Récit

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Carnets | septembre 2025

03 septembre 2025

une tension ancienne, toujours là : une langue distingue, l’autre soude. La savante trace des frontières, parle à l’initié, signe d’érudition plus que partage. Elle suppose mémoire, héritage, retrait. L’ordinaire circule sans effort : slogans, votes, cris de stade. Elle se dit « naturelle » mais n’est qu’un autre code, inculqué, régulé. Deux pôles : l’entre-soi rare et le collectif saturé. Logos contre vox. Le grec, le latin, le code informatique fonctionnent comme filtres ; l’ordinaire inclut, parfois jusqu’à étouffer. Chaque fois que je m’assois pour écrire, la tension revient. Je n’aime pas, je compose. Ne pas choisir. La précision fermée du code et l’ouverture vague du cri. Non pas compromis, mais frottement. Comme deux silex : espérer le feu. Écrire avec deux voix qui s’opposent et se nourrissent. La savante fore, donne des instruments rares ; l’ordinaire m’ancre, me sauve de la tour d’ivoire. Tenir ensemble isolement et collectif. Un texte pour tous, mais qui garde son grain d’exception. hier, rendez-vous à C., anesthésiste. Cinq minutes, cinquante-cinq euros. Puis bureau des préadmissions. Jeune homme appliqué, collier de barbe, pas un sourire. Relit mon dossier, me fait réécrire ce que j’avais déjà inscrit. Mon nom, encore. Ma signature, encore. Chaque trou pointé du doigt. Son stylo qu’il ne reprendra pas. Je l’imagine, une fois parti, l’essuyer, le jeter à la corbeille. — « Quand vous viendrez le neuf il faudra cette fois passer au bureau des admissions », conclut-il. « Ça ira plus vite puisque vous avez déjà remis le dossier. » étonnement des premiers jours d’automne. Air plus frais au matin, lumière persistante. En approchant de Lyon, nuages massifs sur un ciel d’été dense. Puis le Rhône, à la Mulatière : présence palpable, s’écoulant comme un long serpent. après l’hôpital le supermarché, Montessuy. Enseigne oubliée, changée tant de fois. Cannellonis, danettes goût café. au Vernay, deux étages difficiles à gravir. E. ouvre, frêle. Deux mois sans la voir. Elle ne se souvient plus de mon prénom. Elle compense par un grand sourire, « contente de vous voir ». La joie dure peu. S. la gronde : — « maman je t’avais dit de sortir trois assiettes ». Dans le réfrigérateur, les assiettes empilées. Je tente une plaisanterie, ça ne passe pas. S. se fâche. E. dit non désormais. Non au melon, non répété, ferme, enfantin. Tension posée sur la table, digestion compromise. après le repas, S. lui fait les ongles. Elles prennent le café ensemble. Je les laisse. J’allume la télévision, m’allonge. Le calme tombe. Le son, n’importe quel programme, m’endort presque aussitôt. de retour à la maison, je range un peu l’atelier. Coup de fil de P. qui se réinscrit, viendra le jeudi matin. Le rangement dure peu, un quart d’heure, vider encore un tiroir de vieux papiers. Le fait d’avoir eu T. au téléphone avant-hier : les difficultés de R. opéré, son angoisse qu’il ne s’en sorte pas. Ses larmes dans l’appareil. Le fait que j’ai pensé qu’elle pourrait venir à la maison si tout tournait mal. Le fait que je l’imagine dans la chambre d’amis. Le fait que nous sommes tous pendus à la toile du destin et qu’une telle épreuve peut tomber sans prévenir. Bourdon terrible. Pensé à mon propre après, à S. seule dans la maison, à S. et T. ensemble peut-être. Alors mieux valait se remettre au code. Ce que j’ai fait. J’ai utilisé Deepseek cette fois pour modifier ma page d’accueil. Plus rapide que ChatGPT, moins d’erreurs. En quelques minutes l’IA chinoise a résolu un problème que la dernière version de ChatGPT n’avait pas su débloquer malgré plusieurs demandes claires. J’emprunte cette idée à T.C : créer une liste d’articles qu’il partage chaque dimanche « depuis sa terrasse ». Je ne pense pas, pour ma part, partager ces articles chaque semaine. Ils resteront accessibles, comme tout ce que je publie sur le site, sans passer par les réseaux. L’idée est plutôt d’en faire un journal des points d’intérêt qui m’auront marqué en lisant, semaine après semaine. J’ai ajouté deux nouveaux articles à la rubrique Histoire de l’imaginaire , encore peu fréquentée — ce qui est normal, puisque je ne l’ai pas partagée sur les réseaux sociaux. Pour cela : création d’un fichier lien.html dans le dossier modèles. [(#ENV{cat}|oui) [(#VALEUR|trim)] ] [(#ENV{titre})] [(#ENV{desc})] Ce qui permet ensuite d’écrire les liens dans un article hebdo avec cette syntaxe : littérature Génica Anasthasiou, l’anti-muse d’Antonin Artaud "J’ai commencé par la fin, en cherchant où pouvaient avoir été déposées ses archives personnelles après son décès. Cela m’a conduite à la maison de retraite des comédiens à Pont-aux-Dames, où j’ai été très bien reçue. Il y avait en effet dans le grenier un carton « Génica Athanasiou », empli de dossiers de photos et de documents. J’ai passé une journée à tout inventorier et photographier." histoire Les Vikings en Amérique Du bois ayant gardé trace d’un événement cosmique nous apprend qu’il y a mille ans très exactement, en l’an 1021, les Vikings étaient en train d’abattre des arbres à Terre-Neuve sciences Une comète provenant d’un autre système solaire possède une chimie inédite Une comète interstellaire récemment découverte intrigue les astronomes : elle traverse notre système solaire à toute vitesse avec un profil chimique jamais observé auparavant. Officiellement nommée 3I/ATLAS, elle n’est que le troisième objet confirmé provenant d’un autre système stellaire.|couper{180}

Autofiction et Introspection Récit réflexions sur l’art Technologies et Postmodernité

fictions

réparation

Hier, notre opérateur téléphonique nous a envoyé un technicien. En ouvrant la porte, je tombe sur un type qui parle à peine français. Exactement comme le technicien précédent. Il porte une sorte de gilet orange, il est d’une maigreur exceptionnelle, ses cheveux sont ras sur les côtés et remontés sur le sommet du crâne, comme un personnage de jeu vidéo. En arrivant devant la box, il sort un laser d’une poche de son pantalon trop grand pour lui, le branche sur le câble optique de la prise afin d’obtenir des informations d’emplacement — je présume. Puis nous ressortons dans la rue. Il cherche dans quel boîtier notre câble peut bien être branché. Au bout d’un quart d’heure, après avoir farfouillé dans un regard situé dans une rue adjacente, je le vois lever la tête à la recherche de quelque chose. De temps en temps, il émet un bruit bizarre que j’ai déjà entendu lors de mes voyages en Inde et au Pakistan — tic tic tic. Ce qui a l’air de vouloir dire : t’inquiète, je ne sais pas encore, mais je vais bientôt savoir. Il me dit qu’il doit aller chercher le camion et l’échelle, puis il disparaît. Quelques instants plus tard, il revient avec une grande échelle et deux collègues. Je me dis que là, il doit se passer un événement extraordinaire. Trois techniciens d’un coup. Ça ne doit pas être courant. Pendant que mon premier monte à l’échelle, mon second se roule une cigarette et mon troisième change le filtre de sa vapoteuse. Ce qui me rassure, car ils ont vraiment l’air calmes. Ils ne s’affolent pas. Le seul qui émet des bruits, c’est mon premier, juché tout en haut de l’échelle, qui a repris ses tic tic tic. Désormais, il a sur le ventre un gros appareil cubique dont j’ignore tout de la fonction. Il a ouvert le boîtier de plastique et je vois ses mains virevolter, comme s’il effectuait je ne sais quelle passe magique. De temps à autre, j’aperçois des fils flotter hors du boîtier, aussi fins en apparence que ceux d’une toile d’araignée. Et, de fil en aiguille, mon premier se transforme en une créature arachnéenne bizarre, dont les membres supérieurs filent la soie optique. De temps à autre, l’un ou l’autre des deux techniciens émet des bruits que je ne comprends pas. Je pencherais pour de l’ourdou, mais plus j’écoute, plus je découvre que ce n’en est pas. J’ai songé aussi, à un moment, à du farsi, mais là aussi, fausse piste. Tandis que je m’interroge, des voitures passent dans la rue, en prenant soin d’éviter les plots rayés de blanc et rouge que les trois hommes ont pris soin d’installer. Ce sont peut-être des Maghrébins, finalement, car ils connaissent beaucoup de monde dans le quartier. Notamment les conducteurs qui roulent à vive allure, toutes fenêtres ouvertes, avec des musiques entraînantes. Le manège a duré en tout et pour tout une bonne heure. Puis, à la fin, l’un des trois est rentré dans la maison pour voir ce que disait le laser. Il a secoué la tête puis il l’a débranché pour en mettre un autre. La box a émis un ronflement et j’ai vu les chiffres de la remise en service s’égrener jusqu’à 7, puis revenir en arrière — 3, 4 — et rester dans cette zone. Le type a regardé son portable et est ressorti pour dire quelque chose en arabe à l’arachnée en gilet orange, qui a refait encore des gestes sibyllins devant le boîtier 34. Nous sommes revenus dans la maison, le type a re-regardé son laser, son portable, a effectué une manipulation, et enfin, après trois semaines de panne internet, la box a affiché l’heure. 15 h 30. Le type n’a même pas émis le moindre signe de satisfaction. Il a juste dit : internet c’est bon, et il est ressorti. Je ne suis pas ressorti de la maison pour voir ce qu’ils faisaient ensuite. Je crois que ça ne m’intéressait pas, en fait.|couper{180}

complications fictions brèves Récit

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Récit

Récit Cet enfant complique les choses par plaisir dit la femme -- il est tordu tout simplement dit l'homme Ainsi commence ma vie et ce n'est pas la moindre des ambiguités que je recontrai à cet instant . Ce fut l'Ambiguité. L'expression se casser la tête accompagne la complication et lui confère un aspect péjoratif. —Tu te compliques bien trop la vie. Ce qui sous-entend naturellement que pour la femme et l'homme celle-ci est simple et que je commets une erreur de débutant à trop vouloir l'explorer, la comprendre. On connaît d'ailleurs la vie à un âge avancé, sinon pas. Souvent, me martelant le crâne contre les murs, je me demande : Pourquoi ma vie est-elle si compliquée ? Pourquoi est-ce que je me complique autant l’existence ? Et bien sûr, j’aimerais pouvoir pénétrer dans le cercle de ceux qui vivent ce genre de vie tranquille — ceux qui ne se posent que des questions simples, et les résolvent. L'idée que presque tout est une énigme à résoudre provient probablement du langage employé pour poser ces énigmes. Je me souviens m'être entraîné à parler à l'envers en imaginant ainsi pouvoir m'exprimer en anglais parce que pour parler le verlan c'est ainsi qu'il faut faire. Rien de tel que la naïveté — la candeur — pour toucher à l’ambiguïté du monde. Et, bien sûr, à celle du langage. Mais quelle tristesse, ensuite, de comprendre l’horrible marchéque propose la lucidité : vivre normalement — au prix de cette candeur perdue. Et pourquoi vouloir devenir lucide, pourquoi vouloir devenir grand, ou normal si ce n'est pas peur de cette ambiguïté dont personne ne veut et dont la peur devient contagieuse Je me souviens encore de ma boulimie de lecture — dirigée presque exclusivement vers la féerie, les histoires à l’eau de rose, les récits peuplés d’elfes, de lutins, de gamins perdus. Sans doute parce que la normalité, elle, me laissait des bleus. Et des humiliations. Ma résistance n'était pas brave ou farouche, elle était souterraine. Si je ne voulais pas être battu il me fallait des stratégies. Un double visage. Je me souviens encore de mon tout premier mensonge. Je l'avais écrit sur un bout de papier et enterré au fond du jardin près du tas de fumier et du vieux cerisier. si je l'oublie je suis perdu m'étais-je dit. Mais bien sûr qu'on oublie. Et ce mensonge je l'ai oublié comme de nombreux autres. C'est ainsi que je suis devenu en apparence normal et que j'ai même oublié que ce mot comme ce qu'il recouvre n'est rien d'autre qu'une convention. La Convention est, à ce propos, un quartier de mon enfance dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Je me souviens qu’il y avait un manège, où j’avais le droit — si j’avais été bien sage — de faire un tour ou deux. Je revois très clairement le lieu, les chevaux, et même la petite cambuse où un vieil homme vendait des tickets. Toute une image de la vie réduite à un manège de chevaux de bois. Et j’en redemandais, bien sûr.|couper{180}

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