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Objectifs et projets, reprise.

Dessiner un village de nuit. Exercice sur tablette. 2022. Lorsqu'une personne me parle de ses objectifs, de ses projets, je suis bon public, voire même admiratif. Puis, assez rapidement, surgit une inquiétude. Un doute. Et, enfin, je rebrousse chemin. J’en reviens ventre à terre à l’instant où cette « histoire » m’est racontée. À la façon dont mon interlocuteur s’y prend pour la narrer. Est-ce un réflexe ? Et si oui, il me semble que ce qui le déclenche est juste une affaire d’oreille. Un mot qui ne colle pas aux autres, un objet insolite. Un ton au-dessus ou en dessous de celui du ton général de l’évocation. Cette dissonance détectée je perds le fil de l’histoire et simultanément la foi en toute possibilité de réalisation des dits objectifs ou projets. Sans doute une attitude réflexive m’oblige à ce recours. Car j'ai, de nature, beaucoup de difficultés à croire en la notion d'objectif ou de projet. La plupart du temps je n’y vois que bavardage, du remplissage servant à meubler le silence entre les êtres. Une sorte de levier pour désamorcer la gêne. Un passe-temps. À partir de cet instant, depuis cet instant même où aura surgit le couac, la dissonance, je ne peux plus m’appuyer compter sur aucun prétexte pour accompagner ou suivre , en pensée, mon interlocuteur dans le déploiement de son récit comme dans une projection du temps. Bien sur je sais ce qu'est un objectif, un projet. Je connais aussi la satisfaction de les atteindre ou de les réaliser. Ce résultat néanmoins ne m’a jamais empêché de tomber sur une déception une fois l'enthousiasme, la frénésie, la communion évanouis. C'est un peu comme faire l'amour. Cette simultanéité de plénitude et de vide qui se côtoient jusqu'à se confondre et où, à la fin, il ne reste plus qu'une absence. Il s'agit avant tout, hélas, d'une exigence qui, quoi que je puisse penser ou faire, ne peut jamais vraiment se satisfaire. Qui aussitôt atteinte disparait pour laisser place à un manque dans lequel va puiser l'énergie pour s'élancer vers autre chose. Une énergie du manque si l'on veut. C'est à dire que je possède cette conscience à tort ou à raison que tout objectif tout projet n'est jamais rien d'autre qu'un ersatz, un prétexte, une sorte de pansement, en même temps qu'une représentation de l'existence toute entière avec une naissance, un développement, rebondissements, croissance et chutes pour atteindre à un climax puis un épilogue, et bien sur une fin. Mener à bien un projet, jusqu'au bout, c'est accepter tacitement, inconsciemment la plupart du temps qu’il naisse se développe et s’achève. C’est une métaphore qui finit par tout envahir, la naïveté n’y résiste pas plus que l’enthousiasme. C'est justement ce dont il ne faudrait jamais être conscient. Toutes ces idées ne sont sans doute que des croyances. Des croyances qui en valent d'autres exprimant l'idée que l'homme se construit grâce à ce qu'il fait. On « consommerait » ainsi des actes comme toute autre denrée finalement. Et ce pour amasser un capital, une satiété, une masse graisseuse rassurante. À force d'objectifs, de projets ainsi menés bon train, on deviendrait une femme, un homme d'expériences. On n'aurait pas peur de penser de façon légitime que la fameuse confiance en soi provienne de cette somme d'échecs et de réussites. Et donc la foi, la confiance en soi, serait l'objectif, le projet, comme le véritable auteur de cette histoire souvent abracadabrante qu'est notre vie. Enfant je me souviens avoir passé beaucoup de temps à observer les insectes, notamment les fourmis. Quelle admiration je ressentais alors en voyant que quelque soit l'obstacle se dressant devant elles, il ne les arrêtait jamais. Une volonté inflexible. Une volonté inhumaine. Une volonté de machine. Proche d’un programme, informatique. Qui les oblige, ces insectes, à dépasser sans rechigner jamais chacun de ces obstacles pour atteindre au but. Et en même temps je ne pouvais qu'éprouver une sorte de compassion de comprendre à quel point chacune de ces bestioles était assujettie à ce programme, prisonnière de celui ci, n'ayant même pas l'idée de songer à le fuir, à s'interroger sur les tenants et aboutissants de celui-ci puis à s'en échapper. L’être humain serait-il différent des insectes. Grande question, ruminée avec effroi. Ces objectifs et ces projets que nous ne cessons de poursuivre ont-ils un sens véritable ? Ne sont-ils pas des chimères que nous ne cessons de poursuivre contre vents et marées ? Sommes nous assujettis nous aussi à des sortes de programmes. La fameuse fatalité ne serait-elle pas autre chose qu’un programme ? Et le véritable libre arbitre, à condition qu’il puisse exister vraiment, ne serait il pas autre chose qu’une résistance têtue à toutes les injonctions crées par ces programmes. Entre obéir et désobéir la frontière est en premier lieu un no man’s land. Un espace vague dans lequel l’être se retrouve à nu. Le doute et l’hesitation entravent le chemin de tout choix tout renoncement et installe celui qui y est confronté dans un « moment » c’est à dire un point d’équilibre précaire. Et sans doute que de vouloir examiner cette sensation de précarité si peu agréable soit-elle offrirait aussi des avantages. Sinon pourquoi s’y habituer peu à peu et avec persévérance ? l’idée de néant ou de mort vient à l’esprit. Sans doute aussi pour mieux écouter les dissonances qu’on finirait par repérer dans la narration de ces deux mots. Qu’ils proviennent de bouches étrangères ou de la nôtre. Peut-être que depuis ce no man’s land on se préparerait à passer enfin l’idée d’une frontière plus librement, plus courageusement, sans encombres. Et que pour lâcher du lest, la première des choses dont il faudrait se défaire est notre propre idée d’importance. Car tout bien pesé, n’est-ce pas celle-ci qui ne cesse de vouloir se maintenir coûte que coûte au travers de l’apparence. Apparence se résumant à ces objectifs que l’on se donne, aux projets que l’on fomente. L’idée d’importance et l’idée du complot permanent pour se survivre perpétuellement à elle-même. A cet instant tous les prétextes, toutes les raisons sont "bonnes" pour que nous n'en doutions pas. Le pire, l’effroi ne serait-il pas de nous retrouver à errer de par le vaste monde pour rien.N’est-ce pas ce qui nous effraie le plus que l'existence soit parfaitement inutile, la notre particulièrement. Que tous nos faits et gestes ne soient toujours effectués pour rienExercer un art, la peinture par exemple, est aussi une façon d’aborder ce no man’s land. De remettre en question souvent la notion d’objectif, de projets. Est-ce qu’au bout de tout le cheminement on ne retrouve pas cette précarité, ce doute et l’hésitation salutaires qui nous font douter du choix comme du renoncement ? Et ce quelques-soient les réussites et les échecs traversés. Ce sentiment de précarité, l’a t’on suffisamment étudié, creusé enfin, qu’on y découvre enfin l’avantage ? Est-ce du détachement, la sensation de se sentir enfin libre, ou d’avoir pu traverser la frontière tant redoutée, d’être enfin mort le plus naturellement possible ?|couper{180}

Objectifs et projets, reprise.

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paliers

Deux images emmêlées. La première une salle presque vide. Des hommes en uniforme qui torturent un autre. Mains et poings liés. Assis sur une chaise au milieu de la salle, il résiste autant qu’il peut pour ne pas donner le nom de ses camarades. Rien ne lui est épargné. Humiliations, coups, menaces. Il baisse la tête, ne regarde plus ses tortionnaires. Il entre en lui-même, se recréer un espace. Seconde image, un homme encore. Plutôt jeune, de vingt à trente ans. Il s’est réfugié en forêt. Dans quel pays, impossible de dire. Une forêt immense, il y a de la neige et le vent souffle. Pas de feuilles aux arbres. Un univers en noir et blanc. Temps glacial. L’homme chante et hurle parfois pour essayer de se réchauffer, de rester vivant. Images entremêlées, car ces deux-là semblent être sur un même palier de la souffrance. Un palier sur lequel je ne peux pas faire de différence entre les individus, ni même concernant les lieux. Ce qui les réunit est la résistance aux attaques de l’extérieur, la façon d’endurer. La façon dont chacun tente comme il peut de se recréer un espace. Et, si l’envie de renoncer surgit par lassitude, quelque chose empêche chacun de l’accepter. Est-ce tout simplement pour ne pas crever, pour rester en vie, non, c'est plus une curiosité. Celle de percevoir le palier suivant, de saisir dans la chair comme dans la pensée ce que peut produire la souffrance en tant qu’élément de fabrication de l’espace. La souffrance comme moyen ou comme outil. Le terme d’espace est associé à celui de liberté. Ainsi, ils s'aperçoivent simultanément que la liberté est une idée, une représentation qui les entrave. Que derrière ces mots se dissimule autre chose. Est-ce le néant, est-ce l’invisible... nul ne saurait plus poser de mot désormais. Le tour des mots serait effectué, ne resterait plus que le non-dit et l’interligne. Ce qui les a conduits chacun, ils ont oublié leurs mauvais choix. Ils se sont rendu compte de cette évidence. Que choisir aussi n’était qu’une illusion. Après avoir ruminé longtemps, panser toutes plaies en pensant, récapitulant Se seront aperçus chacun conduits par les sentiers qui bifurquent. Laissant çà et là à tout carrefour une part ou une autre de leur vitalité comme une obole inéluctable à fournir aux passeurs. Pourrait-on continuer de vivre ayant découvert cela. Cette question est sans doute la seule qui reste. Et, que leur résistance, leur endurance au mal finalement est un jeu. Un passe-temps. Garder la question comme une braise en cheminant de palier en palier et advienne que pourra. La douleur ressemble à drogue, addictive. Arrive toujours un moment où l'on ne la sent plus, ou une douleur plus aiguë serait souhaitée pour nous garder en vie. C’est aussi ce que l’on se dit et que de pouvoir s’en délivrer changerait tout. C’est sans doute ainsi que naît le confort, la sécurité et les idées toutes faites. Mais mettre à jour une addiction ne l’explique en aucun cas. D’ailleurs pourquoi faudrait-il toujours tout expliquer ?|couper{180}

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L’image

Peinture, ébauche de visage imaginaire Patrick Blanchon 2022. Le visible possède-t-il un cœur, un centre, une raison, une vérité. Deux réponses possibles. Platon dit non. Pour le philosophe, le secret du visible n’est qu’une ombre, une illusion, un mensonge. Et, c'est en cela que cette illusion est condamnable. Second point de vue, La réponse chrétienne. Une sacrée trouvaille de proposer Dieu comme fondement du visible. Fut un temps où la peinture cherchait à rendre compte de cette vérité chrétienne. On peut penser à Saint-Bernardin de Sienne. Lorsqu’il peint l’Annonciation durant la période du Quattrocento. L’artiste et le croyant désirent représenter ce lieu, cet espace où Dieu vient dans l’homme, où ce qui ne peut être figuré devient figure, où ce qui n’a jamais été vu devient visible. De ce point de vue de peintre comme celui de la chrétienté, le cœur du visible est unique et il est Dieu. Le résultat est une révolution de l’esprit puisque désormais, c'est tout l’invisible qui trouve sa raison d’être. La foi remplace le doute, voire le mépris platonicien. Que l’on approuve ou pas cette solution, cela n’interférera que peu avec l’avalanche de mots d'ordre qui en découle. On peut imaginer tout un monde, le monde chrétien, basculer soudain dans cette croyance martelée sur tous les tons. L’injonction d’avoir la foi n’en est que la partie immergée. La morale occupe l’espace sous-jacent, une place prédominante déjà. Dont on peut facilement imaginer qu’elle sert surtout aux puissants pour asservir les plus faibles. Si souffrir au travail permet comme d’obtenir comme rétribution ultime une place au paradis, si la raison de la violence peut enfin s’associer à une cause divine, on souffre sans doute beaucoup plus silencieusement. Dans le calme. Pour ne pas gêner le confort des puissants. Que se passe-t-il alors dans l’inconscient collectif, l’idée que la lumière chasse l’ombre, qu’une guerre existe entre ces ombres et cette Lumière. En tout cas qu’une synergie ancienne, présocratique s’évanouisse à partir de l’appel de l’ange Gabriel. Qu’un nouveau-né engendré par l’invisible devienne un homme crucifié, la figure d’un carrefour entre deux mondes, celui de l’invisible et du visible. Mais pas seulement. Sous cette image d'Épinal, le monde de l’esclavage se distinguant du monde des salariés que dans une apparence. Comment on a tenu en laisse les travailleurs des champs et des fabriques en les invitant à se rendre chaque dimanche à la messe... vu de notre siècle cela semble extravagant. Pourtant, la chose continue sans même que l’on en prenne conscience. Encore aujourd’hui. Cette habitude d’évoquer la vérité par l’entremise d’images pieuses. Y a-t-il une réelle différence avec les images visibles sur les réseaux sociaux ? La vérité divine est simplement remplacée par la vérité individuelle et de ce fait l’individu, l’influenceur, ne devient-il pas ainsi un avatar de l’invisible lui aussi ? Toute cette morale nommée désormais mindset oulivestylene sert-elle pas les mêmes intérêts que depuis toujours ? Et cette injonction qui chasse l’autre, cette fameuse nécessité d’avoir confiance en Soi. N’y aurait-il pas une translation de sens qui se serait effectuée, Soi-même étant devenu lui aussi cet invisible qu’il convient de nommer, mais d’affirmer, et pas pour rien bien sûr, pour réussirdans la vie. L’hésitation, de doute, les empêchements en général n’appartenant jamais qu’à la créature, rangés dans la catégorie des défaites contre les démons de tout temps. Iconoclaste certainement. Un paradoxe supplémentaire. Être peintre et iconoclaste. Ainsi, sans doute que tout l’élan vers la peinture abstraite ne tient qu’à ce doute permanent entretenu avec l’idée de la figure, volonté de détruire la figure non. Pas réellement, mais d’en faire douter sûrement. Partager mes doutes quant à la figure telle qu’elle est installée désormais dans notre monde, dans nos vies. La figure ou l’image en général.|couper{180}

L'image

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Ne rien capter.

Je ne capte rien. Très bien. C’est vrai que ce cours sur la perspective est loin d’être facile. Toute cette théorie a ingurgiter, sans doute abstrait pour les jeunes de 9 à 14 ans. Pas plus accessible chez les adultes d’ailleurs. Ne rien capter aux concepts de ligne d’horizon, de fuyantes, de cône de vision , c’est assez normal présenté au tableau. Beaucoup me diront que c’est des maths, de la géométrie, matières dans lesquelles ils rencontrent toujours des difficultés. Je me demande si je n’ai pas hérité de tous les cancres anciens ou actuels dans ces ateliers du mercredi. Ou bien je me remets en question, peut-être que je n’explique pas bien. Trop compliqué. Je pourrais me demander aussi pourquoi cette année j’ai décidé d’expliquer quasiment de façon scientifique la perspective à mes élèves. Pourquoi ce changement. En général je ne donnais que quelques indications quand un dessin, une peinture ne tenait pas debout. J’essayais de laisser du temps à l’œil de trouver sa justesse. En fait je crois que ça part du constat qu’on ne sait rien voir sans fixer un point dans l’espace. Que cette relation avec les êtres les objets les choses est toujours plus ou moins basée sur cette fixité. Et qu’en ce moment mon regard a plutôt tendance à ne se poser sur rien de fixe. Disons qu’il suit continuellement le mouvement, qu’il ne s’installe pas dans l’illusion d’une perspective justement. Et comme je suis contradictoire, paradoxal, j’ai envie de pousser à fond les limites de la perspective. Là où je peux le faire. En dessin. Pour montrer comment nous sommes tous conditionnés, bernés par celle-ci. Comme s’il s’agissait de faire visiter une cellule dans laquelle peu connaissent l’étendue, les limites… Étendre cette réflexion à quantités de choses serait facile. Comme par exemple une consigne proposée dans un atelier d’écriture. Un objectif quelconque à atteindre. Dans le fond toutes ces idées qu’on ne cesse de s’inventer, souvent seul, dans lesquelles aussi l’on finit par s’enfermer. À côté de ça j’entends aussi cette injonction de la 3D. Comme ce serait « cool » d’y arriver. Tout cela relayer par les écrans. Par exemple ces nouveaux dessins animés que l’on diffuse aux gamins. Il y a du volume, des textures , mais je n’y vois surtout que beaucoup de froideur. Compensée par les bons sentiments à l’eau de rose. Illusion totale donc. Ne rien capter serait-il une défense inconsciente, une résistance finalement de l’œil, de la cervelle et de la main… une résistance naturelle chez certains, de plus en plus, contre cette forme de mensonge…|couper{180}

Ne rien capter.

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L’impossible

Musée du quai Branly Expositionsur le chamanisme. Patrick Blanchon 2017 Il y a des frontières au possible. Nous apprenons cela dés l'enfance. Un martèlement concerté à la fois par la famille et l'école au début , puis plus tard par l'usine la banque et les femmes dont on ne prend pas soin. Et puis il y a l'impossible, ce territoire inconnu que certains perçoivent d'abord confusément et dans lequel, pour une raison ou par manque de raison ils finissent par s'engager. C'est seul bien souvent que l'on s'engage dans l'impossible. La vie d'un artiste je l'ai envisagée ainsi. Il y a eut un appel plusieurs fois répété que j'ai trouvé insolite, étrange, et qui peu à peu a fait de moi un étranger. Un appel ? non, cela n'est encore pas le bon mot, plus un coup de poing, un choc déstabilisant absolument. Et dans l'émotion éprouvée alors il n'y a plus eut de haut ni de bas, plus de bon ni de mauvais, plus rien d'autre que cette profondeur infinie du monde qui m'a happé totalement. La frontière du possible fut traversée les première fois par inadvertance et ce ne fut qu'un rien emporté par la force cinétique d'un tourbillon. A chaque fois c'était un voyage aussi long que court . Le temps demeure ici sans consistance. La géographie non plus. Le point de vue devient si multiple que se dresse la sensation d'être partout, comme nulle part. Et, quand effrayé par ce que je venais de traverser je m'en ouvrais aux adultes, alors on me souriait gentiment quand on avait le temps ou bien on me rabrouait à l'heure des corvées urgentes. Je me réfugiais alors dans l'hébétude, provoquée à la fois par mes découvertes et la résistance à les entendre qu'ont les adultes. C'est ainsi que j'ai pu toucher les frontières bien marquées du possible. Alors je me suis tu et appris le langage commun, c'est à dire le mensonge. Finalement l'idée était également de se débarrasser un moment de l'oreille absolue. Alors j'ai étudié les possibles, de nombreux possibles et tous m'ont ramené à la frontière. J'étais un "sans papier" d'un possible commun. Mon pays, on me sommait d'y retourner par un hochement de tète, par une porte qui se refermait, par un regard fuyant. Alors j'ai compris. Je me suis tu encore plus loin et j'ai passé la frontière. Quand je regarde en arrière désormais, ma rébellion d'enfant m'a mené loin et je ne peux que remercier cet enfant de toutes les vies qu'il m'a fait traverser. Comme Saint Christophe j'ai traversé un fleuve, que dis je ? plusieurs, avec cet enfant sur les épaules. Il a toujours été ce poids que j'ai du supporter, et que bien souvent j'ai voulu déposer, m'en libérer, m'en défaire, parfois jusqu'à vouloir le tuer, l'enterrer profondément sous terre ou le brûler dans des bûchers d'illusions perdues. Le calciner. Et malgré tout, j'ai continué, et le poids après avoir été tellement lourd a finit par s'alléger. En traversant la frontière des possibles je suis peut-être arrivé dans une sorte de champs quantique où les lois de la physique, de la logique, n'ont plus cours. Ce sont seulement les lois de l'intention qui gouvernent ici . On peut parcourir des milliers d'années avec la force de l'intention. Alors j'ai compris pourquoi l'impossible était si terrifiant et pourquoi peu de personnes osent s'y engager consciemment. c'est qu'il faut justement être inconscient pour y entrer, et qu'on ne saurait jamais se familiariser avec lui. Tout change continuellement et le seul point de repère que l'on peut envisager c'est qu'il n'y en a jamais vraiment aucun. Seul le changement alors peut devenir totem. Alors voici venue l'heure d'enfiler ce costume constitué de plumes de phénix, ces bottes en peau de phoque, et ce chapeau de poils de jaguar. La danse commence, les pas mènent encore plus loin et plus près vers ce "même et différent" au dehors résonnent les tambours mouillés de pluie du printemps.|couper{180}

L'impossible

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De l’importance de se fabriquer un tambour.

Le Littré nous apprend :"On dit qu'un tambour couvert d'une peau de brebis ne résonne point et perd entièrement le son lorsque l'on frappe sur un autre tambour couvert d'une peau de loup"Que le mot tambour était inconnu des romains et qu'il nous vient du perse et des maures.Tout ceux qui prône un temps profane, un temps de labeur, un temps d'usine, un temps de banquier n'utilisent pas la bonne peau ou n'utilise pas l'instrument.Le tambour c'est l'instrument d'un autre temps. Un temps mythique que nous reconnaissons tous étrangement lorsque le son de celui ci nous parvient.La transe dans laquelle il nous fait pénétrer nous fait parcourir des sphères inconnues du petit pois qui flotte à la surface de l'océan et qui de temps en temps s’époumone à grands coups de " je maîtrise".En peinture il est nécessaire de chercher sa peau longtemps afin de confectionner Le tambour.Cette peau sur laquelle va danser, frapper, caresser le pinceau. sans qu'elle ne crève, ne s’abîme, ne se relâche.Une fois celle ci trouvée et solidement arrimée le peintre est à même de chercher le rythme le plus à même de voyager sa peinture.Peu importe le temps qu'il fait autour, peu importe les vicissitudes, les espoirs et les déceptions.Des que le pinceau touche la toile, les voiles s'écartent , la couleur donne le ton le voyage commence.C'est pour cela qu'une peau de mouton ou de brebis est peu recommandable car bien moins résistante à la flamme des rythmes et des silences.|couper{180}

De l'importance de se fabriquer un tambour.

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Partir d’un fond noir

J’ai travaillé ce visage imaginaire en partant d’un fond noir, du gesso noir qui recouvre toute la surface de la toile puis j’ai commencé cette ébauche à l’acrylique.|couper{180}

Partir d'un fond noir

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formes

L’énergie, le mouvement, l’intention, autant de mots qui désignent un mystère se logeant dans les formes. S’attacher à la forme et partir avec elle à la dérive. Remonter le cours les fleuves et des rivières. Pour parvenir à s’approcher de la discrétion d’une source. Une fois là, se débattre encore pour ne pas rester figé, paralysé, figé par le reflet de cette image. L’excessive gesticulation comme résistance. Souvent propre à la jeunesse. Existe aussi chez les vieillards, perpétuellement insatisfaits de ne voir dans le miroir qu’une tête de con.|couper{180}

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Talus et fossés.

Le chemin vers l’école. S’y retrouver de nouveau pour écarter la sensation familière. Toutes les images spontanées et qui n’abondent que pour dissimuler. Qui auraient pour raison d’être de dissimuler ce qui surgit par et dans la progression. Parce que l'on se sera laissé aller à la vraisemblance, à la ressemblance, au point ou au lieu commun. Ce qui serait décrit, narré, comme une récitation, s’effondre presque aussitôt que l’on creuse ces images, le familier. Et, ce qui reste alors, deux mots, talus et fossés. Rester sur le talus, ne pas tomber dans l’autre. De quoi le talus est-il constitué, qui rassure et intime l’instruction, l’ordre d’y rester. D’herbe la plupart du chemin. Disons avant le carrefour du Lichou, et peut-être un peu après, vers la scierie. La frontière avec le béton est assez floue. Ce qui se passe physiquement dans la progression de la marche d’une surface l’autre, comment on prend conscience du mou et du dur et qui sera toujours amorti cependant par la semelle d’une chaussure. Comment se raconter cela à soi-même déjà. Pourquoi cette nécessité, ce besoin, ce quelque chose d’impérieux de se le narrer, encore une fois, comme à voix haute cette fois ? L’attirance du fossé n’existe que par l’obligation endossée du talus. Les deux fonctionnent comme un rouage, une sorte d’engrenage. L’un ne peut pas aller sans l’autre. Même si à partir du pont qui enjambe le Cher, le fossé se réduit, finit par disparaître avec l’apparition des trottoirs. Il est tout de même conservé ailleurs dans l’imaginaire. Quelle serait la distance entre la maison familiale et le portail de l’école communale ? On l’évoque en kilomètres et en temps. Le temps de faire ce long chemin imposant de se réveiller avant le lever du jour. Peut-être pas immédiatement en septembre, il reste encore un peu de clarté sur ces débuts d’année scolaire, ces changements de classe. On peut encore y voir à peu près même si souvent le brouillard est là, qu’il est même tenace, au moins jusqu’au bourg. Cependant, on y voit un peu clair, mais peu loin. Enfin, le second pont. Au-dessus du canal du midi. On arrive au passage à niveau, à la hauteur de la gare. Puis, on atteint la grande rue du village. La vision s’élargit. Mais, pour être presque aussitôt contrainte par les façades, les murs des bâtiments. Magasins commerces, boutiques, banque, boulangerie, articles de sport et pêche, coiffeur pour hommes, tailleur, la coop, et évidemment les bistrots. Il y en a au moins trois ou quatre qui se suivent de près dans la grand-rue. Puis encore un, tu allais l’oublier, celui près de l’église. Quatre bistrots dans les années 60. Et, toi, enfant qui te rend à l'école, qui a pour instruction de rester sur talus et trottoirs. De ne surtout pas choir dans le fossé. Pour ne pas te salir. Se blesser n’a rien à voir avec l’origine d’une telle injonction. L’importance d’apparaître aux yeux des autres primant sur quantité de priorités délaissées. À moitié fils d’exilé d’un côté et de l’autre continuité de bougnat. Vendeur de charbon et de vin. Écartelé psychiquement déjà entre propre et sale. Projection facile, talus et fossés. Peut-être pas si simple que ça à saisir dans un esprit enfantin. Ou alors bien sûr que si. Tu saisis l’intention, mais tu ne saurais pas l’exprimer. De plus, elle ne surgit toujours que sous la forme d’un malaise. Ce chemin vers l'école, métaphore d’une vie. Et, ensuite, dans ce cas, le portail de l’école ouvrira-t-il sur le paradis ? Apercevras-tu devant l’école Saint-Pierre et son trousseau de clefs ? Ou bien, devras-tu t’entretenir avec le diable, lui dire en toute sincérité tous les méfaits commis par amour et l’ignorance de la définition du mot. Devra-t-on alors aussi lui raconter toutes les fois où le fossé nous a tant attiré que l'on a quitté le talus pour s’y vautrer ? Puisse ensuite un grand rire salvateur en découler comme se rue l’eau dans les fossés après les pluies d’automne.|couper{180}

Talus et fossés.

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L’urgence

Ça urge. L’exposition sur les visages à Orlienas. Et moi bras ballants tous ces jours… un sursaut ce matin. Je ne sais combien de temps il va durer. M’en fous. Trois petits formats à la suite sur de vieilles toiles qui ne me disaient plus rien. Petits formats visages imaginaires 24x30 cm huile sur toile 2022|couper{180}

L'urgence

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Très vite sans réfléchir

Deux toiles en cours ce matin. Un travail comme dans un rêve, très rapide. En accord avec les nuages poussés par le vent là-haut dans le ciel. J’ai posé ma tête dans un recoin de l’atelier et laisser les choses aller. Grosses tètes petits corps technique mixte et huile sur toile format 60x80 2022Fille à l’oiseau, en mémoire de l’Amazonie. Huile sur toile format 70x70 cm 2022|couper{180}

Très vite sans réfléchir

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Armand

Je ne vais nulle part. Je suis seulement en chemin. Hermann Hesse Comment naissent les rencontres, le hasard souvent, mais aussi une disposition d’esprit. Le fameux « lâcher-prise » dont on nous rebat les oreilles généralement comme un mot d’ordre. Mais, ce lâcher-prise, cette disponibilité au monde, à l’autre, à la « réalité », peu importe le terme, elle ne se commande pas. On ne peut pas l’obliger. Ainsi, il faut parfois parvenir au trente-sixième dessous, se retrouver soudain désespéré, épuisé de vouloir à tout prix saisir quelque chose pour que soudain les mains, si serrées de s’accrocher à ce que quelque chose, s’ouvrent et qu'alors un espace neuf se recrée l'accueil. Je n’ai pas fait de publicité sur les réseaux sociaux pour cette exposition de peinture à Pélussin. De même que je n’ai presque pas fait de photographies de celle-ci, aucune vidéo ainsi que je le fais habituellement. Cette rentrée si difficile occupant tout l’espace de ma cervelle. Trois week-ends passés ici dans cette salle de la Passerelle dont les fenêtres donnent sur un château, celui de Virieu. Le dernier week-end de justesse puisque la mairie m’a proposé de prolonger pour les journées du patrimoine. Aubaine qui suscite soudain deux ventes. Le soulagement pour ce mois de septembre. Est-ce pour cette raison uniquement que les poings se desserrent, je ne sais pas. Il fait aussi un temps radieux, une de ces journées d’automne où l’été flâne encore un peu. Froid et sec, juste ce qu’il faut pour avoir des hallucinations olfactives de bois brûlé, de cheminées que l’on remet en route. Des souvenirs lointains de l’enfance, encore et toujours, qui remontent. D’un temps englouti et qui tout à coup se rappelle à nous. Une intimité retrouvée peut-être. Sans la nostalgie. Sans s’appesantir. Et, donc prendre les choses comme elles viennent. La seule et belle façon. C’est à ce moment-là que j’aperçois Armand. Je l’avais croisé à l’accrochage avec sa compagne Suzanne. Sur le pas de la porte, nous avions échangés quelques mots sans plus. De la politesse entre voisins puisque leurs ateliers respectifs sont mitoyens de la passerelle.Je suis sorti fumer une cigarette, on se voit de loin. Temps d’arrêt. Il remonte la rue de la tour dans ma direction, produit cet effort. On s’assoit sur le muret qui borde la route et on bavarde. Au début de tout et rien. Oh pas longtemps car on en vient assez vite à l’essentiel. Ce que l’on fait avec l’art. On ne prononce d’ailleurs même pas le mot. Lui me parle d’argile et moi de couleurs. Sur le champs une affinité. Comment se crée t’elle, aucune idée non plus Nous nous sommes sans doute flairés. Ce bavardage de sa part, la retenue de mon côté pour lui proposer l’espace. Quelques questions sur la nature de son travail, son pourquoi. Il m’apprend qu’il a fait des études de géologie. Il y a longtemps. Il est né en 1950. Ses parents sont arméniens. Aussitôt dans mon esprit, des liens se tissent avec l’Histoire. Ou plutôt le vide qu’a laissée cette histoire, le génocide, pas si loin de mon propre vide finalement. La discussion s’anime de plus en plus. Puis tout à coup, nous en resterons là. Comme si l'on avait grandement dit en peu de temps. Peut-être trop. Mais, nous avons envie de poursuivre. Pour faire une pause, il regarde mon travail. Je reste à l’extérieur pour terminer ma cigarette. Je n’aime pas accompagner pour voir, je n’aime pas donner d’explication. Je laisse chacun faire comme il veut, comme il peut. En ressortant, il me dit qu’il a été touché par mes tableaux. On se donne rapidement rendez-vous pour la fin de la journée, car déjà des visiteurs arrivent. J’ai pensé toute la journée à ces quelques mots échanges le matin. Après avoir fermé le rideau de fer de la passerelle, je n’ai pas éprouvé de gêne à descendre la rue, à pénétrer sous le porche, voir le jardin, pousser la porte de son atelier. Armand est là au milieu, plié en deux sur un petit chariot dont il récupère les roulettes, me dit-il, naturellement. La discussion reprend comme celle du matin. De mon côté encore plus silencieux si ce n’est pour poser des questions sur les grandes pièces que je vois. Des murs d’argile de couleur beige et ocre sur lesquels j’aperçois quantité de traces, de signes, parfois aussi de l’écriture. Cent kilos par plaque. Solide comme de la pierre une fois qu’elles sont cuites à 1 400 degrés. Il les envoie dans une fonderie industrielle. Je suis éberlué par tout ce que je devine comme manutention à produire. Il y a là des palans, un fenwick, des morceaux d’échafaudage, de grandes grilles constituées de fer à béton. Un espace immense avec là-haut une sorte de mezzanine éclairée par des verrières. Il m’apprend que le lieu est en désordre, car il l'a cédé quelque temps à l’association de théâtre qui organise le festival des bravos de la nuit dont il fut des années le président. Puis il enchaîne les expositions en ce moment, les pièces sont encore dans leurs caisses. Alors, il me confie son souhait de se reposer, d’avoir quatre ou six mois devant lui pour pouvoir se replonger dans un travail plus personnel. De se délivrer de la commande. La conversation devient de plus en plus amicale. Puis comme le matin, on sent tous deux simultanément qu’il est temps de l’interrompre. De retourner à notre solitude. Pour peut-être digérer tout cela, cette excitation de découvrir l’autre par le point commun, parfois un peu louche. Comment conserver le lien. Je n’ai plus de cartes de visite, tout a été emporté par les visiteurs. Demain, je reviendrai à Pelussin pour décrocher, je lui en glisserai une dans sa boîte à lettres, car il sera parti, je ne sais pas où, pour un nouveau chantier. Lien vers le site d’Armand|couper{180}

Armand