Les histoires

Peut-être qu’il ne faut pas avoir d’histoire. Pas vraiment d’idée non plus. Surtout pas ces idées que l’on croit d’emblée originales. Peut-être qu’il ne faut rien de tout cela. Peut-être suffit-il de s’asseoir. D’écrire ce qui nous passe par la tête. C’est déjà tellement difficile. S’encombrer d’une histoire ajoute encore à cette difficulté. Ecrire ce qui vient sans avoir peur de le voir s’écrire. C’est déjà énorme. Evidemment c’est une façon un peu étrange de considérer l’écriture. Ecrire sans autre but vraiment que celui d’écrire. Observer comment les mots arrivent sur la page. Etre fasciné en premier lieu sur la manière dont ils se déploient. S’étonner qu’ils veulent dire quelque chose que l’on n’avait pas prévu de dire. N’est-ce pas déjà une aventure se suffisant à elle-même. Alors pourquoi en rajouter, pourquoi chercher des histoires, pourquoi cette obstination vers l’ intrigue, les personnages. Pourquoi aussi se creuser la cervelle à créer un plan que l’on ne suivra pas. Pourquoi ce manque de confiance total dans la notion de rebondissement. Ensuite regarder tout ce qui est écrit de cette manière et se demander si cela peut faire un livre. Un livre digne de ce nom. C’est là que ça coince régulièrement. Une constante, un mur. De l’ordre du mur de Planck. Parce qu’on voudrait déjà savoir à l’avance. On voudrait déjà avoir l’idée du livre. On ne lui laisse même pas le temps de naitre que déjà on l’affuble d’un tas d’adjectifs qualificatifs, de substantifs. En gros tout cela constitué de nos espoirs ou frustrations. De notre désir insupportable. J’ai toujours pensé que l’histoire viendrait en second. Si toutefois l’histoire doit venir, j’ai toujours espéré qu’elle viendrait ainsi. Je ne saurais pas expliqué pourquoi vraiment. Comme si le verbe agir primait toujours sur cet autre qu’est réfléchir. Comme si réfléchir s’était s’écarter pour créer une chose qui justement empêchait d’agir. Et donc j’ai écrit sans avoir d’idée, sans avoir d’histoire sur lesquelles m’appuyer. Ecrire sans prétexte. Sans filet. Comme on plonge dans l’eau directement sans prendre le temps de mesurer sa température. Advienne que pourra. A plusieurs période de ce parcours bizarre, je me suis arraché les cheveux. Merde mais elle est où ton histoire. C’est ce que je me suis dit. Et pas une fois. Mais mille au moins. Je sentais cette pression. Terrible. Elle est où l’histoire qui te permettra de valider tout cela enfin. De te donner l’impression d’être parvenu au but. De publier un livre. J’ai tenu bon quand j’y pense. Le doute, et l’obstination. Cocktail impeccable pour accéder à l’ivresse de l’idiotie si l’on veut. L’idiotie souvent est le mot qu’emploient les autres pour qualifier quelque chose qu’ils ne comprennent pas. Qu’ils ne veulent surtout pas comprendre. Parce que ça les dérangerait trop. Les autres et tous leurs mots. On les porte en soi bien sur. On ne s’en débarrasse pas si facilement. Donc on devient idiot au bout du compte. Il faut bien savoir ce que c’est. Etre idiot par défaut Avant même d’écrire le moindre mot. Ca ne s’arrange pas par la suite. Pas vraiment quand on pense à tout ce que l’on a écrit. Sans qu’aucun livre ne soit posé sur la table pour expliquer tout cela. Peut-être est-ce pathologique de trouver insupportable ce qui est déjà prévu d’avance. Je veux dire avoir une idée, faire un plan, écrire, relire, réécrire, nommer la chose roman, essai, recueil, et le publier sans ciller. Comme une réticence à tout projet, ne pas avoir envie de se projeter, de projeter quoi que ce soit. Une fois j’ai voulu projeter quelque chose, je crois que c’est une des toutes premières fois de ma vie. En tous cas je n’avais pas encore fêté mes 7 ans. L’âge de raison soit disant. Nous étions à la fin du marché, à Montrouge. Je me souviens de ce moment avec une exactitude extraordinaire. Ce fond de l’air un peu plus frais qui, cette année là, devait se sentir des le début septembre. Avant le 15 probablement. Puisque je devais toujours être en vacances chez mes grands-parents à Paris. La fin du marché. Des piles de cageots éparpillés un peu partout. Déjà quelques silhouettes en train de farfouiller pour récupérer des légumes abimés, des fruits talés. Et les agents de la voirie qui s’affairent, commencent à nettoyer. Gyrophare de leur véhicule. Le bruit du jet d’eau puissant pour nettoyer la crasse de l’évènement. Par là-dessus, un sentiment de désœuvrement. Se retrouver là, bras ballants, à regarder ahuri toute la scène. Nous nous étions levé si tôt le matin même. J’avais aidé pour décharger les colis. J’avais aidé aussi à la vente des œufs frais. Tablier blanc crayon de bois sur l’oreille. Et puis soudain après l’enchainement des actions, le fait d’avoir remballé dans le camion, ce petit moment où l’on subit comme un choc de ne plus rien avoir à faire. Il faut un moment pour s’en rendre compte. Une fin de marché cela fait drôle. C’est comme si on restait encore un peu après un spectacle et que l’on observe les acteurs remballer leur décor. Ce qui reste à la fin, une place vide, une surface humide et brillante par endroit. L’odeur du désinfectant. Un fruit au sol. Un fruit de bonne taille. Une grosse orange. La prendre dans la main pour la soupeser, machinalement. S’étonner aussi de voir une orange trainer là par terre. Elle est un peu abimée, mais quand même. Ce que c’est dans notre famille que l’orange comme symbole. Un crève-cœur. Donc une sorte de fin du monde, une fin de quelque chose, spectacle ou pas. Et puis soudain cette orange par terre. Un vrai désastre. Un symbole posé là pour être piétiné, écrabouillé. Peut-être alors que tout ce flot d’émotions, de pensées confuses subit en plein centre de la stupeur. Peut-être est-ce une raison. Tout cela envahit la tête et le cœur d’un seul coup, en même temps. et on ne peut lutter. Cela paralyse encore plus. Alors que faire sinon ramasser l’orange comme un somnambule. La jeter vers le ciel le plus haut possible. Désirer la voir s’élever vers les nuées. Oui mais la loi de la pesanteur. L’orange retombe sur le front d’un enfant là-bas à l’autre bout de la place. Cris, larmes, claques. Un attroupement. La victime ne mourra pas ce jour là quand même. Plus de peur que de mal. Par contre ce qui meurt en moi probablement c’est l’envie de projeter quoi que ce soit à partir de cet instant. Cette explication est bizarre bien sur. A première vue elle semble bizarre. On se demande si on peut se fier à ce genre d’explication. Et plus on se demande plus on s’aperçoit du peu d’écart entre le mot bizarre et le mot réalité. Ou du moins qu’il existe une sorte de réalité parallèle à la réalité ordinaire. Et cette autre réalité ne s’avère jamais autant authentique que par sa bizarrerie. Qu’aucune autre symboliquement n’a autant de force pour parvenir aider à comprendre le refus de tout projet désormais. Avant d’avoir atteint l’âge de raison. Avant 7 ans. Et tout cela au niveau inconscient. Parce que dans la vie de tous les jours, je suis quelqu’un qui a l’air raisonnable de temps en temps. Evidemment, j’ai des projets comme tout le monde. Si je dis : je vais aller chercher le pain, j’y vais tôt ou tard.

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Faites au mieux

—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}

Faites au mieux

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Se lancer

D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}

Se lancer

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Tendre

travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}

Tendre