En abyme
Détail du tableau les époux Arnolfi. Jan Van Eyck.
Si la série est un déploiement horizontal du même ou du semblable, la mise en abyme s’en rapproche mais, dans la profondeur, par sa nature fractale. Utilisée en géométrie pour indiquer une possibilité d’infini, celle de reproduire une même forme se contenant elle-même sous diverses échelles. Forme étant aussi contenue à des degrés que l’on peut ainsi imaginer plus grands et qui nous dépassent. C’est la représentation du double sens de cet infini, vaste comme petit, deux directions se rejoignant dans le mot abîmé que l’on écrit avec un i cette fois et non avec le y subsistant de l’orthographe première. Quelque chose d’abimé par rapport à une forme tenant le haut du pavé d’un premier plan. Forme première si l’on veut mais fausse mathématiquement car on peut imaginer d’autres répétions de celle-ci en amont. Et, qu’une fois qu’on la découvre non plus première une seule fois, elle recule elle aussi dans l’abime.
La mise en abysme : Terme provenant de l’héraldique, l’art de créer des blasons.
Ce procédé qui me fait penser à une tentative picturale d’indiquer la nature fractale de l’infini provoque une inquiétude concernant la définition que j’utilise pour ce mot même. Car ne s’agirait-t’il pas plutôt d’indéfini que d’infini. On ne sait plus dire la valeur du motif pas plus que celle du plan où celui-ci est placé. Au bout du compte le motif répété à différentes échelles semble annuler toute velléité de hiérarchie, d’importance. Ce n’est plus tant dans la représentation du motif que se situerait le désir de donner de l’importance. Mais, on se tiendrait face à un déploiement de cet objet de désir et qui, se déplaçant dans les deux infinis, finit non seulement par nous échapper puis à disparaître totalement. Perdant son objet qu’advient-il de ce désir ? Ne devient il pas alors l’ultime objet d’observation lui aussi. Un mat planté sur le radeau d’un naufragé et auquel il ne peut rien faire d’autre que de s’y ligoter.
En se plaçant en tant qu’observateur de ce phénomène, on s’imagine facilement s’en tenir en dehors. Sur la paroi en face de Mona Lisa dans une étrange pénombre, il y a je crois toujours, la grande toile de Jericho. On croit se tenir ainsi à l’extérieur de l’objet d’un désir, d’une envie ainsi raisonnablement. Et, même en avoir le contrôle d’une certaine façon. Ainsi le photographe qui cadre une scène dans son viseur, le peintre qui place une toile rectangulaire sur son chevalet, l’écrivain qui écrit un texte sur tel ou tel sujet sur une feuille de papier ou un logiciel de traitement de texte. Si l’on observe ces actions d’un point de vue extérieur, on ne se rend pas compte. Les acteurs non plus. Chacun pense agir selon une volonté, des choix, des renoncements..
Mais, si l’on déploie le résultat de ces actes effectués sur une vie entière, est-ce que l’on ne peut pas finalement éprouver le même vertige que face à une image créée à partir de fractales. Et, à partir de cette observation s’interroger sur la nature de la conscience. N’est-elle pas de nature fractale aussi. C’est à dire que quelque soit le moment où l’on pense être conscient de quoique ce soit ce quoique ce soit nous échappe malgré tout encore. Ce qui nous place immédiatement en abyme nous et notre conscience de ce fait. Qui nous place dans cet indéfinissable, cette étrangeté. Être conscient de quelque chose est une chose, être conscient d’être conscient de cette chose en est une tout autre. Et, d’une certaine façon accepter de s’abîmer semble être la solution que personnellement j’ai choisie pour adhérer au mieux selon mes moyens au phénomène naturel universel.
La difficulté provient sans doute d’un malentendu, comme souvent, entre les mots abyme et abîmer. Enfant j’entendais continuellement que j’abimais tout ce qu’il y avait autour de moi ce qui pour mes parents signifiait mettre en mauvais état les choses.
Ils avaient ainsi la sensation que je détruisais tout ce qu’ils avaient construit avec peine. Cette hiérarchie de valeurs comme la préciosité de certains objets qu’ils avaient mis du temps à acquérir, à créer, à construire. Ils ne comprenaient pas que je m’oppose par réflexe, aux diverses valeurs sur lesquelles ils s’appuyaient pour vivre. C’était selon eux comme si je n’accordais d’importance à rien et donc pas même à eux, sauf à repousser tout dans cet abîme qu’il craignaient tant, cet indéfini, cet indifférencié. Il devait certainement au début de tout cela y avoir à quelque chose de pathologique ou de diabolique dans cette volonté d’abîmer, inconsciente le plus souvent. A mon avis désormais sûrement du à la violence avec laquelle cette hiérarchie et de ce fait un pouvoir était imposés. Et, aussi, si je voulais ainsi tout abimer ce n’était pas totalement vrai que ce fut par pure méchanceté ou vengeance, par ressentiment. Mais, bien au contraire. Parce que je pouvais capter la souffrance créer par ces choix et ces renoncements. Je cherchais à comprendre ce qui les avaient contraints dans un carcan de valeurs comme dans un intérieur se voulant atteindre à un but inadapté, factice. Un intérieur bourgeois oserais-je dire. Cette mise en abyme que je percevais déjà entre les différentes générations de ma propre famille tournait, je crois, autour du motif récurrent de la misère. Il y avait ceux qui l’avaient endossée comme une donnée constante de leur univers, tous ces journaliers que j’ai pu apercevoir dans les recherches généalogiques effectuées par ma mère. Et, ceux qui avaient essayé de la fuir en imaginant que socialement, par la rigueur, la ténacité, la rage, la constance, le travail on pouvait ainsi y parvenir. Avais-je perçu déjà enfant cette erreur de logique, qu’ils nageaient dans une illusion ? Et, surtout combien cette croyance que l’on pouvait s’en sortir seul. Sans vouloir tenir compte du contexte social. Le niant, s’en moquant même à haute voix. Sûrement pour renforcer plus encore cette illusion. Et je peux encore me souvenir comment tout sonnait faux à mes oreilles d’enfant. Je percevais plutôt le non-dit de la misère derrière tous les slogans. Comment l’invention de cette misère avait fait tant de ravages ? Car dans le fond, ils l’avaient très peu connue vraiment. Un peu durant la guerre et encore, la misère à la campagne, rien à voir avec la misère en ville. Ce que l’on découvre soudain c’est que l’idée de cette misère sert davantage à fonder l’idée d’une sécurité voire d’une opulence. Et, qu’elle sera transmise cette légende de générations en générations. Il me semble que j’ai fait de cette misère par conséquent un cheval de bataille. En y revenant sans arrêt, la traquant comme une bête, un de ces dragons de légende. J’ai voulu savoir ce qu’était cette misère et la peur qu’elle avait inspirée à tant de générations précédentes avant moi. Je me suis laissé glisser comme un de ces motifs que j’évoque au début de ce texte dans une géométrie, je me suis abîmé dans la misère. J’ai toujours été frappé de constater qu’en dehors de France, en dehors de l’Europe les gens vivent souvent bien plus modestement. Dans ce que l’on peut même nommer la pauvreté. Mais, ils ne la considèrent pas comme étant la misère au contraire de nous. Sans doute parce qu’ils ignorent totalement ce que sont la sécurité et l’opulence.
Aujourd’hui encore ce n’est pas la misère qui me fait peur ou créer en moi la douleur, mais la façon surtout dont les gens tout autour de moi continuent de l’évoquer à mi-mots. Cet agacement que provoque l’angoisse, l’inquiétude, les fins de mois, le moindre courrier désagréable. Cette angoisse qui me vient lorsque pour des raisons de rôle à jouer dans un système conjugal par exemple la bonne manière est d’épouser toutes ces angoisse puis de bêler en chœur. Ce dont j’ai absolument horreur. Contre quoi je me rebiffe ce qui crée souvent des d’orages. Mais, ensuite ceci dit, je rentre dans mon atelier comme un Bernard-l’ermite en sa coquille. Je m’abîme dans la peinture et l’écriture. C’est sûrement très égoïste vu de l’extérieur. Cependant je ne crois pas que l’on puisse transmettre l’expérience de la misère aux autres. Ils ne la comprendraient pas, occupés qu’ils sont à la réinventer encore et encore pour mieux aiguiser leurs rêves d Eldorado.
Il serait nécessaire d’étendre cette notion de mise en abyme à l’écriture même de ce texte. De comprendre comment il se relie à tant d’autres écrits comme à ceux qui viendront par la suite. Comment les idées, les contre vérités, l’illusion elle aussi finira par reculer de plan en plan et sans doute s’evanouira happée dans l’indéfinissable. C’est aussi une raison d’écrire. Une raison comme une autre. Ensuite le jeu des supputations, des interprétations, pourra commencer le cas échéant. Occuper le temps ainsi permet certainement aussi d’avoir la sensation de le passer utilement ou pas. Mais cela regarde chacun. Ce cela tellement indéfinissable.
Texte parallèle qui provient de réflexions effectuées sur les relations entre photographie et écriture, dans le cadre d’un atelier d’écriture, #photofictions une proposition de François Bon, Tiers Livre éditeur et site.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}