fictions brèves

Ici se rassemblent des fragments narratifs à la frontière du rêve, du souvenir, de la fable. Chaque texte est une tentative condensée, parfois minimale, parfois traversée de dialogues ou de silences qui en disent plus qu’un récit achevé. Ce ne sont pas des nouvelles classiques : souvent sans chute ni intrigue, mais des scènes mentales, des instants volés à l’indicible. Certaines relèvent de la microfiction, d’autres adoptent une voix théâtrale ou introspective, flirtant avec l’absurde. Ce sont des éclats de fiction, des condensations de mondes possibles, où reviennent des figures spectrales, des alter ego, des voix qui se dérobent. La fiction n’est pas un décor : elle est le moyen de percer la réalité autrement, de faire vaciller le quotidien.

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fictions

19 décembre 2018

Cela commença par un frisson, dû sans doute aux nuits d'insomnie, à ces mots jetés sur le papier comme on remplit des sacs poubelles. Puis le tremblement gagna tout mon corps, avec cette sensation de froid glacial. Nous étions en août. Les voix des grands Zaïrois montaient de la rue des Poissonniers, mêlées aux cris des martinets. Même fenêtre fermée, je les entendais. Des odeurs de chevreau grillé les accompagnaient - cette viande brûlée m'était insupportable. En me levant pour boire, je constatai qu'il ne me restait presque plus de tabac. En fouillant mes poches, un billet de 50 francs tomba comme une manne. Providence de mon désordre. Je descendis, évitant la concierge absente, et m'engouffrai dans la chaleur du soir. Traversant à grandes enjambées la cohue de Chateau-Rouge, ses odeurs de piment et de sueur, j'atteignis enfin la rue Custine. Peu à peu, je ralentis, la rage retombant. Les platanes formaient une haie d'honneur vers Jules Joffrin. Ce fut dans ce café que je m'arrêtai. Après une bière, en sortant des toilettes, je la vis - une femme sans âge, mal fagotée, ivre. Nous nous accrochâmes l'un à l'autre sans détour. « On va chez toi ? » Je me souviens encore, des années après, de son humiliation : « Vas-y bon Dieu, baise-moi ! Plus fort ! » Mais je restais d'une mollesse insultante. Au quatrième « Qu'est-ce tu fous, connard ? », je me levai, me rhabillai et la flanquai dehors. « Et tu crois que c'est gratuit ? » Je lui tendis le billet de 50 francs. Elle partit sans demander son reste. Assis sur mon lit, une migraine me terrassant, je mis la bouilloire en route. Et je me mis à rire. D'abord léger, puis tonitruant, jusqu'à l'hystérie - vidant mes poumons de l'air vicié de ces dernières heures. J'ouvris la fenêtre sur la nuit qui enveloppait les façades de craie. Une cigarette, une respiration lente. Le calme revint. Dans le couloir, la folle rentrait chez elle. Ses hurlements étouffés, ses grattements aux murs, puis plus rien. Je crois que c'est à partir de ce jour que j'ai décidé de ne plus écrire une seule ligne. Nous fabriquons des objets dans l'instant, mus par des intentions multiples, tant la confusion de vivre se mêle dans l'être et l'avoir. Pour retrouver la clarté, il faut bien plus biffer qu'ajouter. Mais comment se séparer du trop-plein ? Comment retrouver la faim, la soif naturelles ? Dans la régularité, peu à peu, le chaos - cent fois, mille fois revisité par la mémoire mensongère - laisse l'eau troublée malgré tous les efforts. Sans doute parce que ces efforts ne servent qu'à conclure que notre lucidité n'est rien d'autre que la dernière de nos illusions.|couper{180}

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