No Outside
The fact that it’s Saturday, again Saturday, always Saturday, that it comes back without anything changing, that I get up without wanting to, without momentum, without even proper tiredness, the fact that I haven’t done anything I should have done, that I didn’t open the file, didn’t read yesterday’s text, didn’t fix anything, that everything slips away from the moment I wake up, that everything weighs on me without weight, that the Dibbouk is there, waiting, that I pretend to wait for it, that I hope it’ll speak for me, the fact that I cross out, that I go back, that I freeze, that I repeat, that every word slips through my hands, that everything is lukewarm, blurry, slow, and that I want it to move, to leave, to blow up, to tear itself away, that I type faster, that I drown the silence in lines, that I get lost in loops, in titles, in file names, in endless tags, the fact that I want to shake something in me, to get it out, to make it burst, but that nothing comes, that it stays there, stuck deep down, the fact that I try to write to escape what I’m writing, that I reread myself and everything puts me to sleep, that everything falls asleep with me, the fact that I think of other texts, of older ones, of the ones that changed nothing, that I search for a tone I’ve already worn out, that I repeat myself, that I pin myself inside my own sentences, that I go in circles, that I circle, that I circle again, that I feel this slowness like a threat, like a well, and that I run not to fall into it, the fact that it’s pointless, that it catches up with me, that I’m already in the well, in the hollow stomach of Saturday, in the short breath of everything I don’t do, that I struggle in sand, that I talk too much, that I think too much, that I think nothing, that I don’t think anymore, that I exhaust myself looking for an exit, a phrase, an image that might hold, the fact that nothing holds, that everything slips, that everything repeats, that Monday is approaching, that I’m already in Monday, in the soft dread of Monday, in the worn-out bottom of all my delays, that I’m still here, planted in this chair, that I’d like to get out of myself but that I’m me, that I’m here, again, again, again, that I’m alone in this inside without windows, that I’m trapped in everything I didn’t do, that I turn and I turn and I always fall back in the same spot, that I’m surrounded, surrounded from all sides, surrounded by myself, by everything I avoid, that I’m the echo of myself and that it doesn’t stop, that I don’t stop, that I don’t know how to stop myself anymore.
The fact that I stayed there, that I didn’t move, that I stayed in the same room, on the same chair, in the same sentence, that everything tightened around me, that I no longer knew how to get free, that the light didn’t change, that the screen stayed on without saying anything, that words kept spinning in circles in my mouth, that my throat tightened, that the inside became the only place, that I searched for air and found none, that every thought brought me straight to the next, that I couldn’t get out of myself, that nothing helped me escape, that I was caught in a soft net, in a lukewarm mass, in a float without beginning or end, that I stayed there waiting for a storm or a shock or a scream or a nothing, the fact that I emptied myself trying to run, that I wore myself out struggling against a weight without a name, that I collapsed without even falling, just sank a little deeper inside, that it quieted like that, not with peace but with extinction, and that little by little, breath returned, lower, longer, wider, that my hands came back, resting on the table, that my body remembered itself, that my legs felt their weight again, that sounds returned slowly, first the fridge, then a scrape against the window, then nothing, but a nothing that had presence, the fact that the ground rebuilt itself under my feet, not here but elsewhere, older, the fact that a field came back to me, a field of nothing, a field of always, with thick hedges, dogwood, brambles, nettles swollen with water, bright green, nearly shining, the fact that I could smell them without seeing them, that I walked through clover, that I was young, or old, or ageless, that I was there and nothing happened, that the sky was white, that it was hot, heavy, without drama, that cows lay at the far end, motionless, that flies flew low, slow, without aim, that the leaves didn’t move, that the wind had stopped looking, that I stood there for no reason, in wet grass, that the sounds were far off, muted, that the light had no direction, that I knew it would rain, but that it didn’t matter, the fact that the clouds swelled, that the sky stretched tight, that the day didn’t move, the fact that the rain finally came, wide, thick, without anger, that it fell on me like on everything else, that it washed me without insistence, that it cooled what it could, that the field began to breathe again, that the animals didn’t flinch, that everything simply stayed, just like that, exactly there, that I was inside it, that it had come back, the field, the calm, the grass, the water, the taste of sorrel, the weight of my arms, the silence after, and that it was exactly enough.
Pour continuer
fictions
L’Inventaire des débris
I. La farce On nous promet un tri sélectif par rayons X. La comète 3I/ATLAS arrive avec ses prophètes de comptoir qui annoncent le grand nettoyage des fréquences. Dans ma mansarde, je ne me sens pas très vaillant. Si le Jugement dernier ressemble à un audit de site web, je suis condamné d’avance. J’ai passé la matinée à fixer mon terminal. Plutôt que de confesser mes fautes, j’ai relancé un script de vérification sur la rubrique 189. C’est ma manière de négocier : ranger ses liens pour ne pas avoir à ranger sa vie. J'imagine l'astre me demandant des comptes sur mes guillemets. Le ridicule est une défense comme une autre. II. La pause À qui faire croire que tout cela m'amuse ? Cette légèreté est une politesse inutile. C’est le geste de celui qui brosse le pont du Titanic. On s’enivre de lignes de code pour couvrir le craquement du sol. Si ATLAS est vraiment ce miroir déformant, elle ne verra pas mes erreurs de syntaxe. Elle verra un homme qui a peur de n’être qu’une donnée obsolète, un bruit de fond dans une fréquence qu’il ne comprend plus. Le rire s'arrête ici. Derrière le curseur, il n'y a plus de script, seulement l'attente. III. Fréquences On attendait l’Apocalypse avec des trompettes, elle arrive peut-être avec un simple changement de phase. Si ATLAS scanne les cœurs, elle y trouvera surtout des débris : des scripts à moitié finis, des colères de terminal et cette fatigue de décembre qui n'en finit pas. Comment affronter ? Il n’y a pas de posture. Juste ce geste, un peu idiot, de cliquer sur « Enregistrer ». Peut-être que le tri ne porte pas sur la valeur des hommes, mais sur leur capacité à supporter le bruit. Le bruit des prophètes, le bruit des machines, le bruit de nos propres pensées qui tournent en boucle. À la fin, il ne restera pas de la littérature, seulement une fréquence. Une note longue, tenue, au milieu du chaos. J'ai relancé la boucle sur la rubrique 189. Le terminal a répondu une ligne vide. C’est peut-être ça, la réponse. Texte et illustration : Gemini Flash|couper{180}
fictions
L’asile
Un homme lit Dostoïevski dans un asile. Chaque jour, il tourne la même page, vérifie la présence d'une clé invisible. Quand la violence explose, elle vient de là où personne ne regardait.|couper{180}
fictions
oscar
Reprise décembre 2025 Au début, elle riait quand je lui lisais mes phrases à voix haute. Pas par moquerie. Elle riait parce qu'elle trouvait ça drôle, la manière dont je tournais autour d'une idée pendant trois pages pour finalement dire quelque chose de très simple. « Tu compliques tout », elle disait. Elle avait raison, bien sûr. Mais à l'époque, ça me semblait une qualité. C'était il y a six mois. Une éternité, dans une histoire comme la nôtre. Maintenant je ne dormais plus. Le matin, elle partait travailler vers huit heures et je faisais semblant de dormir encore. Quand elle rentrait le soir, j'étais devant l'ordinateur avec trois lignes d'écrites et vingt pages de notes qui ne menaient nulle part. « Tu as avancé ? » elle demandait. « Un peu. » Elle hochait la tête. Elle ne demandait jamais à lire. Nous ne faisions plus l'amour depuis plusieurs semaines. L'âge de notre relation — six mois — aurait dû nous rendre insatiables. Mais je me couchais tard, très tard, après qu'elle s'était endormie. Je cherchais des mots. Je trouvais d'autres mots qui me cachaient les premiers. Des mots parasites, des mots brillants, des mots qui formaient des phrases que je notais dans un carnet : « Le ridicule, c'est le nom poli qu'on donne à l'impuissance. » J'avais trouvé ça lumineux. Je l'avais même recopié au propre. Le problème, c'est que je collectionnais les formules sur l'impuissance au lieu d'affronter l'impuissance réelle. Mais ça, je ne le comprendrais que plus tard. Un soir, elle est rentrée avec un sac de courses et elle a dit : « J'ai croisé ton éditeur. Il m'a demandé comment avançait le roman. » J'ai fermé l'ordinateur. « Qu'est-ce que tu lui as dit ? » « Que tu travaillais beaucoup. » Elle a posé les courses sur la table de la cuisine et elle est allée dans la chambre. J'ai entendu la porte de l'armoire. Le bruit des cintres. Puis plus rien. Quand je suis entré, elle était assise au bord du lit, les mains sur les genoux. Elle regardait le mur. « Il faut qu'on parle », elle a dit. Mais nous n'avons pas parlé. J'ai dit que j'étais fatigué, qu'on en reparlerait demain, et je suis retourné devant l'écran blanc. J'ai entendu l'eau couler dans la salle de bain. Puis j'ai entendu autre chose, un bruit étouffé que j'ai fait semblant de ne pas reconnaître. Le lendemain matin, quand je me suis levé, il y avait un mot sur la table : « Rendez-vous 18h, atelier. Apporte l'appareil. » L'atelier, c'était son studio de photo au sous-sol de l'immeuble. Elle y allait parfois pour des projets personnels. Je n'y étais descendu que deux ou trois fois. Un espace blanc, trop éclairé, avec des toiles au fond et des projecteurs sur pied. Et Oscar, bien sûr. Le squelette pédagogique qu'elle avait récupéré je ne sais où. « Tous les squelettes s'appellent Oscar », elle m'avait expliqué un jour. « C'est la règle. » À dix-huit heures, je suis descendu avec le Nikon. Elle était déjà là. Elle avait disposé les lumières différemment, plus rasantes, presque théâtrales. Oscar était décroché de sa potence, allongé sur le fond blanc. « Je vais faire une série », elle a dit sans me regarder. « Tu photographies. » « Une série sur quoi ? » « La mort. La proximité. Je sais pas. » Elle portait une robe légère. Elle a commencé à se déshabiller. J'ai détourné les yeux, ce qui était absurde puisque nous avions vécu ensemble pendant six mois, puisque j'avais vu ce corps des dizaines de fois. Mais quelque chose avait changé. Ce corps nu n'était plus le même. Il était devenu une proposition, un langage que je ne savais plus lire. Elle s'est allongée contre le squelette. Sa peau contre les os. Sa tête près du crâne. Sa main gauche sur les côtes, comme une caresse. « Vas-y », elle a dit. J'ai regardé dans le viseur. J'ai fait la mise au point. C'était beau, d'une beauté dérangeante. La courbe de son dos, la ligne de sa hanche, et puis cette chose morte, blanche, articulée. On aurait dit qu'elle baisait avec Oscar. Ou plutôt : qu'elle baisait avec l'absence, avec le manque, avec tout ce que je n'étais plus capable de lui donner. Ça aurait pu être moi, j'ai pensé. Le squelette. Ce qui reste quand on a tout brûlé. L'idée est revenue plusieurs fois, par bouffées. Je l'ai chassée. J'ai continué à photographier. Des gestes techniques, anodins. Cadrer, régler, déclencher. Le bruit du déclencheur couvrait autre chose, un bruit sourd que je refusais d'entendre. Elle a changé de position. Elle s'est mise sur le côté, face à Oscar, son visage près du sien. Les yeux fermés. Sa main pendait vers moi, paume ouverte. J'ai pris plusieurs clichés. La lumière était bonne. Ensuite elle s'est relevée sans un mot. Elle a remis Oscar à sa place, l'a raccroché à la potence avec des gestes méticuleux. Elle a enfilé un pull — pas la robe, juste un pull gris trop grand qui lui descendait à mi-cuisses. « Tu pars quand ? » elle a demandé. Je n'avais rien dit. Je n'avais rien décidé. Mais elle savait. « Je ne sais pas. » « Tu y penses depuis combien de temps ? » « Quelques semaines. » Elle a hoché la tête. Elle a éteint les projecteurs un par un. Dans la pénombre, je ne voyais plus son visage. « Ce que tu veux, c'est écrire sur l'amour », elle a dit doucement. « Pas aimer. » Elle a ramassé la robe par terre. « Moi je te demande juste d'être là. En face de moi. C'est tout. » Elle avait raison. Mais je ne l'ai pas dit. J'ai serré l'appareil contre moi et je suis remonté. Cette nuit-là, j'ai regardé les photos sur l'écran de l'ordinateur. Elles étaient magnifiques. Troublantes. Je me suis dit que je pourrais écrire quelque chose là-dessus. Une nouvelle, peut-être. Sur un photographe et son modèle. Sur l'intimité et la distance. Sur les gestes techniques qui nous protègent de nos émotions. J'ai ouvert un nouveau document. J'ai tapé quelques phrases. Puis je les ai effacées. Je suis parti trois jours plus tard. Elle n'était pas là. J'ai laissé les clés sur la table de la cuisine, à côté du carnet où j'avais noté toutes mes belles formules sur le ridicule et l'impuissance. Les photos, je ne les ai jamais regardées à nouveau. Elle ne me les a jamais réclamées. Elles sont quelque part dans un disque dur, dans un dossier que je n'ouvre pas. Un silence partagé. Une scène figée entre deux personnes qui avaient oublié comment se parler. Vingt ans plus tard, je sais ce qui s'est brisé ce jour-là. Ce n'était pas l'amour. C'était plus simple et plus grave : elle m'avait tendu la main, paume ouverte, et j'avais choisi de regarder la lumière à la place. J'ai fini par écrire des livres. Plusieurs. Certains ont même eu du succès. Mais aucun ne parlait de cette scène dans l'atelier, d'Oscar, de cette main tendue que j'avais cadrée si parfaitement avant de l'ignorer. Ridicule. Grotesque. Les mots que j'avais trouvés à l'époque. Maintenant j'en ai un autre : lâcheté.|couper{180}