Lovecraft
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Carnets | janvier 2024
07 janvier 2024
Il ne fait aucun doute et ce à bien des égards et malgré toute l’affection que je puisse encore vous témoigner, lorsqu’il me reste encore quelque éclat de lucidité, que je ne sortirai certainement pas indemne de cette aventure. La folie, tôt ou tard, viendra m’emporter et nul ne pourra l’en empêcher. Mais, avant que l’inéluctable n’advienne , il faut que je m’efforce de réunir toutes les pièces de cet effroyable puzzle dont je ne fait que découvrir, ces derniers jours , l’image générale, l’épouvantable dessein. « Le temps efface peu à peu les traces de mon passage », c’est ce que nous croyons tous. Mais, à la vérité rien de ce que nous avons un jour dit pensé ou fait ne disparait totalement. Les murs des villes, les avenues, les rues les ruelles les impasses , les escaliers des immeubles, les pièces dans lesquelles nous avons vécu notre existence dérisoire, toutes et tous conservent à jamais la mémoire de notre pauvre humanité qui les aura traversés . Des forces inimaginables et maléfiques s’incarnent à date fixe pour venir lire nos turpitudes, elles sont des prédatrices infernales, elles ne pourraient vivre sans venir se repaitre , à date régulière, de nos défaites ; de notre immense tristesse et dont elles tirent leur subsistance depuis des millénaires dans le plus parfait anonymat. Le seul fait d’écrire ces premières lignes dans mon journal m’épouvante déjà et me force à réunir le peu de courage et de raison qu’il me reste encore, sans oublier qu’ à la seule pensée de raconter mon histoire l’ombre s’étend déjà sur mes propos, je ne les reconnais déjà plus, une confusion désespérante s’installe entre chaque mot, et même pire, entre chaque lettre. D’ailleurs, en ce moment même perdure l’impression pénible d’écrire sous la dictée d’une de ces entités terrifiantes, dans un langage inconnu, des choses totalement absurdes. Pour me donner un peu de cœur au ventre il m’arrive souvent de repenser à ces moments si agréables et insouciants appartenant à cette enfance passée dans le bocage bourbonnais. Cependant, si agréables et insouciants m’apparaissent-ils toujours d’emblée, je sais à présent qu’ils ne sont, pour la plupart, qu’une fiction destinée à occulter la plus grande part de ma misérable existence à cette période de ma vie. La principale difficulté que je rencontre désormais pour me les évoquer c’est que je suis incapable de savoir quand cette fiction est de mon ressort, si c’est moi qui l’ai crée, ou si on me l’a implantée dans la cervelle comme on implante dans un système d’exploitation un programme informatique, une tâche de fond. Maintes fois la nuit je fus réveillé par mon instinct et ouvrant en grand les yeux dans le noir je parvenais à y distinguer des êtres encore plus noirs que la nuit. Cette noirceur effroyable m’asséchait la bouche et il m’était à cet instant impossible de crier d’appeler à l’aide. Tétanisé par l’horreur je ne pouvais rien faire d’autre que d’observer l’indicible. Au matin, quand les rayons du soleil perçaient de nouveau à travers les volets de bois de la chambre, il m’arrivait encore un bref moment de douter de la réalité de ces horreurs nocturnes. Je m’efforçais alors de les ranger dans la catégorie des cauchemars, aidé en cela par ma mère qui , souvent, me poussait à les lui raconter. Ce dont il m’était impossible tant l’empreinte qu’ils avaient laissée était confuse, et dont j’éprouvais jusque dans la moelle de mes os le danger de les dire. Alors, j’en inventais d’autres à la hâte, des cauchemars plus classiques, et les ayant dit elle me rappelait de façon régulière et avec mansuétude- car dans ceux là j’étais un petit assassin- qu’un mauvais rêve dit à voix haute ne se réalise jamais. Je sais à présent que ces souvenirs sont tout aussi truqués que l’instant présent dans lequel je me contorsionne pour garder le peu de raison qui vaille. Je sais que ma mère est un personnage de fiction tout comme mon père, mes amis, le décor dans son ensemble m’accompagnant à chaque moment de ma misérable existence ; que de toute évidence moi-même ne suis même plus certain d’exister vraiment en tant qu’individu disposant d’une liberté d’expression quelconque. Je ne suis peut-être rien de plus qu’un programme informatique parmi tant d’autres. Voire même un virus destiné à parfaire les objectifs occultes de ces entités terrifiantes qui se jouent de nos drames de nos tragédies, qui les exploitent dans le seul but de les divertir de leur effroyable ennui. Lorsqu’ils se mirent à parler. Ils se virent comme un reflet dans un reflet. Et cette fébrilité soudaine, agitant tous leurs atomes, ils la considérèrent comme du sentiment alors que ce n’était seulement que de l’excitation. Ils auraient pu en être parfaitement inconscients si l’un d’eux n’avait eu un doute. C’est à partir de ce doute, auquel il s’accrocha fermement, qu’il ne la prit pas dans les bras, ne l’embrassa pas, ne lui murmura pas à l’oreille toute la série habituelle des histoires sans queue ni tête qui ne tiennent jamais debout. A la fin, lorsqu’ils se quittèrent, la nuit était tombée, un petit vent glacé semblait extrêmement présent au contact de sa joue. Il lui fit un petit signe de la main auquel elle ne répondit pas et il vit sa silhouette disparaitre dans la pénombre puis tourner à l’angle de la rue. Image mise en avant : Illustration de l’Appel du Ctulhu de Lovecraft par François Baranger|couper{180}
Carnets | janvier 2024
05 janvier 2024
Considérer la chance d’avoir une vieille voiture dont le moteur grippé ne démarre pas au quart de tour Il faut attendre que ça chauffe à chaque essai l’angoisse et le désir que ça y soit / espoir et déception mouvement binaire/ attraction et répulsion mais espoir et déception de quoi au fait et si ça n’y est pas on recommence ou on laisse en plan on prend le bus le train ou les jambes à son cou et bien beaucoup de temps passé à lire les élucubrations d’un certain Charles Lamb(1) sur le site merveilleux du Gutenberg project sans doute à la suite d’une lecture en anglais de Lovecraft/avec la possibilité de traduire la page en français ( pas toujours bien français mais ça aide/ça inspire même ) — vu dans les notes cette histoire de sorcières ( pas noté la référence zut ) et ensuite de me demander quelle était la mentalité de l’époque pour écrire des choses aussi bizarres notamment dans la structure des phrases qui—on l’imagine —tente de coller à une certaine idée de la rhétorique c’est à dire avec toute l’attention portée à une notion antique d’équilibre ( mais quelle notion de l’équilibre avait-on alors si l’on n’y collait pas ? ) noté quelques mots savants comme isocolie/protase/ antapodose/ apodause/ clausule. Nous n’avons plus le temps ni l’attention pour lire de si longues phrases à la tournure compliquée me disais-je au moment où je tombai soudain sur une phrase rigolote de Flaubert : « Ce n’étaient qu’amours, amants, amantes, persécutées s’évanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu’on tue à tous les relais, chevaux qu’on crève à toutes les pages, forêts sombres, troubles du cœur, serments, sanglots, larmes et baisers, nacelles au clair de lune, rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l’est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes. » (Gustave Flaubert, Madame Bovary) La traduction effectuée par Chateaubriand de Paradis perdu de Milton m’a fait bâiller Malgré toute l’attention que je porte au persil frisé celui-ci vers 19h est retombé en quenouille ce qui en dit long sur l’attention sur l’espoir et la déception qu’elle procure la petite tristesse ( réconfortante ?) que l’on finit par en extraire au bout du compte. on peut comprendre Kafka d’avoir voulu détruire son journal et du coup le lire c’est un peu comme autrefois aller regarder sous …( je laisse en blanc ) ici l’imagination joue un grand rôle la nécessité de tenir un journal n’est pas à prendre à la légère mais rien à voir avec l’obtention d’un résultat final c’est probablement du domaine de l’hygiène pour ne pas devenir complètement cinglé asocial meurtrier / un genre de guide comme les rails en restant parallèles guident le train/ peu importe la destination Il faudrait pour respecter l’usage ( celui de la période ) que la première partie de la phrase soit montante ou donne cette impression de vouloir atteindre on ne sait quel but ou quel sommet pour arriver au final (en se contorsionnant à grand renfort de virgules ) à une chute spectaculaire ( si possible ) Elles vont mettre la vieille dame en maison elle ne fait que tomber /ne peut plus se relever / elles en parlent sérieusement avec des arguments des raisons / et je m’imaginais qu’elles adoptent ce mode d’échange au téléphone pour ne pas succomber à l’épouvante que cette idée leur procure Elles auraient pu tout à fait hurler se rouler par terre en évoquant cette épouvantable projet. Ce que l’on conserve de ceux qui disparaissent trois fois rien parfois c’est ce que l’on pense mais si l’on n’y pense pas trois fois rien devient vraiment quelque chose on pourrait en écrire des pages et des pages puis ceci fait on aurait encore tant à dire pour combler le silence La forme du journal est trompeuse car on se fie à une chronologie des dates voire des heures et ce autant pour le lecteur que pour celui qui l’écrit ( et parfois se trompe dans les dates ) mais on peut au bout d’un certain temps voir que les sujets sont toujours les mêmes ils ne cessent de revenir exactement les mêmes toujours sous des formes diverses en apparence et si l’on arrive à établir la liste de ces sujets récurrents que l’on puisse pour chacun regrouper tous les textes qui lui sont liés… ( je laisse aussi en blanc ) l’idée de la collecte m’indispose comme celle d’ordonner quoi que ce soit autrement dit les bras m’en tombent un poil se dresse et frétille au centre de ma paume mais quand même cette manière d’écrire au 19 ème une façon sentimentale pour ne pas dire enfantine et qui sent l’entourloupe c’est vouloir attraper les mouches avec du miel une séduction rhétorique qui tente de séduire qui quand on écrit ainsi ? Narcisse plonge tête la première dans le ruisseau belle image quand on est jeune moins chouette quand on est vieux ridé beaucoup moins chouette/ risible ?/ pathétique ? l’empathie par période ne sert pas à grand chose et même il arrive qu’on la perde qu’on ne la retrouve plus qu’on n’y pense même plus on se perd dans les méandres de la phrases les virgules sont des miettes mangées par les oiseaux alors à quoi peut-on bien penser dans ce cas ? Image mise en avant ; une lithographie de Daumier dans le Charivari (1)un peu plus tard dans la journée, lu dans le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates cette lettre De Dawsey Adams,Guernesey, îles Anglo-Normandes,à Juliet 12 janvier 1946 Miss Juliet Ashton 81 Oakley Street Chelsea Londres SW3 Chère Miss Ashton, Je m’appelle Dawsey Adams et j’habite une ferme de la paroisse de St. Martin, sur l’île de Guernesey. Je connais votre existence parce que je possède un vieux livre vous ayant jadis appartenu, Les Essais d’Elia, morceaux choisis, d’un auteur dont le véritable nom était Charles Lamb. Votre nom et votre adresse étaient inscrits au verso de la couverture. Je n’irai pas par quatre chemins : j’adore Charles Lamb. Aussi, en lisant morceaux choisis ,je me suis demandé s’il existait une œuvre plus vaste dont auraient été tirés ces extraits. Je veux lire ces autres textes. Seulement, bien que les Allemands aient quitté l’île depuis longtemps, il ne reste plus aucune librairie à Guernesey. J’aimerais solliciter votre gentillesse. Pourriez-vous m’envoyer le nom et l’adresse d’une librairie à Londres ? Je voudrais commander d’autres ouvrages de Charles Lamb par la poste. Je voudrais aussi savoir si quelqu’un a déjà écrit l’histoire de sa vie, et, si oui, essayer de m’en procurer un exemplaire. Pour brillant et spirituel qu’il était, Mr Lamb a du traverser des moments de profonde tristesse au cours de son existence. Charles Lamb m’a fait rire pendant l’Occupation, surtout son passage sur le cochon rôti. Le Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey est né à cause d’un cochon rôti que nous avons dû cacher aux soldats allemands – raison pour laquelle je me sens une affinité particulière avec Mr. Lamb. Je suis désolé de vous importuner, mais je le serai encore plus si je n’arrive pas à en apprendre davantage sur cet homme dont les écrits ont fait de moi son ami. En espérant ne pas vous causer d’embarras, Dawsey Adams P.S. : Mon amie Mrs. Maugery a, elle aussi, acheté un pamphlet qui vous a jadis appartenu. Il s’intitule Le buisson ardent est-il une invention ? La Défense de Moïse et des dix commandements. Elle aime votre annotation dans la marge, « Parole divine ou contrôle des masses ? ?? » Avez-vous tranché ? Traduit de l’américain par Aline Azoulay|couper{180}
Carnets | juillet 2023
28 juillet 2023
En vue de l'éventuel arrêt de ce blog un nettoyage me semble judicieux. J’ai donc effacé une bonne partie des billets des années 2018, 2019, 2020 et 2021 est à mi-parcours. Pas vraiment d’état d’âme, le seul critère sur lequel je me suis appuyé est le nombre d’interactions pour chaque texte. Et le fait est qu’en lisant juste la première phrase de certains de ces billets qui laissent indifférent le lecteur , elle me saoule moi-même aussitôt. Je ne sais pas comment les choses vont évoluer par la suite. Je vais certainement perdre le nom de domaine puisque je refuse de le renouveler et je ne vois pas de solution gratuite pour continuer à maintenir mon activité en ces lieux. Peut-être ouvrir un nouveau blog sur Blogger. Hier lu une nouvelle courte de Lovecraft » Air froid » j’adore le début » Vous me demandez de vous expliquer pourquoi je crains l’air froid, pourquoi je tremble plus que les autres dès que j’entre dans une pièce froide, et parais malade, pris de nausées, lorsque la fraîcheur du soir s’insinue sous la chaleur d’un après-midi de fin d’automne. Il y en a qui disent que je réagis au froid comme d’autres à une mauvaise odeur ; je suis bien le dernier à les démentir. Ce que je vais faire maintenant, c’est vous rendre compte de l’incident le plus abominable qui me soit jamais arrivé et vous laisser le soin de juger, de dire s’il existe une explication satisfaisante à ces réactions qui vous étonnent. » D’emblée le pacte entre auteur et lecteur semble signé par » Vous me demandez de vous expliquer pourquoi je crains l’air froid »… Nous partons aujourd’hui à Robion pour décrocher l’exposition puis passerons voir les cousins à Grans où nous passerons la soirée de vendredi et toute la journée de samedi pour pouvoir repartir dimanche matin et récupérer aussi les toiles d’Avignon. J. passera pour donner à boire et à manger à la chatte. Ces derniers jours ont été éprouvant. Une paralysie générale où le moindre geste coute une énergie phénoménale. Sans doute est-il opportun de faire une pause de quelques jours sur ce blog. De plus pas sûr d’avoir du réseau là nous nous rendrons en août. L’ile d’Hvar en Croatie que nous avons visitée à l’aide de Google Earth semble idéale pour se reposer mais peu de commerces là où nous allons, le coin semble bien isolé. J’ai téléchargé Scrivener sur l’Ipad , abandonnant Ulysses devenu trop cher pour ma bourse, je pourrai donc continuer d’écrire malgré tout, et dans l’application Livres j’ai pris soin de rassembler tous les ouvrages de Didi-Huberman que j’ai pu trouver en format pdf ou epub. Je voudrais bien aussi prendre le temps de terminer la lecture des « Cormac McCarhty ». Tous ces incendies un peu partout m’impactent à un point tel que je m’imagine brûler en même temps que ces arbres un peu partout . J’entre dans la fournaise, ça ne dure guère je suis grillé en quelques secondes, juste un mauvais moment à passer mais très court. Je ne vaux pas plus qu’un des animaux de la forêt en flammes je brûle naturellement au même titre qu’eux. Ce qui me fait penser aux théories expliquant la fin de l’empire Akkadien, une météorite qui explose au dessus de la Mer Morte, dont la chaleur soudaine détruit toute vie à moins que ce ne soit l’ouragan El Nino de l’autre côté de l’Amérique du Sud qui ne soit déjà responsable de la sécheresse qui va durer des décennies, asséchant les deux fleuves mésopotamien détruisant tout effort d’irrigation jusqu’au Pakistan actuel, dispersant peu à peu l’armée de métier qu’on ne peut plus nourrir, laissant la barbarie envahir la plaine. Nous avons déjà vécu tant d’apocalypses que quelque chose au fond de moi semble s’y être habitué, ou être prêt à en subir une nouvelle. Je m’imagine aussi dans le Doggerland en train de pécher gentiment au harpon quand soudain la vague gigantesque arrive et nous engloutit tous, effaçant d’un coup ce merveilleux pays paradisiaque s’étendant entre les terres du Nord, Norvège, Suède Islande et le Royaume Uni Ce que l’on éprouve comme sensation d’insignifiance face à de telles dévastations et en même temps impossible de ne pas aussi éprouver de l’ admiration, un effroi sacré pour cette nature qui soudain reprend ses droits. Cet effroi sacré ce devrait être ça justement qui pousse les mots à sortir de la bouche ou du clavier. Cette force mystérieuse qui nous pousse à émettre des sons des signes du fond de notre insignifiance. En même temps que l’humour est omniprésent d’entendre ces mots sortir ainsi je me faisais la réflexion hier en écoutant F. lire des pages entières de Lazare Sainean comme il dit du Rabelais.|couper{180}
import
Suivre la voie du timbre-poste
C’est en lisant des poèmes qu’on peut se rendre compte. Peut-être pas tous. Certains poèmes. Ceux qui ne traitent que d’une seule idée à la fois . Qui ne sont pas feux d’artifice. Qui ne partent pas dans tous sens. Encore que rien contre tous les sens. Le sens est important. Mais ici, le propos est le timbre-poste. chercher et suivre la voie du timbre. Trouver un timbre-poste, s’y tenir, s’y accrocher, ne pas lâcher l’affaire, métamorphose en pit-bull philatéliste, en spéléologue explorant les abîmes du parallélépipède postal. Le timbre-poste n’est pas plat comme une limande. Plus on s’en approche plus on lui découvrira un volume. monumental en proportion de la concentration de qui vient à lui. Un timbre-poste peut-être un bloc monstrueux, un édifice inquiétant, proche des dolmen, des menhirs, des pyramides aztèques ou maya, du gigantisme de Baalbek ou de Lovecraft. Trouver un timbre-poste. Aller à la rencontre du timbre-poste. Comment faire ? Comment s’y prendre ? Avec toute l’abondance autour comment distinguer celui-ci, que sera le bon timbre, le juste timbre, le gong. un timbre-poste dans le chaos général. Y aller à la loupe et circonspection. Prendre l’autoroute pour se rendre dans telle ou telle ville en quête du timbre est un risque. On ne sera pas seul sur la route. Beaucoup semble à la recherche de la même chose. Préférer les nationales, les départementales, les vicinales. Chercher l’oblique la diagonale, bien plus dynamique. Faire attention aussi où l’on pose les pieds si l’on marche à pied. Y aller d'un bon pas sans se perdre en tergiversations, se munir d'une carte d'une boussole, savoir se repérer grâce au soleil à la lune aux étoiles. Ça prend plus de temps parfois mais ce n'est pas bien grave. On risque moins de rouler sur un timbre-poste sans même le voir. A cheval il faut lutter contre la légende transmise de cavalier en cavalier que tout puisse être ou ne pas être sous le sabot de la monture. Vu sous cet angle obtus, par la lorgnette, un être humain est un timbre-poste. Sous cellophane, papier cristal planqué dans l’anodin, le désordre, la multiplicité des envies sans but. Dans le chaos des envies brutes. Tout être est timbre-poste, non oblitéré, vierge de toute salive encore. Aucun crachat, sans postillon. Pas plaqué sur une enveloppe, autonome, inconnu Vu sous un autre angle encore plus obtus la phrase. Le mot. La lettre. Tout ce qu’on emploie pour dire la sensation, indicible. Ce qu’on ne sait pas dire, ce qu’on n’arrive pas à sortir. Mais qu’ on voudrait quand même dire. La toute petite sensation timbre-poste dans laquelle on s’enfonce, on sombre, on décroche. Sables mouvant mer au galop, archange juché sur une flèche. Omelette à gogo. Un morceau de pelouse, un matelas rembourré, un corps de tout son long offert et hermétique. Offert à l’œil, à la main, aux narines, à la langue, hermétique à toute pensée. Black-out total. Les neurones dysfonctionnent, court circuit dans les synapses. C’est offert mais inaccessible à la pensée. Qu’aux sens de s’y risquer. S’y jeter. Se jeter dans le timbre-poste, puits infini, puits sans fond, les yeux fermés, la bouche close, se pincer le nez, les oreilles, comme on plonge dans la mer. La curiosité fera le reste. La curiosité le facteur entre la peau et la cervelle. Le timbre-poste peut-être une obsession. Faire de ses obsessions des timbres-poste. C’est plus facile avec les obsessions. Ça nous regarde. Au regard de l’obsession qui nous cloue au mur, au sol, à l’arbre, au ciel. Ouvrir les yeux en grand, ne pas en perdre une miette. Absorber comme un buvard. Recracher tout ensuite par la bouche pêle-mêle dans un trou. Laisser mijoter un moment. Attendre quelques heures, quelques jours, que l’écho fasse son Job. Que le boomerang revienne. Au regard de ce qui revient, dit karma, explorer le malaise, devenir circonspect, ne prendre que ce qui nous appartient vraiment. Laisser de coté les courriers mal adressés. Retour à chaque expéditeur , retour à l’envoyeur souhaité mais pas indispensable. Ouvrir les oreilles en grand maintenant. Plonger dans une mémoire d’éléphant, ne pas se tromper de mémoire. Reprendre tout ça, le malaxer dans le son jusqu’à trouver l’accord. Un seul timbre-poste, un unique accord, se délier les doigts, tenter quelques arpèges. Si ça sonne ne pas courir vers la porte. S’y rendre doucement.|couper{180}
Carnets | février 2023
Le livre
C'est le livre que l'on ne peut ouvrir qu'une fois que l'on passe l'âme hors d'ici, une fois que l'on a trouvé la porte pour pénétrer dans cette pièce sans mur ni fenêtre mais dont on saisit d'emblée qu'elle sera notre pièce pour toute une éternité à venir ou passée. C'est la pièce. On peut plisser les yeux et voir pour ne pas être gêné par les détails que l'on devine comme des milliers d'éléments perturbateurs. Au milieu de celle-ci on aperçoit une table, et au milieu de cette table il y a le livre. Il nous est familier autant qu'étranger et c'est sans doute le seul débat qu'on peut encore entretenir avec soi-même. Le dernier débat. S'en approcher et oser l'ouvrir ou bien s'en éloigner. Accepter ou refuser ainsi de lire son contenu. Sans doute parce que l'on ne sait jamais vraiment à quel moment on est vraiment mort, que tant qu'un débat subsiste l'illusion d'être en vie nous maintient en elle. Lovecraft aurait, paraît-il, inventé le Necronomicon. C'est ce que l'on aime dire ou penser pour se rassurer et reléguer ainsi cet objet éminemment maléfique dans un domaine imaginaire, sans danger réel. Je crois que les choses sont à la fois plus compliquées que ce que l'on imagine, ou plus simples quand on saisit un peu de la vérité dont est constituée la nature de la réalité. Ce livre ne vient pas de l'imagination de Lovecraft et en même temps il en vient. Il vaut mieux voir les choses ainsi d'un seul œil. Le livre posé sur cette table, l'idée m'en aura effleuré soudain, pourrait être l'archétype premier de ce livre maudit, mais il peut tout autant être une sorte de gigantesque recension de textes sans queue ni tête, ou encore un livre merveilleux dans les pages duquel toute question trouve sa réponse définitive. Ensuite, quel choix s'effectue ? Comment un même livre peut-il prendre plusieurs apparences, être à la fois le même et autre chose ? Autrement dit, qui choisit l'ennui, qui n'est rien d'autre qu'un prisme dépoli un peu sale pour lire des propos ineptes, ou d'entrer chez un opticien pour trouver enfin la paire de lunettes adéquates, celle qui permettra enfin de lire celui-ci entre les lignes ? Je crois que même mort, il est encore possible de se poser ce genre de question essentielle. Peut-être que la mort n'est qu'une vue de l'esprit, que nous ne sommes jamais réellement morts ou vivants, mais un peu des deux à l'instar des livres que nous lisons ou pas.|couper{180}
Carnets | 2023
personnage 2 (notes)
Je te le dis, tu voudrais qu’un sens relie tout et tu t’y reprends chaque jour — non pas un plan, une ficelle, une hypothèse qui tienne assez pour traverser la matinée où tu écris qu’Alonso Quichano arrive dans ta vie, puis quinze heures où tu empiles des émissions sur Manchette à écouter à la suite dans la voiture, puis la nuit d’autoroute où la voix de François Bon, décrivant la photo du bureau de Lovecraft, te fait comprendre qu’une vidéo devient des pages si tu l’écoutes comme un livre (on dirait un écran, non, pas un écran, une page qui s’écrit en parlant) ; alors tu reviens à Alonso, tu tentes la description et tu cales, tu ouvres L’Affaire N’Gustro “pour te lancer”, et ce sont des mots qui t’attrapent à la place de l’homme : dankali (tu vois un dromadaire, non pas par science, par facilité d’image), brandebourgs (passement ou boutons ? tu choisis selon ce que ta vie a su voir), imperméable Royal Navy (tu googles, tu dis caban, tu remontes un souvenir, manches trop courtes, boutons dorés à l’ancre), puis Melody for Melonae (tu avais mal entendu, ce n’était pas “Melanie”), et déjà les DS, les routes brumeuses des Yvelines défilent dans ta tête ; tu tiens une piste, non pas sur Alonso, sur toi qui tournes autour, parce que dès que tu écris Don Quichotte l’ombre de Picasso tombe sur la page — on dirait le tien, non, pas le tien, celui des autres qui recouvre le tien — et tu hésites : user du cliché (rassurer le lecteur : “c’est bien lui”) ou ruiner le cliché (l’arracher pour inventer), le vieillir, le rajeunir, et tu sais que surprendre pour surprendre ne vaut rien, alors tu notes quand même une phrase trop lourde (tu le sais) où l’autoportrait de Picasso démolit son propre masque comme on abat un quartier de pavillons, où passent des types en caban et cigares — non pas pour poser, pour déplacer — puis tu la laisses, tu la laisses venir, parce que vouloir finir c’est parfois s’assécher ; tu redescends au plus simple : il est là, contre-jour, la silhouette se précise, te surplombe, et tu te demandes non pas qui il est, mais combien de mots tu possèdes pour le tenir sans mentir — un nez, une bouche, un œil, une oreille, un front, une main, un doigt, un ongle, un pore (tu comptes pour gagner du vrai et tu n’attrapes que l’énigme), tu te dis qu’on croit vouloir dire, mais qu’on avance avec des hypothèses qui se ramifient et mangent le but (La Havane, Quetta, Sonora — variations d’un même désir), tu te redis que le lecteur lit ce qu’il peut, l’écrivain écrit ce qu’il peut (merci Borges dans la voiture), que la page change en même temps que celui qui la regarde, et tu t’aperçois que ce que tu appelles décrire Alonso, c’est peut-être seulement rester au bord : tenir la silhouette sans la fixer, écouter une vidéo comme un livre, un livre comme une vidéo, et laisser, à la fin, le vide entre vous deux faire son travail — non pas le combler, le maintenir assez ouvert pour que, demain, la même page ne soit déjà plus la même.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
18 janvier 2023
Découverte de deux tomes de récits rendant hommage à Lovecraft : "Sur les traces de Lovecraft", anthologie 1 et 2, collection Fractales/Fantastique, dirigée par Christelle Camus, éditions Nestiveqnen, Aix-en-Provence, 2018. 18 auteurs proposent des récits dans l'esprit de l'auteur. Me suis fait happer par le tout premier hier soir, une autrice inconnue, Kéti Touche : cette histoire de photographe qui vient en résidence dans un obscur manoir (en Angleterre, en Écosse ?) tenu par une femme énigmatique, veuve d'un homme nommé Howard, explorateur de son état. Le récit se déploie dans une tempête, une côte sauvage, au bout d'une inquiétante falaise. On y découvre de vieux carnets évoquant des découvertes effroyables qui auront bien sûr eu raison de la santé mentale d'Howard. Donc bien sûr, de nombreux ingrédients que l'on retrouve chez Lovecraft. Lu une cinquantaine de pages puis j'ai bondi ensuite sur "Autoportrait" d'Édouard Levé. Une suite de phrases en apparence isolées les unes des autres. Amusant, tragique, burlesque. Intéressant quant à la forme. Pour le fond, je suis encore mi-figue mi-raisin. Et puis tout de suite après 20 pages, j'ai posé le livre, j'ai éteint la lumière et il semble que j'ai dormi d'un sommeil de plomb. Aucun cauchemar dont je puisse me souvenir ce matin. Ce qui me fait penser à ce que j'aimerais vraiment écrire. Tiraillé entre la forme et le fond encore une fois. Et là, je me souviens de ce que dit Garouste quand il se trouve confronté au fait que la peinture est morte après Duchamp, discours des Beaux-Arts de son époque. Faire le point sur ce que tu veux vraiment : être un écrivain contemporain ou raconter de bonnes histoires, voilà le nœud. Étonnant que je ne découvre ces livres sur Lovecraft qu'après avoir effectué l'ébauche de ce petit portrait le matin même.|couper{180}
Carnets | janvier 2023
03 janvier 2023
Comment éviter que l’écriture ne devienne une simple accumulation de détails factuels, sans émotion ni profondeur ? John Gardner parlait de "frigidité" lorsqu'un auteur se dérobe aux émotions, se cachant derrière des descriptions fades et désincarnées. Ce texte réfléchit à ce concept et le met en parallèle avec des expériences personnelles où l'écriture devient une forme de miroir de nos propres limites|couper{180}