Ecrire sous la contrainte

Admettons deux hommes en présence. Un bourreau et sa victime. Admettons aussi une pièce de taille modeste, sorte de lieu propice aux interrogatoires. Admettons que l’éclairage ne provienne que d’une simple ampoule au plafond. Admettons que la première question du bourreau à sa victime soit :
— Parlez-moi de ce que vous savez de l’Antarctique.
C’est à dire précisément ce dont j’aurais le moins envie de parler. Ce dont je ne dois absolument pas parler. Que se passe t’il alors.
Sachant que nous savons tous les deux que je sais quelque chose sur l’Antarctique évidemment. Que cette première question n’est posée que pour conférer le cadre de l’ interrogatoire comme son but. Et ce d’une façon claire et directe. A savoir parler d’une chose dont je ne désire absolument pas parler surtout ici et en ce moment. Dont il vaudrait beaucoup mieux que je ne parle pas. Dont il m’est impossible de parler surtout dans les circonstances actuelles.
C’est à dire en raison de l’actualité brûlante et l’apparition de certains signes, indiquant d’une manière indubitable que le changement est sur le point de devenir visible autant qu’inexplicable. Inexplicable dans les conditions habituelles où l’on a l’habitude de tout expliquer. C’est à dire par des constructions mensongères destinées à brouiller les pistes. Sous couvert de la science. Et ainsi de maintenir en place tout un système tirant sa puissance du secret. Ce secret permettant ainsi de matérialiser une frontière entre ceux qui connaissent ce secret et ceux qui de toute importance doivent l’ignorer pour que le statu quo se maintienne.
—Parlez-moi de l’Antarctique. La répétition de la question fait partie du jeu évidemment. Pour ne pas me laisser le temps de trop réfléchir, d’élaborer de stratégie, pour essayer de tuer dans l’œuf toute velléité de résistance.
Que cette résistance soit liée à des raisons toutes aussi réelles qu’imaginaires pour mon interlocuteur aussi bien que pour moi ligoté sur cette chaise fait probablement aussi partie des règles de ce jeu. C’est à dire qu’on examine à cet instant précisément les cartes que l’on a en main pour jouer. Et l’on se rendra compte à cet instant d’un ensemble de valeurs personnelles importantes sans lesquelles je perdrais à la fois mon intégrité et donc la vie.
Ma première réaction est donc de toiser mon questionneur en d’adoptant la mine de quelqu’un qui ne comprend rien à la question. Ce qui bien sur déclenche aussitôt sourire et agacement sur son visage. Comme s’il avait prévu ma réaction. Celle- reflexe- qui est comme d’habitude de ne jamais refuser frontalement quoique ce soit mais plutôt de mimer l’idiotie- non sans talent- pour essayer de prendre la mesure des contours de la certitude d’autrui. voire si possible instiller en celui-ci le doute que je sache véritablement quoi que ce soit sur le sujet.
— Parlez-moi de l’Antarctique. La question revient sans que le ton de mon interlocuteur ne change. Comme un mécanisme implacable qui semble être programmé pour déjouer nombre de ruses toutes aussi humaines qu’ordinaires.
Pour le moment je ne souffre pas vraiment. Je me dis que je peux encore conserver le silence. C’est à dire tant que je pourrais trouver refuge dans ce silence, la résistance gagnera du temps et ainsi peut-être aurons-nous une chance, si mince soit-elle, de faire voler le système en éclat. De dévoiler en tous cas son mensonge au plus grand nombre. Est-ce que je suis vraiment prêt à donner ma vie pour cela, probablement. La vérité est à ce prix. Et puis qu’est-ce qu’une vie à l’intérieur du mensonge, peu de chose, seulement un ersatz de vie.
—Parlez-moi de l’Antarctique. La question revient encore et encore. Sa raison d’être est de vouloir m’interdire toute pensée destinée uniquement à biaiser, gagner du temps et donc ne pas répondre. un cercle vicieux.
Et puis l’autre s’approche. Il a une seringue à la main, probable qu’elle soit rempli de sérum de vérité.
Ce que je trouve déplorable.
Il n’est plus nécessaire de serrer les dents, d’endurer des souffrances physiques comme autrefois les héros de la résistance. Une simple injection désormais et on racontera tout dans le menu évidemment. C’est sans doute ma dernière seconde de lucidité, l’ultime instant où je peux encore me considérer comme moi-même avant de devenir un moulin à paroles au service de ces monstres qui nous gouvernent. Oui possible que je dise tout ce que je sais et sans doute bien plus encore sur l’Antarctique.
J’en demande pardon d’avance à la cause.
—Papier, crayon, écrivez tout ce que vous savez sur l’Antarctique à présent.
Une dernière tentative pour faire l’idiot, mais déjà les mots surgissent, se pressent les uns les autres, un flot vertigineux, un tsunami. Toute la profondeur de l’Antarctique est là, au bout de la pointe de ce crayon que mon bourreau me tend
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}