Abstraction et démarche artistique.
"Sans titre n°7 (Orange et chocolat)", Mark Rothko 1957 (Collection Kate Rothko Prizel & Ilya Prizel )
Invoquer la paresse serait faire référence à la honte, voire à l’imposture ou à l’illégitimité du statut d’artiste-peintre lorsqu’il s’agit d’expliquer une démarche artistique en général, et dans le domaine de la peinture dite "abstraite" en particulier.
Je pourrais facilement me dire que je peins des toiles abstraites faute de mieux. Parce que je suis infichu de créer une composition figurative qui ait un sens suffisamment solide pour que je n’ai pas à le remettre en question le jour suivant.
C’est à dire avouer ouvertement la carence qui est la mienne en ce qui concerne le sens en général.
Ce fameux sens, ou thème, qui ne me renvoie jamais à autre chose qu’une opinion.
Opinion personnelle sur le monde que je trouve stérile lorsque j’y pense seul, et qu’il ne servirait à rien de vouloir propager.
C’est cet obstacle que je ne parviens pas à franchir dans la peinture figurative et qui me renvoie aussitôt à l’abstraction, à l’espérance qu’elle m’offre quant au mystère, à l’inconnu, à l’étrangeté. C’est à dire à quelque chose que je ne peux pas définir vraiment. Que je ne veux pas non plus définir dans le fond.
L’abstraction est une issue de secours. Elle me permet de m’évader de la dictature du sens. Et en cela elle me propose une nouvelle opinion qui se rapproche plus de l’idée que je me fais de la liberté.
Car si pour beaucoup de personnes profanes peindre des toiles abstraites c’est en gros faire "n’importe quoi" et comme je l’ai à un moment de mon parcours cru moi aussi, il n’en est rien.
Ce n’importe quoi c’est juste un lieu non indiqué sur une carte. Il n’y a pas de pancartes, pas d’indications claires, aucune signalisation pour pouvoir s’y rendre en toute certitude, en toute sécurité.
Il faut tout fabriquer soi-même, y compris l’exigence, les règles, le cadre, tout le tutti.
Donc parler d’une démarche artistique dans ce domaine est une gageure.
Car c’est souvent par la plasticité des formes, la juxtaposition des couleurs choisies en amont et travaillées sur la palette que l’expression surgit dans l’immédiateté du geste pictural. L’intention se découvre en aval.
Car beaucoup d’inconscient vient se poser là qu’il faudra ensuite prendre le temps de regarder, tout en évitant les interprétions faciles, les fameux clichés.
Et au bout du compte s’éloigner de plus en plus de ce besoin de donner un sens, qui ressemble beaucoup trop à vouloir contrôler, maitriser, s’accaparer, par le discours, le verbiage ce qui est offert en silence.
Il y a quelque chose de proche des mathématiques, de l’élégance mathématique dans ce que j’imagine être une bonne toile abstraite. Je dis cela et en même temps paradoxalement j’ai toujours été rétif à l’école justement dans cette matière. Parce que je crois qu’on en a fait un critère de sélection pour mesurer la capacité à obéir aux exigences du monde du travail. Dans ma jeunesse être "bon en maths" signifiait qu’on gagnait la possibilité de suivre une voie plus royale qu’une autre, d’accéder à des possibilités d’études et d’emplois par la suite qui nous feraient atteindre le haut du panier.
Je crois que mon rejet des mathématiques dans ma scolarité est tout bonnement une position politique dans laquelle ma naïveté m’aura installé.
Mes parents n’avaient pas les moyens de m’aider en mathématiques. Ils en ignoraient à peu près tout. En revanche je comprenais que les enfants des classes plus aisées se nourrissaient du partage des connaissances que leur famille leur transmettaient, que cela les étayait et ce sans même qu’ils en fussent conscients. Je me souviens de leur arrogance lorsqu’ils recevaient leurs copies avec " pff encore un 18 ou un 19/20" alors que je ne produisais que de très maigres résultats. J’avais honte d’appartenir à une classe de la société qui ne savait rien des mathématiques et cette honte provoquait une colère, un ressentiment exactement comme je l’avais ressentie chez mon père notamment.
Du ressentiment certes ... mais le désir de s’accaparer un savoir hors de portée aurait pu en jaillir, si une sorte de fatum ne l’avait pas empêché.
Je me souviens très nettement des propos de mon père lorsque je disais "je serai artiste" j’aurais très bien pu dire je serai mathématicien, il m’aurait dit la même chose
— Tu n’y arriveras pas.
Parfois je me demande pourquoi je ne suis pas mathématicien si le but avait été de vraiment m’opposer et en même temps prouver quoique ce soit à mon père.
Cependant je n’ai jamais perdu de vue cette idée d’élégance mathématique. Parvenir à résoudre des choses compliquées en cherchant la forme la plus simple et la plus belle en même temps.
C’est ce que j’ai fait avec la peinture abstraite je crois, cependant que je ne peux pas dire que je suis arrivé au but. Très peu de toiles finalement peuvent rivaliser avec la plus simple des équations en matière d’élégance, de beauté, de simplicité. Comme très peu de toiles peuvent rivaliser avec un vers de poésie.
C’est que j’ai une exigence très haut placée, sans doute beaucoup trop.
Ce qui entraine souvent ces crises après de brèves périodes d’enthousiasme.
Et bien si l’on veut vraiment parler d’une démarche artistique personnelle dans le domaine de la peinture abstraite il convient de dire que ce qui se passe sur la toile est l’exact reflet de ce qui se passe dans la tête du peintre.
La tentative souvent vouée à l’échec d’atteindre à l’élégance, au simple, en créant un univers qui n’a pas de sens commun à priori.
Un univers qui est dans attente d’un sens à venir. Que ce sens vienne ensuite de la bouche du peintre ou d’un lointain descendant dans l’avenir, peu importe. C’est là le secret de bien des mystères qu’avec ma peinture je tente de percer, en allant de défaite en défaite. En ôtant à chaque fois un peu plus de sens inutile, pour regagner des territoires vierges.
Post-scriptum
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Faites au mieux
—Faites au mieux… Phonétiquement j’eus un doute. Fête ou faites. Je perdis quelques heures en supputation sans oser demander de précision. Il vaut mieux ne jamais poser de question en réunion. C’est très mal vu. Les jeunes se font avoir régulièrement. Les jeunes posent des questions en réunion. Un ange passe. Les vieux sourient intérieurement. Mais ils ne le montrent pas bien sûr. Avoir un jeune en réunion c’est toujours une attraction à ne pas louper. Chacun doit faire sa petite expérience. Et Au mieux, OMIEUX ? était-ce le nom d’un lieu-dit où la fête se tiendrait si, dans mon incompréhension totale, en tâtonnant je dusse m’y rendre. Je me doutais que ce ne pouvait être si simple, et puis c’était illogique d’envoyer ainsi un employé faire la fête avec tout ce travail encore à faire. Je fis semblant de ne pas avoir entendu ce que je venais de penser et je hochai la tête en silence. Ce fut la réponse attendue. Un ou deux jeunes gens posèrent des questions saugrenues, des anges passèrent et repassèrent, les vieux furent, comme chaque lundi matin, hilares intérieurement. Je sortis mon calepin pour faire des gribouillis destinés à faire baisser la tension nerveuse, pour m'évader tout en étant là, pour être attentif autrement à tout ce qui pourrait se dérouler là. Mais tout de même cela me préoccupa durant quelques heures encore. Car ne faisais-je pas déjà du mieux possible à peu près chaque tâche qui m’incombait. Fallait-il faire encore faire mieux que d’habitude ? Fallait-il faire mieux que mieux, c’est à dire mal au final ? Un étrange doute accompagné de plusieurs soupçons naquirent comme des champignons après les pluies d’octobre, étaient-ils comestibles, toxiques, je me penchais encore des heures sur l’embarras du choix et fit chou blanc comme il se doit. A la fin de la journée je n’avais strictement rien fichu. Le directeur entra en trombe dans la salle, s’approcha du bureau derrière lequel j’étais et il me demanda :— alors c’est fait ? Sans ciller je hochais gravement la tête. Il exhiba un sourire satisfait. Ce qui était une chose excessivement rare pour être marquée d’une pierre blanche. Où allais-je dégotter une pierre blanche à cette heure cependant ? Je l’ignorais. Puis la semaine passa et nous passâmes tous en même temps à toute autre chose. C’est à dire à la semaine suivante. Nous avions tous fait au mieux sans nous appesantir plus qu’à l’ordinaire. Nous serions prêts pour la prochaine réunion hebdomadaire. Aucun incident notoire ne pourrait l’empêcher. A part la fin du monde si elle daignait arriver comme un cheveu sur la soupe. Encore qu’on peut encore avaler la soupe nonobstant le cheveu , quand on n’est pas bien fier, quand on veut faire au mieux, et surtout ne pas se poser de question insoluble.|couper{180}
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Se lancer
D'après une idée d'atelier d'écriture où je ne pense pas avoir tout compris du premier coup. Mais, je me lance tout de même Photo découverte sur l'excellent site https://www.michellagarde.com/ dans ses dramagraphies Il faut vous lancer… on ne sait pas comment vous le dire… et sur tous les tons… lancez-vous… Je mis un temps avant de comprendre qu’ils s’adressaient à moi. Ou du moins à eux-mêmes au travers de moi. Car il est extrêmement rare que l’on s’adresse vraiment à moi tel que je suis. Moi-même y parvenant une fois tous les dix ans et encore, assez difficilement Il fallait donc se rendre à l’évidence. Il fallait se lancer aussi dans cette approche. Je n’étais ni plus ni moins qu’un épouvantail, un homme de paille, à moitié Turc. Il insistaient sur la tête. Se lancer… ils me la baillaient belle. On ne se lance pas comme ça sans y penser. Sans y réfléchir. Sans établir de plan en tous cas. Peser le pour et le contre en amont mais aussi en aval. On oublie toujours l’aval. Sans compter qu’il faut en premier lieu une rampe de lancement. Une armée d’ingénieurs, des super calculateurs. Sans oublier la matière première, le béton, l’acier, le fer. Sans oublier la bonne volonté, une quantité très précise de hargne, ajouté à quelques soupçons de naïveté. Et puis c’est tellement trivial de le dire mais il faut tout de même le dire, pour se lancer il faut surtout le nerf de la guerre. Ça ne se trouve pas sous le sabot du premier cheval bai cerise venu. Tout une machinerie à mettre en branle, pour dégotter le fameux nerf. Sans oublier tous ces rencards. Rendez-vous chez le banquier avancez de deux. Rendez-vous à l’Urssaf reculez de trois. Sans oublier l’imprimeur, combien pour une publicité de lancement je vous prie. Et si je ne prends que le recto ? Attendez il me reste peut-être quelques pennies pour une ou deux capitales. C’est bien les Capitales pour lancer une campagne de lancement non. Ne pas être trop bégueule. Voir grand. Un flyer format A5. Avec en gros Demain, JE me lance.. Venez assister au spectacle. Deux francs six sous la place. Et ne croyez pas qu’il s’agit de l’homme Canon. Une vieille resucée de Luna parc. Rien de tout ça. Juste une tentative burlesque, tragique, comique ? Ah ah ah mystère et boule de gomme, vous le saurez si vous achetez le billet. Tarif promotionnel pour les Cents premiers : un francs vingt-cinq centimes seulement pour en prendre, EN AVANT PREMIERE , plein les mirettes. Lancez-vous ! laissez-vous tenter ! Venez nombreux assister au lancement.|couper{180}
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Tendre
travail d'élève, stage "oser, hésiter" mai 2023 Il faut tendre, sans être tendre, c’est à dire, ne pas céder comme le beurre cède au couteau qui rabote la motte ( négligemment le plus souvent) Il faut dire au couteau : Ce n’est pas parce que je compte pour du beurre qu’il faut en profiter ! Il faut tendre l’oreille, sans être dur de la feuille. Ceci étant dit si on tend l’oreille, ce n’est pas ce qu’elle va capter qui nous intéressera en premier lieu, mais plutôt se concentrer sur cette action machinale, vous savez, qui consiste à tendre une oreille. Comment tendre une oreille sans se casser les pieds, ou les casser aux autres, un enjeu de taille. Le placement du corps tout entier doit avoir une importance. Selon que l’on se tient de face ou de profil, on ne peut tendre l’oreille de la même façon. Idem si l’on est assis ou debout, voire allongé, et encore vivant ou mort, à dix-huit mètres de profondeur sous l’eau ou au sommet d’un poteau télégraphique. Le son frappe l’oreille suivent une règle de tangentes assez absconse mais bien réelle. Tendre du linge sur un fil demandera aussi un peu d’attention. Ne pas perdre de vue le fil, tout en tenant d’une main l’épingle, de l’autre la chemise— si c’est bien une chemise ( on peut le vérifier et modifier le mot ça ne changera pas grand chose sauf la phrase). Tendre vers le mieux, s’efforcer vers ça est à prendre avec des pincettes, sachant d’une part que le mieux est l’ennemi du bien et que d’autre part il faut savoir d’où l’on vient avant de prétendre se rendre où que ce soit. Mais si c’est vers un mieux, il y a de grandes chances que l’origine soit Un bien que l’on ne saurait supporter en l'étatUn mal que l’on cherche à renommerUne énigme, on ne sait pas d’où l’on part on se contente simplement d’emboîter le pas du plus grand nombre vers le mieux. Il faut noter les pistes consciencieusement pour ne pas s’égarer inutilement. Tendre vers une certaine précision, mais sans jamais l’atteindre de plein fouet, aucun carambolage n’améliore la précision. Aucun carambolage n’apporte quoique ce soit de bien précis si l’on n’en meurt pas, qu’on ne se retrouve pas hémiplégique, amnésique, amputé, groggy ou même indemne. On a juste assisté à un carambolage, peut-être même avoir endossé un rôle de premier plan, mais il ne vaut mieux pas profiter de l’occasion pour tendre vers la célébrité tout de même, où ce qui est la même chose, vers une idée toute faite. La précision ne s’atteint pas plus que la perfection, elle se rumine seulement, elle se rêve, on peut la désirer certes, la convoiter, mais la posséder serait beaucoup trop grossier. Tendre vers un soupçon de modestie à ce moment là si l'on sent que l’on s’égare, si l'on tend vers l'abus, l'extrême. Dans la tendance moderne d’arriver avant d’être parti, tendre est un verbe oublié. Enterré. Mais dont il faudra tout de même faire l'effort se souvenir pour ne pas sombrer à la fin des fins. Et puis par pitié, ne pas s’attendrir pour autant comme un bifteck sous le plat du couteau du boucher. Ne pas se ramollir. Quand bien même l'adversité produirait autant d' efforts démesurés pour nous nous maintenir dans l'ignorance ou dans l'oubli. Se réveiller le matin et toujours voir en premier inscrit sur un post-it qu’on aura collé sur la table de chevet la veille. TENDRE. En lettres capitales . Maître mot d’un début de journée . Ensuite si besoin est, se détendre en se levant, prendre une douche, un café si c’est absolument nécessaire. si l’on a pris l’habitude de s’imposer ce genre d’habitudes. Ce qui n’empêche nullement de tendre à les réduire voire les supprimer si elles ne vous servent à rien, si ce ne sont que de simples programmes installés dans la cervelle pour nous permettre de ne penser à rien.|couper{180}