Mots dits, mots lus
Peinture à l’huile 2022 PBlanchon. (Collection privée)
L’intonation avec laquelle sont exprimés les mots dans la rapidité du présent rend captive l’attention. C’est ainsi qu’il ne peut vraiment s’appuyer sur une définition. La définition serait le plus authentique point de ralliement. Problème proposé par le temps, il n’a pas le temps. Ni le loisir d’étudier ce que signifie le mot tant l’intention qui semble vouloir se dissimuler derrière celui-ci, tout au contraire, s’exhibe. C’est souvent à mi-mot que l’émotion l’emporte sur la raison. Que toute définition s’abîme ou s’effondre sur elle-même. La façon de prononcer, l’énergie, la conviction, ou l’hésitation, toutes les modulations de l’air par la voix qui sort de la bouche, du corps, accompagnée d’une infinité de signes contradictoires, tremblement d’une lèvre, clignement incontrôlé de paupière, œil plus ou moins révulsé, modification du blanc autour de l’iris, de la prunelle, rôsissement des cornées où, au contraire, leur pâleur subite. Le regard tout entier s’ébranlant en spirale,telle une galaxie, un cosmos dans lequel s’affrontent des forces mystérieuses que l’on résout en toute hâte en pour ou contresi mécaniquement, et qu’on délaisse, écœuré justement par ce noir ou blanc. Trop tranchée cette information peu fiable par sa réduction binaire, on part alors en quête de nuances, pour s’en aller vers la totalité du corps de l’autre, chercher surtout ce qui peut faire tellement peur d’y trouver comme de ne pas y trouver. Essentiellement de l’amour alors qu’on peine tant à en saisir toutes les déclinaisons. Ce gouffre inouïe des mille et un signaux tellement contradictoires dans le son, le timbre, qui accompagnent le mot. Et surtout la rapidité, la fugacité. Tout événement se précipitant aussitôt dans un autre, comme la pluie, la grêle, une intempérie, noyant ainsi toute possibilité d’immobiliser le mot, de le décortiquer pour en étudier son origine, sa nature, son genre et surtout une signification irrévocable. Indiscutable. Être enfin rassuré par cet aspect indiscutable en cohérence enfin avec la voix et le corps. Être enfin rassasié du juste. Mais non. Impossibilité chronique d’arrêter la vitesse à laquelle les mots se ruent de la gorge vers l’ouïe, le cœur, la cervelle, fracassant en furie, dans l’intervalle, cet espace qui devient un désert,toute velléité de compréhension. N’est-ce -ce pas ainsi que naquirent la crainte, la méfiance, la panique si souvent. Panique synonyme à portée d’oreille de refuge. Tanière de la panique dans laquelle on se recroqueville en chien de fusil, en fœtus, recréer ainsi en soi un silence et sentir encore les coups de boutoir de la confusion, de la désorientation sur les parois de cet œuf spontané. N’est-on pas au meilleur endroit qu’à l’intérieur de l’œuf panique pour observer tout ce qu’exprime de manque le vent du murmure, la tempête du cri, des hurlements. N’est-on pas ainsi dans le plus juste des accords, panique contre panique. Éprouver de cette réaction magique comme une ivresse, un étourdissement en sus. Que faire ensuite de ce silence où on est seul, comment savoir son espace, sa limite, sa périphérie. Les livres sont une représentation concrète de ce silence. De la panique comme de l’ivresse. Il est possible d’en attraper un à mains nues, de l’immobiliser durant une durée plus ou moins longue selon un temps d’horloge. Et enfin de l’ouvrir comme on ouvrirait un coffre à trésors. La première phrase des livres, en ce temps là , commençaient presque toujours par un sésame qu’on prononçait lentement pour soi. Le tant fameux il était une fois merveilleux gardien du seuil qui lui offrait une place sur le bateau ivre de la lecture. Pas besoin de posséder la moindre pièce d’or ou de bronze pour rétribuer l’invisible passeur. Il n’était de monnaie que les heures, et l’attention renouvelée, une sorte d’insistance à s’appliquer à relire de nombreuses fois la même histoire, toujours pensant avoir lu comme dans la vie, bien trop vite, toujours sachant qu’on s’était fait capturé par l’émotion, exactement comme dans le temps des montres attachées au poignet. Il possédait peu de livres et cela n’avait pas d’importance. N’en eut-il possédé qu’un seul cela n’aurait rien changé vraiment. N’importe quel livre est une béance à traverser de part en part. Mille fois refaire la même route du regard afin d’entendre enfin ce que toute béance a à dire. Pour naviguer en celle-ci le seul mât auquel s’attacher est crée par les mots écrits noir sur blanc. Du noir et blanc encore mais qui laisse cette fois l’opportunité d’apercevoir les gris, de les fabriquer, les effacer, les recréer encore et encore, on espérait à l’infini, ivresse des gris, créés par les lettres noires sur la page blanche. Une fois qu’on parvenait enfin à la fatigue, au risque du sommeil, d’avoir tant lu et relu, le livre sans prévenir nous tombait des mains. Même histoire que celle d’Ulysse. On peut y voir une sirène se jetant de lassitude ou de dépit ou d’un trop plein d’euphorie, à la mer. Le livre la sirène et soi ne font plus qu’un, on est prêt alors à clore les paupières, on a touché à un mystère et on sait de mieux en mieux s’endormir avant de s’enfoncer trop loin dans ce mystère. Ensuite le rêve est la couche supérieure de l’activité de lire, toutes les cartes se dissolvent comme un brouillard, de grandes portes d’airain s’entrouvrent sans bruit et l’on file, on vole, dans un nouveau silence plus vaste encore que tous ceux offerts par l’univers diurne. C’est au travers de ce pays familier qu’on retrouve nos véritables ennemis, nos véritables alliés. Nul besoin de mot pour les désigner on les connaît par coeur immédiatement. L’immédiateté est ce timbre poste que l’on creuse avec la pelle des mots afin de trouver sa nature véritable, indiscutable : l’éternité.
Post-scriptum
hautPour continuer
import
Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
import
Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
import
Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}