Choses dont je peux facilement me passer

Alors là, les choses se bousculent au portillon. L’embarras du choix guette. Il faudrait mettre en place un dispositif pour organiser toutes ces choses. Leur offrir la possibilité de se ranger dans des catégories les calmerait peut-être. Le sérieux. Le ridicule absolu du sérieux. Dans lequel je tombe instinctivement comme dans un refuge, de façon inconsciente. Par pur mimétisme de ce que j’imagine du sérieux. Monsieur Loyal n’arrive pas à occulter Auguste. Mais Auguste ne peut exister que parce que Monsieur Loyal croit dans son propre sérieux. Puis-je me passer du sérieux comme de la fantaisie ? Que se passerait-il sans ces deux-là ? Ce ne serait pas facile. Ce serait même difficile. Je ne peux pas me passer du sérieux comme je l’entends pour accéder à une possibilité de fantaisie.

Ai-je donc besoin de la fantaisie à ce point ? Ne suis-je pas fatigué de la fantaisie après toutes ces années ? Est-ce que je ne suis pas victime d’une de mes croyances et qui ne cesse de me dire que si je perds la fantaisie, je perds tout, qu’il en sera complètement fini de moi, que je ne serai plus qu’un bidule tournoyant encore quelques instants avant d’être aspiré par le maelström d’un évier qui se vide ?

Ai-je besoin de fantaisie, et d’abord qu’est-ce que j’appelle fantaisie ? Ne serait-ce pas plutôt de la magie ? Cette vieille et chère chose qui vient de l’enfance et sur laquelle je n’ai jamais pu tirer un trait définitif ? La croyance en la magie comme résistance farouche au sérieux, à la tristesse générale du monde. Encore que je dis « triste », c’est encore un point de vue. Le monde n’est pas plus triste que gai, dans l’absolu ; il n’est qu’une constellation de points de vue, et qui peuvent se modifier suivant telle ou telle circonstance. La victoire du Paris Saint-Germain. Le couronnement d’un roi cacochyme. Un film de Stanley Kubrick, réalisé en 1969 pour faire croire à un alunissage. La montée des eaux, la baisse du pouvoir d’achat. Le passage à l’euro. La chute du CAC 40, l’invention du twist, du sextant, du fil à couper le beurre, du rouleau de caoutchouc pour éplucher l’ail. La liste est longue, et surtout infinie. Car on invente toujours quelque chose de nouveau depuis la nuit des temps. Le monde peut être aussi bien triste que gai, suivant le bout de la lorgnette qu’on prendra pour l’observer. Et on le sait : l’observateur fait intégralement partie, désormais, de l’expérience. Ça change la donne, désormais, de le savoir.

Si Magellan, Christophe Colomb, Hitler l’avaient su, le monde serait-il ce qu’il est ?

Cette tendance fâcheuse à épuiser le propos, à le presser jusqu’à la dernière goutte. Pourrais-je m’en passer facilement ? Je ne le crois pas, car cette façon d’épuiser les choses me sert de pensée. Si je n’épuise pas aussitôt une idée qui passe, je n’ai pas de pensée. La pensée est synonyme d’épuisement. Voilà la vérité vraie.

Pourrais-je me passer de penser, alors ? J’y ai souvent pensé. J’y pense encore. Être silencieux et tout entier dans la sensation d’être là : situation parfaitement intenable. Je ne peux tenir longtemps ainsi ; je m’écroule dans la pensée presque instantanément. Certaines personnes ne supportent pas le silence. Elles ne peuvent tenir dans le silence. Elles s’effondrent dans la parole. Peut-être parce qu’elles ont une vision trop exiguë du silence. Une vision qui les inquiète, qui les met mal à l’aise. Puis-je me passer facilement de cette sensation de malaise provoquée par le silence, ou bien n’est-elle pas plutôt consubstantielle à ma propre parole ? C’est-à-dire que sans malaise je ne pourrais jamais aligner deux mots. Sans malaise, je serais muet totalement.

Est-ce si gênant d’être muet totalement ? Il faudrait en rechercher l’avantage plutôt que les inconvénients. Ceux qui ne parlent pas ont l’air de penser bien plus de choses et beaucoup plus profondément que ceux qui parlent sans arrêt. Ils imposent un certain respect, une sorte de crainte, un malaise. Ceux qui ne parlent pas me font toujours beaucoup parler. Pourrais-je changer cela une bonne fois pour toutes ?

Est-ce utile, vraiment, d’être doté d’un tel réflexe pavlovien ?

Une difficulté de classement se fait jour. Classer les choses dont je peux me passer. Les ranger dans des boîtes, les monter au grenier ou les descendre à la cave. Peut-être qu’une fois que ce sera fait j’y verrai un peu plus clair.

Est-ce si utile d’y voir clair ? Il me semble aussi que dans ma vie, plus j’y ai vu clair, plus je me suis rendu malheureux. Est-ce si utile de se rendre ainsi malheureux pour y voir clair ?

Pour continuer

Carnets | mai 2023

Disparitions

Je relis de vieux articles, pas fameux. Tout en bas, une ou deux personnes semblent s’y être arrêtées. Je clique sur leur avatar, curieux de voir ce qu’ils font sur WordPress. Et je tombe sur : L’auteur a effacé son site. Évidemment, ça m’embarque dans les allées d’un vieux cimetière, peut-être celui du Père Lachaise. Il y a les tombes célèbres, les visites obligées. Mais ce que je garde en mémoire, c’est l’émotion particulière face à une sépulture anonyme. Une dalle fendue, un nom presque effacé. Parfois, juste une nuance de terre signale qu’un corps repose là. Voir un site “effacé par son auteur” provoque un trouble semblable. Je pense à septembre, au blog que je n’ai plus envie de renouveler. Trop cher pour ma modeste bourse. Comment quitter la table avec élégance ? J’ai tout sauvegardé, au cas où WordPress décide de tout effacer à l’échéance. Peut-être que je remettrai tout en ligne ailleurs, chez un hébergeur plus abordable. Ou peut-être qu’il faut accepter de tourner la dernière page, pour pouvoir en ouvrir une autre. Ou peut-être que je ne toucherai à rien. Et je verrai bien ce qui se passe. C’est plutôt ça, mon style : faire avec.|couper{180}

Carnets | mai 2023

31052023

Une chose est importante quand on veut raconter des histoires, c'est de ne pas perdre le fil de celle-ci. Tous les menteurs savent le risque de se couper ainsi qu'il est d'usage d'employer ce mot. Mais si l'on utilise ce risque comme ressort de l'histoire, que se passe t'il ? Admettons un écrivain qui perd la mémoire de son histoire, qui du jour au lendemain ne se souvienne plus du nom de ses personnages, de leurs biographies fictives et qui passe son temps à tout modifier... non par malice bien sûr, mais parce qu'il ne peut faire autrement désormais. Comme en peinture le doute et l'hésitation provoqueraient un flop à coup sur. Donc c'est en assumant totalement cette perte de mémoire, en y allant à fond que ça risque d'être vraiment attrayant. En tous cas au moins pour celui qui écrira cette histoire. A part ça je suis passé à la clinique hier, quelques coups de laser dans chaque œil et un éblouissement fameux à la sortie. Heureusement, mon épouse m'a prêté ses lunettes de soleil. Il y avait un protocole à suivre avant l'opération que j'ai complètement zappé évidemment. Il fallait prendre une série de gouttes quelques jours avant et je fus penaud d'avouer au toubib que j'avais fait l'impasse. A un moment j'ai cru qu'il allait reporter le RDV au moins suivant. Mais non, restez là je reviens, il m'a flanqué des gouttes à lui dans chaque œil j'ai eu l'impression de passer un portail. tout est devenu supersensible, y compris les défaillances d'un spot du plafond que je n'avais pas remarquées auparavant. Ensuite une vingtaine de minutes d'attente pour laisser le temps à la pupille de se dilater et hop. Aucune douleur. Juste des éblouissements répétés. Fixez mon oreille gauche me disait le toubib... je ne voyais rien du tout, il fallait inventer, estimer une distance, une tête, une oreille et fixer l'œil sur cette création parfaitement imaginaire. "— juste un peu plus bas si vous pouviez" ajoutait-il parfois.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mai 2023

Assemblage

Lire avec attention, mais en conservant du recul. Noter au fur et à mesure des groupes de mots qui paraissent déjà vus, bizarres, plats, comiques, illogiques. Et les mettre les uns derrière les autres à la queue leu leu. voir ensuite ce que ça fait. Grand mythe fondateur. Symbole de vie. Puissance magique. Dispensateur de bienfaits. Œuvre d'art comme telle. Savez-vous que. A travers. Vous apprendrez. Découvrez le lien. Découvrez enfin. Comment [...] pour mieux. Enregistrez ce produit. Partagez votre achat avec vos amis. A défaut de prétendre. Pour aller vers le réel. Les obstacles auxquels il se heurte. Dans le cadre de. Son vrai titre. Le garant du système. Conduire une politique. Représenter l'institution. A double-titre. Un organe de presse. Nombreux déplacements. Le côté professionnel. Inciter les citoyens. Lire la presse écrite. Corriger les inégalités. Un regard collectif. Nous ferons le nécessaire. Dans ce style qui le définit si bien. Un récit passionnant. Dont on ignore encore tant de choses. Accablé de chagrin. Il s'est retiré dans la solitude. Il commença à se dire qu'une nouvelle vie était possible. Retrouvant ses reflexes. Une tragique pollution. Protéger des malversations. En laissant courir les rumeurs. Une malédiction pèserait sur la ville. Une réalité objective. Commentaire autorisé et décryptage. Si l'on doit caractériser. Un angle mort. Un policier abat un jeune homme. Toute une population. Le contrôle au facies. Positiver le négatif. C'est une simple bavure. Un plan social. Une affaire de mœurs. La légitime défense. la tyrannie du politiquement correct. Un lynchage médiatique. Un quartier sensible. Coller à son époque. Des instances de médiation. La voix de son maître.|couper{180}

Autofiction et Introspection