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Revenir chez soi

Embarquement sur le Ferry (Fastferries) port de Gavrio, Andros. Pour résumer les vacances, une fuite, un saut dans le vide, une urgence de s’enfuir loin des soucis. On monte sur un nuage, un tapis volant, vite vite plus loin. Oui mais voilà tout a une fin. Et il faut un moment ou l’autre revenir chez soi.|couper{180}

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Le secret des chasseurs

Elan blanc Durant toute sa vie, le vieux Saul avait chassé pour nourrir sa famille. Toute sa vie, il avait pris la chair, le muscle, le nerf, la dent, l'os, les plume et les poils des êtres animés dans la taïga, la grande forêt. Le vent s’était levé, venant du Nord et dans le bruissement des feuillages des bouleaux, il y avait reconnu l’appel. Cet appel si caractéristique que l'on ne pouvait comprendre cette caractéristique que lorsque, pour la première et dernière fois, un chasseur l’entendait. Nombreux avaient été ceux qui en parlaient déjà lorsqu’il était enfant. Ils en parlaient entre hommes, entre chasseurs, il était le secret auxquels femmes et enfants n’avaient pas accès. Du moins c’était la règle, faite pour délimiter ou inciter. Puisque bien sûr Saul avait surpris un soir le secret en cachette alors qu’il avait été réveillé par un cauchemar et qu’il était allé chercher de l’eau pour se laver la bouche du goût de la peur. Quand tu entendras l’appel dans le vent, il te faudra te préparer, ce sera le moment de rendre à la forêt tout ce que tu lui as pris, Saul avait écouté le long silence qui avait suivi l’énonciation du secret. Seul le crépitement du bois dans l’âtre continuait à peupler le silence. Puis une personne décida de mettre fin au silence et l’enveloppa dans un chant pour le renvoyer à la nuit. Saul avait senti son cœur se serrer en écoutant sa beauté et en retournant sur sa couche cette nuit-là, il avait vraiment peiné à retrouver le sommeil. Plus tard, il recommencerait à surprendre cette parole, il s’approcherait encore de ce secret. Enfin, homme parmis les hommes, chasseur parmis les chasseurs, il comprendrait. Le monde avait grandement changé depuis cette première fois où il avait surpris l’échange. Bien des chasseurs étaient partis dans l’espoir d’une vie meilleure vers la ville. La ville offrait tout ce que l'on pouvait espérer, de la sécurité, de la nourriture, des toits plus résistants aux intempéries. Et, même quantité d’autres choses dont à la seule vision, on éprouvait une urgence du besoin. Mais, ces besoins n’avaient que l’apparence du besoin, des objets pour se divertir, pour passer le temps. Des objets et des besoins qui graduellement créaient l’oubli. L’oubli de la forêt. L’oubli de l’immensité du ciel. Et, bien sûr, l’oubli que dans cette viande que l’on achetait, il y avait eu des êtres, des esprits. C’était cette base fondamentale que l'on ne respectait plus. L’apparente profusion proposée par la ville cachait un secret, elle aussi, on y perdait la liberté, la sensation de vivre, et au bout du compte cette richesse n’était qu’une voie d’appauvrissement de l’esprit. L’esprit qui animait toute chose et êtres, l’esprit n’était plus pris au sérieux, on le reléguait dans un mot qui le réduisait à si peu, l’imagination. Désormais les hommes n’avaient plus de la taïga, de la chasse, des nuits fabuleuses qu’un tout petit tiroir installé au fond de leur cervelle, l’imagination. Et, on leur apprenait de nouvelles choses utiles pour oublier l’inutile. Pour devenir utiles, surtout à construire des objets dont on n’avait nul besoin véritable. Saul avait vu partir à la ville ses deux fils et lorsqu’ils revenaient vers lui, il ne voyait pas dans leurs yeux qu’ils se réjouissaient. Étaient-ils même vivants encore, leurs regards ne brillaient plus comme avant, et la lueur qu’il y surprenait était celle de la faim. Aucune viande ne pourrait rassasier cette faim. Le tribut à lui offrir serait bien plus grand que tous ceux qu’ils auraient pu donner en l’accompagnant dans la forêt pour tuer l’élan ou le castor. L’amertume avait envahi les pensées de Saul et il décida de la chasser en s’enfonçant au plus profond de la forêt pour retrouver ce contact que tant d’autres avaient perdu. Le temps commençait à changer, on s’enfoncerait bientôt dans l’hiver, ce serait un des plus rigoureux vu l’accumulation de signes qu’il avait appris à lire dans la nature. L’élan apparu à cet instant où Saul mettait en joue son amertume. Un grand élan blanc couronné de bois imposants qui s’abreuvait à la rivière. Quel animal magnifique, se dit-il, c’était la première fois qu’il en voyait un de toute sa vie de chasseur. Tout autour d'eux, les bouleaux et les sapins retinrent leur souffle, car le vent du Nord avait délivré son message. Le vieux chasseur remercia sa vision, l’amertume l’avait quitté. Alors, comme il se doit, il laissa là sa chair, ses muscles, ses os sur la berge, comme une juste rétribution à la forêt, puis s’en alla.|couper{180}

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L’autorité

Peinture à l’huile 2021 pblanchon Par la sonorité du mot, par sa lecture de l’ouïe ou de l’œil , attentive, plus ou moins habitée, et maintes fois renouvelée, il arrive qu’on parvienne à saisir de façon très fugace une relation entre le mot autorité et le mot auteur. Il n’est pas idiot de songer que l’auteur dans un tel cas ait affaire avec l’autorité. C’est même probablement au travers de la manière dont l’auteur considérera cette autorité, qu’il se laissera utilisé ou l’utilisera qu’on pourra considérer qu’il est attirant, intéressant, ou repoussant. Ou qu’il nous indiffère. Que la toute puissance d’une telle autorité se manifeste d’une façon grotesque n’est pas rare. Encore faut-il qu’il y ait encore un tout petit peu de monde auquel le grotesque saute aux yeux. Qu’un auteur devienne imbu de lui-même, du seul fait d’avoir commis l’erreur de croire que l’autorité lui appartenait est de tout temps une banalité. Et cette banalité, cette évidence, s’enfonce sans doute d’elle-même dans le silence commun à son égard. Sauf pour les jeunes critiques qui feront feu de tout bois pour lisser leurs jolies plumes. Il en va de même pas seulement des auteurs mais de tous ceux qui, de près ou de loin, se donnent ou éprouvent la charge de vouloir s’exprimer. Et ce que ce soit publiquement, comme dans l’intimité. Ce qu’on nomme l’autorité n’appartient à personne, elle est même susceptible d’appartenir à tous. Elle est une donnée au même titre que sont des données l’air l’eau la terre et le feu. Un element naturel, une puissance, un esprit. Et en tant qu’élément elle ne fait pas de différence entre les êtres, elle les aborde, les habite ou les quitte à son grès. Elle ne peut être un bien, une possession. Et pourtant elle se confond aujourd’hui avec la propriété,la loi, des verbes d’action autrefois compréhensibles par tous comme gouverner, protéger, accompagner. Du temps où les mots avaient encore un sens, une définition, et où le sens la définition appartenaient à cette croyance que le mot représentait la chose, que les mots, le langage pouvaient créer une traduction fidèle de la parole de Dieu et du monde qui par le verbe avait (ainsi fut-il) crée. On peu même imaginer bien plus loin en amont, des femmes et des hommes qui, démunis absolument aient pu confié en sagesse cette autorité qu’ils percevaient à des dieux, des esprits, des fantômes de toutes sortes, de justes avatars ou acabits., ils l’auraient à bon titre imaginé dans des sociétés où le juste corrélait l’idée nette d’un faux. Sans doute n’était-ce pas mieux que de nos jours ou l’autorité n’appartient plus qu’à une poignée qui s’en sert comme d’une fille publique pour en être la mère maquerelle, la proxénète. Le grotesque, l’absurdité, le ridicule, forment une galaxie terrifiante plus on se rapproche de ce que l’humour, la dérision, l’ironie, voudraient atténuer ou masquer. Une ignominie, une escroquerie d’ampleur mondiale ni plus ni moins. Et lorsque on constate l’arrogance, le mépris, l’inhumanité causé par la perversion de l’autorité alliée au simple pouvoir, l’énergie qui nous traverse se heurte à des obstacles naturels eux aussi. La tristesse, la colère, la dépression ne sont rien d’autre que les manifestations d’obstacles à l’écoulement du flux comme les sont les souches, les rochers posés en travers d’une rivière. On aimerait penser qu’en levant tous ces obstacles nous bénéficierions d’un monde meilleur, que nous deviendrions par décalque meilleurs nous mêmes. Ce serait ne pas comprendre l’autorité de l’univers, et de vouloir encore l’utiliser à notre guise, c’est à dire maladroitement. L’autorité n’est jamais entravée dans l’absolu de son idée. Ce sont seulement les êtres qui s’entravent eux-mêmes dans les malentendus surgissant à son contact. En tant qu’auteur de quoi que ce soit puisque c’est ainsi qu’il est dit désormais : auteur, créateur, poète, peintre, entrepreneur, homme politique, gouvernant, élu, balayeur, marin au long cours, nous devrions souvent nous poser la question de l’écart que nous commettons en toute inconscience avec l’idée d’autorité. L’autorité qui nous traverse nous sollicite, ne le fait pas gratuitement, il y a toujours un tribut à lui offrir en échange. Réfléchir à ce tribut c’est aussi savoir ouvrir l’œil sur ce que nous écartons le plus souvent, c’est à dire le pire. Et il est aussi intéressant d’étudier ce pire qui diffère pour chacun d’entre nous. La postérité étant constituée d’abrutis probablement très semblables à nous, on ne devrait peut-être pas s’enticher de l’autorité pour obtenir gloire, mondanités, éphémères, comme on semble l’oublier souvent. Mais plutôt aiguiser tous les sens, le corps tout entier, puisque nous ne possédons véritablement que lui, et dans cette nudité, cette apparente pauvreté, nous laisser habiter par l’autorité pour agir en son nom tout en nous effaçant le plus possible. Inutile de vouloir à tout prix et en quête de profit pénétrer l’impénétrable qui tisse les fragiles et dérisoires sentiers de l’autorité.peut-être que tout ce que nous pouvons faire est de rester debout en les arpentant.|couper{180}

L'autorité

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Mots dits, mots lus

Peinture à l’huile 2022 PBlanchon. (Collection privée) L’intonation avec laquelle sont exprimés les mots dans la rapidité du présent rend captive l’attention. C’est ainsi qu’il ne peut vraiment s’appuyer sur une définition. La définition serait le plus authentique point de ralliement. Problème proposé par le temps, il n’a pas le temps. Ni le loisir d’étudier ce que signifie le mot tant l’intention qui semble vouloir se dissimuler derrière celui-ci, tout au contraire, s’exhibe. C’est souvent à mi-mot que l’émotion l’emporte sur la raison. Que toute définition s’abîme ou s’effondre sur elle-même. La façon de prononcer, l’énergie, la conviction, ou l’hésitation, toutes les modulations de l’air par la voix qui sort de la bouche, du corps, accompagnée d’une infinité de signes contradictoires, tremblement d’une lèvre, clignement incontrôlé de paupière, œil plus ou moins révulsé, modification du blanc autour de l’iris, de la prunelle, rôsissement des cornées où, au contraire, leur pâleur subite. Le regard tout entier s’ébranlant en spirale,telle une galaxie, un cosmos dans lequel s’affrontent des forces mystérieuses que l’on résout en toute hâte en pour ou contresi mécaniquement, et qu’on délaisse, écœuré justement par ce noir ou blanc. Trop tranchée cette information peu fiable par sa réduction binaire, on part alors en quête de nuances, pour s’en aller vers la totalité du corps de l’autre, chercher surtout ce qui peut faire tellement peur d’y trouver comme de ne pas y trouver. Essentiellement de l’amour alors qu’on peine tant à en saisir toutes les déclinaisons. Ce gouffre inouïe des mille et un signaux tellement contradictoires dans le son, le timbre, qui accompagnent le mot. Et surtout la rapidité, la fugacité. Tout événement se précipitant aussitôt dans un autre, comme la pluie, la grêle, une intempérie, noyant ainsi toute possibilité d’immobiliser le mot, de le décortiquer pour en étudier son origine, sa nature, son genre et surtout une signification irrévocable. Indiscutable. Être enfin rassuré par cet aspect indiscutable en cohérence enfin avec la voix et le corps. Être enfin rassasié du juste. Mais non. Impossibilité chronique d’arrêter la vitesse à laquelle les mots se ruent de la gorge vers l’ouïe, le cœur, la cervelle, fracassant en furie, dans l’intervalle, cet espace qui devient un désert,toute velléité de compréhension. N’est-ce -ce pas ainsi que naquirent la crainte, la méfiance, la panique si souvent. Panique synonyme à portée d’oreille de refuge. Tanière de la panique dans laquelle on se recroqueville en chien de fusil, en fœtus, recréer ainsi en soi un silence et sentir encore les coups de boutoir de la confusion, de la désorientation sur les parois de cet œuf spontané. N’est-on pas au meilleur endroit qu’à l’intérieur de l’œuf panique pour observer tout ce qu’exprime de manque le vent du murmure, la tempête du cri, des hurlements. N’est-on pas ainsi dans le plus juste des accords, panique contre panique. Éprouver de cette réaction magique comme une ivresse, un étourdissement en sus. Que faire ensuite de ce silence où on est seul, comment savoir son espace, sa limite, sa périphérie. Les livres sont une représentation concrète de ce silence. De la panique comme de l’ivresse. Il est possible d’en attraper un à mains nues, de l’immobiliser durant une durée plus ou moins longue selon un temps d’horloge. Et enfin de l’ouvrir comme on ouvrirait un coffre à trésors. La première phrase des livres, en ce temps là , commençaient presque toujours par un sésame qu’on prononçait lentement pour soi. Le tant fameux il était une fois merveilleux gardien du seuil qui lui offrait une place sur le bateau ivre de la lecture. Pas besoin de posséder la moindre pièce d’or ou de bronze pour rétribuer l’invisible passeur. Il n’était de monnaie que les heures, et l’attention renouvelée, une sorte d’insistance à s’appliquer à relire de nombreuses fois la même histoire, toujours pensant avoir lu comme dans la vie, bien trop vite, toujours sachant qu’on s’était fait capturé par l’émotion, exactement comme dans le temps des montres attachées au poignet. Il possédait peu de livres et cela n’avait pas d’importance. N’en eut-il possédé qu’un seul cela n’aurait rien changé vraiment. N’importe quel livre est une béance à traverser de part en part. Mille fois refaire la même route du regard afin d’entendre enfin ce que toute béance a à dire. Pour naviguer en celle-ci le seul mât auquel s’attacher est crée par les mots écrits noir sur blanc. Du noir et blanc encore mais qui laisse cette fois l’opportunité d’apercevoir les gris, de les fabriquer, les effacer, les recréer encore et encore, on espérait à l’infini, ivresse des gris, créés par les lettres noires sur la page blanche. Une fois qu’on parvenait enfin à la fatigue, au risque du sommeil, d’avoir tant lu et relu, le livre sans prévenir nous tombait des mains. Même histoire que celle d’Ulysse. On peut y voir une sirène se jetant de lassitude ou de dépit ou d’un trop plein d’euphorie, à la mer. Le livre la sirène et soi ne font plus qu’un, on est prêt alors à clore les paupières, on a touché à un mystère et on sait de mieux en mieux s’endormir avant de s’enfoncer trop loin dans ce mystère. Ensuite le rêve est la couche supérieure de l’activité de lire, toutes les cartes se dissolvent comme un brouillard, de grandes portes d’airain s’entrouvrent sans bruit et l’on file, on vole, dans un nouveau silence plus vaste encore que tous ceux offerts par l’univers diurne. C’est au travers de ce pays familier qu’on retrouve nos véritables ennemis, nos véritables alliés. Nul besoin de mot pour les désigner on les connaît par coeur immédiatement. L’immédiateté est ce timbre poste que l’on creuse avec la pelle des mots afin de trouver sa nature véritable, indiscutable : l’éternité.|couper{180}

Mots dits, mots lus

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Enfance du peintre

Photographie d’un fragment représentant un torse de femme, musée archéologique d’Andros Il aurait aimé leur dire tant de choses, mais les mots ne venaient pas. Ou alors les mots venaient, mais ce n’étaient pas ceux qu’il eut souhaités. Ils tombaient de guingois, maladroits. Était-ce possible d’être ainsi trahi par les mots, par ses propres mots. Souvent il se le demandait. A chaque échec, chaque déception, il se l’était demandé. Mais la seule réponse était un silence, alors lui aussi s’était tu. Il s’était enfermé dans ce silence. Et désormais les mots, tous les mots, venaient se briser sur les parois d’un silence, comme des gouttes de pluie à la surface d’une vitre. Le langage, les mots, n’étaient plus que les signes d’une intempérie qui durait, mais dont on pouvait se tenir néanmoins à distance, s’en protéger par le silence. Le silence comme un parapluie, un abri-bus au cœur de la ville. Apprendre à tenir dans l’immobile au cœur de la mobilité incessante Par le silence s’approcher ainsi du monde serait plus étonnant, plus étrange, plus amusant que triste. La tristesse était une possibilité d’égarement. une erreur, un réflexe dû à un écart hors de ce silence. Plutôt que de désigner les choses il préférait désormais s’abimer en la contemplation de celles-ci. Il en extrayait la croyance qu’il pourrait ainsi retrouver à la fois la paix et une sensation d’unité. C’était assez proche d’une conviction, d’une foi, les mots séparaient beaucoup plus qu’ils ne ramenaient à l’unité. Ils étaient cause d’incompréhension, de malentendus, de discorde la plupart du temps. Alors que la contemplation menait presque aussitôt à une euphorie. Et peut-être que tous ceux autour de lui qui utilisaient les mots, les utilisaient-ils de façon inconsciente, inappropriée, peut-être étaient ils victimes ou coupables, en toute inconscience, du même désordre, de la même confusion. Et que l’ensemble de ces écarts individuels effectués en dehors de l’abri du silence, tous ces risques inconsidérés, plongeaient toutes ces personnes dans la même sensation de tristesse, incapables désormais de retourner à la joie, à l’unité. Ils ne prenaient plus le temps de contempler, il se promit de le faire pour eux.|couper{180}

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Sans doublure

Certains acteurs dédaignent qu’on les remplace par une doublure. Ils se feraient même plaisir, paraît-il, de prendre des risques parfois inconsidérés au regard de cascadeurs professionnels. Ne citons pas de noms, on s’en fout. Allons si possible à la substance. À la singularité. N’est-ce pas suffisamment singulier que d’être riche, célèbre , beau par éclaboussement, et de vouloir prendre autant le risque de tout perdre. En l’occurrence perdre au mieux la vie et toutes les qualités précédemment citées. Au pire, rester handicapé tout le reste du temps, ce qui ne change pas grand chose à la chute, c’est à dire tirer un trait sur quelqu’un ou quelque chose qui fut soi. Sans doute peut-on y voir de la témérité, un zest d’arrogance, du courage ou de l’idiotie. On peut, de loin tout y voir, et c’est en cela que l’idée de la doublure renforce la notion de singularité. Tout y voir pour ne pas regarder en face le singulier. Pour s’en échapper. Évidemment un rapprochement peut s’effectuer avec le peintre, l’écrivain. Hier encore pour jouir de la dernière journée sur l’île d’Andros nous avons décidé de nous rendre à la plage et de louer transat et parasol. Pas ma tasse de thé vraiment mais cela vaut le coup parfois de se faire violence, surtout pour faire plaisir à autrui. N’est-ce pas ce qu’on nous enseigne au catéchisme, de devenir finalement une doublure acceptable épargnant ainsi l’autre de l’horrifique qu’exprime souvent notre nature contrariée. Évidemment qu’à première vue me retrouver à marcher pieds nus sur du sable bouillant et me faire rôtir la couenne entouré d’estivants alanguis ne me chaut guère. Alanguis non pas par le paysage magnifique, pas plus que sur cette presque imperceptible ligne d’horizon. Non, alanguis surtout dans la contemplation quasi permanente de l’écran de leurs smartphones. Et à subir également la vision du ballet bizarre des corps se retournant lascivement comme des steaks doués d’autonomie, non, évidemment ce n’est pas là, la la lère, la première idée que je me fais de la sinécure. Ce qui est le plus dur est d’être là allongé et de ne rien faire, sauf aller de temps en temps se rafraîchir, se baigner, pisser en toute impunité, joyeux, dans la mer. Heureusement pour moi nous sommes nantis d’une incroyable vie intérieure. Quand je dis nous j’inclus tout un tas de choses et d’êtres, l’inconscient. Et justement ayant visionné plusieurs entretiens la veille au sujet du réel, ma préoccupation du moment, j’en ai déjà parlé dans un billet précédent, je me mis à réfléchir, ou plutôt non, trop grand mot, à rassembler les morceaux de pensées éparses qui montaient de mon ignorance naturelle concernant à la fois la peinture, l’écriture, la philosophie, sur le sujet. C’est d’ailleurs à ce moment, autour de 13h30, cherchant l’ombre et m’y recroquevillant que je me suis dit que la philosophie me faisait chier. Je veux dire qu’assister à un débat entre Raphaël Enthoven et Clément Rosset, par exemple, avait même repousser mon point de vue sur l’idiotie, qu’il rejoignait l’horizon. Considération si vaste qu’il ne me gênerait nullement d’y installer désormais les presque neufs millards de mes contemporains et d’expliquer par ce biais cette capacité d’idiotie, l’ensemble des turpitudes, vicissitudes et agissements de notre espèce. Suite à cela je suis passé à autre chose, à la peinture, et j’ai tenté d’imaginer ce qui avait pu se produire au mois de juillet de cette année là, 1890. Avait-il il voulu se tuer vraiment, et dans ce cas pourquoi se tirer une balle dans le flanc et non dans coeur ou la cervelle. Ce genre d’idée. Et aussi comment il avait dû en baver des ronds de chapeau quand tout autour de lui célébrait l’impression alors que son unique désir était d’empoigner le vrai pour de vrai. Puis est arrivé Pierre Michon. Il arrive parfois que je trouve agaçant Michon. Sans doute par ce que ce qui m’agace chez lui c’est son mépris de la rhétorique alors qu’il n’est que rhétorique, tout comme moi d’ailleurs. Et que cette rhétorique bien sûr est une foutue doublure. Le fait qu’à 37 ans il se lance soudain dans la rédaction des vies minuscules comme on se jette à l’eau, c’est bien émouvant pour le métèque que je suis. Émouvant, voilà un mot qui vaut. Parce que l’émotion Bon Dieu est bien là, sous cette agaçante réthorique, et dont Michon ne cesse de jouer. Ce qui me le rend d’autant sympathique qu’il m’agace dans le même temps. Dans le fond être sans doublure, est-ce vraiment possible autrement qu’au cinéma, c’est une question encore à creuser comme on creuse un timbre poste.|couper{180}

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L’ignorance

Photo d’une petite tête trouvée à Paleopoli, Andros, Grèce. Croire, ne pas croire en quelque chose, le problème est souvent le quelque chose, c’est là que l’ignorance réside, dans la multiplicité des substantifs. Veau d’or et mêmes idoles. La foi n’est pas forcément liée au religieux, mais peut-être avant tout à ce qui nous anime. Si on ne croit pas au moins en cela, on est gagné par l’ignorance. On vit une mort. Et on se plaint. Quand l’ignorance se généralise, se dissimule sous des postures d’intelligence, c’est encore pis, on souffre le martyr. Martyr de l’ignorance, à breveter. S’en prendre à la vie est une maladresse, on ne s’en prend jamais qu’à soi-même, en raison de notre impuissance de ne pouvoir se hisser au dessus de nous-mêmes. Ensuite on peut volontairement être maintenu dans l’ignorance, et n’en rien éprouver qu’une gêne superficielle, un mal de vivre , tellement banal qu’on n’ose l’exprimer par pudeur. C’est ici le seuil. Peu le franchissent. Se mettre à nu. tellement lié à la peur du ridicule, l’élégance souvent le propre de la morgue, de l’orgueil, de la vanité, cette élégance là nous l’interdît. Comme c’est bien ficelé. Nous n’avons plus qu’à naître produire et mourir dans la merde chaleureuse de l’ignorance entretenue par de fieffées cochons pour qui la bauge est tout.|couper{180}

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La boue

Il a plu et il fait beau à nouveau, c’est un matin sans école, un jeudi. Tu dévales le grand escalier sans t’attarder à en observer chaque marche que tu connais par coeur, la main glisse légère sur la rampe noueuse de ciment armée sensée représenter du bois par son relief noueux et veiné. Tu jettes un regard sur la porte de la cave, bouche noire sertie dans un désordre de lierre et de glycine. Tu dévales le grand escalier qui mène depuis l’étage vers l’en bas, jusqu’à la terre assombrie par les pluies d’automne. De grandes flaques d’eau s’étendent comme des miroirs posés dans la cour. Mais tu ne te mires pas. Tu plonges les mains à l’intérieur pour aller racler le fond, en extraire un peu de boue. Grâce à celle-ci que de possibles, que de constructions. Tu échafaudes des palais, des forteresses, des canaux, plusieurs Venises avec de petits ponts, des Rialto. La boue élément indispensable, providentiel grace auquel la main trouve une intelligence pour construire la ville, mais surtout les ponts qui relient les rives, les gens, qui créent du trafic, de la communication. Tu peux rester là accroupi toute la matinée, personne ne viendra te déranger, te demander de jouer, t’ordonner quoique ce soit. Le père est sur la route, la mère dans sa nostalgie. Tu es tranquille, tu entretiens cette relation sensuelle avec la boue, que demander de plus ?|couper{180}

La boue

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Extraction

Photographie d’une tête abîmée par l’érosion du temps. Musée archéologique d’Andros, Grèce. Du mucilage visqueux du langage spontané, souvent proche de la poix à force de réduction dans la paresse, la durée, la répétition du même, la facilité cyclique de l’emploi des mêmes mots. Afin surtout ne pas s’aventurer dans l’inconfort. Extraire un esprit, une représentation, unique à la fois par la forme, la netteté, la brillance. Peindre, écrire, sont les moyens choisis pour comprendre cette volonté d’extraction. Au tout début, jeune, par un amour-haine des origines. Pour s’élever au-dessus d’une honte. Honte étant le sentiment premier, forme dévoyée du bel et inaccessible Amour, boiteux Dionysos, sentiment récurrent issu de toute confrontation avec les autres en général . Sans vraiment être vectorisé dans un sens ou dans un autre, peu importe riche ou pauvre, beau ou laid, intelligent ou benêt, mâle ou femelle.Mais la même gêne quelque soient les circonstances. Un malaise tout azimut. Peut-être un leg tellement précoce, congénital, comme si cette infamie se devait d’être tout de suite partagée dans l’urgence. Comme si famille et ignominie formait une nuit, un océan primordial, une soupe. Ce gluau qui te colle tout l’être dans un langage poisseux. Un mélange à la fois rassurant et effrayant par la totalité des apparences qu’évoque la sonorité des mots. Des mots comme des signaux, des alertes qui soudain sont hurlés quand justement l’apparence ne tient plus. Premières rencontres avec les mots d’ordre, ceux-ci servant de colle au silence des pierres, à l’écorce constituant l’arbre, la grotte, le foyer. Il serait sot d’imaginer encore que tout fut noir. La sonorité des mots, de tous les mots sans exception fut l’unique guide pour aller à la rencontre de l’Esprit. Esprit de la langue, esprit du monde, esprit de l’être, le Saint-Esprit. Comme un prisonnier s’en va à la promenade son boulet au pied. Ce n’était pas ambitieux, c’était inconscient alors. Mais c’est l’ambition de vouloir s’élever au- dessus d’une condition jugée misérable, honteuse, par les membres mêmes de cette famille toujours insatisfaite du moment présent, toujours se projetant dans une peur du lendemain. L’ambition les tenaillant tellement, elle ne pouvait être mon amie. Aussi au lieu de m’extraire peu à peu je marchais vers l’inverse, j’allais au contraire vers tout ce qui effrayait tant, la solitude, l’ennui, le manque. Une extraction à l’envers, pour tenter de sauver quelque chose. Mais alors incapable de poser un mot sonnant clair sur celle-ci. Cette incapacité me fut certainement d’un grand secours, comme les doutes, les hésitations, pour aller à la rencontre de mon propre langage mais encore fallut-il gagner en patience pour commencer à en extraire des connivences, une amitié.|couper{180}

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Revenir

Tatoueur, huile sur toile Thierry Lévy Lasne Tu vas tu viens tu reviens. Que ce soit au réel, ou à quoi que ce soit c’est l’idée de revenir toujours qui l’emporte. Un assassin revient toujours sur le lieu de son crime. Ensuite on se donne des raisons, des excuses, des prétextes. Mais on y revient c’est cela l’essentiel. Visionné deux conferences du peintre ThomasLévy Lasne suite à la requête “peindre le réel” sur Google. Juste pour voir ce que c.est que le réel, on ne sait jamais. Donc lui explique que le savoir-faire vaut mieux que le savoir dire, ce qui ne l’empêche pas de dire autour du prétexte du savoir-faire… un réalisme nouveau parlant du temps présent. Bon. Pourquoi pas. Cela lui vaut l’entrée à la villa Médicis et autres flatteries institutionnelles. Toujours bonnes à prendre tant la précarité artistique est toujours présente, même si on possède déjà une certaine notoriété. A croire que la précarité est une des conditions nécessaire pour peindre. Oui d’une certaine façon la précarité oblige à trouver des moyens de survie, de subsistance, des commandes. Mais en même temps elle offre le temps libre. Ensuite on peut procrastiner, se plaindre, ou élaborer des stratégies. Aller aussi vers les autres pour se désembourber de soi. Revenir vers les autres. Ce que j’ai bien aimé c’est sa modestie même étant reconnu par l’institution, il continue à se considérer comme un jeune peintre, donné beaucoup d’infos sur sa pratique, et n’hésite pas à montrer ses ratages. Revenir aussi à cette modestie. Surtout pour un jeune, bravo. Et puis aussi une confiance dans la vie, qu’il n’y a finalement que ça qui compte, se positionner au delà des vicissitudes, de la plainte banale. Revenir aussi à ce courage là qui est d’une belle sagesse y compris toutes les folies qu’il ne manquera pas de nous proposer. Revenir c’est effectuer des cercles et ce faisant on saisit sans doute beaucoup mieux la nature des cercles, des cycles. Important pour peindre, comme pour tout. https://youtu.be/cDGJ9z5Gens|couper{180}

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Ça change mais c’est toujours pareil

Dessin/peinture sur tablette à partir d’une statuette photographiée au musée archéologique d’Andros, Grèce datant de - 700 avant J.C|couper{180}

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Repartir du réel

Vieux rafiot soutenu par des étais douteux Il y a cela deux ou trois ans, qu’importe, j’avais crée un podcast dont l’intitulé, l’intention était de repartir à zéro concernant peindre. J’y englobais tout un tas de sujets périphériques, trop. Et en fait même peindre était probablement périphérique tout autant que le reste. C’est l’emploi des mots, si on ne choisi pas le bon. On s’égare, élucubrations, et on tourne en rond. Peut-être que la formulation juste eut été repartir du réel. Mais pour cela il fallait que s’estompe une confusion entre le réel et ce que je nomme le zéro, le nada, le rien. Je n’ai jamais pris la peine de réécouter tous ces podcasts d’ailleurs comme si je repoussais l’instant de retomber sur une idée de ma propre médiocrité. Et puis quelle importance ce que moi j’en pense. C’est du réel à l’état brut. Une réelle confusion. Voilà tout. Repartir du réel ce serait relire réécouter comme si tout m’était étranger. Comme si c’était un autre. Comme on écoute une conversation de bistrot au même titre que l’entrechoquement des verres, des couverts et des assiettes. Se décrire à soi-même les choses comme des faits divers. Un travail à rebours de toute l’imagination déployée en vain. Dans cette austérité, ce que j’imagine être austérité, guetter encore ce qui advient.|couper{180}

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