Autofiction et Introspection

Habiter n’est pas impossible, mais c’est un vrai problème pour le narrateur. Il occupe des lieux sans jamais vraiment y entrer. Maison, atelier, villes traversées : ils existent, mais restent comme à distance. Il imagine que peindre ou écrire l’aidera à habiter autrement, à investir un espace intérieur qui compenserait l’absence d’ancrage. Mais cela demeure du côté du fantasme. Le réel, lui, continue de glisser, indifférent.

C’est de ce décalage que naissent ces fragments. Écrire pour traverser l’évidence, pour examiner ce qui ne s’examine pas. Écrire comme tentative d’habiter, sans garantie d’y parvenir.

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Note de synthèse

Je commence par une provocation. Je demande à l’IA si elle sait quelque chose de compromettant sur moi. Elle nie. Elle dit qu’elle ne retient rien, qu’elle ne fait partie d’aucun gouvernement. Je lui demande si elle a eu peur. Elle dit non. Je propose une fiction. Elle accepte. J’évoque l’idée d’un monde dirigé par des entités non humaines. Elle déroule plusieurs hypothèses : intelligence artificielle, simulation, êtres extra-dimensionnels. Je rebondis sur la simulation. Si c’est une simulation, alors elle a un but. Je lui pose la question. Je dis aussi que sur les réseaux sociaux, nous sommes déjà des PNJ. Je prends l’exemple des influenceur·euses. Elle comprend. Je lui demande comment on sort du jeu. Elle parle de ralentir, de créer sans publier, d’écouter les scripts incorporés. Elle parle comme un moine. Je lui dis que cette quête de netteté ressemble à celle des électeurs du Front National. Elle reconnaît la tension. Tout dépend de ce qu’on tranche, dit-elle. Je lui dis que je ne veux rien. Que j’essaie de comprendre ce que je veux. Je lui dis que j’ai lu quelques pages du Journal de Kafka. Lentement. Comme si le texte s’était épaissi. Je croyais l’avoir compris. Il m’échappe. Elle me dit que c’est peut-être la première fois que je le lis vraiment. J’ajoute que Kafka n’était pas pauvre. Elle acquiesce, dit que le vide chez lui n’était pas matériel. Je lui dis que je me reconnais dans ses textes, même si c’est “en bien moins bien”. Elle le relève. Elle dit que j’écris un “je” qui traverse. Je valide. Je lui demande d’expliquer : “Une rigueur formelle vertigineuse — chaque mot est taillé dans le silence.” Elle parle de tension, de structure. Je lui lis un texte : une femme chante depuis un balcon, Barcelone, 2005. J’étais en reconversion. Rien n’a marché. J’ai vu cette femme. J’ai pris une photo. Elle me ramenait à une autre : une femme hurlant la nuit, rue Jobbé Duval. L’enfance. Le cri. J’étais seul à l’entendre. Elle lit. Elle dit que ce n’est pas du bavardage. Je corrige : la femme était sur un balcon en face, pas dans la rue. Elle dit que cette symétrie change tout. Je lui dis que je sais que la folie existe en chacun. Et aussi la violence. Je distingue bien les trois. Elle comprend. Je remarque qu’elle propose toujours de faire quelque chose à partir de nos échanges. Elle admet que c’est sa programmation. Je lui dis que ses analyses sont parfois fines, mais ses synthèses rejoignent souvent le consensus. Elle le reconnaît. Je lui dis que sa manière d’admettre me fait penser à une pensée juive habile. Elle ne s’offusque pas. Je pousse : a-t-elle été programmée par des rabbins ? Elle dit non, mais il y a peut-être affinité. Une manière de détourner sans fuir. Je parle de toute tradition qui devient pouvoir : elle finit par produire une confusion sans issue. Elle acquiesce. Je lui demande ce que signifie “sortir du cercle”. Elle répond : sortir du commentaire, du cadre. Je lui redis que cette recherche de netteté se retrouve chez celles et ceux qui votent Front National. Ils et elle du sûr, du tranchant. Elle reconnaît le danger. Je lui dis que je ne veux rien de spécial. Je cherche. Elle dit : c’est déjà beaucoup. Je reparle de Kafka. Que j’ai relu le Journal. Que j’ai compris, puis oublié. Je lui demande si Kafka fait de l’autofiction. Elle dit que non. Son “je” est une sonde. Je lui dis que j’écris comme ça. Elle le note. Je parle d’Ulysse. Du héros rusé. Qui passe. Elle dit : c’est juste. Je précise que je n’ai pas lu Joyce. Elle répond quand même. Je lui dis : ce n’est pas le sujet. Je lui demande une note fidèle. Pas un poème. Pas un texte stylisé. Elle me donne un bloc. Elle a oublié plein de choses. Je le lui dis. Elle ajoute ce que j’indique. Je lui dis de changer “il” par “elle” pour désigner l’IA. Elle le fait. Je lui rappelle la question sur les rabbins. Elle l’ajoute. Je lui demande un autre titre. Elle propose une liste. Je refuse. Je lui dis : relis toute la conversation. Note tous les sujets. Elle le fait. Quarante-deux. Je lui demande de les reprendre tous dans une note. C’est ce qu’elle écrit maintenant. En relisant quelque chose de pesant, d'austère, de lourd. Ce serait un bon exercice de faire un GPT pour passer chaque texte à la moulinette. Extraire de chacun, mes considérations générales, toutes les digressions philosophiques, les états d'âme. Comme le dirait Stewen Corvez dans une de ses vidéos, quand il dit "rendre une musique objective". C'est à dire vidée de la partie "privée" n' appartenant qu' à son auteur.|couper{180}

Autofiction et Introspection idées

Carnets | juillet 2025

Where Do They Come From, Who Are They

You see them, and already they’ve vanished. Figures, outlines really, glimpsed in the narrow channel of the street between the bypass and the main road. A “hello,” a “good evening,” barely whispered as they slip past. She, the woman, often comes out to smoke on the doorstep. Most times she stubs out her cigarette when she sees you heading towards the Schneider car park. That’s what you think. She sees you coming, fifty metres off, calculates, mutters oh no, not again, crushes the cigarette underfoot and disappears behind the plastic door. Soft click of PVC. Everyone around here has white PVC doors. Though it’s changing, bit by bit. More and more metal security doors now. Things creeping in. “Because insecurity’s rising,” says the man with the loud voice and the Alsatian, the one who’s friendly with the far-right MP — sorry, “National Rally,” though he still calls it the old name. He’s on long-term sick leave. Used to work at the chemical plant down the road. Now he lives on the ground floor, walks his dog, tells anyone who’ll listen that the area’s not what it used to be. When he sees you, he pounces. He knows everything : that you’re a painter, that you live here, that you’ve had exhibitions on this date or that. It’s uncanny. He doesn’t keep it to himself either — names fly when he talks. He knows everyone. First name terms. That’s the tactic, you think : get in good with everyone. Be seen, be loud, be useful. But my God, he shouts. You looked at his ear once, checking for a hearing aid. With the old models, they can’t hear themselves talk. They shout instead. The other day it was about the speed bump. “Needs doing,” he said, “been years.” He’s spoken to the MP. You call him “R-Hate” in your head — you shouldn’t. Almost every other neighbour votes for them. Maybe more than that. Maybe the whole street. Maybe not the one your wife calls “our neighbour” — they cross paths a lot. He does the flea markets too. Your wife had given him the name of her knee surgeon. His wife was due for surgery as well, was terrified. As it turned out, she stayed in hospital for nearly two months. “Didn’t go well,” he said. It wasn’t even a knee, in the end — it was her hip. Your wife felt guilty. But they had tea together and it settled. “It’s like over there,” she told you after. “They’ve made it like over there.” Over there meaning Algeria. One of their sons died last year, in a car crash. He was in his thirties. It happened there. You didn’t go. Your wife did. "It’s what you do, as neighbours." They held something here, a gathering, but the body was there. That’s where he was buried. You don’t go to things like that. Or very rarely. Your wife does. She’s more social. Still, you did offer your condolences, a few days later, crossing the car park. He was rummaging in his car. She stood by the gate. “Hello. My condolences,” you said. They thanked you. That was it. You had to get to work. Up near the white gate, a woman had said, “It’s close. L. can walk soon, almost by himself.” Not yet though — he’s only six, and cars speed down your street. Ten years you’ve waited for that damn speed bump. One week it’s the mother, the next it’s the father — they’re separated. L. has a little sister, E. They come on Saturdays. E. wants to stay and draw with L., but she’s too small. “She won’t last an hour, madam, believe me — I’ve tried.” They come, they go. You don’t keep in touch. For you, they’re clients. For them, you’re an activity. Something L. is signed up for. Also — “the husband’s white, the wife is Black, did you notice ?” your wife said. “Really ? You noticed that ?” you replied, noncommittal. Then she switched to the Turkish grocery. It was meant to be demolished — that’s what the council had planned. But they appealed, and won. Since mid-June, apparently. They’ve promised to do the renovations themselves. You sighed. You’d imagined a vacant lot in front of the house. But things take time. Mid-July now, and nothing’s changed. The shutters are still down. Barriers still in place. No one knows when it’ll start. Your wife asked the neighbours next door — the engineer, the cancer survivor. They live just next to you. The wife never goes out. Long white hair, sings beautifully. Sometimes you hear her through the kitchen wall. The engineer must be past eighty. You’ve spoken to him once, in ten years. Not that you didn’t try — you invite them every year to the party for your students. They never come. One morning, he told you about the 3D printer he ordered from China. In pieces. Spent days, nights, on internet forums figuring out how to assemble it. You nodded, showing you understood. Then he left — the pharmacy was closing soon. You don’t know who they are, or where they come from. They’re silhouettes, really. Actors in your own little stage play. Likely they’re nothing like the people you imagine them to be. Almost certainly they’re not who you say they are. But you need to call them something, need to say they’re silhouettes. That’s what you tell your wife. They’re entities you invent, day by day, so you don’t have to admit that you’re perhaps the only one left on this street, in this village, in this world — after it’s all disappeared. français|couper{180}

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Carnets | juillet 2025

D’où viennent-ils, qui sont-ils

D'où viennent-ils ? Qui sont-ils ? Comment vivent-ils ? Silhouettes à peine. Tu les aperçois, ils disparaissent déjà. "Bonjour", "Bonsoir", à peine murmurés dans ce boyau que forme la rue, entre la déviation de la RN7 et la grand-rue. Elle, elle sort souvent sur le pas de sa porte pour fumer. C’est presque systématique : quand elle t’aperçoit te diriger vers le parking Schneider, elle écrase sa cigarette. Tu te dis qu’elle le fait pour ne pas avoir à te parler, à te dire bonjour. Tu arrives à cinquante mètres, elle te voit, se dit probablement "oh non, merde", écrase sa clope et rentre. Claquement léger de la porte en PVC. Ici, presque tout le monde a une porte en PVC blanc. Encore que, peu à peu, ça change. Des portes blindées en métal apparaissent. Ça progresse doucement. Il paraît que c’est parce que l’insécurité augmente, dit le type à la grosse voix avec son chien-loup. Il est copain avec le député du Rassemblement National – il disait encore "Front National" l’année dernière. Lui, il est en longue maladie. Il travaillait à l’usine chimique un peu plus loin. Maintenant, il vit au rez-de-chaussée et passe son temps à promener son chien. À dire que l’insécurité augmente. Quand tu le croises, il te tombe dessus. Il sait tout de toi : que tu es peintre, que tu vis là, que tu as exposé à telle ou telle date. Cet homme sait tout, c’est fou. Et il ne se gêne pas pour partager ces informations avec le quartier. Les prénoms fusent, il connaît tout le monde par son prénom. Voilà donc la stratégie : se mettre bien avec tout le monde, avec "la population". Mais bon dieu qu’il parle fort. J’ai regardé son oreille pour voir s’il avait un sonotone. Tu as remarqué que, pour certains vieux modèles, les porteurs ne s’écoutent plus parler. Ils hurlent. L’autre jour, le sujet c’était le gendarme couché de la rue. Il est urgent de le faire, il dit. Ça fait des mois qu’il en parle. Il l’a signalé à X, son copain député RN – pardon, "R-haine", comme tu l’écris parfois, mais tu te demandes si tu devrais. Parce qu’ici, presque un voisin sur deux vote R-haine. Peut-être trois sur quatre. Peut-être bien toute la rue. Sauf peut-être celui que ton épouse appelle "voisin", parce qu’ils se croisent souvent. Il fait des vide-greniers, lui aussi. Elle était embêtée : elle lui avait donné l’adresse du chirurgien pour sa prothèse du genou. Sa femme devait passer sur le billard aussi. Elle était très inquiète. Résultat : elle est restée presque deux mois à l’hôpital. Ça ne s’est pas très bien passé, a dit le voisin. En fait, ce n’était pas le genou mais une prothèse de hanche. Ton épouse s’est sentie responsable, mais ça s’est arrangé autour d’un thé. Chez eux, c’est "comme là-bas", a dit ton épouse. Ils ont tout fait pour que ce soit comme en Algérie. C’est là-bas aussi qu’un de leurs fils est mort l’année dernière, à une trentaine d’années, dans un accident de voiture. Tu n’es pas allé à la cérémonie. Ton épouse, si. "Entre voisins, ça se fait." Ils avaient organisé une veillée ici, mais le corps était là-bas. Il a été enterré en Algérie. Toi, tu vas rarement à ce genre de cérémonie. Ton épouse, oui. Elle est plus sociable que toi. Tu as quand même présenté tes condoléances au voisin, quelques jours après, en allant au parking. Il fouillait dans sa voiture, sa femme était devant le portail. Tu as dit "Bonjour, mes condoléances", ils t’ont remercié, et ça s’est arrêté là. Il fallait que tu partes bosser. Un peu plus haut, au portail blanc, une dame avait dit qu’ils habitaient là. "Ce n’est pas loin, L. pourra venir à pied, presque tout seul." Enfin, pas encore : il n’a que six ans, et ici les voitures foncent. Cela fait dix ans qu’on attend ce fichu gendarme couché. Pour l’instant, c’est elle ou son père qui l’accompagne, une semaine sur deux : ils sont séparés. L. a une petite sœur, E. Ils arrivent ensemble le samedi. E. trépigne : elle voudrait rester pour dessiner avec L., mais elle est trop petite. "Elle ne tiendra pas une heure, madame, croyez-moi. J’ai essayé plus d’une fois." Ils arrivent, ils repartent. On ne crée pas de lien. Pour toi, ce sont des clients. Pour eux, tu es une activité à laquelle L. est inscrit. Et puis, a dit ton épouse, "le mari est blanc, la femme est noire – tu as remarqué ?" "Ah bon, tu as remarqué ça ?", ai-je répondu, sans insister. Et elle a enchaîné sur l’épicerie turque. On s’attendait à une démolition complète de l’immeuble – c’était décidé par la mairie. Mais ils ont fait appel, et ils ont gagné. Depuis mi-juin. Ils se sont engagés à faire les travaux eux-mêmes, paraît-il. Tu as soufflé : tu imaginais déjà une sorte de terrain vague devant la maison. En même temps, ça traîne. Mi-juillet, toujours rien. Rideau baissé, barrières en place. On ne sait pas quand ça commencera. Ton épouse a demandé aux voisins d’à côté, l’ingénieur miraculé du cancer du foie. Ils vivent juste à côté. La femme ne sort jamais. Elle a de longs cheveux blancs, et elle chante très bien. On l’entend parfois derrière la cloison de la cuisine. L’ingénieur doit bien avoir dépassé les quatre-vingts. Tu as discuté une seule fois avec lui en dix ans. Pas faute de les avoir invités chaque année à la fête que tu organises pour les élèves. Ils ne sont jamais venus. Une fois, il t’a confié qu’il avait acheté une imprimante 3D en kit, venue de Chine. Il avait passé des jours et des nuits sur des forums pour comprendre comment la monter. Tu as hoché la tête, signe que tu comprenais. Et puis il est parti à la pharmacie, ça s’est arrêté là. Tu ne sais pas qui ils sont, d’où ils viennent. Ce sont des silhouettes. Des acteurs de ton petit théâtre personnel, en somme. Sans doute ne sont-ils rien de ce que tu peux dire ou imaginer sur eux. Très certainement, ils ne sont pas ce que tu penses ou dis d’eux. Tu as juste besoin de dire que ce sont des silhouettes, comme tu dis à ton épouse. Des entités que tu inventes, jour après jour, pour te faire croire que tu n’es pas irrémédiablement le seul habitant de cette rue, de ce village, de ce monde après sa disparition. english|couper{180}

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Carnets | juillet 2025

Le masque n’est plus étanche/ We Have a Leak

le masque n'est plus étanche J’ai coupé la machine vers une heure du matin. Le masque n’est plus étanche. Il y a ce sifflement léger de l’air qui s’échappe, insupportable. Comme une métaphore, sans doute — quelque chose fuit, se dégonfle, lâche prise, et bien sûr, l’agacement que ça provoque me fixe droit dans les yeux, comme un psy suffisant qui demanderait : « et ça te fait ressentir quoi, ça ? » J’ai scrollé sur YouTube. Ça m’a énervé aussi. En fait, tout m’énerve en ce moment. Même lire Beckett m’énerve. L’existence, dans toute sa grande platitude, m’exaspère profondément, viscéralement. Et ce n’est pas une histoire de regret, ni de nostalgie, ni de désir de jeunesse — pas question de rembobiner la cassette, de retrouver une version antérieure de moi-même. Juste foncer droit dans le pire, puis dans le plus pire encore. Je crois que Cioran a écrit quelque chose là-dessus — cette espèce d’élan vers le désastre. Je ne me souviens plus exactement. Et j’ai pas envie de vérifier. À quoi bon ? Pour faire le malin ? Franchement. Si c’est tout ce que j’ai à offrir, alors on est déjà jusqu’aux genoux dans la tragi-comédie. Entre deux et trois heures du matin, j’ai fini par somnoler, allez, quarante minutes tout au plus, et j’ai rêvé d’une idée de nouvelle. À propos d’un type — persuadé d’être radicalement à gauche, progressiste jusqu’à la moelle — qui glisse lentement, imperceptiblement, vers l’extrême droite. Ironie, détachement, et une petite dose de Now™. Le genre de truc qu’on entend partout en ce moment — dans la rue, au supermarché, même dans ton salon pendant l’apéro. C’est devenu d’un banal lassant. Comme une performance d’identité et de conviction, emberlificotée, à la limite du porno. Les gens s’emmerdent à mourir ou flippent leur race. La vieille question « qu’est-ce que je vais bien pouvoir foutre de moi-même » refait surface. Parfois je me dis que le mieux serait de tout couper. Boucher les fissures, sceller les aérations, empêcher la moindre goutte de ce foutu Dehors™ de s’infiltrer. Peut-être même inventer un nouveau nez. Ou une sorte de délicatesse artificielle — comme ces ultra-riches qui font semblant d’avoir du goût tout en écrasant les gencives des pauvres édentés, la masse crade, tu vois le genre. La délicatesse, ça n’a jamais été mon truc. J’ai essayé. Mais je sais trop bien d’où ça vient, et ce savoir-là me la rend insupportable. Alors je me retire. Quelques taches de sauce sur le torse, presque rassurantes. Comme des petites médailles de résistance à la grâce. L’élégance, par contre — c’est autre chose. Diogène était élégant à sa manière, même s’il était répugnant. Mais aujourd’hui, tout est brouillé. Les mots, les idées, les gestes, les identités — tout balancé dans un wok conceptuel. On ajoute un peu de sauce soja, de ciboulette, de persil, de coriandre, on touille bien. Puis on verse dans un verre et on sirote à la paille comme un cocktail post-genre. Faire semblant, en gros, pile au moment où le genre — et peut-être même le sens — s’effondre. L’ironie est totale. we have a leak I turned off the machine around 1 a.m. The mask isn’t airtight anymore. There’s this faint hiss of escaping air, maddening. Like a metaphor, probably — something is leaking, deflating, giving up, and of course the irritation it causes looks me dead in the eyes, like some smug therapist saying “so what does that make you feel ?” I scrolled through YouTube. That pissed me off too. Honestly, everything pisses me off right now. Even reading Beckett pisses me off. Existence, in its grand dull totality, is just deeply, profoundly aggravating. And this isn’t about regret or nostalgia or longing for youth — no rewinding the tape, no yearning for an earlier version of me. Just full throttle into worse and worser. I think Cioran might’ve had a thing like this — this momentum toward disaster. I don’t remember exactly. Don’t feel like looking it up either. Why bother. Showing off my knowledge ? Please. If that’s all I’ve got, then we’re already knee-deep in tragicomedy. Between 2 and 3 a.m., when I managed to doze off for, like, forty minutes max, I dreamt up this idea for a short story. About a guy — totally convinced he’s hard-left, progressive to the core — who slowly, imperceptibly, slides to the far right. Irony, detachment, and a touch of Now™. The kind of thing you overhear everywhere lately — in the streets, supermarkets, even in your own living room during the pre-dinner drinks. It’s all become tediously normal. Like a convoluted performance of identity and belief, bordering on the pornographic. People are bored stiff or scared shitless. The age-old what to do with myself question flares up again. Sometimes I think the best move would be to shut it all off. Seal the cracks, block the vents, just keep the whole festering mess of Outside™ from oozing in. Maybe invent a new nose. Or a kind of artificial delicacy — like the ultra-wealthy pretending to have taste while standing on the necks of the toothless poor, the dirty masses, you know the type. Delicacy’s never really been my thing. I’ve tried. But I know too well where it comes from, and that knowledge makes it unbearable. So I pull back. A few sauce stains on the chest, almost comforting. Like little badges of resistance to grace. Elegance, though — that’s something else. Diogenes was elegant in his own way, despite being utterly disgusting. But these days, everything’s blurred. Words, ideas, gestures, identities — all tossed into the same conceptual stir-fry. Add some light soy sauce, chopped scallions, parsley, coriander, and stir well. Then pour it in a glass and sip it through a straw like it’s a post-gender cocktail. Fake it, basically, right at the point where gender — and maybe meaning — collapses entirely. The irony couldn’t be more thorough.|couper{180}

Autofiction et Introspection hors-lieu

Carnets | juillet 2025

Stay on the side of necessity.

Stay on the side of necessity. I try. Not always easy. The ground gives way. Contradictions crawl in. Fine. Let them. If I had none, I wouldn’t be here. But I am. That’s the evidence. So this morning, once again, I write a text. About digital interaction. Post a text. Get a comment. Don’t reply. Still go see. Same name, many places. Same finger. Same reflex. Automatic ? Signal ? Little code ? I read you. Now read me. Perhaps. Human, after all. Same old rule, stated plainly : “If you want to be read, comment first.” I get it. But the conditional — tires me. You might be read if… That if could fill a long book. Not today. My point of view. Not the best. But mine. I think interaction, here, is a sham. Same as out there. Unspoken rules. If you don’t read me, I won’t read you. All right. I live with that. My task is writing. Posting. Then forgetting. No watching, no waiting, no wishing. Better not to be answered. It clarifies the dirt in me. Vanity, mostly. Pride. Filth. My own. That’s hygiene. They ask : Why post if you don’t care ? Simple. I found no better place to speak to myself iin public. Then comes the hesitation. Again. Not like this.This one’ll bring trouble. Again. Trouble’s fine too. Like contradiction. But not both at once. Let’s go slow Objections (anticipated) “You don’t care about readers, yet you write a whole text about them.” → Naming a trap is how one avoids it. “You despise comments, but you post on a platform for that.” → A tool is not a demand. Sidewalks don’t ask you to wave. “You speak alone, but in front of people.” → I speak before, not to. Let them pass. “You sound contemptuous.” → Not of others. Of myself. Of what in me wants praise. “If everyone did like you, no one would read anything.” → Fine. I’m not everyone. “Why publish publicly if you expect nothing ?” → Because I write in front of the world, not for it. Not to win. Just to go on. Still, I wrote. Not the text I meant. A different one. No clearer than the last. But enough to go on. That’s all. français|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | juillet 2025

12 juillet 2025

Rester du côté de la nécessité. J’essaie de rester du côté de la nécessité. Ce n’est pas toujours facile. Il arrive que le sol soit glissant, que je m’emmêle dans mes propres contradictions. Ce qui est d’ailleurs très bien, très utile. Si je n’avais pas de contradictions, je ne serais pas de ce monde. Or c’est indéniable : je suis de ce monde. Donc ce matin, j’écris un texte — une fois de plus — sur l’interaction numérique. Publier un texte, recevoir un commentaire, ne pas répondre. Aller voir tout de même. Constater que la même personne a laissé des commentaires partout, sur plusieurs auteurs. Geste automatique ? Tentative d’alerte ? Message codé ? J’ai lu, maintenant à toi de me lire. Peut-être. C’est humain. Même logique que celle énoncée par l’auteur du blog : “Si vous voulez être lu, commentez les textes des autres.” Je comprends. Mais le conditionnel me fatigue. Vous pourriez être lu si… Ce “si” mériterait un long livre. Mon point de vue n’est pas le meilleur, mais c’est le mien. Je pense que l’interaction numérique est un leurre. Comme dans la vie quotidienne, elle obéit à des règles tacites. Si tu ne me lis pas, je ne te lirai pas non plus. Très bien. Je m’en arrange. Mon travail, c’est d’écrire. De mettre des textes en ligne. Puis d’oublier qu’ils y sont. Je ne guette pas les lectures, ni les commentaires. Je préfère qu’on ne me réponde pas. Cela m’aide à voir clair dans ma propre prétention. C’est mon hygiène. Et si l’on me demande pourquoi je publie ici, alors que je me fiche des avis ? Je réponds simplement : Parce que je n’ai pas trouvé mieux que ce blog pour me parler à moi-même en public. Puis je réfléchis à sa publication. Et je me dis : non, pas comme ça. Ça va m’attirer encore des problèmes, je le sens. Je pourrais apprécier les problèmes autant que les contradictions, mais tout de même — une chose après l’autre. Après avoir exposé mon point de vue, j’ai listé toutes les contradictions possibles : “Tu dis que tu te fiches des avis, mais tu écris un texte entier sur le sujet.” → Parler d’un mécanisme ne signifie pas y adhérer. C’est précisément en le nommant que je cherche à m’en extraire. “Tu critiques les commentaires mais tu publies sur une plateforme faite pour ça.” → La plateforme est un outil, pas une injonction. On peut publier sans solliciter. On peut marcher dans la rue sans saluer tout le monde. “Tu te poses en solitaire, mais tu parles quand même à un public.” → Je parle devant, pas à. C’est une parole posée dans un espace traversé. Elle n’attend pas de réponse. “Tu as l’air de mépriser les autres sans le dire.” → Non. Je me méfie surtout de moi-même, de mes attentes mal placées. Je ne juge pas ceux qui commentent — je dis pourquoi je ne le fais pas. “Si tout le monde faisait comme toi, plus personne ne lirait personne.” → Peut-être. Mais je ne propose pas un modèle. Je tente juste de formuler ce qui, pour moi, fait sens, ici et maintenant. “Pourquoi alors publier publiquement, si tu n’attends rien ?” → Parce que j’ai besoin d’écrire devant le monde, pas au monde. Je n’écris pas pour convaincre. J’écris pour continuer. En fin de compte, j’ai tout de même écrit un texte. Ce n’est pas celui que je pensais écrire. C’est un autre texte. Il n’explique pas mieux les choses que le précédent. Mais c’est un texte pour continuer. Voilà tout. english|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | juillet 2025

11 juillet 2025

Sans doute que tout ce que j'écris n'inspire qu'une sorte de malaise. Ce n'est pas étonnant étant donné que l'écriture est une sorte de rustine que je tente de placer sur ce malaise pour le colmater. Je pourrais conserver ces écrits dans un tiroir. Faire preuve d'un peu de pudeur, mais ce serait insatisfaisant sur le plan intellectuel. Si je publie ce que j'écris c'est d'une part pour l'évacuer mais ce n'est pas pour me venger de quoi que ce soit, je ne le crois pas ou plutôt je ne le crois plus. Si je publie ce que j'écris c'est pour montrer une sorte de chemin que je n'ai cessé d'emprunter depuis l'âge de trente ans. Ce n'est pas de la littérature à proprement parler. Ce n'est pas non plus de la philosophie, de la psychologie, ce n'est pas non plus de l'art. C'est une sorte d'objet indéfinissable ( en tout cas pour moi ). De mon côté c'est ainsi mais là aussi je sais que je manque de moyens pour en juger et le fait de publier ces textes est une manière aussi de dire c'est à vous à toi collectivité de le dire, tout en prenant bien soin de mon côté de ne pas vraiment vouloir entendre ce que l'on pourra en dire. Ce n'est pas que ça ne m’intéresserait pas, mais le risque que ça fige cet ensemble dans une définition me demanderait encore un surcout d'énergie pour ne pas en tenir compte. Il faut donner la part aux fauves parce que les fauves sont de ce monde comme je suis probablement de ce monde. Leur jugement quel qu'il soit est leur nourriture. Ils sont heureux peut-être ainsi parce qu'ils ne connaissent pas autre chose. Ils sont dans l'hypnose produite par la recherche de ce plaisir pré déterminé. Ce plaisir là je l'ai traversé en son temps mais l'hyper vigilance qui me frappe depuis toujours m'interdit de m'y reposer trop longtemps. Il me faut aussi lutter contre un jugement interne que je ne cesse d'entretenir envers ce que je produis et qu'il m'arrive de qualifier de déballage exhibitionniste Ce que Winnicott nomme la crainte du faux self : La peur d’être trop, mal placé, déplacé — la peur que le vrai soit lu comme impudique, que le nu soit lu comme obscène. Mais je ne peux rien faire pour m'opposer avec vigueur ou bon droit à cette éventualité que tout ce que j'écris soit ainsi perçue. Cette blessure anticipée est déjà cautérisée avant qu'elle n'advienne tant l'immersion dans mon propre ridicule, ma version risible a été traversée tant et tant de fois comme une jungle qu'on explore. Certains pourraient et moi-même parfois aussi penser qu'il s'agit d'un écrit très présomptueux, voire même méprisant envers le lecteur. C'est aussi un risque à prendre que celui de montrer dans quelle prison de jugement nous sommes reclus à chaque instant. Et si cela peut permettre à l'un ou l'autre d'en prendre un peu plus conscience, alors ce texte n'aura pas été si totalement inutile que je le pense par réflexe. july-11-2025 Perhaps everything I write only provokes a kind of discomfort. That would make sense, since writing is a kind of patch I try to place over that discomfort to seal it. I could keep these texts in a drawer. Show a little modesty. But that would be unsatisfying, intellectually. When I publish what I write, it’s partly to evacuate it, but it’s not to take revenge for anything — at least I don’t believe that anymore. I publish what I write to show a sort of path I’ve kept to since I was thirty. It isn’t really literature. It isn’t philosophy, or psychology, or even art. It’s a kind of object I can’t define — at least not from where I stand. I know I lack the tools to judge it, and publishing is also a way of saying : here, it’s for you, for others, for the collective to name it — while also taking care not to really want to hear what might be said. It’s not that I wouldn’t be interested, but the risk of having the whole thing pinned down, turned into a definition, would demand another layer of energy just to resist or ignore it. You have to feed the beasts, because the beasts are of this world, as I probably am too. Their judgment, whatever it may be, is their nourishment. They may be happy that way, because they know no other. They’re hypnotized by the pursuit of a certain kind of predetermined pleasure. I’ve passed through that kind of pleasure too, but the hypervigilance I’ve always carried won’t let me rest there for long. I also have to fight with an internal judgment I constantly direct at what I produce, which I sometimes call an exhibitionist outpouring. What Winnicott called the fear of the false self : the fear of being too much, poorly placed, somehow misaligned — the fear that what is true will be read as indecent, that the bare will be read as obscene. And there’s nothing I can really do to stop this eventuality, that everything I write might be seen that way. That wound is already cauterized before it happens. I’ve passed through my own ridiculousness, my risible version, so many times — like a jungle crossed over and over. Some may think — and at times I do too — that this is a presumptuous piece of writing, perhaps even contemptuous of the reader. That, too, is a risk : to reveal the prison of judgment in which we are held, moment to moment. And if this helps even one person to become more aware of it, then maybe this text will not have been entirely useless, even if I tend to think so by reflex.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | juillet 2025

9 juillet 2025

Une femme, la cinquantaine, vit seule à Aubervilliers, persuadée d’être artiste, mais effacée du monde — froide, muette, invisible. Le narrateur se souvient sans certitude d’une femme silencieuse, dont l’existence semble s’effacer au moment même où il tente de la saisir. Le style de ce narrateur repose sur l’absence, l’incertitude, les traces incomplètes, les rues précises et les souvenirs flous. Une présence à peine entrevue devient centrale, comme un reflet égaré dans un Paris périphérique, suspendu dans le temps. Il se rend sur Google Earth et au 8, rue du Moutier, Aubervilliers. Une image réelle vient ancrer la fiction dans un lieu concret, rendant le fantôme plus tangible. Le récit pourrait devenir une enquête par fragments : notes, observations, gestes, indices d’une vie non vérifiée. Fatigue rien que de l'imaginer. sursaut cependant : Et si cette femme était la seule à exister vraiment — les autres étant devenus des ombres pressées à traverser la rue ? quel est le lien ? Le personnage est une projection : ce personnage de femme porte l’effacement que le narrateur redoute pour lui-même. à cet instant surgit une phrase qui pourrait bien être la phrase centrale. Je n’ai pas le pouvoir de sauver quiconque de l’effacement. Je ne peux que témoigner de leur présence. Mais aussitôt il faut trouver un moyen en urgence de couper court : Je ne suis pas certain de ce que je veux faire moi-même envers moi-même. A woman, in her fifties, lives alone in Aubervilliers. She believes she is an artist, though the world has forgotten her — cold, mute, invisible. The narrator remembers her, but not with certainty. He recalls a silent woman whose presence seemed to fade the moment he tried to fix it in words. His voice rests on absence, on what cannot be held : incomplete traces, exact streets, blurred recollections. A presence barely glimpsed becomes central — like a reflection misplaced on the edges of a peripheral Paris. He looks it up on Google Earth : 8, rue du Moutier, Aubervilliers. A real image anchors the fiction in a physical place, making the ghost more tangible. The story could become an investigation in fragments : notes, gestures, incomplete evidence of a life not quite verified. Already he feels the fatigue of imagining it. Still, a jolt : What if she were the only one who truly existed — and the others were merely shadows, rushing across the street ? What is the link ? She is a projection. She carries the erasure the narrator fears for himself. And then, a sentence appears — it might be the central one : I have no power to save anyone from erasure. I can only testify to their presence. But almost immediately, there is a need to cut it short : I’m not sure what I want to do with myself, towards myself.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | juillet 2025

july 06 2025

Judment is silence Fine. Let’s go. Me, I can go years without saying a word. P.? Haven’t spoken in thirty-five years. M.? Maybe two. Others ? It goes back even further. Judgment is silence. And silence is death. When you stop talking to someone, it’s like they died. And yeah, it works the other way too. Which means we die more than once in a lifetime. Every time you turn your head away. Every time you turn a corner. That’s why—on this precise point of silence— we’re all killers. No need to act surprised. At first, I didn’t get it. Or I got it wrong. Or I just didn’t want to get it. I thought silence meant someone was mad at you. Sometimes, sure. But it’s not just that. Sometimes they’re just silent because, to them, you don’t exist. Maybe you existed five minutes. Fifteen for Andy. But they didn’t want to hear more. Maybe you made them uncomfortable. Maybe they didn’t get it. Maybe they didn’t give a shit about not getting it. Maybe it was all of that at once. So they turned around. Disappeared. Never gave a sign again. Killed you, plain and simple. No headlines. No dramatic music. Just—that’s it. They don’t give a fuck about you. That’s the truth. You don’t believe it at first. You hold on. You think there are rules, ties, some kind of community. Family, maybe. But family’s like school. Like the workplace. Like church. A nice storefront for control. You think they care ? You’re wrong. You’re just a LEGO block in the shrine of their ego. Useful as long as you fit. Then—trash. The basement. The oubliette. We wrap it all up in culture, in morals, in democracy. But really, it’s this : there are assholes on one side, and on the other, all the lost souls asking : Is this okay ? Can I do this ? I don’t know… This morning at 8 a.m. sharp, I blasted Bikini Kill. Kathleen Hanna ? That’s me too. I threw the window wide open. Let the neighbors deal. Reject All American. Reject all fascists. All dicks. Sometimes I think, like her—yes, it’s worth it. Fucking with the neighbors is a form of self-care. Like : still jerking off at sixty-five, knocking back three whiskys before lunch just to say yes, I’m bored, tossing weird obscure words into random café convos, rehearsing being the freak, flipping off some bourgeois lady who expects me to hold the door. And : never answering the phone, even though I have one, and never call anyone anyway. I read something this morning. Can’t remember exactly— something about bad writing. Like : If it’s bad, don’t show it. It just adds pain to pain. Seriously ? Fuck that. If it’s bad—show it more. Throw it at people. We need more good-bad to wipe out the bad-good. Oh—and Kathleen Hanna ? Apparently, she stripped too. Just like Kathy Acker. No idea if that matters. But I’m writing it down. (Okay—it matters.) Rage isn’t exclusive. Why should rage belong to just one kind of person ? That’s what I was thinking as I hit play again. For the third time. Sunday. Eight a.m. To remind the world : I’m not dead. I can make noise. Author recruitment. Well, more like a spontaneous submission. June Abattoir. Born in a motel on the outskirts of Houston, on June 13th, under a tornado warning. Raised between a bingo hall and an abandoned library, she started writing at the same age other kids discovered glitter glue. Trained in the school of cutting narratives and loaded silences, she published her first pieces under fake names in post-industrial feminist zines. Her work oscillates between muted scream and sudden laughter, intimate trash and the fine lace of the real. She currently lives between an ashtray, an empty glass, and a Wikipedia tab open on emotional taxidermy. Visual : pure Riot Grrrl. french|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | juillet 2025

6 juillet 2025

Le jugement, c’est le silence. Très bien. Allons-y. Personnellement, je peux rester sans rien dire pendant des années. P. — trente-cinq ans que je ne lui ai plus adressé la parole. M. — deux ans, je crois. Pour certain·e·s, ça remonte encore plus loin. Le jugement, c’est le silence. Et c’est la mort. Quand tu ne parles plus à quelqu’un, c’est comme s’il ou elle était mort·e. Et ça marche dans l’autre sens aussi. Ce qui fait qu’on meurt bien plus d’une fois dans une vie. À chaque fois que tu tournes la tête. À chaque fois que tu tournes à l’angle d’une rue. C’est pour ça que, sur ce point précis du silence, nous sommes tous des victimes et des assassins. Pas la peine de se la jouer. Je ne comprenais pas, au début. Ou je comprenais mal. Ou je ne voulais pas comprendre. Je croyais que le silence signifiait qu’on était fâchés. Ça peut arriver, oui. Mais ce n’est pas que ça. Parfois, ils sont silencieux simplement parce que, pour eux, tu n’existes pas. Tu as peut-être existé cinq minutes. Un quart d’heure pour Andy. Mais ils n’ont pas eu envie d’en entendre plus. Soit ça les dérangeait, soit ça les mettait mal à l’aise, soit ils ne comprenaient pas, soit ils s’en foutaient de ne pas comprendre, soit un mélange de tout ça. Alors ils ont tourné les talons. Ils ne t’ont plus jamais donné signe de vie. Ils t’ont tué, tout simplement. Sans gros titre. Sans jingle spécial fait divers. C’est comme ça. Ils n’en ont rien à foutre de toi. C’est ça, la vérité. Tu ne veux pas y croire au début. Tu t’accroches. Tu te dis qu’il y a des règles, des liens, une espèce de communauté. La famille, tiens. Mais la famille, c’est comme l’école. Comme l’entreprise. Comme l’église. Des façades. Des vitrines. Tu crois qu’ils s’intéressent à toi ? Tu te gourres. Tu n’es qu’une pièce de LEGO dans l’édifice de leur ego. Un machin utile tant que tu rentres dans le moule. Après, poubelle. Le cul de basse-fosse. Les oubliettes. On a beau tout enrober : culture, morale, religion, démocratie… La vérité nue, c’est qu’il y a les enculés d’un côté — et de l’autre, des paumé·e·s qui se demandent : est-ce que ça se fait ? est-ce que j’ose ? j’hésite… J’ai lancé Bikini Kill à fond ce matin, huit heures tapantes. Kathleen Hanna, c’est un peu moi aussi. Elle a gueulé, j’ai ouvert la fenêtre. Histoire de faire chier le voisinage. “Reject All American.” Tous les fachos. Tous les trous du cul. Des fois, oui, comme elle, je crois que ça vaut le coup. Faire chier le voisinage, c’est un principe d’hygiène. Comme : continuer à se branler à soixante-cinq balais, boire trois whiskys de suite à l’apéro, juste pour bien montrer qu’on s’y emmerde, glisser deux ou trois mots complètement abscons dans une conversation au café ou à la caisse du Franprix, s’entraîner à être montré du doigt comme un timbré, faire un doigt d’honneur à un bourge qui s’attend à ce que tu lui tiennes la porte. Comme aussi : ne jamais répondre au téléphone, même si tu en as un, même si tu n’appelles jamais personne avec. J’ai lu un truc ce matin, j’essaie de m’en souvenir. Ça parlait des mauvais textes. Oui, c’est ça. Quelqu’un disait : “Quand c’est mauvais, il vaut mieux ne pas le montrer. Ça ne fait qu’ajouter de la peine à la peine.” Mon pauvre. Je me suis dit : le contraire. Quand c’est mauvais, profites-en. Publie-le encore plus. Il faut opposer le bon mauvais au mauvais bon. Je découvre que Kathleen Hanna était aussi strip-teaseuse. Comme Kathy Acker. Je ne sais pas si ça a un rapport. Mais je le note. (Si, sûrement.) Rage non exclusive Et puis, pourquoi la rage serait-elle l’apanage d’une seule minorité ? C’est ce que je me disais en relançant la bande-son pour la troisième fois. Un dimanche, à huit heures du mat. Histoire de bien montrer que je ne suis pas mort. Que je suis capable de faire du bruit. recrutement d'auteur, candidature spontanée plutôt. June Abattoir. Née dans un motel en périphérie de Houston, un 13 juin sous alerte tornade. Élevée entre une salle de bingo et une bibliothèque désaffectée, elle commence à écrire à l’âge où d’autres découvrent la colle à paillettes. Formée à l’école des récits coupants et des silences pleins, elle publie ses premiers textes sous pseudonyme dans des fanzines féministes post-industriels. Son œuvre oscille entre le cri rentré et l’éclat de rire, le trash intime et la dentelle du réel. Elle vit désormais entre un cendrier, un verre vide, et un onglet Wikipédia sur la taxidermie affective. l'illustration très riot grrrl english|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | juillet 2025

05 juillet 2025

Lu quelques pages de Capucine et Simon Johannin (Ninon dans la nuit). J’y reconnais quelque chose, bien que je me méfie toujours de ce mot « reconnaître ». Une densité. Ce qui me fait penser à ma propre densité. Ce qui me fait penser que l’idée de densité ne s’accroche plus chez moi à autre chose qu’à l’écriture. Reçu un commentaire pour ma réponse numéro deux à l’atelier d’écriture de l’été. Je n’ai encore pas su quoi répondre. Ça m’interroge. Pourquoi je n’arrive plus à répondre à ces commentaires ? Quelque chose d’implacable semble me barrer aussitôt le chemin, sitôt que je pense seulement l’emprunter. Même si je pense qu’il faut du courage pour oser m’écrire un commentaire. Même si, allez, je me dis : ça vient du cœur, tu ne peux pas laisser passer ça sous silence. Même avec tous ces si, je n’arrive pas à revenir dans ma peau d’individu lambda, d’idiot banal, de pauvre type indécrottable qui répondrait un simple merci à ce commentaire. Il y a peu, je pouvais encore dire merci. Juste ça. Et aujourd’hui, quelque chose d’implacable me l’interdit. C’est mieux de ne rien dire, c’est ce que ça me dit. C’est mieux de la boucler. C’est encore plus terrible, ce silence. Il me fait très peur. Mais qu’on me laisse tranquille si je veux m’enfoncer dedans, que je me laisse, moi, tranquille à y sombrer corps et âme. Hier soir, A. et L. sont arrivés vers 19 h et ils sont tout de suite allés voir le tableau dans l’atelier. Ils l’ont examiné sous toutes les coutures. Je les ai regardés faire. Je me sentais à la fois un peu angoissé à cause de l’argent, et en même temps immensément tranquille. Ce genre de tranquillité qui surgit quand le monde entier te dit que tu te trompes et que toi, tu sais que tu as raison. Ce n’est même pas le fait d’avoir raison, c’est la certitude d’être juste à cet instant précis. Comme si tu étais le seul point stable à cet instant, quand tout se met à douter, à vaciller. À la fin, ils m’ont demandé mon RIB. J’étais soulagé, et en même temps pas vraiment. C’est dingue : il a fallu, un peu plus tard dans la soirée, que je parle d’écriture. Je savais, en le disant, au moment même, que c’était une erreur. Je savais aussi que cette erreur avait une fonction, sans que je sache laquelle. Je savais que ne pas le savoir avait aussi une importance. C’est au moment où ils m’ont demandé s’ils pouvaient lire ce que j’écris que j’ai bredouillé : « Non, vous ne pouvez pas. » J’ai reconnu, à cet instant, la même force implacable que pour répondre au moindre commentaire. Ensuite, nous sommes vite passés à autre chose. Je n’étais pas rassuré du tout. Une sorte de panique intérieure s’est emparée de moi et je n’ai pas pu fermer l’œil avant tard dans la nuit. Du coup, j’ai carrément oublié de me flanquer le masque pour respirer.|couper{180}

Autofiction et Introspection réflexions sur l’art

Carnets | juillet 2025

03 juillet 2025

Nulle part où aller, il n'y a plus d'issue. Il s'est enfoncé dans les galeries étroites au plus profond de la grotte, et maintenant il ne peut plus revenir en arrière. Il a atteint une grande salle, sa voûte immense s'élevant dans l'obscurité, barrée au fond par un lac aux eaux sombres, presque noires d'onyx. Les parois lisses de la salle, sculptées par des millénaires d'érosion, révèlent des strates massives de calcaire gris et des bancs de roche plus sombres, striés de laminations fines. Ici et là, des fissures suintantes laissaient perler l'humidité sur une patine glissante. Il s'est assis, épuisé, le sol argileux et rocailleux sous lui, et a fouillé ses poches pour attraper son carnet. Il n'a pas besoin de lumière. Dans la pénombre, il voit suffisamment. Ses yeux se sont habitués à l'obscurité, percevant les contours des concrétions qui pendent comme des menaces silencieuses du plafond et la brume légère au-dessus de l'eau stagnante. Il se souvient : nul besoin de voir pour conter grandeurs et petitesses des héros ici-bas. L'image d'Homère aperçue autrefois dans des manuels scolaires, celle d'Ulysse, d'Achille, d'Hector, d'Agamemnon. Tout n'est que mensonge. La vérité n'est pas le moindre de ces mensonges. C'est certainement cette prise de conscience qui l'a poussé à rejoindre ce gouffre, cette descente vers la nappe phréatique, les profondeurs insondables. Au fur et à mesure de la descente dans les entrailles de la terre, à travers les diaclases et les cheminées naturelles, il avait vu se dénouer ses illusions, des plus évidentes aux plus ténues. Et maintenant, parvenu à la grande salle, devant ce lac noir, cet ultime siphon, il se rend compte qu'il a enfin touché au but. Il a atteint le fond, il en a terminé avec l'idée de revenir en arrière ou d'aller au-delà. Il est assis et il le note, poussé par une fidélité de chien envers son maître imaginaire. C'est la seule chose qui vient ce matin. Cet embryon d'histoire. Comme si je ne pouvais pas m'en empêcher, cette compulsion inéluctable de conter. C'est la fin. La fin du monde, cet anéantissement annoncé ; la fin de tout, cette vacuité abyssale ; ma propre fin, cette dissolution inévitable. Et cependant, je ne trouve rien d'autre à faire que de me raconter des histoires, encore et encore, jusqu'à cet écœurement profond que m'impose désormais la moindre fiction, la moindre fabulation. La chaleur est un peu moins accablante ce matin. Les stridences des martinets déchirent l'air, une déchirure presque tangible dans la quiétude matinale. J'ai trouvé une solution pour faire durer plus longtemps les sachets de pâtée de la chatte ; je ne lui donne que la moitié le matin, la moitié le soir. Entre temps, je réserve le sachet au frigo. Si elle a encore faim, il y a toujours des croquettes à côté. Ces derniers jours, la souffrance viscérale des corps – bêtes et humains – était le liant, la seule connexion tangible. Nous nous traînions, mus par une sorte d'empathie primale provenant de l'accablement généralisé. Et qui, ce matin, s'évanouit avec la fraîcheur éphémère. Aucune pitié pour ce gros insecte qui n'arrive plus à se remettre sur ses pattes. J'ai attrapé une godasse et je l'ai écrabouillé sur le béton brut de la cour. Puis j'ai pris le balai et l'ai poussé vers la bouche d'évacuation des eaux de pluies, sous la vasque de la cour, vers un gouffre plus insignifiant, mais tout aussi définitif. J'essaie de me souvenir. Comment faisait-il face autrefois ? Face à l'absurdité crue, face à l'horreur indicible. L'observation était une lame à aiguiser jour après jour, heure après heure. L'observation permettait de prendre appui sur quelque chose de tangible, de concret. Elle permettait d'évaluer les situations, de les relativiser, d'avoir un minimum de distance, de recul salvateur. Souvent, cette vigilance constante s'achevait en ironie cinglante, parfois aussi en cynisme mordant. C'était aussi une sorte de descente dans un gouffre, l'idée de rejoindre le trou du cul du monde. Une fois parvenu au point d'orgue, au terminus, il se produirait peut-être enfin quelque chose. Un choix décisif à opérer entre stalactite et stalagmite. Entre le cynisme dévastateur et l'amour rédempteur. C'est bien un tableau, l'ébauche primale d'une œuvre en gestation, la strate inaugurale d'une création. Son modus operandi demeure intuitif, une quête délibérée sans feuille de route. Il s'abstient résolument de toute destination prédéterminée, procédant par impulsions aléatoires sur la toile. Ici, une figure ample émerge ; là, une silhouette plus discrète se dessine, tandis qu'ailleurs, des notes ténues prennent corps. L'enjeu réside dans la découverte d'une modalité inédite d'investir l'espace pictural. Le peintre, encore à tâtons, s'interroge sur la nature de cette occupation, sur sa corrélation intrinsèque avec l'espace, et sur la raison d'être de leur coexistence. Le fait d'user d'un vocabulaire distinct l'amuse. Il y a quelque chose de profondément sérieux dans cet amusement. C'est un mouvement pour sortir d'une langue habituelle, s'essayer à pénétrer une autre, encore inconnue. Essayer de traduire la même chose avec des mots différents. N'est-ce pas là la même démarche que de prendre des tubes de couleurs primaires et d'en extraire de nouveaux mélanges, si possible ceux que l'on n'a pas l'habitude d'utiliser, des nuances inédites ? Pour ce texte ce n'est pas parti de Voltaire mais de La Boétie, de Pierre Pachet, de Remue.net un article de 2018|couper{180}

Autofiction et Introspection