Mes vœux pour 2022

Ce n’est pas facile d’aller à contre-courant. Beaucoup d’incompréhension à traverser sans broncher. Et puis à quoi bon s’excuser, se justifier, polémiquer. Quand ça ne passe pas, ça ne passe pas et tous les efforts que l’on peut produire pour dépasser cet état de fait ne sont souvent rien d’autre que des coups d’épée dans l’eau. Par exemple cette période de fin d’année, l’enjambement vers la nouvelle et l’automatisme des phrases creuses à échanger coute que coute.

— Meilleurs vœux, bonne année, et surtout la santé, ce genre de chose à vomir ni plus ni moins d’année en année atteint le paroxysme de l’insupportable.

— Pourquoi donc ? me demande mon épouse qui est aussi psychanalyste. Pourquoi cette obsession à ne pas vouloir faire comme tout le monde ? Qu’est ce qui te terrifie tellement dans l’expression "comme tout le monde" ?

Ai-je seulement l’embryon d’une réponse satisfaisante, dicible et écoutable ? Parfois je me dis que non et je reste muet.

Il n’y a guère qu’ici sur cette page blanche , renouvelée de blancheur chaque jour, ou plutôt chaque nuit, que j’ose m’interroger. Sans doute en m’appuyant sur cette observation que lorsque l’écriture s’empare de moi, je suis un autre. Et cet autre est à la fois comme tout le monde, cet autre est le monde et dont chaque phrase pointe sur celui que je crois être en dehors de la page blanche.

Gamin j’étais terriblement récalcitrant déjà, pour tout un tas de choses complètement incompréhensibles pour mes proches. A cette époque on ne savait pas ce qu’étaient les pédiatres, pas plus que la thérapie. En gros il n’y avait pas autre chose que l’asile qui eut pu représenter à la fois une solution comme un constat d’échec cuisant.

Reconnaitre mon mal-être eut été sans doute accepter de reconnaitre le leur. Ce qui ne pouvait être tolérable. Avait t’on le temps de s’occuper de n’importe quel nombril au beau milieu des fameuses 30 glorieuses ? Certainement pas.

Je me souviens encore de quelques réflexions prononcées à voix haute sur Jean-Paul Sartre, ou Serge Gainsbourg , et encore Maxime Le Forestier par mon paternel pour qui tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à la contestation ou des élucubrations intellectuelles, n’était qu’une pure perte de temps. Etrangement il adorait Georges Brassens et Jacques Brel. Sans doute parce que ceux-là contestaient l’un avec tranquillité sur des rythmes à 4 temps tandis que l’autre en bavait des ronds de chapeau sitôt qu’il montait sur scène comme un agneau que l’on mène à l’abattoir.

J’ai souvent soupçonné mon père d’être un anarchiste qui ne s’assumait pas. Une sorte de traitre à lui-même qui avait pris comme prétexte la responsabilité familiale pour épouser le monde tout en le détestant.

Sans doute était-ce visible comme un nez au milieu de la figure. Visible pour tous ces autres qui resteront à jamais un mystère, ses collègues de travail, les nombreuses femmes avec lesquelles il aura entretenu une liaison, une aventure, toute la collection de trophées qu’un voyageur de commerce passe son temps à récolter pour tromper sa solitude et son ennui de n’être qu’un simple voyageur de commerce.

Lui non plus n’aimait pas les fêtes de fin d’année pas plus que les fêtes en général. Surtout les jours d’anniversaire je le voyais écartelé par deux envies contraires, qu’on n’oublie surtout pas de lui souhaiter, mais malheur si on le faisait.

Il devenait totalement abject comme si l’abjection avait le pouvoir d’effacer à la vitesse de l’éclair sa candeur enfantine qui remontait, à ces moments là, comme une acidité d’estomac.

C’est toujours cette même histoire de choix, de positionnement. Exactement comme ce problème majeur chez tout artiste. On dirait bien qu’il faille abdiquer, renoncer à un moment ou à un autre à la totalité des possibles, au fameux "flou artistique" pour se concentrer jusqu’à la fin sur une seule posture. La même toujours invariablement. Parce que justement l’invariable est accepté à bras ouverts, l’invariable est exigé comme une tenue de soirée, on ne peut nous laisser entrer dans certains lieux sans ce minimum de rigueur vestimentaire.

Cette rigueur à laquelle mon père tenait tant quand il s’agissait de ses chemises impeccables, du pli de ses pantalons, de la brillance immaculée de ses godasses. Tandis qu’à coté de ça, d’étranges ondes paradoxales pénétraient notre bulbe tout à la fois filial et rachidien.

Nous devinions à quel point il pouvait être menteur, traitre, méchant, cruel même et sans vergogne aucune. Ce qui m’aura toujours posé de fameux problèmes quant à la sincérité affichée de la moindre personne s’avançant les bras ouverts face à moi.

Ce qui m’aura toujours posé de fameuses difficultés concernant la valeur de ma propre sincérité aussi.

Car même au beau milieu de ma mégalomanie galopante parfois à des altitudes irrespirables, le doute était planté toujours au sommet. Une réelle bénédiction au final. Le doute comme un étendard tissé de compassion, d’amour filial, et de haine ordinaire.

Et cette année me voici confronté de nouveau à cette avalanche sirupeuse de souhaits, à ce champs de bataille où se mitraille l’attention à l’autre et toutes les munitions de gentillesses souvent melliflues, obséquieuses que je qualifie immédiatement de factices, d’hypocrites, d’inutiles, d’obscènes.

Comment la race humaine peut elle donc être à ce point frivole qu’on débouche le champagne en se faisant maints bisous réels ou virtuels alors qu’on a tout bousillé ou presque autour de nous ? Comment peut-on dire franchement, sincèrement, en toute innocence "joyeux Noël, Joyeuses fêtes, bonne Année " Alors que tout se barre en sucette ? Comment se lécher la poire et se donner de grandes tapes dans le dos et sur le cul alors qu’on est assailli désormais par un virus qui semble muter d’autant plus vite que nous sommes désespérément lents à comprendre son message ?

Ce qui sans doute les années passées était encore une énigme pour moi aura muté tout comme le virus. C’est que je n’ai plus envie de résoudre la moindre énigme à ce propos. J’ai ma dose c’est le cas, le moment on ne peut plus opportun de le dire.

Tout ce que j’aurais pu souhaiter dans le temps pour que mes contemporains soient moins cons n’ayant jamais été exaucé, il est possible qu’une usure rende la notion de souhait tout entière caduque.

J’assiste les bras ballants à cette forme d’érosion inédite pour moi non sans une certaine tristesse. Avec même un peu de rage certains jours, comme celle que peut ressentir un gamin lorsqu’il voit, derrière toutes les simagrées d’un père, l’étendue d’une solitude irrémédiable, probablement la même que tout à chacun entretient avec ce qui se nomme "tout le monde" et que l’on invective, tous les ans, en tout début d’ année, en lui dégobillant en pleine figure nos meilleurs vœux.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre