Du jour au lendemain
https://youtu.be/X1FCTBRXqqY C’est de ce morceau, « Outro », du rappeur allemand d’origine iranienne Sinan-G, qu’est extrait le générique de fin de l’émission « Du jour au lendemain ». Des bribes ajoutées à des bribes. Ce n’est peut-être que cela, ce que tu appelles un journal. Finalement, pas si éloigné de l’autre, le journal qu’on achetait autrefois en kiosque, avec ses articles, ses gros titres, des hiérarchies d’importance arbitraires. Peut-être que le journal littéraire s’oppose, tout en employant les mêmes outils, les mêmes armes, aux journaux du soir ou du matin sur lesquels on fonde une idée d’actualité. On chamboulerait ainsi l’importance de cette actualité, en employant un arbitraire valant l’autre. Cette nuit, impossible de dormir. J’ai vu le film sur Simone Veil, ce qui a aussitôt fait ressurgir cette colère ancienne vis-à-vis des camps, concernant aussi toute cette injustice, cette médiocrité, cette banalité terrifiante. Après quoi il me fut encore plus impossible de dormir. J’avais envie de calme et j’ai repensé à ces moments où, la nuit, j’écoutais Alain Veinstein, l’émission « Du jour au lendemain ». J’ai recherché sur l’appli Radio France mais, hélas, la série des podcasts s’arrête à 2011 : on ne peut pas aller au-delà. J’ai fini par jeter mon dévolu sur un entretien avec Charles Juliet à propos de son Journal VI et de la réédition de Ténèbres en terre froide. La voix de Veinstein et celle de Juliet, bien plus que leurs propos, finalement, sont parvenues à apaiser l’angoisse, ou la rage. Ce qui me fait penser à nouveau combien nous sommes hypnotisés par nos pensées à propos du sens des choses. Qu’il suffit juste de tendre l’oreille aux sons que produisent les voix pour en obtenir bien plus que des pensées, des avis, des opinions. Ce matin, je lis quelques articles de blog, mais le cœur n’y est pas vraiment. Il vaut mieux ne pas trop lire ainsi, attendre d’être plus disponible aux autres. C’est souvent cette indisponibilité qui fait barrage, je m’en rends compte. Parmi les premiers textes lus, je note une confusion entre deux mots : « hybride » et « bourde ». Et ça se retourne aussitôt contre moi. Je pense à ce que j’écris, à toutes ces bourdes, à l’aspect hybride de ce blog. Jusqu’à présent, tellement fragmentaire, le fait que je saute du coq à l’âne consciencieusement ne m’avait, jusqu’à aujourd’hui, pas vraiment déplu. Bien au contraire. J’en avais presque établi un vague protocole, un rassurant dispositif, une grande liberté surtout. Mais pour rassembler tous ces fragments épars, faire un tout, et qui ait un sens ou une cohérence, c’est-à-dire une moindre politesse pour le lecteur, c’est une autre paire de manches. Parfois, je suis au bord d’espérer y parvenir, que j’y renonce presque instantanément. Parce que je vois un livre. Parce que la finalité serait encore de faire un livre, une sorte de preuve. Ensuite, à quoi servirait cette preuve, en ai-je vraiment besoin ? Est-ce que ça produirait la satisfaction d’un achèvement quelconque ? J’ai bien peur que oui, par faiblesse. Ce dont je ne peux que me méfier absolument, et qui renforce aussi ma conviction de ne rien vouloir savoir, de ne rien savoir à propos de l’écriture, de la littérature, de ne pas avoir d’idée arrêtée. Continuer à avancer en aveugle me semble être tout ce que je peux faire, du mieux que je le peux. Et d’aller ainsi, à coups de bourdes, de textes hybrides, du jour au lendemain, sans trop faillir, sans trop espérer ni me désespérer non plus. Un livre m’exclurait du temps. Et je crois que j’ai appris à accepter le temps qui passe maintenant, quelle que soit la façon dont il passe, et comment je m’en réjouis ou le subis. Accepter ça est, je crois, un grand pas. Cela vaut bien une satisfaction semblable à celle de produire un ouvrage, voire une œuvre. Accepter sa faiblesse, et cette forme d’impuissance qui nous empêche de nous fourvoyer, tout en nous fourvoyant encore tout de même. L’égarement si cher comme seule possibilité de résistance. Je crois que, comme les voix entendues cette nuit, un texte, des textes charrient la même chose. Celui qui parle comme celui qui écrit se cantonne à une périphérie et ignore tout de ce qui se passera au-delà de celle-ci. La paix peut-être le message qu’on envoie sans même le savoir, du plus profond de la colère, de l’angoisse ou du ridicule. Je veux dire que lire une succession de bourdes peut rassurer, apaiser, amuser beaucoup de gens à propos de ce qu’ils appellent leurs bourdes à eux. Je tape « hybride » sur Google pour essayer de trouver une image d’illustration et je me retrouve face à des voitures… Je renonce donc à illustrer plus avant cet article.
Pour continuer
Carnets | mai 2023
Disparitions
Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}
Carnets | mai 2023
31052023
Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}
Carnets | mai 2023
Assemblage
Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}