Autofiction et Introspection
Habiter n’est pas impossible, mais c’est un vrai problème pour le narrateur. Il occupe des lieux sans jamais vraiment y entrer. Maison, atelier, villes traversées : ils existent, mais restent comme à distance. Il imagine que peindre ou écrire l’aidera à habiter autrement, à investir un espace intérieur qui compenserait l’absence d’ancrage. Mais cela demeure du côté du fantasme. Le réel, lui, continue de glisser, indifférent.
C’est de ce décalage que naissent ces fragments. Écrire pour traverser l’évidence, pour examiner ce qui ne s’examine pas. Écrire comme tentative d’habiter, sans garantie d’y parvenir.
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Carnets | octobre 2023
11 octobre 2023
Tout concorde. Tout coïncide. À tel point qu’on aurait tort de parler de coïncidence comme d’un hasard étrange. Trop de coïncidences forment une évidence. Mais une évidence, qu’est-ce que c’est, sinon une rustine, elle aussi ? Un petit trou dans le pneu par où s’échappe la raison. Et la raison ? Déjà une rustine. Posée sur une autre fuite. De fuite en fuite, on ramasse des mots. Quand ça semble coïncider, on dit : voilà, c’est ça. On s’en contente. L’essentiel, c’est de contenter l’opinion. De maintenir le statu quoi. Quo vadis, mon gars ? Et malgré tout ça, bizarrement, je vais acheter mon pain. Quelle étrange coïncidence de te croiser. Toi aussi, en train de chercher ta petite monnaie. Comme moi. sous-conversation … coïncidence ?… non… trop… trop bien aligné… trop juste… ça sent la ficelle… ou le leurre… l’évidence… ah… ce mot… encore… comme une rustine… oui… une rustine sur la rustine… et dessous ?… rien… peut-être… des mots… des petits mots… qu’on ramasse comme des miettes… et on fait semblant… on dit que ça suffit… contenter… maintenir… faire tenir… même si ça fuit… surtout si ça fuit… statu quoi… quo vadis… jeu de mots… vieille blague… mais ça sonne vrai, trop vrai… ça claque… et puis… l’image… le pain… la monnaie… toi là… moi là… ridicule et bouleversant à la fois… juste ce moment… cette collision… presque rien… presque tout… note de travail Le texte s’ouvre sur une apparente certitude : tout coïncide. Mais très vite, cette certitude s’effrite. L’auteur expose, sans insister, que toute évidence n’est qu’un cache-misère. Une rustine. Ce mot revient, obsessionnel. Il dit l’inconfort, la fuite, le colmatage. L’impossible solidité de la pensée. Ce que je perçois ici, ce n’est pas un doute, c’est une **conscience du bricolage intérieur**. Une lucidité presque trop vive. Trop blessée. Le langage est suspect, le sens est suspect, la logique elle-même n’est qu’un habillage. L’auteur le sait. Il en joue, doucement. Et pourtant. Il continue à vivre. À aller acheter son pain. Le moment final me bouleverse. Il y a quelqu’un d’autre. Un tu. Un être croisé par hasard — ou plutôt dans une **anti-coïncidence** qui redonne chair à l’évidence. Il ne s’agit plus de raison, de vérité, d’opinion. Il s’agit de reconnaître un autre dans un geste banal. Et ce geste devient le **lieu exact de la faille et de la consolation**. Comme une rustine posée avec tendresse. Peut-être est-ce cela, le soin de soi : ne pas chercher le vrai, mais accepter les coïncidences qu’on fabrique.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
11 octobre 2023
La guerre réunit les villes. Elle leur donne une gueule de famille : ruines, gravats, cadavres. Un cadavre est un cadavre. Des gravats, des gravats. Et au-delà ? Un sou est un sou. Tant pis pour toi. On ne se bat pas pour des idées. Jamais. On se bat pour d’autres — pouvoir, intérêts, frime virile. Parfois pour survivre, se défendre, se venger. Les sentiments aussi sont des armes. Quand tu veux je te démonte. Quand tu veux je t’écrase. Quand tu allumeras la radio, tu sauras. La colère. La guerre. Chercher une phrase à dire, une seule, digne de ce sujet. L’écrire comme un crachat dans la paume. Puis se laver les mains. Recommencer. Ne pas dire d’idioties. C’est déjà un combat. Lieu commun : une église, une artère, un tribunal, un stade, une émission de variétés. On nous bombarde de nostalgie, comme autrefois de bombes. Six jours. Israël. Les tribus, les tributs. Les pions posés sur l’échiquier des puissants. 1973. Treize ans. Ton premier problème ? L’acné. Et acheter *Houses of the Holy*. Tes doigts s’écorchent sur *Stairway to Heaven*. Derrière, des ruines, des cadavres flous dans la télé. Les hormones déréglées prennent toute la place. Toujours. Depuis toujours. Barjavel, bon roman à l’époque. On n’a pas connu la guerre ? C’est faux. On l’a bouffée. Dès qu’on a eu la télé, elle s’est installée dans le salon. Tapissée. Tricotée. Et les vieux ? Ceux de 14-18, 39-45. La déculottée de Vichy. Héros fondus en margarine rance. La guerre, ciment de générations ? Une tradition ? Un bébé né d’une guerre. Sa cervelle déjà pleine de confusion. Comme toutes les cervelles. Crever en pleine confusion, voilà le pire. Moi, j’aimerais crever clair. Clair dans ma tête, après une vie dans la brume des autres. Deux chèvres têtues sur une planche. Où ai-je vu ça ? Chagall, peut-être. Lui, il savait. sous-conversation … la guerre réunit ? non… elle disperse… elle fond les villes… elle les rend pareilles… pareilles dans la mort… les gravats… la poussière… un cadavre est un cadavre… oui… mais pourquoi le redire ?… ça s’obstine… ça insiste… comme une gifle… un mantra… un refus d’oublier… chercher quoi dire… sur ça… ne rien dire d’idiot… ne rien dire tout court… et pourtant… le dire… encore… recommencer… le crachat… le robinet… le torchon… la nostalgie… tu vois ?… elle dégouline… déguisée en souvenirs d’émission de variété… comme si… comme si ça pouvait consoler… treize ans… l’acné… les boutons… et derrière, les barbelés… un disque… des cordes… la guerre en bruit de fond… ou de tapisserie… et puis ça coince… toujours là… la confusion… même Chagall… même lui… il voyait clair… lui… il dessinait les têtes à l’envers… il savait que les chèvres ne passeraient pas… note de travail Le texte est une colère. Non pas une explosion, mais une incantation. Une rature de la parole ordinaire. Le patient ici ne parle pas, il crache. Il tente de se laver les mains — à chaque fragment — mais revient toujours au point de départ. Comme une obsession. Il accuse, il dissèque, il inventorie. Il jette l’histoire sur la table comme des cartes sales. Guerre, adolescence, souvenirs. Tout se mêle. Le Vietnam avec Led Zeppelin. L’acné avec les dictateurs. Le poil pubien avec les barbelés. La télévision devient ici une figure maternelle monstrueuse : elle tricote des guerres, des regrets, des récits. Elle donne forme à la confusion. Elle tapisse le salon de bombes feutrées. Mais ce qui affleure, c’est le désir de clarté. "Crever les idées claires", dit-il. Voilà l’aveu. Il ne veut pas seulement survivre à la confusion. Il veut en sortir. Mourir une fois lavé, rincé, vidé de la boue des autres. Il n’y arrivera pas seul. Il appelle Chagall à l’aide. Comme un père doux. Un voyant. Quelqu’un qui savait que deux chèvres obstinées ne peuvent passer ensemble. Et si ce n’était pas la guerre, son vrai sujet ? Mais cette planche étroite, ce choix impossible entre avancer ou faire tomber l’autre ? Une parabole de l’humanité, réduite à une poutre branlante, et deux cervelles butées.|couper{180}
Carnets | octobre 2023
08 octobre 2023
Tu te retiens. T’en rajoutes pas. Tu la boucles. Tu poses la main sur ta bouche. Puis — Tu te relèves. Tu te secoues. Tu continues. De tout ce qui vient trop vite sur la langue cul de cartouche promis au percuteur, tu t’éloignes. Tu ne sais rien. Tu ne veux rien savoir. Un œil sur le gazole, l’autre sur le feu aux poudres. Tu grattes la casserole avec du pain dur. C’est quoi la dèche ? C’est quoi ta tête ? Rien ne s’oppose. Rien ne s’opposera. La seule chose qu’on ne peut te prendre ressemble à un sentiment — vrai, digne. Tout pénètre dans la margarine. La rondeur du couteau dans le beurre. Comme en cellule. Les plus forts sont les faibles. La seule issue : la rage, la haine, la colère. Mais la destination reste inconnue. Ça te coupe en deux, comme un poing dans le vide de l’estomac. Tu respires encore. Tu reprends. La vie, dit-on, est la plus forte. Tant qu’il y a de l’air. Alors aujourd’hui, dimanche, tu pourrais faire ça : avaler, recracher. Rien que ça. Oublier tout le reste. Manger, boire, pisser, dormir. Te concentrer. Fonctions vitales. Le reste : dérisoire. Salade en solde emballée dans du journal. Le profit retrouve sa pente. Chassez le naturel, il revient au salaud. En temps de crise : plus t’es riche, plus t’es riche. Les huissiers bruissent comme des insectes gras. Ils tournent autour des portes. En périphérie des centres-villes, ils protègent l’opulence, l’injustice. Des pulsions de meurtre passent — comme des bus express sur le chemin. Tu ne t’attardes pas. Tu marches. Vers l’horizon. Marcher, ça vide la tête. Le cœur. Tu vomis les démons, par rafales, dans l’herbe verte. Goudron noir. Mal et bien, en décomposition. Terreau d’automne. sous-conversation — Tu t’empêches. Pourquoi ? — Parce que ça déborde. — Et tu tiens ? — Pas vraiment. Je tangue. — Tu marches, c’est pour échapper ? — Non. Pour rester en vie. — Ce gazole… tu le regardes pour quoi ? — Pour mesurer. Jusqu’où je peux aller. — Et ce pain dur ? — C’est ce qu’il reste. Ce qui frotte. Ce qui sauve. — Tu veux tuer ? — Non. Mais parfois, ça passe. Comme un bus. — Tu continues ? — Oui. Vers l’horizon. — C’est où, ça ? — Là où la colère se décompose. note de travail Ce texte est une crise. Mais pas une crise aiguë : une **crise chronique**, incorporée, ruminée, digérée — presque ritualisée. L’auteur ne cherche pas à sortir de la douleur. Il **la traverse**, il la scande. Le rythme est cardiaque. Les phrases courtes battent. Le corps est partout : gorge, bouche, bras, souffle, ventre. Le monde entier est ramené à sa digestion — et à son indigestion. La pauvreté ici n’est pas simplement économique. Elle est **existentielle**, **structurelle**, **métabolique**. Elle pénètre les gestes, les mots, les odeurs. Et pourtant : ce n’est pas un texte de renoncement. C’est un **poème de survie**, un manifeste pour la marche, la respiration, le regard posé sur l’injustice, sans fard. Les images sont puissantes : les huissiers en insectes, le gazole comme feu, le beurre comme cellule, les démons comme goudron noir sur l’herbe. Et cette phrase centrale : *La seule chose qu’on ne peut te prendre ressemble peu à peu à un sentiment*. C’est une vérité nue. Inattaquable. Le poème est une poigne. Un couteau dans la margarine. Un cri maîtrisé. Et, contre toute attente, une forme d’espérance.|couper{180}
Carnets | mars 2025
31 mars 2025
Invasion visqueuse Stupéfiante, la vitesse du glissement. Comme une trappe qui s’ouvre sous les pieds : on croyait marcher sur du béton, c’était de la vase. D’un instant à l’autre, ça bascule. L’horreur s’écoule dans le grotesque, l’un nourrit l’autre, et ce qui monte alors, ce n’est pas la peur, non, c’est une nausée rampante, acide, tenace. Une marée interne. Le monde régurgite. Et moi, aspiré. Le fil d’actualités — un effleurement suffit. L’écran s’allume — ils sont déjà là. À cracher. Leur lumière sale. La voix dans les haut-parleurs vous injecte la lie du siècle. Alors je ferme. Je m’évide. Je m’extrais. Citadelle bricolée : un livre, un crayon, des pas réguliers sur le trottoir mouillé. Rien d’autre. L’occupation ? Elle est douce, elle est flasque. Un silence de feutre. Pas de bottes. Pas de cris. Juste une présence qui vous imprègne. Et on l’appelle comment ? « Nazie », faute de mieux, faute d’un mot plus précis. Parce que le vieux mot fait encore peur. Il sent encore quelque chose. Mais qui croire ? Pas eux. Surtout pas eux. Ceux qui protestent à grands gestes, ceux qui jouent l’alternative comme on jouerait un rôle. Mêmes ficelles, même théâtre. Même odeur. Et là-haut ? Ils rigolent, eux. Ils attendent que ça se crève, que ça suppure. La Bourse, le Golem financier. L’Intérêt calculé à la décimale. Ça ronge, ça digère. Et en renfort, les machines. L’algorithme. Froid, parfait, sans faute ni foi. Ils n’ont plus besoin de nous haïr : ils n’ont même plus besoin de nous voir. Et moi, là-dedans ? Parano ? Peut-être. Mais si la lucidité était aussi vérolée que le reste ? Si cette impression d’y voir clair n’était qu’un résidu du même venin ? La lumière elle-même falsifiée. Étiquetée. Capitaliste, marxiste, maoïste — étiquettes délavées sur des bocaux vides. Alors je serre. Je ferme. Le dedans. Le petit. Le net. Le chaud. Le seul possible. sous-conversation — …c’est là, oui… ça suinte… — ne pas penser, surtout pas penser… — regarde pas, regarde pas, regarde pas — mais si tu vois ! tu vois trop bien justement… — non c’est trop, c’est trop… — boue chaude… dans les veines… pas dehors, non… dedans… — ferme. — plus fort. — encore. — tiens-toi. — les objets… un ordre… ne plus vaciller… — mais ça appuie, tu sens ? sur les tempes, sur la cage, partout… — et eux, là… — ils savent ? — ils attendent. — ils veulent que tu exploses. — que tu y crois. — ou que tu n’y crois plus. — ça revient au même. — chute. — silence. — c’est eux qui parlent dans ta tête. — ou bien c’est toi ? — impossible de trier maintenant. — ça devient visqueux. note de travail – Entrée clinique n°317 : « Celui qui se referme » Patient : non identifié formellement, se présente sous la forme d’un texte à la première personne – fragments de carnet, rythme irrégulier, ton inquiet. Date de la séance : inexacte, mais contemporaine d’un état du monde saturé d’écrans, d’ondes, de chiffres. Il vient sans venir. Il s’écrit, plutôt. Se déploie sur la page comme un filet de voix dont les contours restent flous. Ce patient-là ne me parle pas : il s’adresse au vide, ou à lui-même, ou à une présence qu’il suppose hostile – société, machine, voix médiatique – il n’est pas certain. Son discours oscille entre l’indignation lucide et l’implosion paranoïde. Il dit que le monde va trop vite. Il dit que le grotesque et l’horreur s’échangent comme des fluides. Il dit que tout cela le dégoûte, physiquement. Ce n’est pas une métaphore : il parle de nausée, de gorge serrée, de marée qui monte. Comme si penser le monde aujourd’hui équivalait à l’ingérer de force. Ce que je note – et qui m’interpelle – c’est sa stratégie de survie. Il se replie. Il cartographie son espace de respiration comme on poserait des amulettes : le crayon, la page, le rangement, la marche. Des rituels simples, rassurants. Il ne cherche pas la guérison, ni même la compréhension. Il cherche à tenir. Mais alors, moi, là-dedans, que suis-je ? Je veux dire : moi, analyste, lecteur, scripteur de notes ? Je suis le témoin d’une subjectivité qui se défend comme elle peut, mais qui doute déjà de ses propres défenses. Quand il parle de lucidité, il dit qu’il la hait. Qu’elle est peut-être elle-même une émanation du système qu’il vomit. Il commence à douter de la seule chose qui le tenait debout : son regard critique. Et c’est là que je vacille. Car je le comprends trop bien. Il y a chez lui un refus de la folie spectaculaire – celle qui s’agite dans le vacarme politique, dans les flux algorithmés, dans les postures d’opposition recyclée. Mais il n’est pas pour autant indemne. Il se méfie de tout, même de ses propres pensées. C’est un homme qui vit sous scellé, dans une conscience à double fond. Ce qui m’émeut (car j’ai le droit, je ne suis pas que psy), c’est qu’il ne cherche ni à convaincre ni à séduire. Il n’est pas poseur, il est usé. Il écrit pour se taire un peu mieux. Il parle pour ne pas exploser. Alors, faut-il diagnostiquer ? Si oui, alors disons : paranoïa diffuse à composante dépressive, défense obsessionnelle par la ritualisation du quotidien, tendance à la déréalisation exacerbée par la surstimulation médiatique. Mais si je suspends le geste médical, si j’écoute au lieu de décrypter, alors je dirais qu’il est… contemporain. Lucide jusqu’au malaise, et pourtant encore capable de gestes minuscules pour rester vivant. Et peut-être que ce refus de la normalité est, paradoxalement, la forme la plus poignante de santé mentale aujourd’hui.|couper{180}
Carnets | mars 2025
30 mars 2025
Porte refermée. Soulagement. Le dibbouk n’a pas attendu : il s’est mis à tournoyer, cabossé, ravi. « On va s’en mettre jusqu’au collet », qu’il a dit. Moi, j’avais juste faim. Une faim grise, logistique. Chez l’épicier turc : lamelles de kébab surgelées, les mêmes que la dernière fois. Trois baguettes chez le boulanger. Congélation immédiate. Prévision : quatre jours de paix. « À nous deux », j’ai soufflé — pas à lui, évidemment. Ensuite ? Rien. D’abord rien. Allumé la télé. Noir et blanc, Gabin-Bardot. Vieillerie datée. Mon père, un peu. Les expressions : « ma petite fille » — insupportable. Sommeil. Réveil 17 h. Écriture. Lecture : Le Roi des Rats, Miéville. Le concept de dibbouk s’effondre, comme tout le reste. Pas surpris. Ou alors juste pour la forme. Puis la sonnette. Frisson. Recommandé ? Non. La mère de L. Venue s’excuser. Négociations. Diplomatie de palier. Accord trouvé : L. viendra le mercredi, 13 h 30 à 14 h 30. Avec sa sœur. Et moi, je referme. Je range. Je note. Je respire. C’est déjà pas mal.|couper{180}
Carnets | mars 2025
29 mars 2025
On n’a pas besoin de grand-chose : un pas, un petit écart, rien qu’un pas de côté. On quitte la route, on s’enfile dans un sentier, un de ceux qu’on ne trouve pas sur les cartes, et très vite, voilà, c’est comme si on tombait dans une réserve d’humilité, une sorte de clairière intérieure, sans panneau indicateur. C’est plus simple que prévu, cette posture-là, d’autant qu’on peut être sûr que personne ne regarde. Il y a bien des arbres, des bêtes discrètes, des herbes diverses et variées, mais ce sentiment-là – l’humilité donc – ne semble pas très concerné. Je voulais me fondre. Pas disparaître, non, je tenais encore à certaines textures, à l’odeur de la terre mouillée. Je voulais me mêler au mystère. Ce mystère sans majuscule, cette matière vague qui palpite derrière les choses. Je rêvais de devenir un arbre. Une fougère. Un oiseau. Pas un faucon, trop majestueux. Un de ceux qu’on entend sans les voir. Un oiseau de doute. Peut-être qu’un oiseau rêve aussi de devenir homme. Peut-être que rien n’est jamais satisfait de son sort. Que cette insatisfaction fait tourner les saisons. Il y a des mots qui reviennent sans qu’on les convoque. Ces temps-ci, le mot seuil. Pas un concept. Une vibration. Quelque chose à franchir. Ou à habiter. Un endroit entre. Entre moi et l’autre. Entre l’avant et l’après. Ce texte n’est peut-être que cela : une tentative de rester un peu plus longtemps au bord, sans fuir. D’observer ce qui bouge quand on ne bouge plus. Changer de style, ou croire qu’on le peut, c’est sentir que le langage n’est pas une cage mais un terrain modulable. Peut-être que le style profond est justement le seuil lui-même. Et chaque variation est une manière de l’explorer. De se chercher en traversant. Écrire comme on change de fréquence. Les deux femmes sont arrivées à dix heures trente. J’avais rassemblé leurs toiles dans la bibliothèque, pas question de les laisser entrer plus avant. Pas dans l’atelier. J’aurais pu, bien sûr. Je n’étais pas opposé à l’idée. Jusqu’à ce dernier message, sec, nerveux, saturé de colère. Je n’ai pas été malade. Je n’ai pas été soulagé. J’ai noté l’événement, avec une certaine distance. Leurs visages étaient tendus. J’ai dit : approchez la voiture, ce sera plus simple. J’ai aidé à charger. Y. a tenté un mot, un appel, une relance. J’ai dit peu. J’ai dit que tout cela était sûrement pour le mieux, mais qu’on ne le voyait pas encore. Puis je leur ai dit au revoir. Sept ans. Surprendre une telle rancœur, ça m’a frappé. Mais je n’ai rien montré. J’ai gardé cette manière calme d’être là. Comme si la vie avait ses plans. En voyant le camélia en fleur j'ai eu envie de prendre une photographie. Une véritable orgie de fushia et de rose, presque obscène. Peut-être demain.|couper{180}
Carnets | mars 2025
27 mars 2024
Ce monde est une maison qui fuit. On colmate comme on peut, avec un peu de quiche, un carnet, une page d’agenda, un morceau de tendresse. Et parfois, le plombier arrive vraiment.|couper{180}
Carnets | mars 2025
26 mars 2025
Il faut faire son truc. On ne sait pas trop lequel, au début, mais ça suffit. L’idée seule du faire, sans programme ni plan de carrière. Ça tient. Et puis, à force, on se demande : pourquoi ? À quoi bon ? Dans quel but ? Toujours cette fringale de sens, ce besoin de comprendre. Surtout à vingt ans, ou alors bien plus tard, quand on a traversé des années sans bien savoir ce qu’on y cherchait. Entre les deux, les rails. La famille, les enfants, la connexion fibre, l’administratif. Tout ça remplit le temps et empêche les grandes questions. On avance mécaniquement, sans trop savoir de quelle gare on vient ni vers laquelle on file. Et puis un jour, le train freine. Il y a un frottement, une secousse. Et la question revient, en douce : pourquoi j’ai fait ce truc, bon sang ? C’est dans ce genre d’humeur que j’ai surpris une conversation dans un replay de Zoom. À propos de la prise de notes. Faut-il faire des fiches de lecture ? L’un avait essayé deux jours, puis avait laissé tomber. Une autre avouait qu’elle oubliait. La discussion a bifurqué vers les outils, les applis, les méthodes. Mais la vraie question, à mon sens, c’était : est-ce qu’on en a besoin, vraiment, maintenant, de ces notes-là ? J’en ai pris, autrefois. Beaucoup. Avant l’informatique. Trente carnets Clairefontaine au bas mot, écriture serrée, feutre à pointe fine. J’y mettais tout : états d’âme, blagues oubliées, extraits d’auteurs, poèmes de comptoir, débuts d’histoires morts-nés, listes de dettes. Tout ça, un jour, est parti en fumée dans une prairie suisse. Mais c’est une autre histoire. Peut-être qu’écrire ici, dans ce coin du site, c’est une manière de reprendre. Mais sans l’idée de mémoire. Je ne cherche plus à tout garder. Ce n’est plus cette obsession. Ce n’est même plus un projet. C’est juste un truc. J’écris, je fais ce truc. Je pars de ce que j’ai : une idée, un mot, une peur, un reste de rêve. Peu importe. Et puis les choses s’enchaînent. Je convoque un personnage, le jeune homme, le dibbouk, le double flou. Il parle, il objecte. Moi, je fais semblant d’écouter. Parfois je prends note, souvent non. Ce n’est pas pour lui que j’écris. Ni pour me convaincre. Ni même pour comprendre. Je fais le truc. Peu importe lequel. Je le fais parce que c’est ça qu’il faut faire. Et pourtant — ce serait mentir que de ne pas l’avouer — ce billet m’inquiète un peu. Pas dans son contenu, non. Mais dans ce qu’il dit sans le dire. Il me paraît louche. Comme un retour en arrière déguisé en bond en avant. Comme un chat qui hésite avant le saut, sauf que je ne suis pas un chat.|couper{180}
Carnets | mars 2025
22 mars 2025
Seuil Hier après-midi, j’ai rangé l’atelier. Pas un simple nettoyage, non : un déplacement minutieux des objets, un tri des pots, des tubes, des pinceaux, des restes de projets passés, un froissement d’archives techniques et affectives. Dans le silence qui suivit, une évidence : j’allais créer un sous-domaine OVH, installer un Spip supplémentaire. Le geste était net, presque doux. Il s’agissait de proposer une aide, des services pour fabriquer des sites – Spip, ou autres, mais je préfère Spip. Cela va sans dire. Le soir, je me suis lancé en local. Tailwind, des logos surgis de DALL·E 3, un squelette de site sobre, discret, qui tenait debout sans effort. Rien de clinquant. Juste un espace. Quelque chose de stable, de calme. J'aimerais proposer mes services à des artistes essentiellement. Mais en vérité, ce n’est pas de code que j’avais envie. Et il faut que j'arrive à faire la part des choses. C’était de fiction. Quelque chose insiste, là, depuis quelques nuits. L’idée d’un seuil, un vrai. Un seuil qu’on ne franchit pas en pensant mais en glissant. Pas de pensée. Juste écrire. Depuis le corps. Depuis cette sensation de presque-sommeil. Les images viennent quand on les oublie. Elles clignotent, elles apparaissent-disparaissent selon qu’on les regarde ou non. Ce n’est pas un monde. C’est une intermittence. Nécessité d'un emploi du temps plus drastique, se resserrer sur l'horaire, les tâches à faire, celles détestables ou moins appréciées les premières, et le reste ensuite. Sauf que je n'ai jamais fait ça. Tous les poncifs des gourous de l'organisation m'ont toujours paru risibles. Et jeudi matin, il y a eu ce moment précis, ce basculement imperceptible mais décisif avec le groupe d’élèves. Quelque chose s’est passé – un passage, une bascule, un seuil franchi ensemble, sans qu’on s’en rende compte immédiatement. Je dois le noter ici, dans cette rubrique des seuils. Ce sont eux qui comptent. Même si on ne les reconnaît qu’après. Hier, j’ai reçu une réponse – un message effaré, presque agressé – parlant de ce moment comme d’un truc « intolérable », avec les mots KO, « je suis sur le cul » et autres formules stupéfaites. L’idée fait son chemin, c’est déjà ça. Surtout dans ma tête. Ce qui m’a frappé, c’est que je ne me suis même pas rendu compte, à la première lecture, que le message ne m’était pas directement adressé. Que j’étais sur WhatsApp, dans un groupe, et que le message a été supprimé quelques secondes plus tard. Alors j’ai pensé : Y s’est trompée d’appli, elle écrivait ça pour d’autres, dans le dos, ou plutôt dans l’interstice. Et moi, j’ai répondu du tac au tac, sans prêter attention non plus à l’interface, mais moi je n’ai pas supprimé mon message. Si d’autres l’ont lu, tant mieux. C’est curieux, ces déplacements d’espace, ces seuils-là aussi : technologiques, sociaux, invisibles, mais très réels. Plus ça va, plus je sens qu’il faut que je me réinvente. Trouver de nouvelles ressources, peindre autrement, faire entrer un peu d’argent sans y perdre l’élan. La routine, ça va un moment, mais ça fatigue tout le monde. Les élèves, moi. J’estime que tout ça a assez duré. Et puis j’ai visionné quelques vidéos de Philippe Annocque. Le rythme de sa voix, son calme, son retrait apparent – tout cela me donne envie de lire à voix haute aussi. Pas mes textes, pas encore. Ceux d’autres, surtout des récits de new weird, à lire dans le noir, au bord du sommeil, quand la pensée lâche prise. Il y a là un désir de plus en plus impérieux : celui d’installer un nouvel univers. Dans l’atelier. Dans l’écriture. Dans le code. Dans les services que je pourrais proposer et monnayer sans trahir ce que je cherche. Quelque chose veut prendre forme. Et peut-être que cette fois, je le laisserai faire. Illustration : PB Seuils acrylique sur toile 40x40 2025|couper{180}
Carnets | mars 2025
21 mars 2020
Ce que la fiction peut encore|couper{180}
Photographie
exil au Portugal
Lorsqu’en 1989, gavé de lectures et de solitude, je quittai Paris pour m’installer au Portugal, ce n’était pas tant une fuite qu’un ajustement nécessaire. Mon but, inspiré, sans doute, par mes lectures ethnographiques – notamment Tristes Tropiques de Lévi-Strauss –,était de copier ces Indiens Hopi qui, devenus pères, doivent partir quelques jours dans la jungle pour rétablir l’équilibre du monde. Je n'étais certes pas père mais j'étais l'auteur d'un bon nombre d'inepties qui me renvoyaient une image peu glorieuse de ma vie. Je m’étais installé dans une petite maison à une demi-heure de marche du village de C. C’était une bicoque que l’on me louait à un prix dérisoire. Sans confort, sans électricité, au beau milieu des eucalyptus, essence principale des forêts ici dans la région. Leur parfum entêtant s’infiltrait jusque dans mes pensées, imprégnant mes nuits d’un relent sucré qui semblait dialoguer avec mes rêves. Chaque matin, j’émergeais dans un monde où seul le bruissement du vent dans les feuillages venait troubler le silence profond, un silence qui, loin de m’éloigner de moi-même, me confrontait à mon propre vertige intérieur. Cette maison modeste et inconfortable semblait être la projection parfaite, bien qu'assez proche d'une image d'Epinal de cette rudesse à laquelle m'obligeait l'écriture.Chaque matin, j’allais au village pour boire un café, et j’avais fini par sympathiser avec J. et H., une Française qui était tombée amoureuse du pays et d’un de ses autochtones. Je m’asseyais dans un coin après quelques échanges polis, mais mon but n’était pas d’entretenir une amitié. Au contraire, je désirais à cette époque m’enfoncer dans la plus grande des solitudes, propice, l’imaginais-je, à me permettre de mieux explorer ma propre langue, ma vraie voix, ou ma vraie musique. J’étais encore accroché à ce concept désuet de vérité quand il s’agissait, mais je ne l’appris que des années plus tard, après de nombreuses désillusions et errances, de trouver simplement la justesse. Ce fut à force d’écrire sans cesse, de réécrire même les phrases les plus anodines, que je compris que la vérité était une quête vaine et que seul comptait ce fragile équilibre entre précision et sincérité. Encore que d'autant plus amateur d'en découvrir une solide que je m'étais aperçu de la rapidité avec laquelle chacune que l'on m'avait brandi s'était effritée. L'unique café du village était un lieu modeste, fait de bois fatigué et de chaises dépareillées. Une lumière jaune filtrait à travers les persiennes, tamisant la fumée des cigarettes que les habitués laissaient se consumer lentement. J’y retrouvais, chaque jour, les mêmes visages : l’homme au veston élimé qui buvait son aguardente en silence, les trois compères qui refaisaient le monde en portugais rugueux, et ce serveur chauve qui glissait entre les tables comme un automate bien rodé. Tout ici était immuable, comme suspendu dans un temps que le reste du monde semblait avoir oublié. Je trouvais dans cette immobilité un apaisement rare, un sentiment de détachement presque parfait. Il me fallut des semaines pour comprendre que ce silence apparent n’était pas un vide, mais une densité. Chaque murmure portait un fragment d’histoire, chaque regard pesait d’un passé que je n’aurais jamais la prétention de comprendre. Peu à peu, je cessai d’exiger de moi cette solitude absolue, comprenant qu’elle était une chimère, un concept sans chair que le réel avait tôt fait d’éroder. Cela me parut soudain absurde, sans doute en raison du décor dans lequel j'essayais de la créer... Il ne faut pas beaucoup de temps pour comprendre à quel point tout est interdépendant ici. Le bruissement des eucalyptus, la présence silencieuse des habitués du café, les gestes quotidiens que je finissais par anticiper, tout cela formait un tissu dans lequel je m'étais malgré moi inscrit. Je compris que la solitude absolue était une illusion, une abstraction que je voulais imposer à un monde qui, lui, ne fonctionnait que par liens et résonances. Non pas que je voulusse m’intégrer, mais le simple fait d’exister dans ce café, d’y être reconnu sans être interpellé, me suffisait. Je n’avais pas besoin d’être compris, ni même d’être écouté. Laisser les autres parler autour de moi, c’était déjà être là. Avec le temps, j’appris à discerner les nuances du matin au village : l’heure exacte où la première cigarette s’allumait sur la terrasse, le moment où le facteur déposait son sac sur le comptoir avant de commander un café noir. J’appris aussi que J. et H. n’étaient pas seulement des étrangers tombés amoureux du pays, mais des êtres profondément ancrés dans ce territoire, dans ses habitudes, dans son rythme. J’admirais leur capacité à être là sans chercher à posséder, à comprendre sans toujours questionner. Et moi ? J’étais venu pour me perdre, et finalement, je m’étais juste laissé absorber par une autre cadence, un autre relief du quotidien. Parmi les innombrables jobs que j'avais effectués dans la ville, celui de laborantin dans un studio photographique m'avait fait rencontrer Cartier-Bresson, déjà très âgé à cette époque. Nous avions sympathisé autour de ses dessins qui m'avaient donné un mal de chien pour reproduire leur légèreté, m'échinant sur l'absence presque totale de contraste dont ils paraissaient souffrir. Après m'avoir sermonné gentiment, Henri m'avait dit qu'il ne fallait pas que je développe ses images comme moi je l'entendais mais plutôt que je fasse l'effort de réfléchir à ce que lui avait voulu montrer. Puis nous avions enchaîné sur la lecture et il m'avait suggéré de lire L'art chevaleresque du tir à l'arc et le zen, un petit ouvrage rédigé par un Allemand, Herrigel. Dans cet ouvrage, il est question du moment propice où l'archer doit lâcher la corde. Cela ne peut pas venir du vouloir, mais du moment, exactement comme lorsqu'on est dans un moment photographique et que l'on doit appuyer sur le déclencheur. Depuis lors, je n'ai jamais fait de photographie autrement qu'ainsi, en essayant d'éviter de vouloir obtenir quelque chose. Cette photographie qui illustre mon récit n’a rien d’extraordinaire. Et pourtant, elle est juste. Juste pour moi, sans doute, mais cela suffit. Je ne trouvais donc pas cette vérité que je croyais être venu chercher. Mais quelque part entre le silence des eucalyptus et le brouhaha du café, entre la solitude espérée et la présence muette des autres, je découvris une chose plus précieuse encore : la justesse du moment.|couper{180}
Carnets | mars 2025
18 mars 2025
Il suffit parfois de s’allonger. De laisser la pesanteur faire son office, d’appuyer l’arrière du crâne contre une surface plane, de s’assurer que l’on est bien réparti de façon homogène, comme une pâte à tarte trop travaillée. Il suffit ensuite de suivre sa respiration, en bon spectateur, sans interférer. L’air entre, l’air sort. Tout se passe bien. Enfin, normalement. Avant cela, bien sûr, il y a la résistance. L’esprit s’agite, fait du bruit, remue des archives entières de conversations passées, ressasse d’antiques préoccupations administratives et tente d’ouvrir un dossier classé sans suite depuis trois ans. Il veut prouver son existence. Mais il suffit d’attendre. On le laisse parler, il finira bien par se lasser. Puis, sans tambour ni trompette, on le débranche. C’est alors que l’on traverse sa propre bulle. On passe d’un espace exigu, saturé de réminiscences inutiles, à une sorte d’expansion floue, comme une salle d’attente où il ne se passe rien mais où l’on est bien. Rien de mystique, juste une légèreté bienvenue, une fluidité inhabituelle. La pensée n’a pas disparu, elle est là, mais en version atténuée, en sourdine, comme un téléviseur qu’on aurait oublié d’éteindre. Et puis parfois, dans cet état de flottement, quelque chose bascule. La conscience s’efface presque totalement, le corps devient un simple contour. C’est précisément là que tout s’emballe. Un fourmillement électrique gagne les extrémités, le cœur s’emballe comme s’il venait de rater une marche. Une sensation idiote, en somme, mais d’une efficacité redoutable : en une fraction de seconde, on se retrouve à donner un coup de poing sur le sol ou le matelas, avec l’élégance d’un boxeur sans adversaire. Juste pour s’assurer que l’on est bien toujours là, que l’on n’a pas définitivement glissé de l’autre côté, où que ce soit. La peur de crever, probablement, ou pire : la peur de ne pas revenir. Mais si l’on ne donnait pas ce coup de poing ? Si, au lieu de réagir, on laissait faire ? Si l’on se laissait couler, traverser l’instant sans le heurter, sans chercher à se récupérer ? Peut-être que le corps, au lieu de se raidir, finirait par s’étirer à l’infini, que la pensée se dissoudrait sans heurt, comme une plume qui se laisse porter par le vent. Peut-être que rien ne se passerait, ou au contraire, tout. Peut-être que l’on découvrirait que la chute tant redoutée n’en était pas une, qu’il n’y avait pas d’autre côté, juste une continuité imperceptible. Peut-être. Et puis, bien sûr, il y a cette hésitation. Ce moment absurde où l’on se demande si ce n’est pas exactement la même chose qui se joue face à une toile vierge ou une page blanche. Ce seuil où l’on pourrait basculer, mais où l’on préfère rester en équilibre, bien accroché à ce qui nous retient. Et quand on ouvre les yeux, tout est exactement pareil. Pourtant, tout a changé. Illustration : : John Everett Millais Ophélia Musique : Erik Satie- Gnossienne n°1"|couper{180}