Les romans-photos.

Depuis le sommet de l’ennui, dans ce paysage vallonné, comme un affront à la vitalité de mes 14 ans. Si vaste, ce paysage semble être encore dans la mémoire. Si paradoxal cet ennui alors que s’offrent tous les possibles. Se resserrer dans un non faire ou presque. Comme si pour tenter de tuer l’ennui la meilleure arme conservée put être l’immobilité. Ainsi en se confondant en celle-ci, peut-être comprendre la source de cet ennui plus intuitivement qu’autrement. Et, tout à coup, une après-midi, cette plongée dans les magazines auxquels mes grand-parents étaient abonnés ou avaient été abonnés. Il y en avait toute une collection. J’essaie de me souvenir de l’endroit où ils étaient rangés ici, dans la grande pièce qui servait de pièce de vie, de salon et de salle à manger. Sûrement près de la cheminée, pas loin des bûches, des rondins. Un de ces meubles bâtit en parpaings et recouvert d’un carrelage roux. À l’automne, on se saisissait d’un imprimé pour en déchirer une ou deux pages afin d’allumer le petit bois des premières flambées. Mais, ce jour-là encore tout ensoleillé, à 14 ans, étouffé d’ennui, prendre, comme on ramasse un caillou sur un chemin, attraper un magazine et le feuilleter. Plus de souvenir duquel… Mais, les titres défilent encore : Ici Paris, Nous Deux, Jour de France, Rusticail y avait aussi sur la seconde pile les catalogues de la Redoute. Et, plus loin, me semble-t-il, la pile des bottins téléphoniques, le dernier en date ayant sa place ailleurs, tout près du téléphone posé près de la fenêtre. Attraper un magazine à l’heure de la sieste dans ce silence à peine ponctué par le ronflement des dormeurs derrière les cloisons épaisses, par le vrombissement d’une mouche qui n’a pas encore été capturée par le ruban collant pendant au plafond. Lire les gros titres en couverture, éprouver la souplesse de celle-ci entre les mains, puis l’ouvrir et tourner les pages en quête d’un point d’intérêt, non, pas vraiment. Mais, pour passer le temps autrement. Pour prendre l’ennui par un autre bout. Pour faire une autre expérience, tentative de s’en évader, déjà presque un effort créatif, pour ça je n’ai jamais été à court.
Et, découvrir le roman-photo. Quelques feuillets placés là comme une pause entre les publicités, les articles plus ou moins sérieux, les ragots sur telle ou telle vedette. Les petites annonces et les formulaires d’abonnement. Souvent noir et blanc encore, entouré par tant de pages couleurs. Des histoires d’amour, toujours à peu près les mêmes. Même canevas que l’on finit par repérer quand on en lit plusieurs. Des stéréotypes. Les dialogues noirs entourés de blanc coincés dans des bulles plus ou moins rondes ou alors des rectangles allongés dont on a adouci les angles. Découvrir ainsi une sorte de médiocrité allant bien avec l’ennui et s’y plonger, s’y absorber. J’ai conservé l’idée de cette médiocrité comme le plaisir un peu coupable qui l’accompagne. Peut-être parce que ce mot de médiocrité tient plus d’une défense, d’un refus, d’une résistance adolescente. Ne place-t-on pas l’amour si haut que de le surprendre ainsi dans un magazine déçoit. Le trouver dans un roman-photo... cela crée un trouble. Et, s’ajoute au trouble éprouvé quand on vit les derniers jours de vacances, avant de glisser irrémédiablement vers l’âge adulte. Ce que l’on perçoit de tous ces stéréotypes que sont le patron, la secrétaire, le monde du travail. Une réduction tellement criante de la réalité que son cri met mal à l’aise. Mais, ce malaise provoque simultanément un plaisir étrange. La perversion d’une réalité que l’on devine. Avec comme unique recours ou secours, les histoires d’amour. Et, leur platitude au bout du compte qui servira d’antichambre à une platitude plus grande encore que l’on devine aussi certainement déjà. Lire ces romans-photos fut un acte solitaire, et j’imagine que mes grands-parents auront fait de même. Chacun se taisant sur ces quelques pages lues. N’échangeant jamais sur elles. Au lieu de cela plus tard dans la soirée, on allume le récepteur de télévision pose face à la table. Le dîner se déroule ainsi dans une autre sorte d’hébétude. Mais toujours silencieusement. La mouche est collée au ruban du plafond, inerte. Les fenêtres donnent sur la fin du jour. Un peu plus loin un véhicule passe, un tracteur qui rentre à la ferme. Le bruit nous arrive, amorti par la distance et le silence qui se glisse entre deux publicités. On pense alors que la vie entière pourrait bien ressembler à cette médiocrité découverte, un peu au hasard, dans l’ennui d’une après-midi d’août dans le bourbonnais. La vie pourrait bien n’être qu’une somme d’histoires aussi médiocres que celles lues dans ces romans-photos.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}