Ressources
Photo de famille années 1960.
Longtemps le manque de ressources oriente le désir d’en chercher à l’extérieur. Mais, ce qu’il faut donner en échange, pour obtenir souvent peu, est décevant au regard des espérances que l’on place dans cette quête. Pour certaines personnes, c’est ainsi. L’insatisfaction l’emportera toujours. Et, fréquemment, on se retourne vers le besoin, le questionnant, tentant de se raisonner, dans l’espoir de se tenir prêt au bout du compte à y renoncer. Ce sont des mécanismes appris dans l’enfance la plupart du temps. Cependant, ce à quoi l’on renonce par raison laisse un goût amer. La tristesse, la résignation, parfois mènent au ressentiment quand ce n’est pas à la rage, à la colère. Quel que soit le raisonnement que l’on peut entretenir avec ces états qui nous traversent, on s’aperçoit qu’il est habituellement vain. L’émotion négative l’emporte contre les meilleures raisons chez certaines personnes dont je dois avouer, faire partie. Des individus non préparés par leur milieu, leur éducation, leur héritage génétique. Comme un rat de laboratoire, on cherche alors une issue au labyrinthe. On invente des solutions possibles. Comme par exemple créer une émotion susceptible de contrecarrer celle, quasi automatique, du ressentiment. Il est difficile d’aller contre un réflexe. De modifier une habitude. On sent bien au fond qu’il ne s’agit que d’un placebo, la tentative dérisoire d’élaboration d’un plan B. On imagine un plan B à l’abandon d’un absolu. Parce que c’est toujours une idée d’absolu qui nous installe dans un tel état. Les choses n’étant jamais ce que l’on croit qu’elles sont dans une telle confusion. Dérisoire n’est pas assez fort pour qualifier le subterfuge. D’autant que quelle que soit cette émotion fabriquée, la raison y trouvera toujours quelque chose à y redire. Le guingois ne peut pas lui échapper. La lucidité, cette appétence géométrique, éveillera l’attention. Dans un tel cas de figure, cet élan vers le pire, on est souvent bien plus doué que vers le meilleur. Ainsi, on se focalisera sur le travers afin de détecter toutes les ficelles de la supercherie. Et, une fois calmé étrangement par l’évidence de cette escroquerie découverte, c’est un nouveau pan du rêve qui s’écroulera. Ce vide ajouté à la somme du manque se paiera de tristesse, de résignation encore plus solide. Solide comme un rocher auquel le naufrage nous contraint à nous accrocher. Solide, comme l’ensemble des fondations que l’on ignorait précisément jusque-là.
La solution de créer alors ses propres ressources soi-même est séduisante. Mais, la créativité ne vaut que si l’on ne réfléchit pas pendant que l’on crée. Ensuite le jugement s’abat sur le résultat, le pèse, le jauge, le met en cause, on peut parler de réaction ou de réflexe. De défense ou de protection. Et, encore, du sentiment de malaise procuré par la sensation d’avoir franchi des limites infranchissables, pour les mêmes causes évoquées : le milieu, l’éducation, l’héritage. C’est que l’on souhaiterait s’élever et simultanément ne pas abandonner quelque chose de tout ce qui nous fonde. S’élever ou s’en évader, le fuir, oblige à buter contre quelque chose régulièrement, souvent inconsciemment. C’est encore par la vigilance, une attention soutenue à cette entrave, que l’on sentira de plus en plus l’existence de ces limites imposées tacitement. Elles sont réelles aussi longtemps que le sera la confusion à cet instant où on les franchit.
On croit aujourd’hui vivre dans un monde différent de celui de nos parents, nos grands-parents, un monde moderne, un monde nouveau. Après la traversée frénétique de tous les termes en isme. Socialisme, communisme, capitalisme, anarchisme, maoïsme, christianisme, islamisme, bouddhisme... (la liste est longue, vous pouvez la compléter vous-mêmes pour passer le temps si ça vous chante). Après tous ces ismes donc, voici l’océan faussement pacifique qui tombe encore le masque. La guerre. La crise. La survie. Les cartes sont rebattues une fois de plus devant nos yeux las. Les guignols refont leur apparition. Politicards, folliculaires, experts, pour nous vendre de nouveau la même lessive qui lavera plus blanc, la même soupe à la grimace. Et, nous restons là à les regarder comme s’il s’agissait d’un mythe qui n’aurait de sens que de nous réunir dans une éternelle fatalité. La fatalité qu’éprouve le faible devant le fort. Surtout désormais sachant combien révolte, révolution, ces mots, ont perdu de leur prestige, de leur panache, et toute l’espérance qui les avait conçus. La solution collective se dirige dorénavant vers l’ordre, une obéissance à un sens commun, une pensée unique, une déshumanisation qui consiste à gommer les opinions personnelles, les différences, sources de confusion et de trouble. Une colonie gigantesque d’insectes. Avec un groupe dominant constitué de clones du Père Ubu. Comme si l’humain devait traverser tout le grotesque, l’obscène, encore une fois, y perdant toute son humanité, jugée inutile pour ceux qui se targuent de dominer le monde. Que peut-on faire à une échelle individuelle pour lutter contre cette abjection ?
Se tenir calmement au beau milieu du chaos. Cette réflexion d’origine taoïste m’avait grandement séduit autrefois. S’abandonner au mouvement général du monde sans s’y opposer de quelques façons que ce soit fut durant un temps une libération. Avant que je finisse par la considérer comme le summum de l’esprit petit bourgeois. Comme la sublimation d’un égoïsme prôné par toute une époque- étrangement dans les années 1980- alors que nous venions enfin d’élire un socialiste aux affaires. Taoïsme, cynisme, toute une philosophie se sera développée dans ma cervelle embrumée de 1980 à 2000. Soit 20 ans ! Et, ce qui est drôle, c’est que je pensais dur comme fer que toutes les pensées, les idées étaient miennes. Même si, en vérité, elles n’étaient qu’une ligne éditoriale conçue par de tièdes intellectuels parisiens. Les mêmes qui, aujourd’hui, proposent de penser que la dictature est la solution la plus propice à apporter le calme, le bonheur à huit milliards d’êtres humains. Ce qui finalement me renvoie à des réflexions paternelles peu amènes contre les intellectuels en général. Et, donc, assez peu bienveillantes sur moi-même qui, que je le veuille ou pas, suis un intellectuel à ma façon.
Ce qui finalement crée une boucle, rejoint mon propos de départ sur la notion de ressource. Venant d’un milieu dans lequel toute notion de bavardage s’associe à la culture, à l’art, à l’intellect et découvrant la gêne qui en avait été à la source, j’ai voulu comprendre cette gêne par mes propres moyens. Comprendre le bavardage dans son ensemble. Me l’expliquer par ailleurs pour mieux m’expliquer le milieu dont je suis issu, le combattre pour commencer pour me construire, puis une fois seul, y revenir doucement afin de nuancer les choses, apaiser le ressentiment. Peut-être aussi faire quelque chose d’autre que de la systématique provenant d’un tel ressentiment.
Je vais bientôt avoir 63 ans, en janvier. Ainsi, je m’aperçois que rien n’est vraiment réglé encore quant à ce ressentiment hérité. Non seulement je ne me suis pas sauvé, mais pire, je n’ai sauvé personne. L’idée de défaite ne me lâche pas. Hier encore, je lisais les 113 pages du récit d’Annie Ernaux, “La place” qui évoque la vie de son père. Soudain, j’ai refermé le livre puis l’ai rouvert afin de trouver cette phrase mise en exergue, une phrase de Jean Genet : “je hasarde une explication : écrire, c’est le dernier recours quand on a trahi.”
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}