Les sommets et les gouffres

DSC_1119Auteur Patrick Blanchon

Reprise d’un texte écrit en 2018.

Suivre un chemin pour se rendre compte de l’existence du relief. Autrefois cette insistance sur les mots spirituel, artistique. Comme s’il ne pouvait y avoir que ces chemins là possibles. C’est beaucoup trop se limiter. Par crainte. C’est surtout s’égarer. N’importe quel chemin fera bien l’affaire pour prendre conscience des hauts et des bas. Des sommets et des gouffres. Mettre la barre trop haut est propre à la jeunesse. Comme la mettre aussi trop bas chez les vieillards. C’est de ne pas connaitre sa force et vouloir la connaitre qui oblige à se fourvoyer avec de tels mots. Qu’en est-t ’il désormais. Le fait de penser que tous les chemins se valent indique un apaisement. Ce n’est pas le chemin qui importe mais comment on marche sur celui-ci. Avec quelle vigilance, quelle attention. Avec quel sentiment de peur ou de confiance. L’endroit où l’on imaginera se rendre ainsi ne semble pas non plus d’une importance capitale. S’il y a toujours dans notre esprit cette obsession de l’endroit c’est qu’il y a encore un envers.

Se résoudre à cette modestie qu’est l’ignorance des raisons de l’autre pour expliquer ses actes. Ne rien interpréter, ne pas se mettre à sa place pour pérorer sur une action. Serait-t-elle définitive comme le suicide. Toutes les explications biographiques concernant le suicide de Nicolas de Staël, n’expliquent pas grand-chose. De même lorsque le narrateur de la "confusion des sentiments " de Stéphan Zweig évoque, en introduction, ce gros livre constitué par ses étudiants, et qui rassemble tous ses travaux universitaires jusqu’à la moindre des annales. Il s’interloque de la même façon. L’essentiel est omis. Il faudrait—dit-il— en revenir aux cellules du corps. Il n’y a qu’elles qui connaissent la véritable histoire de toute existence.

On explore un gouffre au même titre qu’un sommet. C’est sur le chemin. Ensuite rien ne dit qu’on ne s’arrête pas là. On peut tout aussi bien finir sa vie au sommet qu’au plus profond d’un trou. ( seconde solution beaucoup plus réaliste, en tous cas bien plus commune que la première) A part chez quelques peuplades (en voie d’extinction ou d’acculturation— mais n’est-ce pas la même chose) qui placent leurs morts en haut de monticules ou au sommet des arbres.

Une mauvaise journée de peinture est un gouffre en miniature. Sans doute est-ce aussi la raison de ce titre, de ce texte. Une journée où malgré les efforts on ne parvient à rien de satisfaisant. Tout simplement parce qu’on cherche encore une satisfaction. Que si elle ne vient pas on se sent dépossédé de la récompense habituelle. Dans ces cas là se souvenir qu’on a quitté les bancs de l’école depuis belle lurette peut aider un peu. Que ce système d’efforts— récompensé par un bon point, une image, un baiser—nous a pourri la vie tout à fait convenablement durant des décennies avant d’en comprendre les tenants et aboutissants. Mais aussi probable que les choses ne soient plus comme cela désormais. Que ce qui est mémorisé appartienne à un autre monde, disparu, que ce monde nouveau se fiche royalement des bons points, des images, des baisers. Que la seule chose qui compte c’est l’argent. L’argent comme étalon des réussites comme des échecs. C’est le gouffre dans lequel tous ensemble serons parvenus. Avec la même inadvertance qu’au tout début, lorsqu’on imaginait industriellement avoir découvert un sommet.

S’extraire d’un tel système de récompenses/ punition, demande des nerfs. Trouver sa joie personnelle dans une résistance effectuée dans l’urgence en ralentissant toute vitesse , un luxe. C’est à dire que même au fond du gouffre dans lequel ce luxe nous aura mené, on ne peut pas vraiment se donner le droit de râler. C’est surtout parfaitement inutile avant d’être incongru. On est obligé de considérer les choses avec la tête froide. Que ce gouffre correspond à un sommet tous deux inventés pour parvenir à une mesure. LA mesure de nous-mêmes. Et que si les nerfs lâchent c’est aussi qu’ils doivent lâcher. Comme il arrive qu’une branche se rompe en pleine croissance d’un arbre, que la foudre en foudroie plus d’un au hasard, que nous ne savons absolument rien des lois de ce hasard. Qu’il ne faut pas céder à la peur mais au contraire s’accrocher à la flamme qui nous a déjà entrainé jusque là. La voir au moins, sinon en comprendre la raison, l’intention. La voir en acceptant que toutes ces choses ne nous regardent pas. N’est-ce pas cela la modestie de l’ignorance, qui rejoint tellement d’autres, celle de l’ouvrier qui se lève aux aurores pour aller gagner par tous les temps son pain, celle du paysan, celle du voleur comme celle de l’assassin.

Peindre est un chemin comme écrire, lire aussi.

Mircea Eliade auteur du "chamanisme et les techniques archaïques de l’extase" semblait être un type épatant lorsque son ouvrage me tomba entre les mains aux alentours de mes 17 ans . Des années plus tard j’appris qu’il s’était largement compromis en faisant partie de la garde de fer roumaine. Quelle déception. Toute une montagne qui s’écroule. il faut lire Arendt sur le procès Eichmann pour découvrir comment les collabos roumains étaient parmi les plus féroces de tous. Et cela ne s’améliore pas par la suite. Eliade sera proche de la nouvelle droite française qui influencera un Patrick Buisson conseiller de Sarkozy. Jeter ses livres aux ordures aura été impensable. Bien trop de respect pour l’objet livre. Mais ils sont restés fermés depuis lors. Jamais je n’ai pu les relire. Ce qui désormais me semble ridicule. Comme si les gens étaient fait d’une seule pièce. Ce dont on s’aperçoit aussi avec le temps, de cette complexité des autres comme de la notre. Dans les amours, les amitiés aussi il y a ces mêmes sommets et ces gouffres mais qui ne sont crées que par nos attentes, nos espoirs et bien sur nos déceptions. Carlos Castaneda en revanche est un bon vin qui vieillit et dont parfois on peut renifler l’arôme en ouvrant un de ses livres. Ce doit être sans doute l’auteur que j’ai le plus lu et relu entre 30 et 40 ans. Sans y comprendre grand-chose à la vérité. Mais il y avait un mystère tellement séduisant. Cette séduction aussi est du même ordre que les couleurs des fleurs pour les insectes. Le but final étant le transport du pollen, d’une essence, que celui-ci tombe au petit bonheur la chance est aussi une donnée que prend en compte la nature. La fameuse abondance, ou générosité de celle-ci ne sert qu’à se prémunir du risque de la perte définitive d’une espèce.

Donc les gouffres ne sont que création de l’esprit comme les sommets. Et ce n’est pas parce que l’on découvre cette évidence qu’il faille considérer la platitude comme seul refuge possible. Comprendre la nécessité de ces illusions, leurs tenants et aboutissants, et vivre avec strictement comme avant. Débarrassé de quelque chose cependant, tout en en récupérant une autre, pour l’instant indicible. Puis, de plus en plus, au fur et à mesure, une fois détectée, l’intuition que ce qui est indicible doit le rester.

Post-scriptum

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre