L’escargot est un des meilleurs symbole de la lenteur, mais pas seulement, il porte aussi sa maison sur son dos, ce qui peut être aussi évoquer le talmudiste, ou plus modestement celle où celui qui se voue corps et âme à l’exercice singulier de l’écriture, de la lecture, voire de la peinture. Être en chemin et se hâter lentement. Sans oublier cet autre symbole inscrit sur la coquille, la spirale, logarithmique comme celle que l’on découvre avec patience- dans les artichauts, si on ne la détecte pas tout de suite dans l’organisation de leurs feuilles- lorsque l’on parvient au cœur, aux mouvements de poils tournoyant tels de mini maelströms, à la surface de ce coeur à la fois croquant et suave. Ensuite, après avoir relevé toutes ces indications, il faut des nerfs. Hier tu as un peu moins fait semblant de travailler que durant ces dernières semaines. Tu t’es lancé dans la réalisation de fonds sur de trois grandes toiles 100x80 un format 60x80 et encore un autre 70x70. Après des jours de tâtonnement, de trituration de toute cette boue, le pour et le contre quelque chose à lâché. l’escargot se transforme parfois, sitôt que l’on détourne le regard de son trajet, en bolide. Non que tu te sois mis à peindre vite, au contraire tu as fait tout ça au ralenti. Et c’est encore une particularité de ce type de lenteur que tu connais déjà, mais sur quoi tu ne t’arrêtes jamais tant tu as toujours cette sensation désagréable de n’en avoir pas suffisamment fait, de n’avoir pas assez donné de toi-même. Tu imagines toujours si facilement être à côté de tes pompesselon l’expression consacrée. C’est la définition de toi formulée depuis la nuit des temps par ces voix d’outre-tombe et dont l’écho continue à produire son petit effet troublant. On en revient encore à la notion de double, à celui qui marche sous les yeux du même qui l’observe marcher et de temps en temps pousse l’ensemble comme par inadvertance dans l’égarement. Mécanisme totalement inconscient pendant une vie entière et qui tout à coup se dévoile comme au terme d’un tour de table au poker. Quelque chose abat son jeu et l’on reste mi-figue mi-raisin dans cet instant, cet entre- deux, où on ne sait si on a gagné ou perdu la mise. C’est d’ailleurs cet instant qui extrêmement excitant explique tout l’attrait du jeu probablement. Car gagner ou perdre n’est rien de plus qu’une conséquence assez banale. Et surtout que l’on peut retourner comme un gant à loisir. N’est-ce pas cela en fin de compte la nature même de cet engouement pour la lecture, pour l’écriture, pour la peinture, si tu réfléchis bien. Ce creux semblable à celui du clou qui pénètre l’argile d’un rouleau pour créer la lettre, le mot, la langue. Ce cercle ou ce point sur quoi l’artiste aurait zoomé, du tableau de Malevich. Ce que l’on ne voit pas à l’œil nu sur les photographies que l’on trouve sur le net, c’est la vibration affolante de la peinture. Toutes les traces laissées par l’homme et cette entité, appelle ça Dieu ou l’inconscient, qui pour que cette figure naisse s’oblige à se retirer, à laisser ce creux. La fameuse phrase de Lacan tout moins un parce que tout seul rien n’est possible, si tout se suffit à lui-même nulle nécessite d’humanité. Et c’est aussi la phrase de Kafka lorsqu’il dit : je regarde par la fenêtre ( de mémoire ) et qu’il considère comme une phrase parfaite. Ensuite le temps que toute cette compréhension surgisse à partir du travail toujours en mouvement de l’intuition... est-ce important de se plaindre ou de se réjouir. Sans doute n’est-ce pas utile, essentiel , de placer ton attention sur ce point. Juste constater que cette sensation d’égarement perpétuelle et dans laquelle tu n’as jamais voulu dévier d’un iota est le chemin, le seul, l’unique que tu auras choisi d’emprunter et sur lequel, n’est-ce pas miraculeux, tu te tiens toujours.
En chemin
Pour continuer
Carnets | janvier 2023
18 janvier 2023-4
Un homme qui monte doit descendre à un moment ou à un autre. Et ce, quel que soit le moyen qu'il choisira d'emprunter : ascenseur, escalier, ballon de Montgolfier, fusée. La loi de la pesanteur oblige. Il ne convient pas d'en être à chaque fois surpris ou étonné, ni de s'en plaindre, pas plus que de s'en réjouir. Ensuite, quand on le sait, ce que l'on en fait... Tu l'as toujours su puisque tu as vécu à la campagne. Tu as vu des hommes monter sur des charrettes de foin et d'autres tomber de haut quand ils s'apercevaient qu'ils étaient cocus ou bourrés comme des coings. Dès l'enfance, tu t'es trouvé confronté à la loi. Tous ces rêves de vol que tu effectuais de nuit alternent encore dans ta mémoire avec les raclées magistrales qui te jetaient à terre. Une longue répétition servant d'apprentissage comme de vérification de tes premières intuitions. Parfois quand tu y penses, tu pleures, d'autres fois tu ris. Les souvenirs, comme les émotions, subissent aussi la loi de la pesanteur, il ne faut pas croire.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
17 janvier 2023-3
À l'église quand tu y allais, tu ne parlais pas. Tu chantais quand il fallait chanter. Mais en pension à Saint-Stanislas, et bien que tu chantasses la plupart du temps assez correctement, tu te mis alors à chanter faux. Tu voulais déranger quelque chose. Et cela, tu t'en souviens, n'était pas pour te faire remarquer, c'était plus profond que ça. Viscéral. À la cérémonie funèbre de ta mère, quelques minutes avant l'incinération, on t'a proposé de parler, de dire quelques mots, mais il n'y avait que ton épouse, ton père et ton frère, plus les employés des pompes funèbres. Tu as décidé que c'était grotesque juste à l'instant d'essayer d'ouvrir la bouche quand tu fus monté sur la petite estrade face au microphone. Tu as regardé l'assemblée puis tu as baissé la tête, tu as capitulé, vaincu par le ridicule. Une des seules fois dans ta vie où tu n'auras pas osé y plonger tout entier. Sur ta chaîne YouTube, tu as beaucoup parlé mais avec le recul tu n'as jamais pris le temps de réécouter ce que tu as dit. Sans doute parce que toute parole est liée à un instant et qu'une fois l'instant passé, cette parole devient morte, qu'il n'y a plus de raison valable de s'y intéresser. Comme si cette parole dans le fond n'avait fait que te traverser, qu'elle ne t'appartenait pas. Par contre, tu aimes écouter les vidéos de François Bon, tu les réécoutes avec plaisir. Et surtout tu y découvres au fur et à mesure des informations que tu n'avais, semble-t-il, pas entendues à la première écoute. Il y a ainsi des émissions que tu écoutes en boucle et d'autres, réalisées par d'autres créateurs de contenu, dont les bras t'en tombent dès les premières minutes. Est-ce que commenter, c'est parler ? Peut-être. Tu ne parviens plus à commenter dans certains lieux et dans d'autres oui. L'interruption des commentaires a commencé quand tu as fait une recherche sur ton nom sur ce moteur de recherche. Le nombre de commentaires qui te sont apparus idiots, inutiles t'a aussitôt sauté aux yeux. Rédiger un commentaire t'oblige presque aussitôt à affronter le ridicule puis à le vaincre ou à te laisser à l'à-quoi-bon. Quand tu te dis "ça ne changera pas la face du monde, qui es-tu donc pour t'autoriser ainsi à commenter, à apparaître ?" Le fait que ça puisse encourager l'autre, tu t'en dispenses désormais car d'une certaine façon c'était aussi une image trouble, cette pensée d'encourager l'autre dans une réflexivité ; d'ailleurs les réseaux sociaux fonctionnent sur cette réflexivité la plupart du temps. Le fait qu'elle te gêne jusqu'à l'insupportable est corrélé à tes états de fatigue, d'humeur, ou de lucidité. De la chimie. Tu préfères alors te taire devant cette réalité chimique quand tu ne peux faire autrement que de la voir comme un nez au milieu d'une figure. Parler, c'est faire signe avant tout. Mais pourquoi faire signe ? On en revient toujours à la question. Faire signe, désigner, dessiner non pour obtenir quelque chose ni pour dire "tu as vu, je te fais signe, je te signifie quelque chose." La fatigue de tout ça, due au poids de l'âge imagines-tu parfois, mais surtout au sentiment de ta propre insignifiance. Il y a des jours où l'insignifiance est ce refuge préférable à tout autre. Tu es capable de rester silencieux envers certaines personnes durant un laps de temps considérable. Tu n'as pas vu tes parents pendant 10 ans autrefois. Aucune parole échangée en 10 ans avec M. et aussi avec D. Cependant, la conversation reprend exactement là où elle s'est arrêtée dans le temps comme si pour toi il n'y avait pas de temps. L'expression "être de parole", tenir sa promesse, tu peux la comprendre bien sûr. Mais de quelle parole s'agit-il dans ce cas ? La question reste en suspens. Se fier à sa propre parole, d'expérience, te semble toujours suspect, tout comme se fier à n'importe quelle parole. La parole c'est du vent la plupart du temps et donc c'est l'esprit. Qui serait assez cinglé pour confondre l'esprit et soi-même ? L'indomptable esprit comme disent les bouddhistes. Non, il faut s'asseoir, l'observer agir, parler, ne pas vouloir l'enfermer dans une clôture, c'est ainsi que l'on s'en libère au mieux. Ce qui reste ensuite, on l'ignore. Un silence éloquent.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
17 janvier 2023-2
Ainsi, pour que l'illusion soit complète, qu'elle se referme sur elle-même comme un cercle, il serait nécessaire de désigner deux points distincts mentalement, disons A et B, deux points choisis parmi une infinité. Tu le fais chaque jour, plusieurs fois par jour, la plupart du temps en prenant un crayon. Tu traces une ligne pour dessiner, mais depuis quel point de départ, quelle origine ? Tu peux dire n'importe quel point de départ fera bien l'affaire. Mais c'est botter en touche. Ce n'est pas cette origine-là qui importe mais celle qui t'a conduit, au travers de milliers et de milliers de possibles, à cet instant présent, à t'asseoir, à prendre ce crayon et à tracer cette ligne. Que matérialise pour toi véritablement une telle ligne qui s'élance d'un point à un autre, qui avec toi se déplace dans l'espace et le temps sur le lieu de la feuille ? Et si tu te mettais à y songer vraiment, si tu imaginais que cette ligne contient tout ce que tu as vécu depuis ta propre origine jusqu'à présent, est-ce que ça changerait quelque chose à l'action de dessiner ? Probable, voire certain, que c'est justement à ce genre de connerie qu'il ne faut pas penser pour dessiner. Donc quand tu te déplaces, tu sais peut-être d'où tu pars mais la plupart du temps tu te fiches de l'arrivée. Ou tu ne veux pas y penser pour pouvoir ainsi continuer à dessiner. Tu te déplaces sur la feuille de papier comme dans ta vie. Tu sais qu'il n'y a en fin de compte qu'une seule arrivée réelle et qu'il ne sert à rien de t'y intéresser de trop près, de peur d'être tétanisé par la peur ou par l'espoir - la joie ? La confiance ? - et au final de te retrouver dans une impossibilité de faire quoi que ce soit. D'une certaine façon, tu pourrais te ranger dans le mouvement de l'art pauvre, celui qui s'intéresse plus spécifiquement à l'origine des matériaux, à une origine tout court pour lutter contre l'obsession des buts qui ne sont que des ersatz. Sauf que toi, tu veux peindre des tableaux, tu es anachronique et tu te bouches les oreilles quand on te parle de Marcel Duchamp. Il faut aussi se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu.|couper{180}