import

import

Contempler le réel attentivement

C’est Houellebeck qui évoquait ce genre de contemplation. Être attentif à tout ce qui peut nous passer entre les deux oreilles face au réel. Y a-t-il autre chose à faire. Être réaliste ce serait ça. Ne pas chercher à interpréter le monde mieux ou moins bien qu’il ne l’est. Même si on n’est fondamentalement pas d’accord avec ce qu’il est. Ce qui bien sûr est une gageure. Le réalisme aujourd’hui. Sans doute n’avons nous jamais été éloignés du réel aujourd’hui que dans toute l’histoire de l’humanité. La seule chose qui peut se rapprocher le plus de cette notion de réalité est sans aucun doute l’attention aux pensées qui nous traversent face aux événements, aux êtres, aux choses. C’est une raison assez valable pour écrire. Ce qui a changé c’est qu’on imaginait le réel en tant qu’objet séparé de l’être. Nous savons désormais qu’il n’y a pas de séparation mais un bordel sans nom. J’aurais pu écrire Dieu à la place du mot bordel. C’est ce qu’on faisais jadis je crois quand on évoquait l’impénétrable confusion entre le réel d’un côté et soi de l’autre. On y voyait une logique divine dans cette impénétrabilité autant qu’une humilité nécessaire pour poser des limites à l’effort de vouloir à tout prix la comprendre. Tout cela semble s’être effondré désormais. Dieu n’existe plus ni plus que l’impénétrable et la modestie. Il n’y a plus comme seul recours que la tension de l’attention. Puis à trouver la structure adéquat pour ne pas devenir dingue, totalement désespéré par notre solipsisme. Cela demande aussi une qualité révolue qui était la patience. Savoir rester ainsi dans l’attente autant que dans cette patience pour écrire, c’est ce que l’on nommait l’inspiration. On attendait le bon vouloir des muses et on savait qu’il ne sert à rien de s’agiter pour les faire venir plus vite. On a élaboré des théories fumeuses en se disant il faut chercher des idées, faire des plans, travailler l’organisation, la structure sans se rendre compte de la véritable raison d’être de tous ces artefacts. Qui était de prendre son mal en patience. Tromper l’attente, l’ennui, passer le temps j’ai toujours éprouvé un malaise en pratiquant ces ersatz. Même si je me suis beaucoup agité c’était sans doute pour rester dans le groupe, par pur mimétisme, par sociabilité. En mon for intérieur je ne pense pas avoir jamais été dupe. Le malaise m’a toujours plus appris que les satisfactions éphémères parce que justement le malaise possède cette vertu d’être permanent. Être inspiré n’est pas une petite affaire à prendre à la légère. Contempler l’ennui, la solitude, l’absence, la mort et rester attentif à ce qui peut se passer entre les deux oreilles, c’est justement préparer le terrain à l’arrivée des muses. Elles piétineront tout sur leur passages des échafaudages, des idées, des buts, et des fins, et il faut s’en réjouir même si cela arrive tardivement. Avoir ce courage là issu de la contemplation, de l’attention et de la patience.|couper{180}

Contempler le réel attentivement

import

Tourner autour du bref

Stephane Mallarmé par Pierre-Auguste Renoir Moins de mots, moins d’idées, moins de digressions, la forme brève est exigence, tout comme le dessin. C’est la raison d’exister du dessin probablement que de savoir trouver des raccourcis, d’éluder, pour mieux rendre visible le visible. Pour qu’un dessin reste imprimé dans la mémoire du dessinateur et de celle ou celui qui regarde. Cela nécessite du talent ou du travail. Mais surtout une maturité afin de savoir trier le bon grain de l’ivraie. Cette maturité m’a toujours agacé d’autant que je me suis toujours refusé de vouloir y atteindre. En raison du solipsisme à laquelle elle conduit. Afin de ne pas perdre de vue le petit, le modeste, l’insignifiant. Rester en lien avec une impuissance environnementale. Pour ne pas être entièrement seul, irrémédiablement seul. Cela provient de l’orgueil et d’une part christique jamais avouée. Les deux entremêlés créant un noeud et une attente qui ne saurait avoir comme but qu’un dénouement. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il ne peut y avoir que la mort comme dénouement. J’allais écrire magistral pour qualifier une telle fin et j’en ris. Parvenir à la maîtrise par la mort, pour qu’il n’y ait plus de doute possible. Risible, peut-être pas tant que ça. C’est sans doute le même fantasme que je partage avec plusieurs. Notamment Mallarmé qui pensait lui aussi que tout se résoudrait en étant complètement mort de son vivant. Tourner autour du bref, s’approcher de son centre fantasmé, c’est tourner autour de l’idée d’une disparition, d’une absence, de la mort. Alors évidemment en écrire des tartines, prendre le contrepied ce serait imaginer aller du côté de la vie. C’est d’une naïveté… Et pourtant toute cette profusion que propose la société de consommation, le capitalisme, se fondent sur cette même naïveté. Que vivre c’est profiter. Facile de créer la confusion en soi, dans le monde entier, puis de se retourner soudain et de ne voir qu’une immense décharge à ciel ouvert. Tourner autour de la forme brève ce serait aussi revenir vers la frugalité, l’ascèse, et non pour atteindre à une quelconque idée d’un Dieu, toute idée sur le sujet sera toujours quelconque, mais pour vivre. Vivre au plus près de ce qu’est la vie. C’est comme devenir immobile pour comprendre le mouvement.|couper{180}

Tourner autour du bref

import

Demander son dû

Nativité du Maître de Moulins Toute existence est un échec s’il n’y a pas rétribution. Si on demande un dû qui ne vient pas autrement que sous la forme d’un silence. Si on n’a pas pris en compte la réponse que contient un tel silence tant on aura été en quête, tant on se sera accroché, naufragé, à la question. Que nous doit la vie sinon le simple fait d’être vécue. Est-ce si insuffisant qu’on en éprouve le besoin de déclencher des guerres, de créer des œuvres…voire de vouloir s’ôter la vie. Chacun rêverait qu’on se souvienne de lui. Et dans ce “on” cet impersonnel c’est le père ou le Père dont on n’ose jamais prononcer le nom. Se plaindre de ne pas avoir obtenu son dû c’est se condamner soi-même à n’être qu’un orphelin. C’est aussi une prière balbutiée maladroitement dans un monde qui ne croit plus à l’existence d’un Dieu. Pourtant toute la culture, tout l’art restent étroitement liés à un cadre, à des codes, des rituels dont l’épicentre est le sacré. Pour ne parler que de la culture, de l’art en Occident. Le catholicisme , si décrié soit-il aujourd’hui, n’en est pas moins depuis toujours en première ligne pour que la civilisation s’améliore. Pour que l’homme se rêve un peu plus grand qu’il a toujours été. Demander son dû, demander une reconnaissance, que ce soit sur le plan social, en entreprise, de façon mystique, est une question dont il faut prendre garde afin d’être prêt à entendre la réponse. Ce silence, est-il réponse, est-il question. Et s’il n’était qu’un silence, uniquement cela il faudrait alors apprendre à s’en contenter.|couper{180}

Demander son dû

import

Civilisation “cool”

On comprendra d’autant moins la notion de résistance dans une civilisation qui l’absorbe, la phagocyte, la classe dans un “genre”, finalement semblable à tous les genres. Les plateformes de vente en ligne proposent sur un même plan, on pourrait parler d’ horizontalité, un horizon qui ne désigne plus un lointain mais une accessibilité immédiate , les ouvrages de Pierre Michon, de François Bon, de Céline de Blanchot. que les ouvrages d’auteurs dont la popularité s’appuie sur un nombre d’avis, un classement des ventes, un nombre d’étoiles. Tout est donc accessible si on cherche un titre, un auteur, et peu importe que celui-ci soit disruptif ou plébiscité par le consensus. Consensus fabriqué de toutes pièces par un système d’algorithmes qui amplifie, nourrit, crée, à des fins mercantiles, le goût véritable des lecteurs. Tout est donc au même niveau en apparence, tout ouvrage possède sa chance en apparence. C’est cela la civilisation du “cool”, une priorité donnée aux apparences. Et surtout si tout le monde sait désormais ce qu’est une apparence. On pourrait penser à une religion des apparences, avec ses temples, ses mystères et ses initiés. La grande divinité “cool” est l’apparence. Sous son sceau désormais, l’art, sous toutes ses formes, toutes ses intentions, au même titre que les démocraties et les dictatures, dans le fond, peu importe ce qui jadis nécessitait des mots, ils ne sont plus guère que des étiquettes, des mots-clés, se raccordant à des catégories, des genres. Ils n’ont plus guère de valeur que ce que l’apparence veut bien leur concéder.|couper{180}

Civilisation “cool”

import

Contrainte de l’écriture

Illustration, peinture de Balthus « Comment nous attarder à des livres auxquels sensiblement l’auteur n’a pas été contraint ? » disait Georges Bataille. Cette phrase tourne ce matin dans mon pauvre crâne, un peu vide car, pour tenter de retrouver un rythme de sommeil, j’ai avalé hier un dodormil entier. Ce que c’est que l’avant-garde tout de même. Hier je citais Blanchot et aujourd’hui Bataille. Il doit y avoir quelques affinités. Sauf que là pour le mot contrainte, je cale. Exactement comme je me suis mis à caler pour les genres, pour l’art contemporain face à l’art modeste, à l’art populaire. Ce que je trouve dérisoire c’est encore la tentation, pour toute avant-garde, de s’opposer pour exister. C’est encore Œdipe aveugle et plus ou moins boiteux qui se sert du hasard ou du destin pour se dissimuler à lui-même son parricide. C’est que cette avant-garde est la plupart du temps une affaire de fils de bonne famille. Et dont la seule préoccupation est de faire mieux sinon autant que leurs papas. Et que cette fameuse contrainte j’y vois pour résumer que de se donner suffisamment de courage, d’audace , d’aller jeter un œil sous les jupes de maman. Évidemment que c’est une métaphore. Maman qui fait venir au monde et nous condamne aussitôt à la mort. Ce n’est pas rien. Et en même temps pourquoi en faire systématiquement tout un plat…Une fois qu’on l’a intégré, ne vaut-il pas mieux en finir avec les coupables. Tenter de s’élever au dessus du réflexe. Et puis revenons à la phrase de Bataille. Il ne parle que de livres. Il ne parle pas d’écriture. S’il doit y avoir une contrainte, il en faut souvent une quitte à se l’inventer tout seul, on ne doit pas la confondre avec un symptôme pathologique. Le plaisir d’écrire existe aussi. Encore que si je dis ça, les sado-masochistes en feront leur beurre. Le fameux plaisir de la douleur…|couper{180}

Contrainte de l'écriture

import

Pleine lune

Batsi, île d’Andros. La lune sort de la montagne pour rejoindre la nuit. Il faut voir cela et aussi comment elle éclaire l’Egée d’une lumière froide. De grandes flaques argentées qui rompent l’obscure mer, éclairant son mouvement infini ça et là. Puissance lumineuse de la lune. Qui pourrait croire qu’on a marché un jour de 1969 sur cette lumière irréelle. Peut-être que ce satellite aura été inventé de toutes pièces au fur et à mesure où le projet prit forme. Une sorte de forme-pensée crée par tout un égrégore de savants, d’astronautes, de rêveurs. Ce qu’ils auront atteint n’est pas la Lune. Ils ont atteint une invention, une interprétation humaine de celle-ci. Et désormais nous disposons du choix, nous disposons de deux Lunes. Mais une seule est authentique.|couper{180}

Pleine lune

import

Que retenir

Jose Luis Borges Sûrement pas ce que l’on considère important. La mort nous apprend cela non. Elle nous enseigne l’importance de l’anodin, de l’insignifiant. L’important est une distraction, un divertissement que nous inventons lorsque nous sommes par trop débordés par l’insignifiance. On se dit je vais faire une chose importante. Mais c’est un arbitraire. Quand Proust bute sur une pierre disjointe, il comprend cela parfaitement et tente de nous l’enseigner. Mais comme c’est difficile de lire Proust quand on a quelque chose d’important à faire. Quand nous voulons que cette chose rende notre vie importante. Peut-être qu’écrire commence véritablement ainsi, en établissant, à l’occasion d’un faux pas, une connection entre des événements, des choses, des êtres, que nous avions considérés insignifiants, au moment où ils sont advenus. Peut-être qu’écrire commence aussi avec le doute que nous commençons à entretenir vis à vis de ces deux mots, l’important et le non important. Il ne s’agirait pas d’écrire selon un genre. D’ailleurs la notion de genre en littérature n’est qu’un terme marketing, un mot utilisé surtout par les éditeurs. Et par certains auteurs qui désirent séduire les éditeurs. La littérature est souvent là où on ne l’attend pas. Il n’est pas question de s’en prendre au récit, à la fiction, mais la littérature ce n’est pas cela. La littérature, est-ce le bon mot d’ailleurs. L’écriture est un mot qui va mieux. L’écriture c’est une affaire de temps. Le temps d’écrire et le temps que ce qui a été écrit soit lu. Parfois les deux ne coïncident pas du tout. Souvent. Toujours pour la même raison qu’on ne voudrait retenir que l’important d’un livre, et que nous ignorons souvent ce qu’il est. D’où l’intérêt de relire les livres plusieurs fois, les mêmes livres, ceux qui nous ont laissé une impression d’étrangeté, comme un doute. Peu de romans proposent cela. Il faut que le récit romanesque se cale sur un mouvement de l’écriture qui suit sa logique interne. C’est extrêmement rare. J’ai cité Proust, mais on pourrait citer aussi Cervantes, Melville, Homère, Borges, Joyce. L’important est rarement l’intrigue, pas même les protagonistes. L’important est ce à quoi on ne pense pas quand on lit ces chefs d’œuvre. L’important est le temps de l’écriture, son mouvement, ce voyage qui nous emporte sans même que l’on en soit conscient. On se souviendra de l’histoire des personnages, des divers rebondissements, mais de ce mouvement général, on ne conserve aucune trace. Souvent. Sauf si on commence à écrire. Et dans ce cas c’est tout l’inverse : on perçoit le mouvement de l’écriture avec une acuité extraordinaire, cependant qu’aussitôt l’on désire l’incarner dans un récit des personnages, nous nous égarons.|couper{180}

Que retenir

import

Que ce serait beau

Boutique en ruine à Rafina. Que ce serait beau de s’en souvenir et d’arriver à l’aujourd’hui comme si cela avait été demain. Prêt pour la vie comme pour la mort et sans vouloir tirer profit. Sans calculer son intérêt. Et tout payer rubis sur l’ongle. Dans la traque tranquille d’un peu de besoin. Ou dans un rêve conscient de ses fragiles limites. Non pas être indifférent au monde mais le prendre tel qu’il est dans son indifférence. Parvenir même à s’en réjouir puisque cette indifférence est garante de cette paix nouvelle qui s’avance avec l’âge. Que ce serait beau de s’en souvenir et dans l’instant celui-là même où on l’ oublie parce qu’on possède encore un but une opinion, tous ces bagages que l’on tire un peu partout et surtout lorsque l’on veut rester chez soi. Que ce serait beau d’être là comme un arbre, rendre à la saison son fruit, à l’oiseau son nid, humble et noueux en un tronc planté profond en terre, donner de l’asile comme de l’ombre. Être arbre comme on est pierre ou mousse. Être là comme sont dans le fond toutes choses et êtres. Que ce serait beau d’avoir l’ouïe fine l’œil perçant et la bouche close à savourer le spectacle incessant, éternel recommencement. Que ce serait beau d’apprécier à sa valeur juste tout recommencement. Que ce serait beau d’y parvenir enfin, d’éprouver cette fierté d’y être enfin parvenu, sans perdre de vue la nuit noire sans étoile, que ce serait beau de se souvenir d’avoir peur encore une dernière fois, de retrouver toute la fragilité de l’instant, de se dire dans un murmure j’ai vécu tout cela et non rien que cela. Puis partir comme on part en voyage sans plus savoir d’où on vient ni où on va. Que ce serait beau, ce serait trop beau.|couper{180}

Que ce serait beau

import

Le vrai du faux

Dessin sur tablette. P. BLANCHON. Lecture du lecteur, ne voulant pas me forcer, ni m’obliger. Le bon moment, ce serait quoi. Et à partir de là pourquoi pas. Retrouver les artères, veines, veinules de ce grand corps causant dans son silence. Il y a de tout, et pourquoi pas. Des prières, des incantations, du vacarme, du cirque, des offrandes, des invectives, des critiques, de l’avis en veux-tu en voilà, des prunes et du cassis. De tout. Ce n’est pas rien. Non, pas aujourd’hui. Quant à savoir le vrai du faux, aucune importance. C’est un moment, rien qu’un moment. Le vent est tombé, le soir arrive doucement ponctué de tubes discos d’un autre temps. Un grand écart entre les îles. Frissons sur l’eau. Le ciel rosit doucement. Pas d’âge, pas de soucis. Mais les figues sont vertes. Attend encore un peu.|couper{180}

Le vrai du faux

import

Naviguer

Maisons construites avec des pierres plates typique de l’île. Des sirènes du livre à venir de Blanchot au navigar e precisu de Pessoa, il est bien question d’une seule et même chose, et qui inclut l’émotion éprouvée hier, lors de ma visite au musée d’art moderne de Chora. cf l’article « retour au fragment ». Ce serait un poncif de dire que se tient ici, au cœur de cette conjonction d’éléments en apparence épars, un noyau, que je ne me suis jamais résolu à planter. Il semble que ce noyau soit le germe à partir duquel tout l’art et de tout temps, rêve de l’œuvre en tant qu’arbre. Il faudrait relire, en le feuilletant tout le déploiement du rêve de Bachelard à propos de chaque élément. Si écrire est une navigation, lire est celle qui la précède. Et, à un moment les deux font route commune, s’éloignent, se séparent, puis se rejoignent à nouveau. Lire et écrire, écrire et lire, et non l’un ou l’autre. La notion de navigation ne va pas sans celle de solitude ni d’allié. Allié jusqu’à celui-ci, si singulier, qu’évoque le vieux sorcier Yaki, Don Juan dans certaines parties obscures de l’œuvre de Castaneda. Allié d’un autre monde, d’une autre dimension tout simplement que celle dans laquelle nous fige, nous immobilise, nous sédentarise, le confort des certitudes, l’habitude plus ou moins sereine des répétitions, des rituels. Écrire en voyage, métaphore dans la métaphore, jeu de poupées russes. Hier durant le voyage qui nous conduit de Batsi à Chora, le regard se perd dans le paysage d’une aridité presque hostile avant de parvenir à la mer. Ce qui provoque une sensation tout à coup chaleureuse, surtout au moment même où l’on a écarté de soi toute velléité d’empathie, de compassion suspecte, ce sont toutes les constructions humaines qui ponctuent, vulnérables et fragiles, cette aridité. Une ponctuation de petits murets, d’assemblages hétéroclites de pierres plates ici et là. Des silences de pierre que la main de l’homme aura ainsi posés à flanc de montagne. Anonyme est le mot qui vient et qui en même temps qu’il vient ouvre le coeur à l’infini. Des inconnus, des anonymes sont passés par là, ont eux aussi emprunté cette route sinueuse, ont voyagé au travers ces vallées peu voire difficilement praticables. Puis la verdure, plus abondante presque parvenu au but du voyage nous fait vite oublier ces silences déposés sur les terrains arides. On s’enquiert à nouveau de l’heure, on éprouve à nouveau de l’appétit, de la curiosité, et on organise un emploi du temps.|couper{180}

Naviguer

import

Le livre retrouvé

Devanture de bouquiniste à Chora, île d’Andros, Grèce. Dans les années 80 j’ai rencontré l’œuvre de Maurice Blanchot, tout à fait par hasard, à Beaubourg, dans l’une des allées de la grande bibliothèque où je tirais des ouvrages comme on joue à la roulette russe. Je me les suis récemment procurés en version EPUB, ces livres, notamment le livre à venir, l’espace littéraire, l’amitié. Pratique de pouvoir les feuilleter à nouveau sur la tablette. « Les Sirènes : il semble bien qu’elles chantaient, mais d’une manière qui ne satisfaisait pas, qui laissait seulement entendre dans quelle direction s’ouvraient les vraies sources et le vrai bonheur du chant. Toutefois, par leurs chants imparfaits qui n’étaient qu’un chant encore à venir, elles conduisaient le navigateur vers cet espace où chanter commencerait vraiment. Elles ne le trompaient donc pas, elles menaient réellement au but. Mais, le lieu une fois atteint, qu’arrivait-il ? Qu’était ce lieu ? Celui où il n’y avait plus qu’à disparaître, parce que la musique, dans cette région de source et d’origine, avait elle-même disparu plus complètement qu’en aucun autre endroit du monde : mer où, les oreilles fermées, sombraient les vivants et où les Sirènes, preuve de leur bonne volonté, durent, elles aussi, un jour disparaître. » Un peu plus loin… « Ce chant, il ne faut pas le négliger, s’adressait à des navigateurs, hommes du risque et du mouvement hardi, et il était lui aussi une navigation : il était une distance, et ce qu’il révélait, c’était la possibilité de parcourir cette distance, de faire du chant le mouvement vers le chant et de ce mouvement l’expression du plus grand désir. Etrange navigation, mais vers quel but ? Il a toujours été possible de penser que tous ceux qui s’en étaient approchés n’avaient fait que s’en approcher et avaient péri par impatience, pour avoir prématurément affirmé : c’est ici ; ici, je jetterai l’ancre. » « Il y a toujours eu chez les hommes un effort peu noble pour discréditer les Sirènes en les accusant platement de mensonge : menteuses quand elles chantaient, trompeuses quand elles soupiraient, fictives quand on les touchait ; en tout inexistantes, d’une inexistence puérile que le bon sens d’Ulysse suffit à exterminer. Il est vrai, Ulysse les a vaincues, mais de quelle manière ? Ulysse, l’entêtement et la prudence d’Ulysse, sa perfidie qui l’a conduit à jouir du spectacle des Sirènes, sans risques et sans en accepter les conséquences, cette lâche, médiocre et tranquille jouissance, mesurée, comme il convient à un Grec de la décadence qui ne mérita jamais d’être le héros de L’Iliade, cette lâcheté heureuse et sûre, du reste fondée sur un privilège qui le met hors de la condition commune, les autres n’ayant nullement droit au bonheur de l’élite, mais seulement droit au plaisir de voir leur chef se contorsionner ridiculement, avec des grimaces d’extase dans le vide, droit aussi à la satisfaction de maîtriser leur maître (c’est là sans doute la leçon qu’ils entendaient, le vrai chant des Sirènes pour eux) : l’attitude d’Ulysse, cette surdité étonnante de celui qui est sourd parce qu’il entend, suffit à communiquer aux Sirènes un désespoir jusqu’ici réservé aux hommes et à faire d’elles, par ce désespoir, de belles filles réelles, une seule fois réelles et dignes de leur promesse, capables donc de disparaître dans la vérité et la profondeur de leur chant. » Extrait de Le livre à venir Maurice Blanchot Ce contenu est peut-être protégé par des droits d’auteur.|couper{180}

Le livre retrouvé

import

Andros

Réveillé avant 6h. Heure à laquelle le jeune homme de la réception doit téléphoner. C’est aujourd’hui que nous quittons Rafina pour rejoindre Andros. Pas le temps de mettre en place le moindre texte. S. se redresse en sursaut. Il est l’heure. Toujours cette inquiétude de rater quelque chose. De laisser passer quelque chose. A partir de là tout se met très vite en branle. Douches, valises. Aide-moi je n’y arrive pas. Comment ça se fait qu’elle ne ferme plus. 6h03. Il n’a pas téléphoné. Incroyable. J’espère que le taxi sera bien là à 6h30 comme prévu. J’espère qu’on pourra boire un café, prendre un petit-déjeuner. On n’a rien oublié. Les brosses à dent. Elles sont dans la grosse valise. Oh non tu ne vas pas te mettre à fumer sur la terrasse maintenant. Aller. Il faut y aller. Toujours épaté par ces décharges d’adrénaline matinales, même en vacances. On ne lâche rien. Il faut. Point barre. Rien à redire à cela. Juste que le matin, je fume sur la terrasse, j’hume le fond de l’air, on a toute une grande demie-heure. Pourquoi se stresser. Tout fonctionne comme sur des roulettes. Le café est prêt, on a largement encore le temps de beurrer des tartines. Comment ça se fait que vous nous avez pas téléphoné à 6h comme convenu. Madame il n’est que 6h05. Et on est en Grèce. Jus d’orange, jus d’orange. Œuf, œuf. Et le voilà notre taxi. Grec, décontracté, lui aussi, il s’amène nonchalamment, attrape les valises, les place d’un geste expert dans le coffre du véhicule. Combien ça coute, redemande le prix qu’on ait pas de mauvaise surprise. C’est 10 euros comme l’a annoncé l’employée de l’hôtel. Pas de stress, bon sang, pas de stress. Le véhicule file à vive allure vers le port. En dix minutes chrono. Toute cette longue route que nous avons effectuée hier péniblement, à pied sous le soleil, le taxi la dévore en seulement dix petites minutes. On se retrouve à l’entrée du port et on aperçoit notre ferry. Je prendrais bien un café avant d’embarquer. Non non, on le prendra sur le bateau. Toujours ce stress, cette peur de rater quelque chose, d’être soudain empêché, si on ne met pas toutes les chances de son côté. J’avoue être admiratif. Cela tient du réflexe animal j’imagine, le fait d’avoir élevé des enfants. Toutes ces choses qu’ignorent les hommes en règle général. Et qui les énervent, les agacent, les mettent parfois en rage. C’est surtout du au fait qu’on sent bien qu’on n’est pas de taille à lutter, il ne sert à rien de se voiler la face sur le sujet. Chute de température sur le ferry qui file à vive allure sur l’Egée. Embruns. Cafés-frappés qui voltigent. Dégueulis sur le pont avant, café brun dégueulis blanc. La mer outre-mer. Pas de dauphin. Des petits paquets d’écume qui se désagrègent au haut des vagues. Peu de touristes, surtout des Grecs. D’ailleurs les rares touristes se dirigent vers Mykonos. Lorsque le ferry arrive peu de piétons, quelques véhicules, principalement des camions qui ravitaillent l’île. Un vent arrière qui nous allège le poids des valises. On monte à pied dit S. Une minute je regarde la distance. Une heure de route, et certainement pas sur du plat. Alors on fait quoi, on ne va quand même pas prendre un taxi. Il y a sûrement des bus. Il y a un bus qui rejoint Batsi sur la côte Ouest de l’île. On peut même lui demander de nous déposer à Nora Norita, le petit hameau où se trouve la location. Cinq euros. J’observe le visage de S. durant le trajet interminable, et le franchissement des multiples virages. On a bien fait de prendre le bus, elle dit. Premières impressions plutôt bonnes . La mer surtout d’un bleu turquoise sur les bords. Le village. Pittoresque et touristique. Batsi reste un coin sympathique, peu touché par l’industrie touristique, on n’y voit pas de grands hôtels, avec piscine, pas de déploiement de signes extérieurs de richesse. Les prix sont très abordables. L’intérieur du village est à visiter, d’étroites ruelles destinées à se protéger du vent. Les habitants adorent le blanc ils peignent tout en blanc, les murs de pierre, les rues sont striés de bandes blanches. Du blanc en veux-tu en voilà. Peu de bateaux dans le port. Nous craignions voir ici des yachts, puisque l’île est réputée pour ses nombreux armateurs. Mais ouf non ils ne sont pas de ce côté de l’île visiblement. La propriétaire de la location, nous a prévenu de ne pas consommer d’eau au robinet. Elle nous offre un pack de six pour commencer mais il faudra aller nous approvisionner au supermarché. Vous allez louer une voiture, non, alors c’est très loin. Mais vous pouvez prendre un bus. Mais si on fait bouillir l’eau, le café est tout à fait buvable. Pour manger, les restaurants. Alors pas le premier à l’entrée du village, mais vous pouvez avoir confiance dans celui juste après, chez Kantouni. Nous irons visiter le village, on verra bien. Et une fois le village visité, nous reviendrons pour tester le fameux restaurant Kantouni. Plutôt bien. Encore que j’ai juste testé le tzatziki et la salade grecque. Je vais devenir expert dans le domaine. La viande me dégoûte. Nous avons même trouvé un homme qui avait arrêté sa camionnette au bord de la plage et qui vendait toutes sortes de légumes, denrée rare dans les mini market du coin. De quoi faire nos propres salades grecques. Faire une fixation, ma spécialité. Se jeter à l’eau en fin de journée. Il y avait des années. Faire la bombe. Depuis les roches schisteuses qui bordent ici un peu partout la mer, près de la location. Une caractéristique de l’île. Ce qui entraîne la présence de murs de construction à partir de ces roches probablement métamorphiques. Leur aspect de mille-feuilles. Peints en blanc comme il se doit.|couper{180}

Andros