Autofiction et Introspection
Habiter n’est pas impossible, mais c’est un vrai problème pour le narrateur. Il occupe des lieux sans jamais vraiment y entrer. Maison, atelier, villes traversées : ils existent, mais restent comme à distance. Il imagine que peindre ou écrire l’aidera à habiter autrement, à investir un espace intérieur qui compenserait l’absence d’ancrage. Mais cela demeure du côté du fantasme. Le réel, lui, continue de glisser, indifférent.
C’est de ce décalage que naissent ces fragments. Écrire pour traverser l’évidence, pour examiner ce qui ne s’examine pas. Écrire comme tentative d’habiter, sans garantie d’y parvenir.
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Carnets | octobre 2023
18 octobre 2023
Les saisons arrivent, repartent, reviennent. À peu près semblables, d’année en année. L’enfant apprend ce rythme par le corps. Il hume l’air, sent l’automne, devine l’hiver. Et pourtant… ni de la ville, ni des champs. Étranger au monde qu’il traverse. Un passager du temps. Quand il fait beau, il se réjouit. Quand il pleut, il tend les paumes. Il aurait voulu vivre ainsi — porté par le temps, comme autrefois dans un ventre. Mais l’histoire n’est pas d’accord. Né trop tôt. Un mois en avance. Privé du sas, du langage invisible de l’attente. Il entre dans le monde par la peur. Tubes. Verre. Urgence. Plus tard, même scénario. Il part du primaire avant la fin. Perd la maison, le jardin, les collines, et son accent. Il parle pointu. Il s’ajuste. Il observe la neige, les merles. Suit les pattes noires dans le blanc. Il cherche la trace de l’envol — mais l’envol ne laisse pas de trace. Il appartient à un autre temps. Apprendre à lire l’heure ? Il ne sait pas. Les chiffres romains ne disent rien. Il apprend le temps sans montre, par le soleil, même absent. Le seul bien ici, c’est le sens commun. Ceux qui le perdent parlent trop, ou parlent pour ne rien dire. On dit : “mets la table, fais ton lit, range le bois.” Mais il y a dans ces phrases-là quelque chose d’étrangement triste. Un jour, l’arbre n’est plus là. Coupé pour cause d’ombre. Un autre jour : un fusil. Un merle. Une traînée de sang. On suit les gouttes. Au bout, un oiseau mort. C’est quand il perd goût aux choses usuelles que l’homme retrouve l’odeur de l’enfance. L’humus. Le silence. Le balancement lent des arbres. Il essaie de prononcer leurs noms. Mais la gorge se serre. Il est presque là. Il y est. Il n’est plus un homme. Plus un enfant. Seulement le vent. sous-conversation Il voulait s’adosser au rythme. Ne pas résister. Juste… suivre. Mais tout est venu trop tôt. Trop fort. Trop vite. Pas le temps d’apprendre. Il ne parle pas la langue du monde. Il a dû la copier, l’imiter, l’apprendre à rebours. Il regarde les merles. Mais ce qu’il cherche, c’est pas l’oiseau. C’est ce qui l’a fait partir. Ce qu’il n’a pas vu. Le temps n’est pas un fil. C’est une béance. Il s’approche. Il dit presque. Mais le mot ne vient pas. Alors il devient… autre chose. Moins que corps. Plus que voix. Il devient ce qui traverse. note de travail Ce texte est une tentative d’habiter le temps. Pas de le décrire, ni même de le penser — mais de s’y couler. Comme on tente d’habiter un corps qu’on n’a pas choisi. Tout y est marqué par la prématurité. Une entrée brutale dans le monde : avant les mots, avant les rythmes, avant la chaleur. La naissance est ici un accident de temporalité. Ce qui m’émeut, c’est l’effort que fait ce sujet pour recoller à la cadence des autres. Il observe les saisons, il regarde les horloges, il essaie de comprendre ce qu’il a manqué. Mais il reste… en décalage. Non pas marginal : flottant. Les arbres, les merles, les chiffres romains, les rites d’école… sont autant de tentatives d’ancrage. Mais le sol reste fuyant. Même la langue — l’accent, la syntaxe — semble toujours “pointue”, apprise pour être socialement conforme. La dernière image — devenir le vent — n’est pas une disparition. C’est une transformation poétique du sujet. Il ne parle plus le langage du temps. Il est ce qui le traverse. Une forme de sublimation discrète, mais puissante. Je ne sais pas si c’est un cri, une prière ou un aveu. Mais ce fragment est un seuil.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
18 octobre 2023
La seule peine, c’est celle qu’on ne peut dire. Celle qui s’accumule. Qui nous gonfle d’encore plus de peine. Une fontaine de chagrin — mais sans débordement. On la garde. On l’amasse. Pas un mot. Pas un soupir. Dehors : le concert des jappements, des klaxons dans les bouchons. Bruits, cris, alertes. « N’en rajoute pas », dis-tu. « Pas de peine sur la peine. » Courage et lâcheté : deux mains qui applaudissent en sourdine. Et entre les lèvres, droit comme une lame, l’horizon. sous-conversation C’est trop… ça ne passe pas, ça s’amasse, ça pèse — mais en dedans. Ça pourrait jaillir, mais non. Rien. Même pas un cri. Il faut tenir. Ne pas troubler. Ne pas se répandre. Et l’autre qui dit : n’en rajoute pas. Comme si… comme si c’était toi, la surcharge. Alors tu tais. Tu te tais. Mais ça applaudit en toi. Oui. Un bruit sourd. Un bruit de mains, dans le vide. Et la bouche fermée, c’est pas un silence. C’est une ligne. Une ligne d’exil. note de travail Ici, tout tourne autour du non-dit. Non pas ce qu’on cache aux autres, mais ce qu’on n’arrive même pas à formuler pour soi. La peine est nommée, mais aussitôt retenue, tenue, contenue. Elle se transforme : de sentiment, elle devient chose. Accumulation. Poids. Fontaine dont rien ne sort. Le corps est présent — par effraction : les bouchons, les klaxons, les mains. Il y a cette opposition entre le vacarme du monde et le silence du sujet. Comme si l’extérieur hurlait pendant que l’intérieur se recroquevillait. Le vers “courage et lâcheté, deux mains qui applaudissent en sourdine” est magistral. Il résume la tension morale du texte : tenir bon, mais à quel prix ? et pourquoi ce besoin de s’absoudre par le silence ? Enfin, “un horizon droit entre les lèvres” évoque une sorte de ligne de fuite contenue dans le visage même. Ce n’est pas seulement ne pas parler, c’est s’aligner, se contracter, se figer pour ne pas disloquer. Un surmoi de pierre. Peut-être que ce texte est une tentative de dire enfin cette peine qu’on ne peut dire. Et c’est déjà beaucoup.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
18 octobre 2023
Une minute de silence, une minute papillon, une minute cocotte, une minute bonhomme, minute, j’en ai pas fini avec vous. Une minute rit, une mine hutte, bourrée de secondes comme d’un vieux ragoût. Si dans une minute tu… les minutes s’égrènent, on graille sur le pouce, réparation minute, on y gagne pas la lune mais minute, tout de même. Un porte-clés, un calendrier, une montre à retardement. Le tout avec la plus minutieuse des minuties. Faites pas scier. Faites péter le bouchon, le bout chonchon, le bout de chou, le bout de gras, les vaches maigres, minute, on s’égare. À la gare, hagards, du NORD, on s’en va comme on est venu. Pas une minute à perdre de plus. sous-conversation C’est rien… juste des mots. Des bouts de temps. Mais ça revient. Encore. Encore. Minute. Encore une. Une dernière. Ça glisse, ça file, ça se détraque. Pas sérieux. Non. Mais grave quand même. Comme un sablier qui rigole. Comme une alarme douce. Comme un rappel qu’il n’y aura pas de rappel. Et puis ça déborde. Chonchon. Bout de chou. Gare. Nord. On fuit en riant. Ou en s’étouffant. C’est pas clair. Juste… une minute. note de travail Troc de la phrase pour le fragment, la signification pour la sonorité, la progression pour l’itération. Ce texte n’est pas une note, c’est un battement. Minute après minute, il creuse quelque chose comme un vertige temporel. Un jeu de langage qui, à force de tourner, révèle une angoisse : celle de manquer, de perdre, de s’effondrer par petits morceaux. La cocotte minute n’est pas un gag. C’est une image du crâne. La réparation minute, une tentative vaine de rafistolage existentiel. Et cette gare du Nord, surgie là… comme un symptôme. La fin d’un trajet. L’idée du retour. Ou de la fuite. Le tout est ludique. Mais le ludique, ici, est défense. Il faut jouer avec les mots, sinon ils dévorent. Et dans le “pas une minute à perdre de plus”, j’entends, en creux, le soupir du corps qui n’en peut plus. Le langage fait diversion. Mais la minute reste là. Tapie. Prête à sonner.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
17 octobre 2023
Amalgame. Au sens propre : un alliage de mercure avec un autre métal. Au figuré : un mélange de choses ou de personnes qui ne vont pas ensemble. Des opinions, des faits, des peurs, des noms. Tout jeté dans le même creuset. Avoir l’amalgame en horreur. En éprouver du dégoût. Mais s’y retrouver quand même. S’y perdre parfois. Amalgamer les données. Confondre. Simplifier. Oublier. Et puis revenir au mercure. Au commerce. À l’argent. Substance liquide, fuyante. Démêler patiemment. Extraire un à un les éléments. Recomposer la matière sans qu’elle ne vous brûle les doigts. sous-conversation C’était clair pourtant… une définition. Un mot net, précis, stable. Et puis… ça déborde. Ça mélange. Ça colle. Il y a trop dedans. Trop d’autres choses. Il voulait distinguer. Séparer. Mais il se retrouve là, pris dans le bloc. Pas moyen d’en sortir sans s’arracher un peu de soi. Ça s’est mis à couler. Comme du mercure. Tu touches, ça fuit. Tu appuies, ça éclate en mille gouttes. Et toi, au milieu. notes de travail Le mot est posé comme un scalpel. Amalgame. Une tentative de disséquer le trouble. L'auteur de ce texte semble fasciné par cette oscillation entre le sens technique (le mercure, l’alliage) et le sens moral (la confusion, l’erreur, la faute logique et sociale). Il veut trier, nommer, séparer. Mais tout, dans la langue, conspire à confondre. Ce qui me frappe, c’est qu’il cherche à se laver de l’amalgame tout en admettant qu’il y est plongé. Il y a un conflit fort entre son désir de clarté — presque obsessionnel — et l’expérience de la complexité. Le retour au mercure n’est pas anodin : substance toxique, insaisissable, à la fois métal et liquide, comme l’esprit quand il tente de tout comprendre. L’image finale est très forte : démêler les amalgames, comme on démêlerait des pensées confondues, ou des souvenirs mêlés. Peut-être, au fond, que ce fragment dit la peur de l’indistinction. La peur de devenir soi-même un amalgame.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
17 octobre 2023
On se dit : c’est pour moi. Puis un peu pour les autres aussi. Et puis on ne se dit plus rien. On écrit. Ça s’écrit. Besoin naturel. Atelier sur l’enfance. F.B. dit : « Il n’en faut pas beaucoup pour se perdre quand on est enfant. » Je l’écris aussitôt : terreurs, perditions. Mais aussi les cailloux, les fils, les arbres, les cabanes. La route. Sans les mots, que reste-t-il ? L’effroi, la nuit, l’abrutissement. Se perdre, c’était surtout oublier cet enfant-là. Et puis un clou chasse l’autre. Attention. Les mots : amour, torture, fidélité, trahison. Les articles : le, la, les. Mon cerisier. Ton abricotier. Leur poirier. Leurs grillages. Les genoux qu’on s’écorche. Le vent, la pluie. Un arbre, une haie, un jour. Une maison. Un homme. Un chien. Un coup de feu. Je. Tu. Il. Nous. Vous. Ils. Le pronom n’est pas un nom. Il ne l’a jamais été. Se perdre dans les livres. Se trouver autrement. Peut-être. * Aujourd’hui : les impôts. Un bâtiment en travaux. Une autre adresse. Il y va. Il attend. Il se trompe. On le renvoie. Ses épaules tombent. Mais il tient bon. Et soudain, miracle : un fonctionnaire souriant. Sortir. Sentir que quelque chose s’est réglée. Alors qu’il y a une heure, on était au fond du trou. * Peinture l’après-midi. Tête farcie. Rien préparé. Chercher le sens d’un exercice en le pratiquant. Confus, mais ça travaille. Une boîte à livres dans un coin. Un Chamoiseau. *Texaco.* Pas lu celui-là. Je le prends. Je devrai le remplacer après les vacances. Boucher le trou. sous-conversation Il écrit. Mais pour quoi ? pour qui ? Ça sort, comme ça. Naturel. Ou pas. Ça serre un peu, là. Comme s’il fallait se justifier d’écrire. Encore. Toujours. L’enfance. Encore. Se perdre… mais quoi, qui, exactement ? S’éloigner. De quoi ? De qui ? De cet enfant. Celui-là. Surtout celui-là. Mais pas trop loin non plus. Sinon tout s’efface. Il s’égare. Dans les mots. Dans les arbres. Dans les pronoms. “Je” flotte. “Tu” accuse. “Ils” menacent. L’administration. Le labyrinthe. Le bon guichet. Sourire ou mépris. Il ne faut pas exploser. Il ne faut pas. Et puis : un livre. Texaco. Une dette née d’un livre gratuit. Le trou qu’on ne veut pas laisser. Notes de travail Le texte est un terrain. Une forêt mentale. Il y a là-dedans : un enfant effrayé, un homme fatigué, un écrivain débordé, un corps traversé par mille signaux. Et la tentative d’un fil. D’une ligne de fuite. Ce qui m’intrigue, c’est l’usage de la perte comme stratégie. On ne cherche pas à se retrouver, mais à se perdre. Et dans cette perte, se sauver d’une autre menace, plus ancienne. Plus ancrée. L’enfant revient. Mais jamais en face. Il rôde, flotte, s’infiltre dans les mots, les pronoms, les scènes d’école ou de forêt. Il ne veut pas être dit frontalement. Alors il devient grammaire. L’administration arrive comme un bloc brutal de réel. Le cauchemar bureaucratique qui révèle le moi quotidien, l’homme lambda face à l’absurde. Mais ici, même ça, on le traverse. On en sort vivant. Et puis, le retour au livre. À Chamoiseau. À la dette symbolique. Car même la gratuité devient source d’angoisse. Le texte, au fond, parle de la charge de devoir vivre, penser, écrire, transmettre. Et du gouffre laissé si l’on échoue. Il écrit pour ne pas tomber. Et dans le trou du don gratuit, il sent l’obligation d’un retour. Même les livres libres ne le sont pas vraiment.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
16 octobre 2023
Depuis la Rome antique jusqu’aux quartiers anonymes d’aujourd’hui, la délation n’a jamais cessé de prospérer. Sycophantes hier, applications aujourd’hui. En Chine, on balance son voisin du bout du pouce. En Corée, on apprend à dénoncer en classe. En Suisse, on appelle cela sobrement une dénonciation pénale. Partout, la même jouissance trouble : trahir en toute légalité. À la Grave, cela devient un sport. Un jeu sale et répété. On y déballe les autres comme on viderait des sacs de pommes de terre pourris. Le plaisir est là, visqueux, dans le geste de salir. P., professeur de mathématiques, a chuté. Quelques élèves ont parlé. Des choses tues pendant des années. Il est tombé comme tombent ceux qui savent qu’ils tomberont un jour. Un matin d’octobre, même imper, grosse valise. Le parc. Les cris. Le pont. Le bosquet. Plus rien. Et lui, celui qui observait, aurait voulu être comme les autres. Froid. Cruel. Mais quelque chose en lui résistait — orgueil tordu, faiblesse ou déviance du cœur. Il a tenté de s’en guérir. Il a échoué. Alors il a fait comme tous les ratés : il a cultivé son ressentiment. Un ressentiment sans cible. Encore mieux. Il servira. À tout le monde. Aux flics. Aux élus. Aux discours. Il suffira de l’irriguer. Le canaliser. Et du compost de cette haine ordinaire, une dictature germera. Fluide. Naturelle. Organique. Comme une fleur noire venue d’un rêve d’enfant pourri. sous-conversation Il aurait aimé… quoi ? Ne pas sentir. Ne pas comprendre. Ne pas avoir ce battement trop fort, là, quand un autre tombe. Juste fermer les yeux, comme tout le monde. Mais non. Toujours ce remous, ce noeud — pourquoi est-ce que ça le touche ? Lui aussi… il aurait voulu être du côté des forts. Ceux qui dénoncent, qui n’ont pas de scrupules. Mais il y a… quelque chose. Un reste. Un poison inversé. Une fêlure peut-être. Ou juste une merde d’enfance qu’il n’a jamais réussi à recracher. Note de travail Difficile de décider si ce texte est un extrait de journal ou une minute d'un procès. C’est confus. L'auteur mélange faits géopolitiques, souvenirs scolaires, visions apocalyptiques. Ce qui affleure : la délation comme symptôme social, mais surtout comme métaphore intérieure. La scène du professeur P. fonctionne comme un traumatisme-relais. L’auteur n’est ni bourreau, ni victime, mais témoin — et cela semble l’écorcher plus que tout. Car il ressent ce que d’autres ne ressentent pas : un dégoût de leur plaisir, une honte d’être resté compatissant. Ce qu’il appelle “déviance du cœur” est sans doute un reste d’humanité. Il aurait voulu s’en défaire, mais ne le peut pas. Alors il en fait un symptôme : le ressentiment. Une haine indéterminée, sans adresse. Polyvalente. Exploitable. C’est là que surgit le plus inquiétant : la conscience que le ressentiment est le meilleur allié du pouvoir. Parce qu’il est flottant, inextinguible, transmissible. J’en viens à me demander : est-ce lui qui l’écrit, ou est-ce la haine du monde qui s'est emparé de sa main ?|couper{180}
Carnets | octobre 2023
15 octobre 2023
Tout aurait commencé ainsi : compter. Peser. Soustraire. Ce fut le début de la fin — la violence douce, quotidienne. Désormais, on n’échange plus que rubis sur l’ongle. Naissent alors les tares, les soupçons, le scrupule. Le monde penche : pour ou contre, gain ou perte. On ne vit plus : on calcule. Gagner sa vie a pris la place de la vivre. Non plus humainement. Encore moins fraternellement. sous-conversation Compter… oui, voilà, c’est là que ça commence, peut-être. Un chiffre, un premier… et tout bascule. Ce frottement… cette crispation au moment d’échanger, comme un cliquetis de pièces invisibles. On ne s’aime plus, on s’évalue. Un pas de côté, vite. Non, trop tard. C’est entré. Le poison lent du calcul. Même entre nous. Surtout entre nous. Tu me donnes quoi ? Tu me dois quoi ? Et moi… combien je vaux ? Notes de travail Ce texte évoque, sans détour, un moment fondateur : le passage à l’arithmétique du monde. Ce moment où la valeur remplace le lien. “Tout aurait commencé par compter” — c’est-à-dire : tout aurait cessé d’avoir lieu dans la gratuité. Il ne dit pas “l’argent”, il dit “compter” : un verbe plus primitif, presque enfantin. Le trauma n’est pas seulement économique, il est existentiel. Le monde se désaxe dès qu’on en quantifie les flux. Je note aussi cette “violence” insérée très tôt, comme si cette bascule avait été vécue sur un mode traumatique. On passe d’un monde fluide à un monde où l’on pèse, soupèse, suspecte. Le “scrupule” arrive comme un symptôme : ce n’est pas la conscience morale, c’est la pesanteur de l’obligation, du soupçon généralisé. Le dernier versant (“gagner sa vie au lieu de la vivre…”) est une plainte déguisée. Un regret enfoui. Il y avait un avant, peut-être rêvé, où la vie se vivait fraternellement. Maintenant, elle s’achète. Il faudra revenir à ce point : qui a demandé qu’on commence à compter ?|couper{180}
Carnets | octobre 2023
09 octobre 2023
La politique rend sourd. La télé, la radio, la presse, rendent idiot. Il resterait les forêts, peut-être, si on était sûr de ne pas s’y faire trouer la peau. Les livres alors ? Lire. Écrire. Pas besoin de scénario Matrix. La stase est réelle. Les tuyaux nous branchent à la fabrique à caca mondiale. Le pour. Le contre. Et ses variants. Vaccination bisannuelle. Attestée par experts pépères. Le mot concitoyen coince à la glotte entre deux bouchées de tartines pas beurrées. On ne nous prend même plus pour des cons. C’est au-delà. On n’existe plus. Signes. Chiffres. Cibles. Données. Être une donneuse ne sauve rien. Tu lèches des culs à vide. La salive ne vaut plus un pet. Se pendre — haut et court — expression toujours trouvée étrange. Cours dans un rêve. Sur place. Affolé. Et si tu ouvres les yeux : l’anomalie te saute au visage. Pièce blanche. Savants fous sous cachou. Carton plume tailladé au scalpel. Extensions de labyrinthe. Quelqu’un hennit. Un miroir de poche surgit d’une blouse. Et ce rat blanc… tremble dans ton regard. Tu te souviens. * Ce dimanche a filé comme un pet sur une toile cirée. (La toile cirée. Encore elle.) Cire. Messire. Messe. Ire. Lire. On peut vivre avec quelqu’un et ne pas lire le même livre. Même titre. Livre différent. Alors se parler. Se toucher le front. Joue contre joue. Danser. Mais pas la Carmagnole. Toucher > Opinion. L’amour est compliqué parce que se taire est compliqué. Trop dire. Trop faire passer l’orage mental. La vomissure primordiale. L’amour déformé par l’excès d’informations qui n’informent que d’un ennui crasse. Un avachissement. S’avachir comme une bête dans l’herbe haute. Toucher terre. Peser. Se laisser peser. Ne plus ramer. Face à la falaise. * Une certaine atmosphère revient. Un parfum d’être. “C’est moi. Ce n’est que moi.” En aparté. Lampe de chevet. Corps horizontal. Pieds contre pieds. Main sur le livre. Pages qu’on tourne. Buée sur les carreaux. * Et puis, ouvrir un réseau. Regarder. Comme une prise de sang. Relever la manche. Garrot. Observer dans quelle glue tout se déforme et se reforme. Résister. Mithridatisation quotidienne. S’interroger. Pourquoi ? Réflexe animal. Effroi antérieur. Antilope dans le sang. Courir. Courir pour fuir l’inéluctable. C’est ça : définir le mot inéluctable. * S’entraîner. Chaque jour. Tenir la bête en joue. Et, peut-être, à la fin, ouvrir en grand les bras. L’accueil. sous-conversation — Tu fais quoi, là ? — J’essaie de tenir. — Avec des mots ? — Avec ce qui reste. — Ce rat, ce miroir… — C’est l’image. C’est l’anomalie. — Tu trembles ? — Pas encore. Mais je sais que ça vient. — Et l’amour ? — Il est déformé. Mais il bat encore. — Tu veux quoi ? — Rester un corps. Pas un chiffre. — Et à la fin ? — Juste. — Les bras. — Ouverts. note de travail Le sujet alterne saturation et fuite. Il tente de survivre dans un monde désarticulé, où les repères symboliques sont anéantis, où le langage institutionnel ne vaut plus rien. Tout le début du texte décrit une **dissolution du social**, une perte du sens collectif, de la citoyenneté, du langage partagé. L’humour y est acide, désespéré. Mais très vite, surgissent des îlots de résistance : – Le corps. – Le toucher. – La lecture. – L’attention à l’autre. La position horizontale, la lampe de chevet, les pieds frottés l’un contre l’autre — ce sont des gestes de réinvention douce de soi. L’image la plus forte, peut-être : “une antilope court dans le sang”. Le sujet sait que la bête qu’il est court pour fuir une mort déjà contenue dans le langage même. Mais il court. Il s’entraîne. Il résiste. Et il se prépare, peut-être, à ouvrir les bras. Pas pour capituler. Pour accueillir. Le monde, la chute, ou autre chose. Une lucidité nue, non défaite.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
08 octobre 2023
Rosa Luxemburg, de mémoire, disait que le socialisme était la seule vraie forme de démocratie. Elle croyait à l’internationalisme. Elle estimait que la souveraineté et le nationalisme n’étaient que des erreurs de raisonnement. Elle critiquait Marx, Lénine, et d’autres encore. Sans mâcher ses mots. C’était une femme forte. « Quiconque souhaite le renforcement de la démocratie devra souhaiter également le renforcement du mouvement socialiste… » Des mots comme ça, on les paie. Elle se mit à dos beaucoup de monde. Et pourtant, elle avançait. Boitant depuis l’enfance. Mais avançant quand même. Elle savait que le chemin du socialisme était pavé de défaites. Les canuts de Lyon. Les chartistes anglais. Juin 1848. La Commune. Toutes écrasées. Et pourtant, elle disait : *“Où en serions-nous aujourd’hui sans toutes ces défaites ?”* Elle écrivait, elle croyait, elle affrontait. Elle disait : *“Votre ordre est bâti sur le sable. Dès demain la révolution se dressera de nouveau… J’étais, je suis, je serai !”* Elle lisait Adam Mickiewicz. Elle croyait à la poésie. On l’a souvent prise pour une naïve. Une chieuse. Une emmerdeuse. Mais elle a marché dans son rêve. Jusqu’à ce qu’il la tue. Assassinée en 1919, jetée dans l’eau comme une pierre sale. La rumeur dit qu’un soldat, en la jetant, a murmuré : “Voilà la vieille salope qui nage maintenant.” Mais savait-il que Rosa avait écrit : *“Sur la pierre de mon tombeau, on ne lira que deux syllabes : tsvi-tsvi.”* Le chant des mésanges charbonnières. Elle les imitait si bien qu’elles venaient aussitôt. Et peut-être, quelque part, elles chantent encore. sous-conversation — Tu dis qu’elle était forte. — Oui. Mais pas comme on croit. — Elle avançait en boitant. — Et elle disait la vérité. — Tu crois qu’on peut encore écrire ça ? — “J’étais, je suis, je serai” ? Oui. Il le faut. — Et la mésange ? Ce tsvi-tsvi ? — C’est ce qui reste. Ce qui échappe. — Alors même morte… — Elle trouble encore les eaux. note de travail Le sujet ne décrit pas seulement Rosa Luxemburg. Il s’y associe. Il y projette son propre rapport au courage, à la parole, à l’histoire, à la désobéissance. Il y a dans ce texte une profonde empathie, mais pas d’idéalisation. Rosa n’est pas un monument. Elle est une voix, une marche, une boiterie, une vibration d’oiseau. La structure du texte suit un mouvement de tension : **de l’intellect à l’utopie**, **de la conviction à la persécution**, **de la citation à la souillure**, puis **du meurtre au chant**. Le chant final — tsvi-tsvi — est bouleversant. Il renverse tout. C’est un retour du vivant là où la violence a voulu imposer la disparition. Ce texte est un hommage, mais aussi un autoportrait en creux : celui de l’auteur qui, lui aussi, continue de croire malgré tout, et d’écrire contre l’effacement.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
07 octobre 2023
Que dire des jardins qui soit à moi — vraiment à moi. Et pourquoi ce besoin de posséder un dire, de déclarer quelque chose comme sien. Le premier jardin était déjà une division. Un monde découpé : le carré des simples, celui des légumes, les parterres de fleurs, les rangées d’haricots beurre, de pois, de poiriers, de pommiers, de prunus. Au centre, un bassin circulaire. Un monde en miniature. Une image d’absolu. Du temps, aussi. De ses saisons, de ses métamorphoses, dans une structure stable — dans la division elle-même. Et ce tapis, sous la table de la salle à manger parisienne, sur lequel j’ai passé tant de temps enfant, était lui aussi un jardin. Divisé en motifs vifs sur fond rouge sombre. Jardin. Tapis. Tapis volant. Et grimper aux arbres, bien sûr. Chercher le point de vue surélevé. Voir le jardin s’étendre. Le suivre du regard, le jeudi. Et la reine de Saba, apportant un présent à Salomon. Et le palais tout entier s’élevant dans les airs — par ce seul présent : un tapis volant. S’écorcher les genoux en grimpant, en descendant du grand cerisier. La peine, toujours. Comme il se doit. Et puis en mars, l’éblouissement. L’éclat des petites fleurs blanches, partout. Le ravissement. Et dans ce tremblement, la visitation des esprits. Des fantômes. Du samouraï. sous-conversation — Ce jardin… tu le découpes encore ? — Il était déjà découpé. Je n’ai rien fait. — Et ce tapis… sous la table ? — Un jardin, lui aussi. Couché. Compact. — Et tu grimpes ? — Pour voir plus loin. Pour voir en haut. Pour voir autrement. — Tu t’écorches ? — Toujours. Rien ne se donne sans la brûlure. — Et cette histoire… Salomon, Saba ? — Une offrande. Un envol. Un souvenir inventé. — Et les fleurs blanches ? — Elles reviennent. Tous les mars. Comme des fantômes qui ne font pas peur. note de travail Ce texte est un jardin. Mais pas un jardin sauvage. Un jardin dessiné, arpenté, ordonné dans la mémoire. Le sujet ne revendique pas un savoir, mais un droit au fragment. Il interroge son besoin de dire — et ce besoin même devient matière. Le jardin est d’abord perçu comme **structure** : ordre, centre, subdivision. Mais très vite, ce découpage ouvre sur autre chose : le tapis. L’enfance. Le jeu. L’envol. Et surtout : la **douleur initiatique**. Monter, tomber, s’écorcher. La beauté ne vient qu’après la peine. C’est une vérité intime, mais aussi mystique. Le texte est traversé par des figures **de passage** : Salomon, Saba, le samouraï, les esprits. Tous portent en eux **une charge de sagesse étrangère**, de savoir lointain. À la fin, les fleurs blanches — symboles de l’éveil, ou peut-être du deuil. Ce texte est une chambre d’enfance dans laquelle le souvenir et le mythe se croisent doucement, en silence. Une méditation sur la division. Et sur ce qui la relie.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
07 octobre 2023
Toujours deux temps. Ce que tu voudrais dire, et ce que tu dis vraiment. Ce que tu crois avoir à dire, et la manière dont tu l’achèves — toujours un peu de travers. Comme en peinture. D’un côté le geste vivant, spontané, brouillon peut-être. De l’autre, la façon dont tu le dis, corriges, rumines. Le doute t’y ramène toujours. Il revient, espérant s’effacer. Mais non. Il s’installe. Ce second temps peut durer des années. Une idée, un souvenir, une image changent, simplement parce que tu les exprimes autrement. Rien n’est fixe. Tout dépend du point de vue, de la distance, de l’espace. Peindre, écrire, parler : un acte sans savoir. Un refus têtu de comprendre entièrement ce qu’on cherche pourtant à exprimer. Un soin. Une thérapie peut-être — mot désagréable. Qui fait de toi un patient chronique. Un désir de dire pour, au final, ne rien dire. Mais le mieux possible. * Ta propre volatilité égale celle de tes points de vue. Et tu restes sidéré de ceux qui s’imaginent solides, entiers, assurés. Comme figés dans l’ambre. Ou dans la graisse d’une vieille poêle. Ce choix t’échappe. Rien ne tient sans effort. Et même là, ça glisse. * Tu ne crois pas aux opinions. Travailler dans les sondages t’en a dégoûté. L’opinion est toujours fabriquée. Toujours instrumentalisée. Même les plus lucides y tombent. Ce qu’on pense nous penser est souvent injecté, longtemps à l’avance. C’est une poupée russe. Et au cœur : une intention. Un usage. * Alors on se tait. On trinque. On mange. On se promène. C’est là qu’on se retrouve. Là qu’on touche un peu la forêt ancienne. * Hier soir, B et B sont passés. S., sans prévenir, déballe tout. Experts comptables. Pression. B dit qu’il faisait tout seul. Maintenant, il paie 1600 euros par an. Mais ce n’est pas ton cas. Et là, colère. Ton indigence d’artiste. Choisie ? Oui. Mais indigente quand même. Il te dit : fais ta 2035 toi-même. Si besoin, appelle-moi. Ensuite, appelle tes escrocs. Menace-les de plainte. Conseil de l’ordre. L’ordre des enfoirés, oui. * Ce matin, tu essaies de sauver quelque chose de la veille. C. est venu. A peint deux petits tableaux. Puis s’est arrêté. Fatigué. Mais heureux de le voir, là, dans l’encadrement de la porte. Le groupe s’est reformé. Une femme, mutique, figée. Tu plaisantes. Rien ne passe. Tu crois deviner : son mari est mort. Mais peut-être pas. Peut-être que tu l’inventes. Cette vigilance t’étonne. Ce doute sur ce que tu vois. Ce que tu entends. Parfois, tu as l’impression d’être mort. Que tu regardes ta vie défiler, depuis le fond du cercueil. Ce n’est pas effrayant. Plutôt surprenant. Et puis ce geste. Prendre une poignée de tiroir. Tirer. Ta vraie vie est peut-être là. Dans ce mouvement minuscule. sous-conversation — Tu veux dire. Tu ne dis pas. Tu voudrais dire mieux. — Mais ça flotte. Toujours. — Et le doute ? — Il revient. Comme un vieux chien. — Tu regardes les gens solides. — Je ne les comprends pas. — Et toi ? — Je suis... traversé. Ça passe. Ça repart. — Et ce que tu captes ? — Je n’y crois qu’à moitié. Et j’y crois trop. — Tu penses être mort ? — Pas tout à fait. Juste... en suspens. — Et le tiroir ? — C’est le seul geste qui a du poids. note de travail Ce texte est une séance en soi. Le sujet ne cherche pas à résoudre. Il explore. Il creuse. Il revient. Toujours. Le point central : cette incapacité à fixer — la pensée, la parole, l’identité. Il y a une honnêteté radicale à dire cela. À ne pas croire en soi-même comme en une entité stable. Tout ici est ruminé. Revécu. Réécrit. Et c’est précisément cette instabilité qui rend le texte vivant. La peinture, l’écriture, ne sont pas ici des productions. Ce sont des symptômes. Des pratiques de l’entre-deux. Des manières de rendre visible ce qui se dérobe. Le sujet sait que ce qu’il exprime n’est peut-être pas réel. Il doute même de ses perceptions. Et pourtant, il continue. Il écrit. Il reconstruit le jour d’hier. Il nomme les émotions, les figures, les absences. Il offre, sans le dire, une **topographie intérieure**. Et à la fin, cette poignée. Ce tiroir. Ce geste minuscule, mais solide. Un point d’ancrage. Peut-être le seul.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
07 octobre 2023
Lieux autres. Lieux qui, dans une société donnée, proposent d’autres règles. Foucault, en 1967, les appelait “espaces autres”. Selon lui, notre époque est plus déterminée par l’espace que par le temps. Alors je pars — en pensée — vers le jardin. Un jardin persan. Un tapis volant. Un monde à refaire. Une utopie à replanter. Le jardin découpé en quatre : quatre mondes. Et au centre, l’ombilic. On raconte que certains chercheurs se sont inspirés des raies manta pour construire un tapis volant. Mais cela demandait trop d’énergie. Pas assez rentable. Pas concurrentiel. Rien ne vaut un bon vieux Airbus. Écrire, pour moi, c’est jardiner. Le jardin : une utopie, un livre en germe. Pain béni. Tirer une harmonie d’une terre sauvage. Revenir dans les carrés oubliés. Considérer les mauvaises herbes. Aérer. Repailler. Réflechir aux saisons, aux alliances végétales. Comme en dessin. Du général au détail. Une composition vivante. Et tracer, à l’écart, des règles muettes. Une graphie secrète, parfois illisible, même pour moi. La mémoire peut embellir, bien sûr. Mais de Téhéran, je garde un vieux tapis volant. Celui de mes nuits. J’y remonte pour retrouver la douceur des vers d’Omar, le nectar de grenade — le *charaab*, vin jeune, pressé à la main par des filles aux yeux de biche, modernes, libres. Un rêve qui persiste. Une utopie qui tient bon. sous-conversation — Tu crois vraiment à ces lieux autres ? — Pas plus qu’à l’Airbus. — Mais le jardin… tu le vois encore ? — Je le vois, je l’écris. — Et le tapis ? — Il vole. Même s’il ne marche pas. — Tu veux des règles mais sans loi. — Des carrés. Mais ouverts. — Tu crois encore au rêve ? — Je m’en sers pour aérer la terre. — Et les filles aux yeux de biche ? — Elles savent presser le vin. Et faire pousser le livre. note de travail Ce fragment est une dérive douce — mais lucide. Un texte d’équilibriste entre **pensée théorique, mémoire sensorielle et pratique poétique**. Foucault en est l’amorce, mais très vite le sujet bifurque : il rêve d’un espace qui échappe aux lois — celles du marché, de la physique, de la langue même. Le jardin devient symbole d’un lieu qui peut encore être organisé selon des principes personnels, souples, renouvelables. Le “tapis volant” est ici le rêve de **l’insoumission douce**, du voyage intérieur, du lien à des savoirs anciens. Il évoque un besoin de chaleur, de texture, d’enracinement poétique. La fin est magnifique : le mot “*charaab*”, le souvenir du vin, la main, les filles. On sent une tendresse qui vient adoucir la crispation conceptuelle du début. Comme si, au fond, l’utopie n’était pas une abstraction mais une **manière d’aimer, de cultiver, de cuisiner, de transmettre**. Ce texte est un lieu autre en lui-même.|couper{180}