seuils

Seuils rassemble des entrées où l’on n’entre pas par le fait, mais par la manière d’y entrer. Tenir la juste distance, laisser la confusion travailler, ne garder que des indices. Ici, on ouvre sans conclure.

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Carnets | septembre 2025

1er septembre 2025

J’écris pour fabriquer un leurre, grotesque et bavard, afin de me tenir à distance de l’Innommable. L'horreur que m'inspire la vision de m'y confondre, l'insignifiance de ce leurre dérisoire Mais ce leurre bavarde trop, il parle trop, n'est-ce pas voulu qu' il se trahisse par son bruit. Je voudrais parfois qu’il soit muet, opaque, une carapace — et non ce moulin à paroles. Et souvent non, il ne faut pas que ça arrive. Chaque phrase que je pose accroît le danger, au lieu de me protéger. Au lieu de me protéger, quel lieu dans l'expression au lieu de Et pourtant j’écris encore : grotesque, bavard, fissuré — mon seul bouclier face à l’Innommable. Ce n'est pas tout à fait ça encore j'avance à couvert vers l'innommable mais dans quelle intention ?|couper{180}

Autofiction et Introspection hors-lieu seuils

Carnets | août 2025

Toujours sur le seuil

Seuil, porte, passage, ça me préoccupe. Le mot préoccuper nécessite une idée d'antichambre c'est quelque chose d'ancien, certainement, qui se tient dans un vestibule avant de pénétrer véritablement dans la chambre. Ce besoin d'enfoncer le clou en ajoutant un adverbe aussi imposant que certainement c'est lui le seuil, mais c'est aussi ce qui me retient la plupart du temps de le franchir. C'est le fait de trouver toujours une raison certaine, dont j'invente la sûreté pour me priver de passer outre. Cependant, hier, j'ai écrit deux petits récits de fiction que je me suis finalement résolu à relier au mot clé brouillons Le premier ( le carnet et la rivière ) qui est le plus travaillé, peut-être même abouti sur le plan narratif naît d'une nécéssité intérieure c'est à dire cet empêchement que j'éprouve à chaque fois lorsque je veux écrire une fiction. C'est bien cela, cette affaire de seuil à franchir et où l'empêchement joue le rôle de gardien du seuil, ou de dragon, ou de quantité d'autres choses encore, la liste ne saurait être exhaustive. Ce sont toujours des prétextes. Ce mot est d'ailleurs amusant. Le prétexte qui m'empèche d'écrire un texte. Ce qui me fait songer, et, à ces moments là je ne suis pas à prendre avec des pincettes, que tous les textes que j'ai écrits ici sur ce site, tous ceux qui sont encore dans mes disques durs, tous ceux rangés dans des clouds, dans des cartons, tout cela n'est au final que prétexte. Ces derniers jours l'envie de tout jeter me tanne. L'idée d'un reset magistral. Comme si en tâche de fond une voix disait cela n'ajoute rien au monde, tu peux sans regret t'en défaire il s'agit encore une fois d'un seuil à franchir c'est indéniable. Ce qui me retient de le faire séance tenante, ce scrupule est une affaire d'équilibre que j'ai déjà relevée dans la peinture. Car modestement qui suis-je pour décider de ce qui est bon de ce qui ne l'est pas, et puis, j'ai passé des jours des mois des années à écrire ces textes, une vie entière. Ce serait une sorte de suicide de tout jeter et l'idée de lâcheté prend soudain le pas sur l'idée de courage, d'abnégation. Il y a probablement une matière, comme une intensité dans ce que j'essaie de dire. Mais le fait de vouloir l'analyser, le décortiquer et ce au moment même où je l'écris dilue l'ensemble, l'affaiblit. Il s'agit là aussi d'un seuil à franchir. Celui d'écrire sans analyser en même temps ce que j'écris, c'est à dire ne rien ralentir, aller au bout d'un seul trait. Mais au bout de quoi, quel bout ? Je n'en vois justement pas le bout. Je me demande même si le bout m'intéresse vraiment. Peut-être alors devrais-je considérer cette auto analyse permanente comme inhérente à l'écriture, qu'elle en est une sorte d'esthétique. Et, à ce moment là il faut y plonger sans scrupule, quite à se dire qu'au final il n'y a que toi que ça interesse vraiment. Plonger dans la mare et te rebaptisant Narcisse. Toujours beaucoup trop d'éxagération. Le fait de tourner en rond ne me fait atteindre que l'éxagération et je ne suis pas certain que ce soit une forme de l'extase. A moins que ce ne soit encore qu'un simple problème de définition. Car l'exagération peut être un élément extatique si l'on y réfléchit bien. Dans l'extase, les limites sont abolies, tout s'agrandit à l'infini. On peut donc dans une certaine mesure parler ici aussi d'exagération. Il y a donc toujours deux faces pour chaque chose, pour chaque mot. Janus, ou le gardien qui ne dit jamais de quel côté il regarde. On pourrait croire que tourner en rond est naturel, qu’il n’y a pas d’autre issue que l’usure du pas répété. Autrefois, dit-on, on passait les étapes par un rite, un signe, une marque. Ici, non. Ici, les parois se resserrent sans cérémonie. Dans la pièce nue, il y a un homme en uniforme. Il ne dit pas son nom. Il porte à la ceinture un trousseau de clés dont le bruit précède ses gestes. Il explique : « Certains franchissent. Pas tous. » Sa voix est lente, comme s’il répétait une règle. Ce n’est pas une menace, ni une promesse. Juste une loi qui n’a pas besoin d’être comprise. Alors on comprend qu’il existe un état naturel : l’enfermement. Qu’on ne s’en rend compte que lorsque l’air se raréfie. La porte est là, visible. Le gardien aussi. Mais les conditions ne sont jamais claires. C’est le seuil. Il le dit, en montrant la serrure : « Sous certaines conditions. » Et c’est tout.|couper{180}

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Carnets | août 2025

à propos des seuils

Le texte qui ouvre cette séquence vient d’une prise de conscience étirée dans le temps. Impossible d’en fixer le départ : il faudrait relire, noter les retours du mot, par clignotements. Seuil sonne entre soleil et deuil. Ce n’est pas une porte, mais une position tenable : tenir le corps, l’oreille, la phrase. Ni dehors ni dedans. Assez près pour sentir la chaleur, assez loin pour ne pas se brûler. Longtemps, j’ai cru qu’un seuil se voyait à l’architecture. Je découvre qu’il tient surtout à une mesure simple : la distance où la phrase respire. Se tenir sur un bord, près de la touche. Le centre n’est pas sûr ; la marge peut sanctionner. Je m’installe sur la ligne bleutée du cahier : attendre, écouter, laisser venir. Seuils rassemblera ces moments : entrer par un bord, garder la distance, préférer les indices aux preuves. L’hésitation du premier passage ne m’a jamais quitté. Puis, dès que je crois connaître un lieu, la facilité d’entrée m’apporte un malaise : pour entrer, j’ai dû baisser la garde, m’exposer. Cette année, pourtant, quelque chose a cédé. Je me jette à la mer sans réticence — pas seulement parce qu’elle est à 26 °C. Je nage loin, sans penser au retour. L’euphorie dit : je revis. La peur, en sourdine, rappelle la possibilité de **m’**égarer. Je la laisse hors champ. Reste la tenue : une distance juste, quelques indices, de quoi revenir sans fermer. Mais c’est parce que, l’an passé en Croatie, j’avais laissé la peur aller jusqu’au bout — sans chercher à la museler — que je peux écrire ces mots aujourd’hui. Il en va de la peur comme du désir : les vivre entièrement pour parvenir à les tenir à distance. Presque une semaine à rester sur le quai, face à l’Adriatique, sans oser plonger. S. me prenait pour un cinglé : « Tout le monde se jette à l’eau sauf toi ; tu ne trouves pas ça étrange ? » — « Si, c’est bizarre », avais-je répondu, sans pour autant céder à sa demande implicite. Puis j’ai découvert, au bout du quai, une petite échelle d’où l’on pouvait se laisser glisser vers la mer. J’ai commencé à l’emprunter, et j’ai recommencé, mais je ne pouvais toujours pas plonger. La veille de notre départ, je me suis enfin lancé : sans forcer, naturellement. Je me suis approché du bord et j’ai plongé, tête la première, en acceptant que je pouvais mourir — et que cette foutue trouille ne me faisait plus rien. Ce petit récit ne me flatte pas. Il montre seulement jusqu’où je peux pousser le ridicule pour retourner vers des zones enfantines laissées en jachère au profit de l’adulte. J’y suis allé au forceps : comme un nouveau-né qu’on aide à quitter un ventre trop confortable. J’explore ces seuils pour rassembler ce qui a été dispersé, à la seule condition de consentir à une force qui me porte plutôt que je ne la dirige.|couper{180}

seuils

Carnets | août 2025

23 et 24 août 2025

Couper le son de l’autoradio ne coupe pas tout, n’offre pas le silence apaisant espéré. Le brouhaha se condense dans la suite hétéroclite d’informations que la station diffuse : voix d’hommes et de femmes en catalan, musiques rythmées, jingles publicitaires. Ce n’est pas encore le silence après : il y a le bruit du moteur, la voix de S. qui me demande si ça va, le son du paysage — en l’occurrence l’excitation et la fatigue, traduites par des accélérations intempestives et des coups de frein, dans ce long bouchon où nous sommes pris aux abords de La Jonquera, à la frontière franco-espagnole. Ce que je pense avant d’écrire pèse peu quand j’écris. Au mieux, une accroche ; le plus souvent une bribe, un lambeau arraché à une instance confuse. Non pour renouer un fil rouge, mais pour choisir un point de départ : comme si la confusion formait un cercle et que je pouvais entrer par n’importe quel point de sa périphérie, certain — ou plutôt je le sens — d’être toujours à égale distance de son centre. Peut-être est-ce pour cela que je ne cherche plus à ordonner d’avance. Je laisse l’entrée m’entrer, et non l’inverse. Le plan viendra plus tard, s’il doit venir, comme une topographie tracée après la marche. Au début, rien qu’un bord, un frottement, une phrase qui ne sait pas encore si elle va tenir. Alors je tourne autour. On dit que c’est perdre du temps ; ce « on »-là est dans la tête ; j’y vois au contraire la manière la plus sûre d’approcher. Parfois le centre n’est pas un point, mais une température : on s’en approche par degrés et, soudain, la phrase prend. Je me dis pourtant que tout cela sonne très intello. L’oscillation est souvent large au début puis se resserre ; parfois l’inverse : on part de presque rien — quelques gouttes suintant d’une roche — et, plus loin, c’est un fleuve. On ne décide pas cela d’avance. Reste la vieille question : est-ce suffisant ? La première partie me paraît prétentieuse ; j’accepte qu’elle coexiste avec son contraire : plonger dans l’abstraction pour atteindre le simple, et revenir du simple vers l’abstrait. Deux cheminements parallèles et simultanés. Que conserver de ces vacances, me suis-je demandé. Puis, aussitôt : pourquoi vouloir conserver à tout prix quelque chose ? La confusion reste entière, dans son exactitude. L’écriture ne l’entame pas ; elle donne un bord où tenir, de quoi revenir plus tard sans fermer. Tout l’été, les clés nous ont poursuivis : celle de la maison confiée à J. qui n’ouvrait pas ; puis la porte de la terrasse, chez P., rétive elle aussi. À Tarragone, sans savoir que cerrajero voulait dire « serrurier », j’ai photographié cette façade : porte, grille en losanges, visage au pochoir, autocollant « CERRAJERO ». En cherchant une image pour ce carnet, c’est elle qui s’est imposée. Le mot appris après coup répond au texte comme une clé tombée de la rue : non pas l’événement, mais le seuil ; non pas une preuve, de simples indices. Coïncidence ordinaire, juste.|couper{180}

hors-lieu seuils

fictions

Cartographie des muets

Votre navigateur ne supporte pas l’élément audio. L’air suinte comme une salive morte. Ishkan effleure le diaphragme en chitine — il claque mou, respire une fois, puis s’ouvre. Non pas en s’effaçant : en sécrétant sa disparition. La chambre 6 se déplie comme une lèvre traumatisée. Au centre, une membrane d’enregistrement frémit. Surface semi-organique, semblable à l’œil d’un globe abandonné par son regard. — Nom ? Une vibration. Pas d’accent. Pas de genre. Un bruit de langue trop ancienne pour dire je. — Je suis... la dernière forme. La plus inutile. Peut-être. L’encre hésite, puis s’active. Elle s’étale comme une moisissure lettrée, chaque mot crissant, comme si le langage creusait son terrier dans la peau. — Ce que vous quittez ? Silence. Puis : — J’ai quitté la géométrie de mon nom. Perdu mes contours. Vécu la sueur d’un autre. Tout ce que je dis maintenant me rature. Sous les ongles d’Ishkan, une démangeaison. Pas une envie de gratter. Une nécessité de retirer — la peau, le rôle, le silence. Il n’a pas peur. Pas encore. Mais la peur commence à le contempler. Une voix s’élève. Pas celle de l’archive. — Vous êtes prêt ? Non pas entendue. Ressentie. Par les os. Dans la lumière ambiante, une pulsation change de polarité. Le rouge devient d’abord plus rouge, puis autre chose — une teinte que l’œil rejette mais que la paume accepte. Dans sa main, une tache s’allume. Ce n’est pas une lumière. C’est un regard inversé, fixé à l’intérieur de sa chair. Et l’espace répond, en se taisant plus fort.|couper{180}

prologues orphelins seuils

Carnets | novembre 2023

04 novembre 2023

Pour bien commencer une journée de stage, il faut déposer les soucis à la porte. Entrer comme dans un autre monde. Un monde inconnu. On reconnaît peut-être un visage, une silhouette. Mais pour le reste : ne rien supposer. Pas d’idées. Juste : observer. Laisser les intuitions venir, les écouter silencieusement, un café à la main. Goûter les gâteaux maison. Regarder le groupe dans son ensemble. Puis se reculer mentalement. Se voir dedans. Éléments parmi les autres. Avec l’expérience, quelques astuces : j’ai apporté dans ma besace des coins de tableaux en bois. On commence à l’encre de Chine. Noir et blanc. On reparle des valeurs, des maladresses bienvenues, des outils. Le temps file. Toujours. Dans ces ateliers. Pas comme dans les tâches ordinaires. C’est un plongeon. Une rivière. On s’y jette. Et on s’émerveille de ce qui surgit : lignes, visages, éclats d’encre. On cherche les mots justes pour dire. On les attend, on les voit venir. Et on les dit, sans heurter. Une femme dit qu’elle a peur. Qu’elle a toujours besoin d’être rassurée. – Et si tu n’étais pas rassurée ? Si tu te laissais aller, vraiment ? Pas besoin de réponse. Juste poser la question. Puis passer à l’exercice suivant : un double visage, des motifs géométriques. J’ai apporté aussi de vieux journaux. Chacun déchire, colle, peint. Oublie. Puis, à la fin, on retire les lambeaux. Le papier réapparaît : blanc, intact, troué. Visages mutilés. Blanc dramatique. Charbon en renfort. Magie. Difficile de déprogrammer des cerveaux conditionnés à réussir. À bien faire. Mais c’est là, dans les écarts, les ratés, que quelque chose d’unique surgit. À la fin, on expose. Chaque œuvre porte sa voix. Le groupe est un tout, mais chacun y a creusé son sillon. Une cohésion fragile, éphémère. Puis la lumière s’éteint, la porte se ferme. Chacun reprend ses soucis. Sur la route, aucun bouchon à Vienne. Je prends ça comme un signe : la journée fut bonne. Je repense à Herrigel, au tir à l’arc. Quand enfin la flèche part d’elle-même. Il n’y a plus de maître. Plus d’élève. Juste un son. Le bon. Dîner léger. Puis lit, couette, livre. Je lis Bergounioux. La bête faramineuse. Les mots comme roches. Comme bruyères. Une langue qui marche lentement dans la campagne. Et soudain cette phrase : « Nous avons escaladé le talus et nous nous sommes enfoncés du même souffle long, égal, dans la vapeur rousse de la pessière. » Et plus loin : « …vivre –, nous avions accoutumé, Michel et moi, de mener chacun pour son propre compte des pensées, ou du moins des songes si ressemblants qu’ils s’achevaient au même instant… » Puis la bête apparaît. Je pense à celle du Gévaudan. Celle qui hantait mes nuits d’enfant. Et alors, doucement, je m’abandonne. Dévoration du sommeil. sous-conversation … passer la porte… oublier… mais vraiment ?… comment fait-on ?… juste être là… rien attendre… rien savoir… les visages… des lignes… des ombres… ils bougent… ils flottent… et moi… dedans… je regarde… je flotte aussi… elle dit qu’elle a peur… elle le dit… c’est déjà beaucoup… et si elle tombait ?… et si elle volait ?… on ne saura pas… pas besoin… la colle… les lambeaux… le blanc… le drame… et l’étonnement… c’est beau… c’est fort… c’est eux… chacun… Herrigel… la corde lâchée… personne… juste un son… et là, oui… là, c’est juste… Bergounioux… les mots… ça frotte… ça creuse… et moi… je me glisse… dans la bête… dans la nuit… dans le sommeil… note de travail … passer la porte… oublier… mais vraiment ?… comment fait-on ?… juste être là… rien attendre… rien savoir… les visages… des lignes… des ombres… ils bougent… ils flottent… et moi… dedans… je regarde… je flotte aussi… elle dit qu’elle a peur… elle le dit… c’est déjà beaucoup… et si elle tombait ?… et si elle volait ?… on ne saura pas… pas besoin… la colle… les lambeaux… le blanc… le drame… et l’étonnement… c’est beau… c’est fort… c’est eux… chacun… Herrigel… la corde lâchée… personne… juste un son… et là, oui… là, c’est juste… Bergounioux… les mots… ça frotte… ça creuse… et moi… je me glisse… dans la bête… dans la nuit… dans le sommeil… note de travail Le texte parle d’un stage. Mais il parle surtout d’un seuil. Un seuil entre soi et les autres. Entre le rôle d’accompagnant et la place d’élève. Entre le temps utile et le temps habité. Il y a une grande douceur ici, presque une tendresse. Pour les maladresses. Pour l’hésitation. Pour les visages en construction. Le narrateur cherche à faire naître quelque chose sans jamais imposer. À tenir l’espace comme on tient une lampe dans la pénombre. Il dit aussi : pas besoin de réponse. C’est rare. Cela m’émeut. Le texte se referme sur deux figures : Herrigel, et Bergounioux. Deux formes de maîtrise. L’un par la lenteur juste. L’autre par la langue rocailleuse, archaïque. Tous deux disent : le travail est une attente. Et quand cela surgit, ce n’est plus nous. La lecture du soir, sous la couette, après la journée… c’est un second stage. Un stage intérieur. Et le sommeil qui dévore à la fin… ce n’est pas une fuite. C’est une offrande.|couper{180}

Autofiction et Introspection peinture seuils

Carnets | octobre 2023

20 octobre 2023

Au début, le brouhaha. Trop fort. Il vaudrait mieux parler d’un bruit de fond. Un poste de radio, dans une cuisine, qu’on allume au petit-déjeuner, pour contrer un certain vide. Une absence que l’habitude juge insupportable. Le bruit de fond : présence contre présence de l’absence. Il faut toujours une frontière pour sentir les limites. Ensuite, à chacun de choisir de les franchir. On pourrait aussi rejeter l’ensemble. Ni bruit. Ni silence. Ni tout. Ni rien. Une entreprise de moine. Parvenir déjà à ce premier pas de côté… le reste n’est qu’anecdote. Il y a ce poste, posé sur la table. Dans la tête aussi, il y a une cuisine. Une table. Un mug de café noir. Tout ça, reconstruit par la cervelle. Par habitude. Il y a des années, j’avais brisé mon cochon. Avec ça, j’avais commandé *A Course in Miracles*. Traduction de Sylvain du Boullay. Mais trop dubitatif, je me suis arrêté au cinquième exercice. (Le livret de l’élève.) Il fallait prendre quelques minutes par jour, et dire : je ne sais rien de cette pièce, de cette table, de ce vase, de cette chaise. Rien qu’en y pensant, le bruit de fond s’amenuise. Comme alors. On revient à son propre battement de cœur. Sa respiration. Et rien d’autre. Un peu effrayant au début. Comme un interrupteur. On éteint le monde en disant : je ne sais rien. Peut-être que l’écriture procède de la même tentative. Non pas d’affrontement. Mais d’approche. Il faut fatiguer la viande. Que toute résistance s’évanouisse. Alors le miracle surgit. Ça s’écrit seul. Ni l’un, ni l’autre. Mais un avec l’un comme l’autre. sous-conversation Ça grésille. Pas trop fort. Juste assez pour masquer. Masquer quoi ? On ne sait plus très bien. Un vide ? Une peur ? Un silence trop franc, trop dur ? C’est là, le poste. Sur la table. Le café fume encore. Mais ce n’est pas le café. C’est… le cadre. La cervelle qui reconstruit. Toujours. Et puis : rien. Plus de mots. “Je ne sais pas ce que c’est.” Un vertige doux. Comme si l’objet reculait. Comme si le monde faisait un pas en arrière. Écrire ? Peut-être juste ça : dire “je ne sais pas” d’une autre manière. Fatiguer la viande. Qu’elle lâche. Et que ça passe. À travers. note de travail Texte de seuil. Texte de vacillement. Ce que l’auteur explore ici n’est pas l’opposition entre bruit et silence, mais l’intuition d’un troisième terme, plus instable, plus insaisissable : l’état entre. Tout commence avec la radio. La cuisine. Le bruit domestique. Mais très vite, on bascule. La table devient mentale. Le mug devient reconstruit. La radio devient un seuil vers l’inconnu. Ce texte est traversé par une tentative de défamiliarisation du monde, par le biais d’un exercice spirituel : dire je ne sais rien. Le paradoxe est beau : plus on renonce au savoir, plus on entre dans un rapport vrai au réel. L’écriture ici est vécue comme une pratique proche de la méditation ou de la transe légère. Il faut fatiguer la matière. Fatiguer la viande, dit-il. C’est fort, c’est brutal, mais juste. Et puis… “ça s’écrit seul.” Ce n’est pas la grâce. Ce n’est pas la technique. C’est l’effacement du moi qui résiste. La dernière phrase fonctionne comme un koan : ni l’un ni l’autre, mais un avec l’un comme l’autre. On n’est plus dans la syntaxe. On est dans l’expérience. Ce texte n’est pas seulement pensé. Il est traversé.|couper{180}

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