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Être un autre

On avait des vues sur ce petit lot. Une vision étriquée. L’autre avec sa vue basse nous l’aurait vanté. — Fermez les yeux, imaginez. Ici une piscine, là un trampoline, sur le pilier du portail une pancarte “sam suffit” Hein que vous seriez bien. Aux petits oignons Avions-nous pris conscience de la présence d’une quatre voies à deux pas du lieu ? De la voie de chemin de fer ? Rien de tout ça. Obnubilés par le faible prix du terrain, et surtout la sensation inédite d’avoir “de quoi”, nous avions foncé tête baissée. On avait signé le soir même. Je peux m’en souvenir, j’avais soudain pris conscience à ce moment même que les choses n’étaient pas immuables. Ma vision semblait s’être élargie en même temps que ma conscience. Posséder un petit lopin de terre ne vous transformait pas seulement en propriétaire. Vous deveniez un autre homme voilà tout. On peut vivre la même chose à moindre prix. Acheter une nouvelle paire de chaussures par exemple peut tout aussi bien faire l’affaire. J’ai conservé ça de l’enfance. Une nouvelle paire était une fête véritable. Un bref moment cependant. Car aussitôt aux pieds je m’évertuais à la salir. Il ne fait pas bon avoir des chaussures neuves à la récréation. On sera traité de tout, moqué ; autant ne pas passer par cette case là. Il suffit de marcher dans la boue, dans la cendre, et l’affaire sera réglée. Mais le souvenir d’une paire de chaussures neuves aux pieds, c’est quelque chose. J’ai beau avoir dépassé la soixantaine, c’est toujours le même plaisir, le même étonnement, la même inquiétude. Changer de voiture peut aussi élargir la conscience. Améliorer nettement la vision des choses. Rien que d’ouvrir la portière, s’installer au volant et renifler cette odeur spécifique du neuf. Encore que je n’ai acheté qu’une seule fois de toute ma vie une voiture neuve. Je me souviens comment la métamorphose s’est effectuée sans même que je ne m’y attende. Ne serait-ce qu’appuyer sur la commande des vitres pour les baisser ou les relever, ça vous change vraiment un homme. Changer de compagne ne fait pas longtemps illusion. Mais les premiers temps malgré tout une sensation d’élargissement s’opère. Une nouvelle compagne vous donne l’illusion d’être un nouvel homme. Cependant en moins de six mois de temps vous vous rendez compte que ce n’était qu’une illusion. Le naturel revient au galop. C’est douloureux les premières fois. Ensuite on s’habitue, on devient plus circonspect avec ses enthousiasmes, on temporise, on se méfie. L’autre n’a pas grand chose à voir avec le phénomène. Tout ça vient seulement de soi. On a tellement envie d’être un autre à certain moment de notre vie que toutes les occasions semblent bonnes pour se leurrer. On met du temps à prendre conscience que c’est la conscience qui se sert de nous pour se voir elle-même. Que nous ne sommes que des jouets qu’elle emprunte le temps d’une ou deux expériences. Peut-être que pour une seule expérience qu’elle désire explorer toute une génération de femmes et d’hommes, d’enfants lui seront nécessaires. Il n’y a pas à s’en plaindre pas plus qu’à s’en réjouir. Les choses semblent être ainsi. Et nous y participons grandement doté de notre sensation du temps, de notre envie de changement, et de l’ennui qui parfois sous-tend nos quêtes. Nous ne sommes jamais parfaitement heureux de ce que nous avons. Nous ne savons même pas ce que nous possédons la plupart du temps. Je ne parle pas de valeur, de mesure, mais de l’importance que nous attribuons vraiment à ces choses. Quelle importance pour moi que ce clavier, cet écran, ce stylo, cette table, ce bureau, cette maison, ce village, cette région, ce pays, cette planète ? Se pencher sur cette notion d’importance améliore peut-être la vision, c’est peut-être en creusant l’importance qu’on améliore sa vue, que la conscience se surprend elle-même à s’élargir. Ensuite il convient de choisir. Attribuer à tout la même importance, ou n’en attribuer à aucune. Ce sont aussi deux expériences à tenter. Il n’y en a pas une meilleure que l’autre. Ne rien posséder change aussi la vision d’un homme, peut tout aussi bien réduire drastiquement le champs de vision que le contraire. Pourquoi cela varie t’il suivant les individus, probablement parce que nous sommes des individus. Que chacun est unique quoiqu’on veuille nous faire croire. Que chacun est indispensable à la conscience du monde, qu’il ne pourrait même n’y avoir aucune conscience sans ça. Il n’y aurait juste qu’un instant présent, un état d’hébétude prolongé à l’infini, Un vaste désert où nous ne serions que des cactus.|couper{180}

Être un autre

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caviardage 1

un nouvel exercice, inspiré par Lucien et Perle|couper{180}

caviardage 1

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Nouveauté

Nouveau dossier, nouveau fichier, nouvelle page, nouvelle idée, nouvel élan, nouvelle tentative, nouvel échec, nouveau recommencement, nouvel espoir, nouvelle déception, nouvelle pilule, nouveau cachet, nouvelle boite, nouvelle plaquette de cachets de pilules, nouvelle insomnie, nouveau matin, nouvelle journée, nouvelle saison, nouveau soleil, nouvelle floraison, nouveau truc pour se cantonner à du nouveau essentiellement, nouvelle croyance, nouveau regret, nouveau souvenir, nouvelle tâche, nouvelle date, nouvel élève, nouvelle exposition, nouvelle angoisse, nouvelle inquiétude, nouveau subterfuge, nouvelles du monde, du pays, du quartier, nouveau magasin, nouvelles têtes, nouvelle poignée de main, nouveau cul tourné, nouvel an, nouveau siècle, nouvelle voiture, nouveaux problèmes, nouvelle monnaie, nouveau carburant, nouvelle arnaque, nouveau défi, nouveau supermarché, magasin de nouveautés, boutique neuve, nouvelle vitrine, nouveaux produits, nouvelle caissière, nouveau visage, nouvelle voix, nouvelle rencontre, nouveau bar, nouveau discours, nouveaux mensonges, nouvelles querelles, nouveaux malentendus, nouveaux principes, nouvelles habitudes, nouvelles rues, nouveaux détours, nouveaux contours. Nouvel horizon, nouvelle perspective, nouveau point disparaissant derrière de nouvelles constructions.|couper{180}

Nouveauté

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Codes

Vous avez passé le code, maintenant passez la conduite Ils ont leurs codes. Au début ça peut paraître hermétique. Il vous faut décoder tout ça. Vous pourriez vous en faire un code d’honneur Pouvez-vous allumer les codes s’il vous plaît, je crois qu’il vous manque une ampoule Pour entrer sur le site inscrivez-vous, choisissez un identifiant et un mot de passe Ne donnez jamais votre numéro de code bancaire Tapez votre code. Vous avez perdu votre code ? Pour récupérer votre identifiant ou votre mot de passe Cliquez ici. Pour plus de sécurité une double identification est désormais demandée. Si vous voulez des informations sur vos comptes taper votre code postal, tapez votre numéro de compte client Taper 1, tapez 2 tapez * pour revenir au sommaire. Quel est votre code guichet, votre code banque ? J’essaie de décoder ce formulaire. Pourriez-vous m’indiquer le code de la porte C’est le même code pour les deux portes. Par contre le code du portail est différent. N’inscrivez pas votre code n’importe où. Il est préférable de mémoriser votre code. Vous pouvez désormais utiliser ce nouveau code. Quel est votre code postal ? Votre code est confidentiel ne le partagez avec personne. Pour obtenir votre code inscrivez votre identifiant ou votre adresse email Pour entrer sur votre messagerie tapez votre code Vous n’avez pas de mémoire voici un service payant pour rassembler tous vos codes. Pour y accéder taper votre code client. Pour créer votre site pas besoin de savoir coder. Si vous voulez plus d’options ,suivez notre formation Vous deviendrez un expert en code HTML En code CSS en PHP en Python, en C, en C++ Allumez les codes, éteignez les, vous avez oublié d’éteindre vos codes. Vous êtes à plat, il n’y a plus de batterie. Désormais chaque génération possède ses propres codes. Les codes des cités, les codes des francs-maçons, les codes de la chevalerie, les codes à respecter en entreprise, à l’église, dans la file d’attente, les codes pour comprendre les codes, les codes pour se rappeler tout ce qui devra être oublié, le code civil, nul n’est sensé ignoré la loi, la loi et ses codes, les codes du bien vivre ensemble, les codes pour tenir une fourchette et un couteau, les codes pour dresser une table, pour arranger des fleurs, pour boire de l’eau dans le bon verre. Le codicille sera à ajouter en bas de page, ou sur une feuille à part. Le code de bonne conduite. Allumer vos codes, ne roulez pas plein phare, respectez le code de la route. Le code pour la cérémonie du mariage, du baptême, de l’enterrement, levez-vous asseyez-vous, chantez, ne chantez plus, ne dormez pas, les codes pour s’asseoir correctement sur un safu. Ça vous fait mal aux genoux, dura lex sed lex. Le code pour se plier en quatre, pour se déplier durant les heures de pointe. Le code pour être enfin riche, enfin libre, enfin heureux, enfin beau. Le code pour bien manger, le code pour être en bonne santé, pour vivre vieux en bonne santé, le code pour oublier qu’on est cerné par les codes.|couper{180}

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Marché aux sons

. Par l’ouïe du poisson, par l’œil encore vif, indice de fraîcheur Vision des files d’attente, perspective des racks des rayons Silhouettes avec caddies Musique sirupeuse, réflexe de Pavlov, Le cabillaud lorgne la morue le persil frise. Le hachoir fend l’écaille, la chair, l’arête, mais pas trop gros Pas trop épaisse la tranche, — Et avec ceci ce sera tout, — non mettez moi donc Des moules, ce petit bout de loup, et six sardines. — Je vous les vide ? — Avec plaisir. Le son des voix à la poissonnerie, dans le supermarché de la ville Par le rayon des surgelés, le son des emballages, riz cantonnais, paella royale Un bruit sableux, vague sensation crissement de la sandale sur une plage. Filets de colin panés en promotion Frites au four, steaks congelés. Au lieu de onze euros si vous en prenez deux. Chez le traiteur le bourdonnement sourd de la machine à trancher le jambon — Comme ça ça ira ? — un peu moins épaisse s’il vous plait — vous m’avez bien dit quatre ? — finalement mettez-m ’en six et puis deux tranches de pâté en croûte, pas trop épaisses non plus. Caisses devant l’entrée pour accéder à la sortie. — Je n’ai que ça je peux passer devant vous — vous savez à nos âges on a le temps. — Il fait si froid pour un mois de mai — non ça s’arrête là le reste est à la dame derrière. — vous avez bien pris en compte la réduction ? — j’ai combien de points sur ma carte ? — Vous payez par carte Vous avez la carte de fidélité, vous voulez le ticket, vous prenez les vignettes Juste avant la sortie le bruit du distributeur de billets Très mécanique froissement violent, crachement de papier A coté le bruit du flash du photomaton, le bourdonnement du développement, le grelot du rideau qu'on tire Le choc des feuilles plus épaisses contre la tirette en plastique Par le parking le son de la chaîne du caddy qu’on libère en entrant un jeton dans la fente. Le bruit du caddy qui s’encastre dans un autre caddy Le bruit de l’allumage du moteur, des pneus qui couinent sur l’asphalte, de la vitesse qu’on passe, Du klaxon intempestif ou compulsif Dans l’habitacle de l’automobile le léger bruit du bouton de l’autoradio qu’on allume La voix de Bruce Springsteen chantant Born in USA Le bruit de l'alarme qui dit que la ceinture n’est pas bouclée Le petit clic quand on la boucle Le bruit du clignotant sur le gauche La seconde qu’on enclenche|couper{180}

Marché aux sons

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Suivre la voie du timbre-poste

C’est en lisant des poèmes qu’on peut se rendre compte. Peut-être pas tous. Certains poèmes. Ceux qui ne traitent que d’une seule idée à la fois . Qui ne sont pas feux d’artifice. Qui ne partent pas dans tous sens. Encore que rien contre tous les sens. Le sens est important. Mais ici, le propos est le timbre-poste. chercher et suivre la voie du timbre. Trouver un timbre-poste, s’y tenir, s’y accrocher, ne pas lâcher l’affaire, métamorphose en pit-bull philatéliste, en spéléologue explorant les abîmes du parallélépipède postal. Le timbre-poste n’est pas plat comme une limande. Plus on s’en approche plus on lui découvrira un volume. monumental en proportion de la concentration de qui vient à lui. Un timbre-poste peut-être un bloc monstrueux, un édifice inquiétant, proche des dolmen, des menhirs, des pyramides aztèques ou maya, du gigantisme de Baalbek ou de Lovecraft. Trouver un timbre-poste. Aller à la rencontre du timbre-poste. Comment faire ? Comment s’y prendre ? Avec toute l’abondance autour comment distinguer celui-ci, que sera le bon timbre, le juste timbre, le gong. un timbre-poste dans le chaos général. Y aller à la loupe et circonspection. Prendre l’autoroute pour se rendre dans telle ou telle ville en quête du timbre est un risque. On ne sera pas seul sur la route. Beaucoup semble à la recherche de la même chose. Préférer les nationales, les départementales, les vicinales. Chercher l’oblique la diagonale, bien plus dynamique. Faire attention aussi où l’on pose les pieds si l’on marche à pied. Y aller d'un bon pas sans se perdre en tergiversations, se munir d'une carte d'une boussole, savoir se repérer grâce au soleil à la lune aux étoiles. Ça prend plus de temps parfois mais ce n'est pas bien grave. On risque moins de rouler sur un timbre-poste sans même le voir. A cheval il faut lutter contre la légende transmise de cavalier en cavalier que tout puisse être ou ne pas être sous le sabot de la monture. Vu sous cet angle obtus, par la lorgnette, un être humain est un timbre-poste. Sous cellophane, papier cristal planqué dans l’anodin, le désordre, la multiplicité des envies sans but. Dans le chaos des envies brutes. Tout être est timbre-poste, non oblitéré, vierge de toute salive encore. Aucun crachat, sans postillon. Pas plaqué sur une enveloppe, autonome, inconnu Vu sous un autre angle encore plus obtus la phrase. Le mot. La lettre. Tout ce qu’on emploie pour dire la sensation, indicible. Ce qu’on ne sait pas dire, ce qu’on n’arrive pas à sortir. Mais qu’ on voudrait quand même dire. La toute petite sensation timbre-poste dans laquelle on s’enfonce, on sombre, on décroche. Sables mouvant mer au galop, archange juché sur une flèche. Omelette à gogo. Un morceau de pelouse, un matelas rembourré, un corps de tout son long offert et hermétique. Offert à l’œil, à la main, aux narines, à la langue, hermétique à toute pensée. Black-out total. Les neurones dysfonctionnent, court circuit dans les synapses. C’est offert mais inaccessible à la pensée. Qu’aux sens de s’y risquer. S’y jeter. Se jeter dans le timbre-poste, puits infini, puits sans fond, les yeux fermés, la bouche close, se pincer le nez, les oreilles, comme on plonge dans la mer. La curiosité fera le reste. La curiosité le facteur entre la peau et la cervelle. Le timbre-poste peut-être une obsession. Faire de ses obsessions des timbres-poste. C’est plus facile avec les obsessions. Ça nous regarde. Au regard de l’obsession qui nous cloue au mur, au sol, à l’arbre, au ciel. Ouvrir les yeux en grand, ne pas en perdre une miette. Absorber comme un buvard. Recracher tout ensuite par la bouche pêle-mêle dans un trou. Laisser mijoter un moment. Attendre quelques heures, quelques jours, que l’écho fasse son Job. Que le boomerang revienne. Au regard de ce qui revient, dit karma, explorer le malaise, devenir circonspect, ne prendre que ce qui nous appartient vraiment. Laisser de coté les courriers mal adressés. Retour à chaque expéditeur , retour à l’envoyeur souhaité mais pas indispensable. Ouvrir les oreilles en grand maintenant. Plonger dans une mémoire d’éléphant, ne pas se tromper de mémoire. Reprendre tout ça, le malaxer dans le son jusqu’à trouver l’accord. Un seul timbre-poste, un unique accord, se délier les doigts, tenter quelques arpèges. Si ça sonne ne pas courir vers la porte. S’y rendre doucement.|couper{180}

Lovecraft
Suivre la voie du timbre-poste

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Extinction

Extinction de voix. Aujourd’hui je reçois les gamins d’une école à la médiathèque du village. Le père Fouras de Fort Boyard , ou pas loin. Plusieurs groupes. Celui là regarde uniquement les prix des tableaux. Ils les disent à haute voix tout en s’en offusquant. En en plaisantant. A part ça, à part le prix des choses, les émotions, les sensations sont à peine livrées. Ou encore il faut absolument y voir quelque chose, des bonshommes, des fleurs, un lézard, une fourmi. Je m’écoute parler avec ma voix éteinte. Je me surprends à être d’une étonnante affabilité. Si quelqu’un fait une erreur, je dis nous avons commis une petite bévue. Nous en rigolons. L’heure tourne, les groupes s’enchaînent. Malgré tout, à la fin, quelques-uns disent ça donne envie de dessiner, de peindre. On ne sait pas si c’est sincère ou par pure politesse, ou encore si sont de bons élèves toujours plus ou moins en représentation devant leur maîtresse. Mais malgré cela, le temps pourri,et la fin du monde, ça vaut le coup. Ça vaut toujours le coup de discuter peinture avec les enfants. Un homme s’installe à la terrasse d’un café parisien. Il sort un calepin, un stylo et il se met à écrire. Il est absorbé par ce qu’il est en train d’écrire, le monde autour n’existe pas. C’est peut-être ça le bonheur et le malheur d’écrire tout à la fois. Pour celui qui observe l’homme en train d’écrire, victime de sa propre fascination, il y a des chances pour que rien d’autre n’existe qu’un homme en train d’écrire à la table devant lui. Observer quelqu’un en train d’écrire peut tout autant nous retirer du monde. A quoi pense t’on quand on voit un homme entrer dans ce café, sortir un calepin, un stylo et se jeter tête la première dans l’écriture ? On peut penser à une certaine forme de solitude, à une représentation théâtrale, on pourrait imaginer un homme dont le but serait de se donner en spectacle. Regardez tous je suis en train d’écrire. Ou encore du mépris, je ne tiens absolument pas compte de vous, du monde dans lequel vous êtes, regardez je prends mon calepin, mon stylo et je disparais dans la longue cohorte de signes que j’aligne les uns à la suite des autres. Qu’est-ce qu’il peut bien être en train d’écrire cet homme. On pense presque aussitôt à un journal, ou encore à un récit, une nouvelle, des notes pour un roman en cours. On pense beaucoup plus rarement à un brouillon de lettre d’amour, un brouillon de lettre de démission, à une lettre à son père, à une lettre de motivation. Peut-être n’est-il rien d’autre qu’un fouineur, un détective privé en train d’effectuer un rapport d’adultère. Ou encore pire un comptable. Ce ne sont peut-être rien d’autre que des suites de chiffres qu’il est en train d’aligner. Un homme s’installe à la terrasse d’un café. Pourquoi n’ai je rien d’autre à faire que de l’observer, que d’y penser. Ce pourrait aussi être une très bonne question à me poser. Ai-je pris le temps d'observer l'homme pour ce qu'il est vraiment. Froidement. Bien sûr que non. Il a été immédiatement classé dans une catégorie. La catégorie des hommes qui écrivent dans les cafés. Probable que cela soit aussi la catégorie des écrivains, peut-être celle des journalistes. Catégories arbitraires évidemment. Car un écrivain peut très bien écrire chez lui de même qu'un journaliste. Si je pousse encore plus loin ma pensée, n'est-ce pas parce que j'ai moi-même écrit dans de nombreux cafés parisiens que m'est venue spontanément cette interprétation. On ne voit guère plus loin que le bout de son nez. C'est un fait. On devrait toujours s'en rappeler. Notamment quand l'attraction devient aussi forte, c'est parce qu'on reconnait quelque chose qui n'appartient qu'à nous-mêmes. Un homme s'est installé à la table devant la mienne. Il est entre deux âges. J'ai toujours une fichue difficulté à donner un âge. Disons la cinquantaine. Il est vêtu sobrement. Pour un peu il pourrait passer inaperçu. D'ailleurs mon regard fait le tour de la terrasse, il n'y a bien que moi qui regarde cet homme. Les autres consommateurs sont plutôt perdus dans leurs pensées, ou encore à regarder leurs écrans de smartphone, d'autres fument en levant le nez au ciel. Ceux qui sont en couple cherchent des compromis. Le loufiat slalome entre les tables. C'est certainement un homme d'expérience, de métier, détectable à son agilité et l'économie de ses pas. Je garde un œil sur l'homme qui écrit en essayant d'agrandir le périmètre. De reprendre peu à peu contact avec le monde. Des pigeons lourdauds zigzaguent entre les tables, se faisant dépouiller les miettes de pain par des moineaux. De mon point de vue les oiseaux expliquent à eux seuls une grande partie du monde tel qu'il est vraiment. Lourdeur, pesanteur, contre agilité, fluidité, rapidité. Un homme s'est installé à la table de ce café où je me rends régulièrement pour écrire moi-même. Il a sorti son calepin son stylo et il s'est mis à écrire. La fascination dans laquelle je me suis soudain retrouvé provient de toute évidence d'un phénomène de reflet. Je n'ai d'ailleurs pas sorti calepin ni stylo. Je me suis contenté d'observer. La rédaction d'un billet de blog ne devrait pas surprendre le lecteur. Après tout on est conduit sur un blog suite à une requête. Aujourd'hui cela se passe comme ça. Si je tape extinction de l'espèce sur Google ce billet pourrait avoir des chances d'apparaitre vers la centième page que propose le moteur de recherches. Qui est assez patient pour feuilleter un moteur de recherche jusqu'à cent pages... personne je crois. Donc je peux bien écrire tout ce qui me chante sur ce billet de blog étant donné le faible pourcentage de chances qu'il apparaisse en première page. Les gens adorent les histoires. Les histoires sont toujours les mêmes. On peut imaginer qu'une histoire soit différente d'une autre, mais en fait il y a de grandes chances pour qu'on découvre qu'on connait déjà l'histoire au fur et à mesure qu'on la lira qu'on s'en souvienne. Sur quoi peut-on innover dans ce cas ? L'absence d'histoire ? Ecrire des textes sans histoire ? On peut avoir ce but bien sûr. Mais le lecteur veut une histoire. Si vous ne lui donnez pas une histoire il l'inventera de lui-même. Il dira voici un homme qui a sorti son calepin, son stylo dans un café parisien, voici un homme en train d'écrire quelque chose. On ne sait pas ce qu'il écrit. Qu'est-ce qu'il peut bien être en train d'écrire cet homme ? voilà, on est déjà dans une histoire sans même rien savoir de ce que l'homme est en train d'écrire. Je pourrais aussi ajouter à ce billet la recette de la tourte aux pommes de terre. ça pourrait constituer un élément narratif. Incongru certainement mais sommes-nous à une incongruité près ? Il faudra vous munir de deux pâtes brisées ou feuilletées. Personnellement j'ai une préférence pour la pâte brisée, son aspect rustique. Il vous faudra quelques pommes de terre, 5 ou 6 assez charnues. Des oignons, de la crème fraiche , un couteau, un four, du persil. coupez les pommes de terre en tranches pas trop fines pas trop épaisses coupez les oignons en tranches idem Ensuite mettez donc la pâte au fond d'un plat à tarte ( vous pouvez conserver le papier sulfurisé ça évite de mettre des matières grasses et c'est plus facile à nettoyer ensuite) une couche de pomme de terre une couche d'oignon, sel, poivre, persil on recommence jusqu'au bord du plat à tarte. Ensuite on recouvre le tout avec la seconde pâte. On perce une petite cheminée dans le centre pour que la tourte n'explose pas Four à 200 degrés, 45 minutes de cuissson Ensuite on verse la crème fraiche épaisse par la cheminée, on renfourne encore cinq minutes. Peut se manger chaud, tiède ou froid. Excellent comme plat du soir avec un peu de salade verte. Un billet de blog peut être vraiment quelque chose de très bizarre. Si on ne tient pas à être absolument dans les premières pages de google évidemment. Cela me fait penser à ces vieux bouquins les tout en un j'adorais fourré mon nez dedans par temps de pluie. On pouvait passer ainsi une matinée une après-midi entière à naviguer d'un article à l'autre sans s'ennuyer le moins du monde. Tout à fait autre chose que d'aller se balader dans la campagne. Surtout quand on connait la campagne comme sa poche.|couper{180}

Extinction

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Choses dont je peux facilement me passer

Alors là, les choses se bousculent au portillon. L’embarras du choix guette. Il faudrait mettre en place un dispositif pour organiser toutes ces choses. Leur offrir la possibilité de se ranger dans des catégories les calmeraient peut-être. Le sérieux. Le ridicule absolu du sérieux. Dans lequel je tombe instinctivement comme dans un refuge. De façon inconsciente. Par pur mimétisme de que ce j’imagine du sérieux. Monsieur Loyal n’arrive pas à occulter Auguste. Mais Auguste ne peut exister que parce que Monsieur Loyal croit dans son propre sérieux. Puis je me passer du sérieux comme de la fantaisie ? Que se passerait-il sans ces deux là ? Ce ne serait pas facile. Ce serait même difficile. Je ne peux pas me passer du sérieux comme je l’entends pour accéder à une possibilité de fantaisie. Ai-je donc besoin de la fantaisie à ce point ? Ne suis-je pas fatigué de la fantaisie après toutes ces années ? Est-ce que je ne suis pas victime d’une de mes croyances et qui ne cesse de me dire que si je perds la fantaisie je perds tout, qu’il en sera complètement fini de moi. Que je ne serai plus qu’un bidule tournoyant encore quelques instants avant d’être aspiré par le maelstrom d’un évier qui se vide ? Ai-je besoin de fantaisie et d’abord qu’est ce que j’appelle fantaisie ? Ne serait-ce pas plutôt de la magie ? Cette vieille et chère chose qui vient de l’enfance et sur laquelle je n’ai jamais pu tirer un trait définitif ? La croyance en la magie comme résistance farouche au sérieux, à la tristesse générale du monde. Encore que je dis triste, c’est encore un point de vue. Le monde n’est pas plus triste que gai dans l’absolu, il n’est qu’une constellation de points de vue et qui peuvent se modifier suivant telle ou telle circonstance. La victoire du Paris Saint Germain. Le couronnement d’un roi cacochyme, un film de Stanley Kubrick réalisé en 1969 pour faire croire à un alunissage. La montée des eaux, la baisse du pouvoir d’achat. Le passage à l’euro. La chute du Cac 40, l’invention du twist, du sextant, du fil à couper le beurre, du rouleau de caoutchouc pour éplucher l’ail. La liste est longue et surtout infinie. Car on invente toujours quelque chose de nouveau depuis la nuit des temps. Le monde peut-être aussi bien triste que gai suivant le bout de la lorgnette qu’on prendra pour l’observer. Et on le sait l’observateur fait intégralement partie désormais de l’expérience. Ça change la donne désormais de le savoir. Si Magellan, Christophe Colomb, Hitler l’avaient su le monde serait il ce qu’il est ? Cette tendance fâcheuse à épuiser le propos, à le presser jusqu’à la dernière goutte. Pourrais-je m’en passer facilement ? Je ne le crois pas car cette façon d’épuiser les choses me sert de pensée. Si je n’épuise pas aussitôt une idée qui passe je n’ai pas de pensée. La pensée est synonyme d’épuisement. Voilà la vérité vraie. Pourrais-je me passer de penser alors ? J’y ai souvent pensé. J’y pense encore. Être silencieux et tout entier dans la sensation d’être là, situation parfaitement intenable. Je ne peux tenir longtemps ainsi, je m’écroule dans la pensée presque instantanément. Certaines personnes ne supportent pas le silence. Ils ne peuvent tenir dans le silence. Ils s’effondrent dans la parole. Peut-être parce qu’ils ont une vision trop exiguë du silence. Une vision qui les inquiète, qui les met mal à l’aise. Puis me passer facilement de cette sensation de malaise provoquée par le silence ou bien n’est-elle pas plutot consubstantielle à ma propre parole ? C’est à dire que sans malaise je ne pourrais jamais aligner deux mots. Sans malaise je serais muet totalement. Est-ce si gênant d’être muet totalement ? Il faudrait en rechercher l’avantage plutôt que les inconvénients. Ceux qui ne parlent pas ont l’air de penser bien plus de choses et beaucoup plus profondément que ceux qui parlent sans arrêt. Ils imposent un certain respect, une sorte de crainte, un malaise. Ceux qui ne parlent pas me font toujours beaucoup parler. Pourrais-je changer cela une bonne fois pour toutes ? Est-ce utile vraiment d’être doté un tel réflexe pavlovien ? Une difficulté de classement se fait jour. Classer les choses dont je peux me passer. Les ranger dans des boites, les monter au grenier ou les descendre à la cave. Peut-être qu’une fois que ce sera fait j’y verrai un peu plus clair. Est-ce si utile d’y voir clair ? Il me semble aussi que dans ma vie plus j’y ai vu clair plus je me suis rendu malheureux. Est-ce si utile de se rendre ainsi malheureux pour y voir clair ?|couper{180}

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Saut quantique

Un effort mental sera nécessaire. Peut-être un saut quantique. Pour sauter par dessus l’évidence première. LE FAMEUX POINT GRIS. Très difficile à saisir ce concept lorsqu’on est totalement immergé dans l’évidence. Qu’on n’imagine pas même un au-delà de l’évidence. La peinture est un excellent exercice pour apprendre à sauter par dessus la surface d’une toile. Pour ne pas tenir compte de la satisfaction ou de l’insatisfaction EVIDENTES qu’elle nous renvoie Il ne faut pas pour autant imaginer que ce sera mieux ensuite, ou pire. L’intérêt ne se situe pas dans un résultat. Mais dans ce cheminement extrêmement difficile de percevoir que quelque chose cloche dans l’évidence et de tenter de vouloir l’élucider. Donc il y a le fameux point gris. Celui dont la plupart se satisferont parce qu’il ressemble à un bon vieux point gris qui nous aveugle confortablement dans un confort une satisfaction. Ce n’est absolument pas normal de vouloir sauter par dessus, il faut aussi le savoir. On vous prendra pour un fou, pour un malade, il faut accepter tous les qualificatifs sans broncher. Passer outre. Ensuite des années pour prendre son élan. Et un jour le saut s’effectue tout seul, hors de toute volonté personnelle. D’ailleurs peut-être que ce sont les vases communicants authentiques. Plus de volonté, paf vous sautez par dessus l’évidence.|couper{180}

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Encore du protocole

Il faut que je m’y mette. Tout le monde peut le faire pourquoi pas moi. En quoi respecter un protocole me gênera t’il l encore ? Au point où j’en suis désormais. Qu’ai-je à perdre. Respecter la phrase qui sort comme elle sort. Ne pas essayer de la rendre intelligible. Dans un premier temps et lieu un travail de recueil. J’ai recueillis l’opinion autrefois je sais de quoi je parle. Avez-vous entendu parler de Marine Le Pen, Oui ou non ? Et vous diriez que vous lui faites Absolument confiance Assez confiance Moyennement Peu Pas du tout ? Ne pas proposer le NSP. Pas de réponse libre non plus, pas de pour et de contre Relancer en répétant les items jusqu’à ce que l’on vous réponde ou vous raccroche au nez. Mais comment j’ai pu tenir toutes ces années est encore un mystère. L’espoir fait vivre. C’est bien vrai. J’espérais devenir quelqu’un d’autre vous voyez. C’est toujours bien mieux chez les autres. Dans l’assiette de l’autre. Et dire que j’ai toujours détesté qu’on vienne picorer dans la mienne. Devenir Henri, John, Franz, René-Maria, Arthur, Victor. Merde alors mais c’est vrai que je n’appréciais pas mon prénom. Dans la prononciation toujours une trique, un coup, une humiliation. Et pour entrer dans l’autre il faut bien un vecteur. La lecture, fut le vecteur. Je me suis sacrifié pour toi et voilà tout ce que tu trouves. Vouloir être un autre ? Avec tout ce que j’ai fait pour toi. Nous nous sommes saignés à blanc pour que tu fasses des études, voilà comment tu nous remercies. Tu nous dois le respect. Tu ne peux pas nous parler comme ça. Tu crois qu’il n’y a que toi au monde voilà le foutu problème. Tu n’en as rien à foutre des autres. Beaucoup de foutre en ce temps là. Concernant votre ligne téléphonique diriez vous que vous en être Trés satisfait Assez Moyennement Peu Pas du tout ( évitez le nsp , relancez ) Je ne savais pas que c’était impossible alors je l’ai fait. Ils me l’ont dit maintes fois. Tu ne peux pas vivre comme au XIX ème. Tu ne peux pas imaginer être aussi romanesque. D’autant que lorsque je jetais à coup d’œil furtif sur leur modernité j’avais tout suite envie de gerber. Et puis ils ont résumé cela ainsi, le XIX ème siècle.. Rien n’est moins sûr. Ils sont tellement ignorants de ce qu’est l’écriture. On prend peu à peu de la distance avec les êtres chers. Plus on lit plus on prend de la distance. Je n’invente rien ce sont les faits. Je n’ai jamais vraiment regretté de partir. J’ai regretté les gens, un peu, parfois même beaucoup, énormément, mais pas les lieux, pas l’atmosphère. Toute cette colère est encore très présente. D’autant plus sans doute que je ne suis pas parvenu à être Henri, John, Franz, René-Maria, Arthur, Victor. je ne suis pas parvenu à être un autre que celui que je suis. Même si on ne se baigne pas deux fois dans la même salle de bain. Quand on a une salle de bain. Est-ce si grave d’être ce que je suis ? Et qui suis-je d’ailleurs pour en juger vraiment ? Il faudrait que je parvienne à me regarder du dehors. Cela pourrait faire un admirable protocole c’est exact. Et si en plus je déplace la cible, si je ne me regardais pas moi, mais quoique ce soit d’autre est-ce que ce ne serait pas encore plus agréable, moins nocif, moins toxique Il faudrait pouvoir se réveiller avec l’envie de faire plaisir à quelqu’un. J’ai lu ça il n’y a pas longtemps Ça pourrait aussi être un protocole. On pourrait fusionner plusieurs protocoles en un. Parler par exemple d’un tableau peint par Henri, John, Franz, René-Maria, Arthur, Victor. Avec l’intention de n’en dire que du bien, d’apporter un peu de plaisir à ceux qui l’écouteront ou le liront. Cela demande quoi comme ressource ? S’oublier un peu le temps d’un petit texte de 500 ou 1000 mots. Pas la mer à boire. Le problème c’est que tu ne peux parler de rien s’en t’en servir comme support ou miroir. Il faut une sacrée dose de distraction pour ne pas se rendre compte qu’on parle de soi à présent. Je crois que le problème se tient là. Les gens demandent à être distraits d’eux-mêmes. Peut-être que toi tu cherches à te distraire de toi en premier lieu et que tu projettes ça sur le monde entier. Comme on fait son lit on se couche. C’est difficile de vraiment voir les choses du dehors. On est obligé d’inventer un dehors. Comment invente t’on un dehors ? Peut-être en allant de plus en plus profondément dans le dedans, les choses à un moment s’inversent t’elles, le dedans devient le dehors. On ne sait plus qui l’on est ni qui sont les autres. Le protocole serait donc et ce de toute urgence une plongée dans le dedans. Avec l’espoir d’en ressortir les yeux bridés. Il faut bien un espoir, peu importe lequel après tout. Il est peut-être utile de poser quelques limites. La pièce dans laquelle tu te tiens. C'est encore trop vaste. La table alors ? Faire l'inventaire de tout ce qui se trouve sur cette table. Reprendre les choses au commencement. Je jette un coup d'œil rapide et je ne vois que du bordel. Rien n'a de sens ici sur la table. On y trouve pêlemêle des papiers administratifs étalés, des câbles informatiques, une plaquette de pastilles, un mug, des cartes bancaires périmées, des disques durs, certains fonctionnent encore d'autres sont fichus, un classeur vide, deux écrans d'ordinateur, un appareil photographique de la marque canon, un pot avec des crayons et des stylos, une souche de chéquier, des batteries de remplacement, un taille crayon, un couteau suisse, un caisson de basse, des trombones rassemblés en collier, des cartouches d'encre usagées, un briquet usagé, des tickets de carte bancaire datant de plusieurs années. Des notes manuscrites éparses. Une liste de courses. un trousseau de clefs appartenant à une voiture que je ne possède plus. Des gommes. Une paire de ciseaux. Une fiche couche de poussière. C'est une grande table en verre. Je l'ai achetée en revenant de Suisse en 2003. J'avais les poches pleines. Je m'étais rendu chez IKEA et j'avais acheté de quoi me meubler. Je n'avais plus rien, à part quelques cartons de textes, quelques vêtements. Une voiture que je n'ai jamais terminé de payer. J'avais racheté tout le mobilier à l'époque. Claqué tout le fric comme par dépit. Un canapé lit, un micro onde, une grande table en verre. Quelques étagères. Et bien sur un ordinateur. tout le pognon y est passé . Quand j'y réfléchis à present je n'avais peut-être pas tant d'argent que je l'imaginais. Et puis la France était passée à l'EURO. Ce fut le choc. Le prix du pain était proprement hallucinant. tout le monde semble à cette époque avoir été lobotomisé. Des jeteurs de sorts étaient passés. La confusion provenait du fait qu'un euro semblait être un franc sur les étiquettes. Raté. Je repars aussitôt à raconter encore ma vie. Il faudrait élaguer. S'ôter de tout ça. Disparaitre. Le protocole s'affine. Aller le plus loin possible dans le dedans, disparaitre. Une fois que ce sera clair, solide, j'auras certainement fait le plus gros, le plus difficile. Ensuite il ne restera plus qu'à s'y atteler, suivre le protocole à la lettre, ne pas louper une seule journée sous peine d'avoir tout à recommencer. Trouver un protocole suffisamment amusant pour ne pas le zapper, prendre du plaisir à y revenir. Trouver des avantages à pénétrer dans un protocole. Un protocole pour se tirer d'affaire du cancer que représente l'histoire, le cliché, l'individualisme forcené ?|couper{180}

Encore du protocole

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Distance

Prendre de la distance. Effectuer un mouvement de recul. Ne pas rester collé à l’évidence. Se détacher peu à peu de l'évidence, du cliché, d'une idée toute faite . Considérer l’ensemble. Les tenants et aboutissants. Posséder un peu de bon sens , le faire hurler si possible dans l’étreinte afin qu’il s’amollisse devienne plus coulant. Puis s'installer en périphérie, en marge, en orbite. Devenir spectateur sur les gradins. Trouver une bonne place si possible. Qu'y a t’il donc à voir ainsi qui ne soit déjà vu mille fois et revu. Ce n’est sans doute pas ce qu’il y a à voir l’important. C’est le point de vue où on se situera pour voir. Chercher en premier lieu le point de vue. Tâtonner au besoin. Ne pas emprunter les sentiers battus. Se perdre en considérations puis lever le nez, se fier aux étoiles. Estimer la distance. Respecter la distance. Apprécier la distance. L’appréhender. La craindre. Évaluer la distance. Se tenir à bonne distance. Maintenir une distance. Gommer, effacer la distance. Briser la glace. Affronter la distance. Ne pas tenir compte de la distance. Subir le choc de plein fouet. Se retrouver en état de choc. Se remettre du choc. Recommencer à prendre de la distance, etc, etc|couper{180}

Distance

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Voir du dehors quand on est mort

(Exercice d'écriture, notes, brouillon) Ce que l’on peut voir du dehors, depuis la mort est apaisant. Il ne sert strictement à rien de s’énerver. Il n’y a plus la moindre raison de s’énerver, ou d’avoir peur, ou de continuer à porter des œillères. Être vivant nécessite des œillères. L’illusion est à ce point totale du temps et de l’espace, que pour se diriger dans la vie il faut des œillères quand on est dans la vie. Quand on est mort plus d’espace-temps pour voir il suffit juste d’y penser, de vouloir voir. Et c’est instantané. La chose à voir nous est donnée aussitôt à voir. Comment voir une chose quand on est mort sans tous les outils, les sens qui nous permettaient, vivant , de la voir. C’est simple il suffit de se détacher d’une ancienne vision subjective et donc fausse la plupart du temps. Encore que dans la mort les choses à voir ne soient pas plus justes que fausses. Ni agréables ou désagréables. Les choses que l’on voit quand on est mort sont de la même neutralité que celui qui les voit. Et comment ne pourrait-on pas être neutre dans cet état là ? Comment pourrait on encore éprouver la plus petite préférence, le moindre engouement, de la déception, de l’aversion, ou on ne sait quoi encore qui ne cesse de casser les pieds des vivants. Être mort et regarder les choses ainsi comme du dehors, mais c’est bien sûr une expression. Car mort la notion de dehors et de dedans disparaît elle-aussi. La question est ensuite de savoir si le phénomène se produit de façon instantanée. Est-ce que l’on perd immédiatement toute subjectivité envers ce que l’on voit quand on pense à quelque chose. Est-ce que penser à quelque chose est encore possible durant un certain temps. Le temps de la décomposition du corps par exemple. On pense tant qu’il a à bouffer pour les vers, ou les asticots, nos pensées transitent ainsi vers un monde d’invertébrés les nourrissent, comme nos pensées nourrissent la terre, équilibre les taux, le ph, fournit suffisamment d’acide ou d’alcalinité aux sols. Ce n’est pas si sot de songer que la chimie de nos pensées dans le phénomène de la décomposition rééquilibre l’argile, la glaise, la faune, la flore. Ce serait un minimum, la moindre des politesses. Regarder n’est pas le bon mot. Contempler le monde du dehors. Peut-être que la décomposition mène à un certain “lâcher prise” authentique celui-là. Et une fois que tout nous sera parfaitement égal on pourra enfin contempler du dehors le monde. Terminés les liens de filiation, les hiérarchies, la peur des fins de mois, l’avidité des soldes, la course à l’échalote. Enfin pas tout à fait. Ça continuera. Bien sur que tout ça continuera. Mais on pourra le voir sans y prendre part. En étant parfaitement détaché du pourquoi et du comment. Alors c’est certain on verra bien mieux tout ça du dehors que du dedans autrefois. Ce sera comme un ballet, un tableau, un film d’auteur, un spectacle incessant. Et qui durera le temps nécessaire, ou suffisant satisfaisant ce désir de voir. Car au bout d’un moment plus ou moins long quand le vent du désert soulèvera la poussière de nos os, nous n’aurons peut-être plus besoin de rien, pas même de voir. Il y aura une fête dans le dehors à ce moment là chez les vivants. Les oiseaux s’ébroueront dans les mares les étangs chanteront. Ce sera le signal. Le vent pourra nous soulever très haut dans le ciel, peut-être que durant un moment on sera oiseau. Peut-être que tout finira ainsi en trille, en spirale, en volutes. On verra encore une toute dernière fois la terre et les habitants de la terre, puis les champs rapetisseront comme des mouchoirs, un patchwork irlandais. On sortira de la stratosphère, on continuera ainsi à s’élever, puis à sortir du système solaire, de la galaxie, de la voie Lactée, on naviguera ainsi jusqu’aux confins de l’univers, puis on en sortira aussi définitivement. On ne verra plus rien mais on verra ça très bien, parfaitement, comme un nez au milieu d’une figure. Et ce sera fini vraiment une bonne fois pour toutes.|couper{180}

Voir du dehors quand on est mort