L’importance de la série

Les meules Claude Monnet.

Pour poursuivre sur les parallèles entre peinture et photographie, la série est sans doute ce qu’il peut y avoir de plus en commun. Du moins en apparence. Si le photographe effectue plusieurs clichés d’un sujet, c’est pour changer de point de vue, pour obtenir le meilleur angle. L’idée de la série est une nécessité photographique, et elle commence dès la prise de vue. L’intention est de trouver la bonne image en tournant autour du sujet, avec la bonne focale, le meilleur couple, vitesse, profondeur de champ. Une idée flotte dans l’esprit encore à propos de la photographie et du photographe. Autrefois aide du bourreau appelé pour maintenir la tête du condamné pour que la guillotine tranche proprement pour que tout soit bien parfait.

Est-ce la même chose pour le peintre face à son tableau ? Une fois le tracé effectué sur la toile, le peintre peut prendre du recul, mais il ne peut plus modifier de trop la composition tracée sur le tableau. Ainsi, pour obtenir la même sensation de série que pour la photographie, il doit prendre le temps à chaque étape de son travail de le documenter, de noter, sur toutes les ébauches, les esquisses, tentatives préalables afin de réaliser des photographies témoignant de ce travail. Ce qui se fait assez peu, du moins avant l’apparition d’internet et des réseaux sociaux. Il y a très peu de temps que je le fais moi-même et pour dire toute la vérité, cela ne sert que pour alimenter les réseaux sociaux, attirer de nouveaux élèves essentiellement, voire des collectionneurs. Durant des années, je n’éprouvais pas ce besoin. J’ai juste quantité de carnets de croquis dans mes placards qui peuvent servir à informer les curieux.

Et puis c’est la partie parfois un peu honteuse du travail, les manqués, les échecs, sont bien plus nombreux que les réussites. C’est aussi ce qu’on se dit pour ne pas les montrer. Cela semble se rapprocher trop d’une exhibition. Et c’est évidemment un tort. Ce que l’on montre au public n’est finalement qu’une très infime partie du travail. Et pour les personnes profanes, c’est presque les tromper de ne montrer que cela. Elles ont ainsi des mots qui leur viennent à l’esprit comme don, talent, génie, inspiration... alors que l’essentiel provient de cette partie immergée de l’iceberg. Peu de photographes ont d’emblée montré leurs clichés manqués, ce sont des universitaires, des passionnés qui sont allés fouiller dans leurs archives quand elles existaient encore. Je pense notamment à Eugène Atget déambulant dans la ville en quête de trouver la meilleure position, le meilleur point de vue pour capter une attitude chez un passant anonyme. Des milliers de clichés qui, si on les met bout à bout, témoignent à mon avis bien plus de son travail que l’image dite aboutie que l’on conserve dans la mémoire collective.

Quelques clichés pour documenter une de mes peintures.

Il y a deux manières de considérer l’idée de série. Une comme suite d’étapes pour parvenir à quelque chose, disons un but. Et, une autre qui serait une collection d’images attestant chacune d’avoir atteint à ce que quelque chose. Ainsi, il y aurait une ressemblance, une familiarité entre toutes les images alors obtenues autour d’un « thème ».

Est-ce qu’un thème suffit à expliquer une série ? Cela a toujours été mon questionnement comme peintre plus qu’autrefois comme photographe. Notamment si j’essaie de me souvenir du travail d’autres peintres. La Cathédrale de Rouen de Claude Monnet, la montagne Sainte-Victoire de Paul Cézanne, les natures mortes de Giorgio Morandi... pour ne citer que ces trois. Une répétition de la même chose, parfois avec la même composition. La seule chose qui change étant la lumière, les couleurs. Quelques lignes en plus ou en moins. Ce sont des séries, mais on pourrait les rapprocher de ce que cherche le photographe sur une seule pellicule. Ce sont des essais. Des essais admirables, néanmoins des essais tout de même. De toutes ces images que l’on retient ainsi de la cathédrale de Rouen peint par Monnet, laquelle est la plus belle, la plus achevée ? Personnellement bien en peine de le dire. Elles se retrouvent sur un pied d’égalité et il semble en manquer une, celle que l’on s’invente en les observant toutes. Une image totalement imaginaire que chacun peut s’inventer pour lui-même. La série ainsi abordée est donc d’une certaine manière le témoignage d’un échec du peintre en quête de cette même image qui se dérobe toujours sur la toile.

On ne retient de ce fait d’un photographe, d’un peintre que ces images alignées en série la plupart du temps. C’est à partir de ces séries qu’on les identifie. Par ailleurs, j’ai toujours éprouvé une sensation de malaise que l’on puisse réduire ainsi le travail à finalement si peu. Une sensation de mensonge, de manipulation aussi. Sans doute dû à mon côté paranoïaque, mais pas seulement. Il n’y a qu’à regarder comment se présentent de nombreux peintres sur les réseaux sociaux. Cette obligation d’unité, de cohérence qui finit par produire un immense phénomène de clonage. Notamment concernant la peinture abstraite. J’y vois le résultat d’un mensonge à deux étages. Pour commencer, une idée erronée de penser qu’en se concentrant sur une seule chose, en tentant de l’amener à une perfection, on finit par s’assécher. Simultanément, le marché de l’art utilise les mêmes ressorts que les publicitaires. Le but est d’identifier un produit, une marque, et ainsi en stock, des peintres et de l’art, des produits fabriqués de toutes pièces et en série. Ensuite, que le peintre prenne pour lui de telles préoccupations mensongères pour en faire une sorte de graal artistique, parfois en toute sincérité, tient simultanément de l’ironie et provoque un émoi profond en moi. Pour ceux-là une profonde sympathie. Pas pour ceux qui intentionnellement acceptent de marcher dans la combine en toute connaissance de cause. Pas pour les opportunistes.

La perfection, cette idée venue de loin pour ne citer que Platon, plane au-dessus de celle de la série.

Cette idée qu’il faille la chercher, cette perfection plane encore aujourd’hui. Elle nous empoisonne bien la vie. Toute une interprétation du monde s’est greffée sur ce mot, entraînant les guerres de religions, la révolution industrielle et bien entendu l’industrie du luxe comme de l’art. Faire croire qu’il puisse exister une idée de perfection due à la ténacité, à l’acharnement, a l’inspiration comme à la grâce m’a toujours révolté dans le fond. Parce que les yeux rivés vers cet ailleurs, on ne voit rien souvent de ce qui nous entoure. Alors qu’il n’y a qu’à regarder seulement pour la voir cette perfection telle qu’elle est. Perfection, réalité, l’être, la nature... évidemment ce ne sont que des mots placés dans un texte, ce sont toutes ces esquisses, ces ébauches, ces négatifs rangés dans des boites, des placards. La perfection n’est rien d’autre que ce qui est voilà tout, elle déborde de beaucoup l’idée que l’on puisse la voir au travers de la lorgnette d’une série.

Liens utiles

[] http://expositions.bnf.fr/atget/arret/20.htm

[embed]https://youtu.be/8Nh_gMvhLvE[/embed]

https://www.tierslivre.net/ateliers/author/ateliers/

Ce texte est inspiré par une proposition de François Bon #photofictions. En périphérie de la consigne, mais sûrement utile pour pouvoir l’aborder ensuite avec l’élan qu’elle nécessite.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre