L’éblouissement abrupt
Huile sur panneau 1980 Pierre Tal Coat.
La différence entre photographie et peinture est sans doute située pour beaucoup dans le temps de l’éblouissement. La plupart du temps ce qui pousse à appuyer sur le déclencheur s’effectue à l’aveugle. Quelque chose happe le regard en dehors du viseur que l’on cherche à capter en le cadrant plus ou moins au travers d’un rectangle ou d’un carré. Un éblouissement premier qui s’est déjà enfui quand on appuie. A ce titre j’ai aussi abandonné la photographie suite à la prise de conscience qu’elle n’était qu’une tentative de se souvenir de cet éblouissement. Et, partant de ce constat qu’elle n’est qu’une interprétation subjective, donc peu fiable de ce qu’est réellement cet éblouissement. La photographie œuvre sur le passé, et quand bien même réglerait-on la vitesse d’obturation à son maximum de rapidité, il y a toujours un temps de retard par rapport à l’événement, cet éblouissement. Temps de retard qui est un gouffre, une béance que l’on cherche ensuite à combler par la pensée par des préoccupations plus ou moins esthétiques dépendants de l’air du temps, de la mode. La peinture au contraire me semble plus en adéquation, plus en synchronisation avec l’instant. Je ne pars pas d’une nostalgie lorsque je peins. La peinture n’a pas besoin de cause. Je me lance dans la réalité de la peinture et l’éblouissement vient alors naturellement en cours de route. Parfois, je ne le vois pas, je suis aveugle. Car souvent lorsqu’il se produit, il me faut une distance pour m’en apercevoir, et pas seulement les quelques pas qui vont m’éloigner de la toile punaisée au mur ou posée sur un chevalet. Cette distance, c’est du temps aussi. Parfois des jours, des semaines, des années. Soudain, je le vois enfin. Cet éblouissement est là, comme s’il avait toujours été là et qu’il m’attendait patiemment.
Abrupt, c’est vraiment cela. C’est d’un seul coup. Quelque chose qui s’effondre pour laisser surgir. Et, ce qui s’effondre, c’est le regard que l’on porte sur les choses et qui n’est pas notre véritable regard. Quand ça s’effondre, l’éblouissement surgi et c’est un regard non pas nouveau ou neuf qui entre ainsi en contact avec le vertige. C’est simplement notre regard tel qu’il a toujours été, mais occulté par tant de filtres qu’on l’aura aveuglé sans même en prendre conscience.
C’est par hasard hier que je suis tombé sur une vidéo [embed]https://youtu.be/XC-UGNau54o[/embed]et qui m’a soudain ramené dans cette admiration éprouvée pour le travail de Pierre Tal Coat. Qui m’a aussi rappelé la vertu de ces longues marches que j’effectuais dans la ville et dans la campagne sitôt que j’avais l’occasion de le faire. Le rythme rapide, parfois si accéléré de la marche qui naît inconsciemment et que je ne m’expliquais pas. Parfois presque à courir sans savoir pourquoi. Tal Coat fournit une explication par ses toiles. Pour perdre justement le regard que l’on a l’habitude de poser sur les choses. En accélérant le pas, on peut parvenir à distancer l’habitude de voir d’une certaine façon et l’on en découvre plusieurs autres qui toutes finalement convergent vers cet événement abrupt qu’est l’éblouissement, c’est-à-dire des retrouvailles finalement. La peinture ressemble à marche, sans doute que je m’égare de la même manière sur la toile que je m’égarais dans la ville, la campagne pour me désembourber des buts, souvent créés par la contingence. Contre toute attente, poussé par celle-ci, pour me rendre au travail, je parvenais avec un peu entraînement à m’égarer aussi. Il suffisait alors de prendre le temps suffisant, tailler la durée de manière plus large avant d’atteindre le lieu de l’enfouissement, le lieu du travail.
Une question vient ensuite de savoir si cet éblouissement peut se transmettre via la photographie, la peinture, l’écriture, n’importe quelle activité humaine finalement. Oui, je peux le constater de manière aiguë en revisitant le travail de Tal Coat. L’éblouissement est toujours là, il ne change pas. Nous devons perdre les écailles que nous avons sur les yeux pour le rencontrer. Ce n’est pas une affaire de volonté. Combien de personnes en voyant ces peintures ne verront que des croûtes... beaucoup certainement. De plus, il y a là un écart qui peut expliquer le malentendu entre le grand public et l’art moderne. La nature de l’éblouissement, sa définition. Et, c’est un paradoxe aussi, car aucun mot n’existe justement pour le décrire.
Quand j’expose mon travail de peintre, je m’agace souvent d’entendre les mêmes réflexions, le fameux, c’est beaunotamment. Mon égocentrisme en est habituellement meurtri. Et, ce malgré tous les efforts effectués pour dépasser cela. Peut-être alors que je devrais me souvenir de ces mots que j’écris aujourd’hui à propos de cette affaire d’éblouissement. Ce constat qu’il ne peut se traduire par des mots. Ou alors des mots qui semblent à priori parce que tellement entendus continuellement sonner creux. Car l’éprouvant, les personnes ne peuvent le garder pour elles, qu’elles se sentent fréquemment obligées d’en parler avec le vocabulaire qui vient. Que ce ne sont pas les mots utilisés l’important, mais cette intention de dire oui, je l’ai ressenti moi aussi. J’ai pénétré dans le même éblouissement, merci.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}