Doisneau, Cartier Bresson, Édouard Boubat, Willy Ronis... et plus tard Dytivon, Depardon, Gamma, Sipa, Viva, l’agence Vue du journal Libération… J’étais loin d’imaginer lorsque j’ai acheté mon tout premier appareil photo, un vieux Nikkormat d’occasion, chez Prophot boulevard des Filles du Calvaire, pas loin de la Bastille où j’habitais, que cet objet allait changer ma vie. À cet instant où je me revois pousser la porte du magasin, cela me semble tenir un peu plus de la lubie, de la folie, que d’une intention véritable. Il me fallait ce Nikkormat absolument. Ce fut un désir impérieux. Dans quelques jours, nous rejoindrions Cork en Ferry. Alors, nous louerions un véhicule pour remonter doucement vers Galway dans le Connemara. L'Irlande était un rêve qui allait bientôt devenir réalité. Par ailleurs, je ne pouvais pas me résoudre à traverser la manche avec un Instamatic. C’était beaucoup trop cheap comme on dit désormais. Cet appareil, un legs familial, posé sur une étagère de la bibliothèque, semblable pour moi à une relique des temps enfouis, un fossile, symbole aussi comme bon nombre d’autres objets que les conditions de vie avaient changées, qu’elles s’étaient améliorées pour les membres de la famille. Les trente glorieuses, le plein emploi, une attirance étrange pour les gadgets, l’inutile, le superflu, le luxe. Aussi, m’étais-je mis en tête que faire des photographies à l’aide d’un appareil aussi désuet et chargé de symboles ne m’appartenant pas, relèguerait cet événement important de ma vie, ce voyage en Irlande, dans une catégorie inappropriée. Celle des choses faites une bonne fois pour toutes parce qu’il faut les faire. Il faut les faire pour éprouver une sensation de vivre ou d’avoir vécu. Pour se dire longtemps après les avoir faites que tout ne fut pas vécu en vain. Que l'on a bien profité. J’avais déjà à vingt ans ce genre d’appréhension. Lorsque je souhaite revisiter mon rapport à la photographie, je pense aussitôt à ce voyage en Irlande et presque immédiatement me revient cette appréhension. Toutes ces choses, ces buts que l’on se donne et qu’une fois atteints, obtenus, on collectionne, on nomme souvenirs, pour se rappeler qu’on les a vraiment vécues. Que cette vie ne fut pas simplement un rêve. Et, cette idée de documenter ce voyage, pour plus tard m’en souvenir, créait une gêne. Pourquoi faire des photos de voyage ? Pour se souvenir, pour prouver quelque chose ? Tout cela était en tâche de fond déjà depuis des jours. De plus en plus intensément au moment de toucher enfin au but, de sauter le pas, de s’assoir sur la banquette du train qui, parvenu à Roskoff, mènerait nos pas vers le Ferry. Et, vu ainsi, je cherchais à désamorcer une tendance que je tenais pour facile, forte et suspecte, celle de consommer un voyage. Comme pour déjouer une fatalité. Celle de mitrailler dans tous les sens, de vivre tous ces merveilleux moments l’œil collé à un viseur poussiéreux. Reproduire du même comme l’avaient fait mes parents, mes grands-parents, fascinés par la nouveauté du moment. Et, dans le but de quoi ? fabriquer de fausses preuves, ou une fausse monnaie. Cela représentait ce risque de revenir encore d’un rêve avec comme seul bagage la banalité, le déjà-vu. Et, aussi, le risque de réaliser toute une série de clichés dans le cliché sur le cliché. La fameuse notion du cliché ingurgité comme un médicament contre l’establishment, via les livres, les conférences de Gilles Deleuze, découverte de ces années 80, mal comprise, tout autant que la notion de lieux communs. C’est de cela qu’il est question quand j’évoque l’air du temps. Je me souviens encore de mon malaise à la vision des albums de photographies que l'on rangeait dans des tiroirs chez mes grands-parents, puis chez mes parents. Cette banalité, car voici comment j'appelais alors cette traduction photographique de la réalité. Par ailleurs, ils me mettaient surtout extrêmement mal à l’aise, parce qu'ils évoquaient non pas des scènes de vie, mais au contraire la mort. La plupart des personnes que l’on pouvait observer sur ces photographies en noir et blanc étaient mortes. Quant aux lieux, ils avaient tant changé qu’ils remettaient une fois de plus sur le tapis un vieux fantasme-enfantin – de durée, de fiabilité que j’aurais encore voulu entretenir pour Le Lieu de façon générale. Peut-être du même ordre que ce fantasme baudelairien pour l’immobilité. Cette translation d’un lieu que l’on s’est approprié en pensée, vers cette inquiétude qui naît de la réalité décevante sur laquelle on tombe lorsqu’on y retourne. Notamment quand on n’y reconnaît rien. Et, aussi, par ricochet, quand on ne s’y retrouve plus non plus soi-même familier. Mais, au contraire étranger, exilé. Cette expérience de l’exil tellement de fois vécues enfant. Et, toujours cette redondance, toujours la même étrangeté me sautant aux yeux, via les photographies de famille et qui, à terme, provoque la migraine. Le refuge dans un mal-être diffus. Et, pour botter en touche, pour tenter une diversion, le mot banal, qui me montait presque aussitôt aux lèvres. Banal ou déjà-vu mille fois douloureusement. Non, cette fois, je refusais que ce voyage se transforme en banalité à venir. Je voulais en faire une plus belle chose. Je voulais peut-être tout simplement coller au temps présent, prendre de bonnes photographies en imaginant qu’il suffirait de s’équiper d’un meilleur outil. Changer d’appareil, changer de focale, d’objectifs , de point de vue. C’était partiellement erroné évidemment. Mais, cette croyance m’a toutefois aidé les toutes premières fois pour oser appuyer sur le déclencheur du Nikkormat. En revenant d’Irlande, j’ai donné le film à développer au photographe du coin, rue Saint-Antoine. Et, quelques jours après, j'ai pu découvrir les images couleurs ainsi réalisées. Tout était là, rangé chronologiquement dans une boîte de plastique jaune. Des diapositives. Je m’étais trompé. Je croyais obtenir des photos tirées sur papier. Mais, je n’avais pas pris la pellicule adéquate. Cette erreur fut sûrement salutaire, car ce que je découvris bientôt en tenant ces petits carrés de carton entre deux doigts, les orientant vers la lumière de la fenêtre de l’appartement dans lequel nous vivions, mon amoureuse et moi, fut un vrai choc esthétique. Si j’avais obtenu des photos tirées sur papier, elles se seraient certainement confondues avec ce dont j’avais si peur... des photographies de famille rangées dans cette catégorie effrayante des choses réalisées et auxquelles on ne pense plus. Que l’on exhume une fois l’an pour se complaire dans la nostalgie. Elles auraient rejoint tout au plus le bric-à-brac d’un tiroir, dépossédées de toute valeur une fois la prise de conscience de leur réalité passable effectuée. Une disjonction claire, triste, malheureuse, du fantasme. Alors que là, ce fut un retour immédiat à la magie. Une ouverture soudaine sur l’éternité. Par la luminosité des couleurs surtout, bien plus que par les sujets, les cadrages les compositions. Je crois que je ne les ai regardées qu’assez peu ces diapositives. Les tout premiers jours seulement. Un jour, elles sont parties avec cette amoureuse et jamais, je n’ai revu ces couleurs si magnifiques, symbole d’une période par ailleurs si difficile, mais parfois aussi illuminée de moments fabuleux. De même que je ne suis jamais non plus retourné en Irlande. Néanmoins, à partir de cet événement, la passion pour la photographie devint une obsession. Je ne l’abandonnerai qu’avec l’arrivée des premiers appareils numériques dans les années 90. Invoquant le fait que l’équipement était trop coûteux pour ma bourse. Ou bien que les tirages obtenus ne proposaient jamais des noirs assez riches, jamais suffisamment profonds. Mais ce n’était que des excuses bidons. La vraie raison pour laquelle j’ai arrêté la photographie, fut la même que pour arrêter l’alcool, l’écriture, dans ces mêmes années : la sensation aiguë d’une immaturité sans doute qui me contraignit à avancer enfin, sans filet, sur la corde raide de la réalité, et rejoindre un fantasme tout aussi commun que pour bon nombre. Devenir adulte. Une chimère de la même nature que toutes les autres précitées. Tout n’est-il pas ainsi de l’imagination dans l’imagination ? Existe-t-il autre chose que cette imagination ? Nous ne sommes peut-être rien d’autre qu’imagination et il faut l’accepter, c’est probablement une des difficultés les plus hautes à gravir, ou à dévaler. Et en même temps c’est certainement toute cette imagination qui en produit l’émotion, l’effroi et la beauté.|couper{180}