11.Avancer à l’aveugle.
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—L’évidence est souvent ce que nous ne voyons pas. je sais déjà que tu vas me dire que c’est une réflexion banale, mais réfléchis un peu sur ce que tu appelles banal. Comment tu te dépêches surtout à vouloir toujours tout rendre banal.
Car la banalité est un manque d’attention, un manque d’approfondissement de la notion de banal telle que toi tu as décidé de considérer de ce qu’elle devait être.
C’est la volonté de toujours s’élancer vers du nouveau, vers de l’original qui finit par rendre banal les êtres et les choses.
Plus précisément c’est un déséquilibre dans le temps et l’espace, crée d’ailleurs à cet escient.
C’est par ta non-résistance, ta non-opposition à l’incarcération dans l’espace-temps que tu deviens la proie de l’ennui, de ce sentiment de répétition, de la dépression et que tu finis par te résoudre à trouver cette prison banale.
La plupart des gens nomment cette prison leur vie, ou le quotidien. Cela fait partie du programme implanté.
Au début de ton existence tu as la sensation de vivre un miracle, et puis celui-ci s’évanouit et tu passes ta vie ensuite à vouloir retrouver par tous les moyens le souvenir de ce miracle, tu imagines pouvoir le récupérer intact, et l’entretenir comme une braise, Cependant tu ne te rends pas compte à quel point tu le dénature à quel point tu le recouvres de nostalgie, et de regrets.
Tu sens bien que tu te laisses aspirer par quelque chose de glacé et d’indifférent. Et surtout tu acceptes de penser que tu ne peux plus rien y faire.
C’est comme un mauvais rêve dans lequel on s’enfonce progressivement.
Les lieux et les temps alors se superposent, se mélangent, cela finit par faire de la boue.
Et de cette boue surgit un golem, une chose dépourvue d’âme, un objet de vengeance que d’autres que toi et même toi, utiliseront à leurs propres fins.
— Mais qui sont ces autres dont tu parles ? demandai-je à Maria non sans un certain malaise, car j’avais formé la certitude qu’elle était complètement folle frappée désormais par une paranoïa aigue.
— Tu crois que je délire me dit-elle alors comme si elle pouvait lire dans mes pensées.
Puis elle se mis à sourire et je vis la femme que j’avais toujours eu envie de voir et je me mis à sourire moi aussi.
Ce jour là nous marchâmes longtemps au bord du fleuve. C’était le début de l’automne 1978, l’année de mes 18 ans. Je ne sais plus si j’étais animé par le désir ou par des sentiments plus profonds mais, me connaissant, j’opterais pour cette obsession de vouloir toujours combler le vide et le manque.
Et bien sur, lorsque je veux m’en souvenir , j’éprouve toute une galaxie de sentiments confus encore aujourd’hui.
Une galaxie qui tourne autour de la honte, de la culpabilité, du manque de confiance en moi, cet amalgame qui constitue le soleil noir de ma jeunesse.
— Il te suffira d’écouter ton cœur, m’avait soufflé Maria lorsque je m’étais ouvert à elle, ce jour là, lorsque j’avais osé lui parler avec confiance de mes plus grandes craintes. J’avais alors eu cette impression de me livrer à elle pieds et poings liés je m’en souviens très bien. Mais l’intention n’était vraiment pas si noble que je voulais qu’elle soit.
En fait ce n’était rien d’autre qu’un test. Car pouvais-je réellement faire confiance vraiment à qui que ce soit ?
"Il te suffira d’écouter ton cœur"
Comme cette phrase alors m’avait parue banale, insignifiante, comme une rengaine automatique déjà entendue mille fois.
J’avais hoché la tête en me disant : Ainsi donc elle aussi me parle de ce cœur qu’il s’agit d’écouter pour que le miracle advienne ? ce miracle que je ne vois jamais.
j’avais été déçu car cela ne me disait rien, ne me livrait aucune clef.
Je crois même qu’une fois cette phrase prononcée par la seule femme avec laquelle j’étais heureux de me sentir bien, je retrouvais aussitôt toute l’étendue de ma solitude, ce cachot dans lequel on contraint les récalcitrants à s’enfermer eux-mêmes au sein même de l’établissement pénitencier que représente le monde d’ici-bas. Poupée russes.
Cette sensation soudaine provenait du doute. A 18 ans je doutais déjà de tout comme je doutais de moi-même. Le monde tout entier était le miroir de ce doute que je ne cessais de trimbaler comme un caniche au travers mes perpétuelles errances.
L’errance n’a t’elle jamais servi à autre chose vraiment qu’à me fatiguer, à éreinter mon corps et mes pensées et ce fameux cœur dans les rues de la ville ?
Maria disparut à l’instant même où le doute m’entrainait à formuler les pires hypothèses parmi lesquelles la folie, ma propre folie n’était pas à exclure.
La nuit tomba brutalement à cet instant précisément où je me retrouvais seul sur les berges du fleuve. Je me pinçais pour éprouver la douleur réelle d’être vraiment là, mais j’étais déjà trop habitué à celle-ci. Le doute persista, et je ne savais plus si j’avais tout inventé ou si un détail si infime fut-il put être relevé pour me conduire à me rassurer quant à la réalité du monde et de moi-même.
Au début je ne fais pas attention à la nuit qui tombe ainsi comme un couperet. C’est tellement banal qu’elle tombe ainsi, sans même qu’on y prenne garde tant nous sommes tout entier dans nos pensées.
Pourtant quelque chose me semble étrange tout à coup.
Je me retrouve dans une obscurité absolument totale. La ville lumière elle-même s’est évanouie.
Je me demande s’il ne s’agit pas d’une panne d’électricité générale. Mais en tendant l’oreille j’entends les pas des passants,, leurs rires, leurs paroles, leurs disputes lorsqu’ils passent près de moi.
Comment peuvent-ils donc être joyeux et querelleurs dans cette obscurité totale ?
C’est à ce moment que je comprends aussi que je devenu aveugle soudainement. Je tâtonne pour m’asseoir pris d’un vertige et reste ainsi un long moment à écouter le bruit du monde, à renifler son odeur. Une odeur de pourriture monte du fleuve devant moi.
Puis tout à coup en levant la tête je vois des lueurs au début imprécises, des milliards d’étoiles scintillent, je ne peux voir que cela. Et c’est étrange car normalement les lumières de la ville nous l’interdisent.
Je ferme les yeux puis les ouvre à nouveau, les étoiles sont toujours là, je jurerais qu’elles sont "vivantes" et qu’une relation tente de s’effectuer entre elles et moi.
Je me laisse aller, je ne résiste pas. Je me sens tellement démuni par mes doutes et l’idée affreuse d’être devenu totalement cinglé.
Et là je décolle. Quelque chose m’emporte et je recouvre la vue comme auparavant. Paris sous moi devient comme un bijou scintillant dans son écrin, puis ce n’est plus qu’une pâle lueur sur la Terre.
Je continue à m’élever encore plus haut, l’altitude doit être inouïe car je vois désormais notre planète réduite à la taille d’un calot puis d’une bille.
Je me demande si je suis en train de mourir. Et au moment où je me pose cette question j’entends une musique merveilleuse qui se rapproche de moi, qui m’enveloppe et je crois reconnaitre alors la voix de la soliste qui surnage dans celle-ci.
C’est la voix de Maria.
Je la cherche, mais ne la trouve nulle part, je ne vois toujours que des milliards et des milliards d’étoiles tout autour de moi et au delà. Et elles semblent de plus en plus "vivantes" et chose extraordinaire c’est que plus je me rends compte de leur vitalité plus je découvre la mienne comme si un voile se déchirait et que toutes les mémoires que j’avais oubliées me revenaient toutes en même temps.
A cet instant changement de son, comme un tambour qui se met soudain en branle.
Et très vite, dans un même temps comme s’il s’agissait d’une seul instant présent de toute éternité, j’éprouve alors une joie sauvage, une vigueur formidable car je reconnais le son, la voix de mon propre cœur.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}