Sans doublure

Certains acteurs dédaignent qu’on les remplace par une doublure. Ils se feraient même plaisir, paraît-il, de prendre des risques parfois inconsidérés au regard de cascadeurs professionnels. Ne citons pas de noms, on s’en fout. Allons si possible à la substance. À la singularité. N’est-ce pas suffisamment singulier que d’être riche, célèbre , beau par éclaboussement, et de vouloir prendre autant le risque de tout perdre. En l’occurrence perdre au mieux la vie et toutes les qualités précédemment citées. Au pire, rester handicapé tout le reste du temps, ce qui ne change pas grand chose à la chute, c’est à dire tirer un trait sur quelqu’un ou quelque chose qui fut soi. Sans doute peut-on y voir de la témérité, un zest d’arrogance, du courage ou de l’idiotie. On peut, de loin tout y voir, et c’est en cela que l’idée de la doublure renforce la notion de singularité. Tout y voir pour ne pas regarder en face le singulier. Pour s’en échapper. Évidemment un rapprochement peut s’effectuer avec le peintre, l’écrivain. Hier encore pour jouir de la dernière journée sur l’île d’Andros nous avons décidé de nous rendre à la plage et de louer transat et parasol. Pas ma tasse de thé vraiment mais cela vaut le coup parfois de se faire violence, surtout pour faire plaisir à autrui. N’est-ce pas ce qu’on nous enseigne au catéchisme, de devenir finalement une doublure acceptable épargnant ainsi l’autre de l’horrifique qu’exprime souvent notre nature contrariée. Évidemment qu’à première vue me retrouver à marcher pieds nus sur du sable bouillant et me faire rôtir la couenne entouré d’estivants alanguis ne me chaut guère. Alanguis non pas par le paysage magnifique, pas plus que sur cette presque imperceptible ligne d’horizon. Non, alanguis surtout dans la contemplation quasi permanente de l’écran de leurs smartphones. Et à subir également la vision du ballet bizarre des corps se retournant lascivement comme des steaks doués d’autonomie, non, évidemment ce n’est pas là, la la lère, la première idée que je me fais de la sinécure. Ce qui est le plus dur est d’être là allongé et de ne rien faire, sauf aller de temps en temps se rafraîchir, se baigner, pisser en toute impunité, joyeux, dans la mer. Heureusement pour moi nous sommes nantis d’une incroyable vie intérieure. Quand je dis nous j’inclus tout un tas de choses et d’êtres, l’inconscient. Et justement ayant visionné plusieurs entretiens la veille au sujet du réel, ma préoccupation du moment, j’en ai déjà parlé dans un billet précédent, je me mis à réfléchir, ou plutôt non, trop grand mot, à rassembler les morceaux de pensées éparses qui montaient de mon ignorance naturelle concernant à la fois la peinture, l’écriture, la philosophie, sur le sujet. C’est d’ailleurs à ce moment, autour de 13h30, cherchant l’ombre et m’y recroquevillant que je me suis dit que la philosophie me faisait chier. Je veux dire qu’assister à un débat entre Raphaël Enthoven et Clément Rosset, par exemple, avait même repousser mon point de vue sur l’idiotie, qu’il rejoignait l’horizon. Considération si vaste qu’il ne me gênerait nullement d’y installer désormais les presque neufs millards de mes contemporains et d’expliquer par ce biais cette capacité d’idiotie, l’ensemble des turpitudes, vicissitudes et agissements de notre espèce. Suite à cela je suis passé à autre chose, à la peinture, et j’ai tenté d’imaginer ce qui avait pu se produire au mois de juillet de cette année là, 1890. Avait-il il voulu se tuer vraiment, et dans ce cas pourquoi se tirer une balle dans le flanc et non dans coeur ou la cervelle. Ce genre d’idée. Et aussi comment il avait dû en baver des ronds de chapeau quand tout autour de lui célébrait l’impression alors que son unique désir était d’empoigner le vrai pour de vrai. Puis est arrivé Pierre Michon. Il arrive parfois que je trouve agaçant Michon. Sans doute par ce que ce qui m’agace chez lui c’est son mépris de la rhétorique alors qu’il n’est que rhétorique, tout comme moi d’ailleurs. Et que cette rhétorique bien sûr est une foutue doublure. Le fait qu’à 37 ans il se lance soudain dans la rédaction des vies minuscules comme on se jette à l’eau, c’est bien émouvant pour le métèque que je suis. Émouvant, voilà un mot qui vaut. Parce que l’émotion Bon Dieu est bien là, sous cette agaçante réthorique, et dont Michon ne cesse de jouer. Ce qui me le rend d’autant sympathique qu’il m’agace dans le même temps. Dans le fond être sans doublure, est-ce vraiment possible autrement qu’au cinéma, c’est une question encore à creuser comme on creuse un timbre poste.

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre